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[ORONTD
ANNALES DE LA FACULTÉ DES LETTRES DE BORDEAUX
BULLETIN HISPANIQUE
.1 FD. l\' Sluiu. — Bull. /uV/ya/t., \, i.jo.i, i.
Bjrdcaiix. — Imprimerie G. Gou.nouiuou, rue Guiraude, g- ii .
Annales de la FacuHé des Lettres de Bordeaux
et des Universités du Midi
QUATRIÈME SÉRIE
CuiiiDiUlio aux Luiversités d'.Aix, Uordeuux, Montpellier, Toulouse
XXVe ANNÉE
BULLETIN HISPANIÛL'E
Paraissant tous les trois mois
TOME V
1903
Bordeaux :
FERET & FILS, ÉDITEURS, i5. COURS DE L'IINTENDAINCE
Lyon: Henri GEORG, 36-42, passage de l'Hôtel-Dieu
Marseille: Paul RUAT, 54, rue Paradis Montpellier: C. GOULET, 5, Grand'Rie
Toulouse : Edouard PRIVAT, i4. rue des Arts
Madrid : MURILLO, Alcalâ, 7
Paris :
Albert FOISTEMOING. A, rue Le Goff
éûô/
6é ,
Vol. V. Janvier-Mars 1903 N° 1.
ISIS
TERRE -CUITE DU MUSÉE BALAGUER, A VTLLANUEVA Y GELTRU
(Planche I)
J'ai choisi dans les vitrines où Victor Balaguer avait réuni
quelques souvenirs, trop rares à son gré, de l'Antiquité clas-
sique, un curieux fragment de figurine en terre cuite que j'ai
pu étudier à loisir et photographier grâce à Pamitié de
D. JuanOliva Mila, notre correspondant, conservateur du Musée
de Villanueva. L'originalité môme, la singularité, devrais -je
dire, de l'objet prouve combien était éveillée la curiosité de
D. Victor, et quel large éclectisme présidait à l'accroissement
de son trésor.
Par malheur, M. Oliva, malgré ses recherches, n'a pu me
dire exactement dans quelles conditions ce débris est entré au
Musée. 11 est probable qu'il a fait partie de la collection rap-
portée d'Egypte par D. Eduardo de Toda, et libéralement offerte
à l'Institut Balaguer; mais cela n'est que probable, parce que
les objets provenant de ce don sont exposés dans des vitrines
spéciales, et que, d'ailleurs, si la terre-cuite a certainement
rapport à l'Egypte, comme cela saute aux yeux, rien ne prouve
qu'elle y ait été trouvée, ni même fabriquée.
C'est la partie supérieure, haute de o'" i5, tête et torse, d'une
statuette de femme. Encore ai-je quelque hésitation à employer
ce mot de statuette, n'étant pas sûr qu'il convînt à la
figure, s'il était possible de la restituer dans son état primitif;
car le cou et la tête émergent d'une sorte de gaine très serrée,
sans que l'on voie se dessiner, sous l'étoffe qui enveloppe les
épaules très peu larges et la poitrine très peu saillante, la
moindre forme de bras. Quoi qu'il en soit, si l'on admet que
l'on a devant les yeux le reste d'une image de femme étroite-
ment drapée, voici comme il convient de la décrire.
2 Btl.LETl^ IIISPAMQUE
Le visage, d'un modelé rond et mou, où les yeux se voient
à peine entre de grosses paupières mal entr'ouvertes, où le nez
et la bouche sont dessinés sans finesse, où le menton s'empâte
lourdement, le visage a vaguement une expression de dignité
matronale, et sans doute la maquette qui a servi de modèle
avait-elle en ce sens quelque valeur. Mais lépreuve de Yilla-
nueva y Geltrù provient d'un moule déjà usé; elle est sortie
floue, et le coroplaste n"a pas daigné en aviver le dessin par
quelques retouches.
Les cheveux se divisent sur le haut du front, qu'ils rétré-
cissent, en deux bandeaux ondulés qui viennent passer derrière
les oreilles. De là se détache, de chaque côté du cou, et pend
presque sur l'épaule une épaisse papillotte en torsade. Les
oreilles portent de grosses boules en pendants. Au-dessus de
cette chevelure, dont les séries régulières montrent le soin
élégant du peigne, est placée une Stéphane en forme de crois-
sant renversé, comme celle de Junon ou de Diane. Cette
Stéphane est surmontée de ce haut ornement qu'on est convenu
d'appeler la coiffure isiaque, et qui se compose de divers attri-
buts diversement choisis et groupés selon les cas. Ici l'on voit
tout juste au milieu une palmette derrière laquelle se dresse,
comme un plumet rigide, une gerbe d'épis. La palmette et la
gerbe sont flanquées symétriquement de deux touffes rigides
aussi, où je crois, sans en être sûr, reconnaître des plumes.
Ces ornements semblent appliqués sur le devant d'une haute
tiare arrondie par en haut, que recouvre un voile tombant sur
le dos et les épaules.
La description est plus difficile en ce qui concerne le corps.
La femme paraît vêtue d'une robe dont on voit l'épaisseur à la
naissance de la gorge, et qui est serrée à la taille par une cein-
ture ; par-dessus cette robe il semble que le voile tombant de la
tiare vienne s'appliquer pour envelopper le torse, cachant sans
doute les bras sous son étoffe. Mais, au lieu de faire des plis
libres et variés, comme il convient à une draperie même un
peu étroite et collante, l'étoffe plaque sur la poitrine en dessi-
nant une très régulière volute dont l'œil correspondrait à la
pointe du sein. Du moins est-ce là ce que l'on distingue très
ISIS, TEKKK-CLITK Ul Ml SKE HAI.AGLIiK 3
clairement du côté droit, car le côté gauche est détruit depuis
l'épaule jusqu'à la taille; mais il semble si*u', d'après la direc-
tion et la forme même de la cassure, que la figurine était
exactement symétrique des deux côtés. Ce qui reste à droite
de la taille, amincie un peu, semble indiquer une ceinture.
La terre-cuite est plate par derrière ; des stries transversales,
peu profondes, indiquent seules que l'auteur a eu l'inlenlion
de représenter une étoil'c drapée sur le dos. L'objet, d'ailleurs,
est creux et formé de deux plaques estampées accolées par
les bords au moyen de barbotinc. C'est une technique bien
connue, sur laquelle il est inutile d'insister.
11 convient, enfin, de noter avec soin les couleurs dont la
figurine est couverte, et qui sont assez bien conservées. Le cou
et le visage sont blancs; aucune teinte noire ou brune ne vient
aviver les yeux ni les lèvres. Mais les cheveux autour du front
et la Stéphane sont peints en jaune; la tunique, y compris la
ceinture, est rose, tandis que les volutes du voile sont d'un
vert tirant sur le bleu; cette même nuance se trouve sur l'épi
dressé en aigrette.
Pour ma part, je ne connais aucune œuvre antique qui
ressemble à cette terre-cuite et permette, par rapproche-
ment, de la compléter ni de l'expliquer de façon suffisante.
Un fait n'est pas douteux : c'est là une figurine isiaque,
comme le dénotent clairement le voile et l'aigrette formée
d'épis et de plumes. De plus, il est infiniment probable que
cette Isis est l'isis si souvent assimilée à Déméter, et considé-
rée comme déesse de la terre et déesse des moissons. On
a plusieurs fois relevé la liste des représentations de cette
déesse égypto-grecque ; on a souvent étudié son caractère i, et
je n'ai pas à refaire ce travail. Mais je dois remarquer que
l'on n'a pas noté encore, que je sache, une représentation de la
coiffure isiaque où le symbole lunaire soit, comme ici, une
simple Stéphane (un croissant renversé), ni une tète dlsis-
Déméter, où ces attributs spéciaux, les épis et les plumes, soient
plaqués sur la tiare ou, pour mieux dire, sur le polos de la
I. Voyez Lafayo, Histoire du culte des divinités d'Alexandrie. — Dictionnaire des
antiquités, art. Isis. — Rosclicr, Ausf. Le.ricon fiir <trieck. und [iivm. Mytholo<jie,ar[. Isis.
/| lîLLLETIX HISPAMQUE
grande déesse. Toujours, je crois, ces ornements symboliques
se dressent comme un plumet au-devant du front. Donc le
syncrétisme est ici plus complet et plus significatif.
Surtout, je n'ai jamais noté de figurine où le corps soit ainsi
transformé en une sorte de mannequin habillé, et je n'ai
jamais vu d'exemple de cette manière de stylisation des plis
dune draperie, ni des plis arrangés, comme ceux du voile
de cette Isis, en spirale ou en volute purement géométrique.
Cette étrange disposition du corps et du vêtement porte
à se demander ce qu'était vraiment l'objet, que je n'ose plus
appeler une statuette. Si la partie inférieure avait été conservée,
sans aucun doute la destination de la terre-cuite aurait nette-
ment apparu; mais, actuellement, j'avoue n'avoir trouvé
aucune explication satisfaisante.
Peut-être, d'ailleurs, n'est il pas absolument nécessaire de
s'arrêter longuement à ce problème. Si l'on considère le type
et le style du visage, aussi bien que la combinaison des attri-
buts symboliques, si l'on remarque l'empâtement et la mol-
lesse des traits, le mélange des idées grecques et des idées
égyptiennes traduites par le rapprochement d'éléments plasti-
ques tout à fait hétérogènes, on n'hésitera pas à affirmer que
la terre -cuite du Musée Balaguer est une œuvre de l'époque
et de l'école alexandrine. On sait tout ce que l'alexandrinisme
a tenté et osé aussi bien en art qu'en littérature, et les fan-
taisies pleines de hardiesse auxquelles il se complaisait. Aucune
création mythologique n'a donné lieu à plus de variantes que
celle de l'Isis, qui, simple divinité locale à l'origine, est
devenue l'Isis Panthea. Il n'est donc pas surprenant qu'appa-
raissent de temps en temps des images encore inconnues
de cette déesse polymorphe. Celle dont je viens de parler me
semble des plus curieuses et non des moins instructives.
PlERIlE PARIS.
LA NODRIZiV DE D^ BIANCA DE CASTILLl
Del matrimonio de Alfonso Mil de Castilla, llamado el
^oble y el Bueno, con Dona Leonor de Inglalerra (i 170) nacie-
ron, segun el eruditîsiiuo P. Fierez, doce hijos, de los cuales
seis fueron hembras.
De dos de estas hijas, D" Constanza y D" Mofalda, hay pocas
noticias; ambas muiieion sin casar, siendo la primera monja
en las Huelgas de Burgos. Olra hija, D' Leonor, fué rcina de
Aragon; y las reslantes D'' Berenguela, D" Urraca y D' Blanca,
llamadas tambicn a cefiir respectivamente las coronas de Léon,
de Portugal y de Francia, son bien conocidas de todos, no
mas por el relieve de su personalidad historica, con ser grande,
(jue por las virtudes que en ellas resplandecieron.
D" Berenguela nacio en 11711, segun unos (P. Florez) en
Burgos, segun otros (Golmenares) en Segovia. Cuidaron de su
crianza dos nodrizas a lo que parece : una llamada D ' Estefania
y olra D^ Elvira. D" Estefania fué recompensada en 1181 por
Alfonso VIII con heredades en S" Pedro y en Fitero»; y
D" Elvira recibio algunos anos después, en 1189, otra donacion
semejante en Fuente PeraP.
D" Urraca nacio en 1 187 ^. Fué su nodriza una senora llamada
D* Sancha, a quien el rey premio con heredad para dos yugos
de bueyes en Castroverde, a 8 de Abril de i2o3^.
De D"" Blanca, la tercera de las hijas de Alfonso VllI y madré
1. Nunez de Castro, Cronica de los seFiores reyes de Castilla, Don Sancho el Descado,
Don Alonso el Octavo, etc. Madrid, iG65, cap. XXXVIII.
2. A mi pareccr, estos hcredamientos corresponden â los pueblos llamados hoy
Itero de la Vega é Itère del Gastillo, situados en las mârgenes opuestas d('l ri'o Pisuerga,
en los limites de las provincias de Paleacia y Burgos, de donde séria natural probablc-
mente D" Estefania. El privilcgio en que consta esta donacion lo publiée integro
U. Manuel de Miguel Rodriguez en sus Memorias de Fernando lll, Madrid, iSoo, pag. 329.
Se lialla otorgado en Burgos, i" Mayo ii8i. Nufiez de Castro, Crônica de Alf' VIII, â
quien signe Florez (Fteynas, pâg. Sgi), dan equivocadamente â este documento, que per-
tenecio al Hospital del Rey de Burgos, una fecha de tm aiio anteriôr, ô sea ii8o. El
documento alude â la conquistadeCuenca, cuyosucesotuvo lugar el 21 de septiembrc
de 1 177, diciendo, anno quinlo ex quo serenissimus Rex prefatus A. Concliam fidei xptiane
subiugavit. No tiene duda, pues, que la fecha exacta del diploma corresponde â 1181.
3. Bcrganza, ^;i<iguerfarfesrfe£spario, tonio II, pâg. 119. Los hcredamientos relatives
â esta donacion deben corresponder â Peral pcqueîio, pucblo â orillas del Arlanza
(Palencia) cerca de Palenzuela.
'i. Florez, Rey nos Catholicas, pâg. .^90.
5. Florez. Ibidem, pâg. '|o3.
6 BULLETIN HISPANIQUE
de San Luis, solo se sabi'a que habia nacido en Palencia en
1188 antes del k de Marzo, segiin probaron JNuûez de Castro y
el P. Florez con un privilégie del Archivo de Arlanza, que
lleva aquella fecha seguida de estas palabras : cmno qiio nata est
Paleniiae Infantisa Blonca de Regina Alienor. Se ignoraba hasta
hoy el dctalle no Irascendental, pero si curioso é interesante,
de quien bubiera cuidado de esta infanta durante su nifiez; y
V iene a llenar este pequeno vacio en la biogralia de esta inuger
esclarecida el privilegio que copio a continuacion (v. pi. II).
(Crismon) Presentibus et futuris notum sit ac manifestum quod
EGO ALDEFONSUS DEI GRATIA REX casteUe et toleli una cum
uxore mea Alienor regina et cum filio meo(2)ferrando facio cartam
donationis concessionis et stabilitatis uobis sancie lupi dilecte nutrici
lilie mee nomine blanca et coniugi uestro(3)martino garsiede rusione
uobis et filiis ac filiabus uestris et posteris et omni successioni uestre
perpétue valituram. Dono itaque uobis et conce(3)do duos uillares
heremos uidelicet fontemsaldaniam et uillatriz sitos inter saldaniam
et carrionem cum terris uineis aquis riuis mo(4)lendinis piscariis
pratis pascuis fontibus et nemoribus et defensis et cum omnibus
directuris et pertinentiis suis iure hereditario in (5) perpetuum habendos
et irreuocabiliter possidendos ad faciendum de eis quicquid uolueritis
dando uendendo impignorando concambiando seu quidlibet aliud
faciendo (6). Si quis uero banc cartam infringere uel diminuere pre-
sumpserit iram dei omnipotentis plenarie incurrat et régie parti .c.
aureos in coto persoluat et dampnum quod uobis intulerit duplatum
(7) restituât. Facta carta apud burgis Era .M^ cc\ xxviir. vi" kalendas
iulii. Tercio anno postquam serenissimus A. rex castelle et toleti
A. regem legionensem cingulo milicie accinxit (8) et ipse A. rex
legionis osculatus est manum dicti A. régis castelle. Et consequenter
paucis diebus elapsis sepe dictus A. illustris rex castelle et toleti
romani imperatoris filium conradum (9) nomine in nouum militum
accinxit et ei filiam suam berengariam tradidit in uxorem. Et ego
rex A. regnans in castella et toleto banc cartam manu propria roboro
et confirme. (10) Gundissaluus toletane ecclesie arcbiepiscopus et
hispaniarum primas confirmât. (Dentro del signo rodado) SIGNUM
ALDEFONSl REGIS CASTELLE. (Al rededor del signo) Rodericus
gutterrez maiordomus curie régis cf. Didacus lupi alferez régis cf.
(Cohimna de la derecha) Martinus burgensis episcopus cf. Ardericus
palentinus episcopus cf. Gundissaluus secobiensis episcopus cf. Cornes
Petrus cf. Gomes Ferrandus nunii cf. Comes Ferrandus de gallecia cf.
(Colamna de la izquierda) Gomez garsie cf. Ordonius garsie cf. Petrus
L\ NODUIZA UE ir BI, VNCV DE CASTlLLi -
roderici de caslro cf. Petrus roderici de guzmin cf. Willelmus gundi-
ssalui cf. Lupus diaz mcrinus régis in castella cf.
Magisler mica Régis nolarius. Gutterrio roderici exislente cancellario
SCRIPSIT.
Este privilégie ha permanecido inédito hasta hoy y parecerâ
extrano que en el movimiento de investigacion documentai
del siglo xvni, que tantes frutos produjo para las ciencias his
toricas, pasara desapercihido : por lo cual voy a dar brève
cuenta de como ha llegado u mis manos y como pudo escapar
para les analislas del sigio antécédente.
Como verân los amables lectores el documente en cueslion
es una donacion de Alfonso YIII y de D' Leoner a Sancha
Lopez, dilecle nutrici fdie mee nomine Blanca, y a su maride
Martin Garcia de Rusicjn de dos heredades en Fuente Saldana
y Villatriz, situadas entre Saldana y Carrion de los Condes.
Esta otorgada el 26 de junio de 1190, de quince a diez y ocho
meses después de nacida D" Blanca. Dicho diploma se halla
en mi poder y bajo mi custodia hace très anos. Recorrîa yo
entonces la hermosa vega del rio Carrion y me detuve à con-
templar las ruinas del monasterio cisterciense de S'" Maria
de la Vega, situadas cabalmente en la mitad del camino que
conduce de Carrion a Saldana. AUi supe que en un pueblecito
cercano existîa algo digno de ser visitado, y alli me trasladé,
bien ajeno de sospechar que el fruto de aquellas investiga-
ciones habîa de ser la adquisicion de todo el archive del
monasferio que encontre en poder de un vecino de aquel
pueblo. Por las circunstancias del caso, que no referiré en este
sitio, me convencî de que tal archive se hallaba alli por lo
menés desde principios del siglo xix, 6 quizâs antes. Invo-
cando mi cualidad de secretarie de la Comision provincial de
Monumentos y estimulado por mi deber para que aquel
archive ne se extraviara, logré adquirirle en conjunto de
mas de neventa diplomas expedidos en su mayer parte desde
fines del siglo xn hasta mediados del xv.
De este archive extraigo para publicarle por primera vez el
diploma que motiva estas lineas; y rindo un tribute de cortesia
a mi excelente amigo M. Pierre Paris, reservande parael Boletin
8 BtJLLETIN HISPAMQUE
Hispdnico que dirige las primacîas en la publicacion de un
documento, que aun refiriéndose a una iluslre dama castellana
pertenece en realidad u los biografos de una reina francesa.
Mas volviendo al privilégie, sâbese por él que crio a esta
reina una sefiora llamada Sancha Lopez, natural, segun todas
las conjeturas, de la Serna (Palencia) en las riberas del
Carriôn, lugar en el cual recibe heredades; por donde résulta
que esta reina francesa naciô en Palencia y una mujer de
tierra tambien palentina la amamantô y crio.
No me ha sido fâcil determinar que heredades fueron
aquellas a que se refiere el diploma. Presumo que Villatriz es
un lugar entre Carriôn y Saldana llamado boy Yillaturde; y
con mas fundamento sospecho 6 mejor dicho sostengo que
Fuente Saldana es algiin despoblado inmediato a la Serna.
Me fundo para créer esto en la circunstancia de vivir en este
pueblo (entre Carriôn y Saldana, muy cercano al monasterio
de la Vega), en i234, dos hijos de Sancha Lôpez : uno llamado
Don Diego Martinez casado con una D* Mencia, y otra llamada
D" Maria. Consta esto en otro documento del mismo archivo
que posée tambien la Comisiôn de Monumentos; este docu-
mento es la venta que otorgan los citados hijos de Sancha
Lôpez al monasterio de la Vega, en septiembre de 1284, de
todas las heredades que tenîan en la Serna y que sus padres
habian ganado del Rey. No tiene duda que estas heredades
eran las mismas donadas por Alfonso YIII, puesto que se
obligan a entregar a los monjes compradores la carta de dona-
ciôn regia. Con esta aclaraciôn se explica fâcilmente la exis-
tencia de este diploma en el monasterio de S'" Maria de la Vega.
Prescindo de ocuparme en senalar la gran importancia de
este privilégie por los sucesos con que, segùn la costumbre de
aquellos tiempos, senalaban la data, sucesos de no escasa
trascendencia histôrica, porque no he tenido otro propôsito
que utilizar en favor del pùblico francés el dato que contiene
relativo a D" Blanca de Castilla.
Fbancisco SIMON y NIEïO,
Correspondiente de la Academia de la Uistoria.
Palencia, 20 de noviembre de 1902.
ÀTE RELEGÂTÂ ET MINERVA RESTITUTÀ
COMÉDIE DE COLLÈGE REPRESENTEE A ALCALÂ DE HE.NARES
EN 1009 OU l54o
Dans une page du Aolunie consacré au théâlre de l'Huma-
nisme et de la Renaissance de sa belle histoire du drame
moderne, M.W, Greizenach a récemment appelé l'attention sur
une petite comédie latine de circonstance, intitulée Aie relegaUi
et Minerva restitiita, qui fut représentée à Alcala de Henares
devant le prince héritier Philippe, soit en lôog, soit seulement
en i54o'. Le sujet de cette pièce est — sous l'allégorie du
triomphe de Minerve sur la méchante Ate et le médisant
Momus — la réconciliation de l'Université d'Alcala avec son
patron, le cardinal archevêque Juan Tavera. Le manuscrit qui
nous l'a conservée porte le n" 8762 du fonds latin de la Biblio-
thèque nationale de Paris; c'est un cahier de 4i feuillets du
format petit in-A", qui, outre VAte relegaki, contient une partie
des Suppositi, comédie latine fle Juan Pérez de Tolède imitée
de l'Arioste, et quelques vers latins en l'honneur du prince
Philippe. Il semble bien que ce manuscrit soit autographe, car
les corrections qu'on y note font tout l'effet de corrections
d'auteur 2. Pourquoi tout le contenu du manuscrit ne serait-il
pas de Juan Pérez? A première vue, cela semble assez probable
et ce que nous savons de la carrière de cet humaniste parle
en faveur de cette attribution.
Lorsque l'Université d'Alcala se décida, vu la grande afïlucuce
des élèves, à dédoubler la chaire de rhétorique du successeur
de Nebrija, Juan Ramîrezdc Tolède, dont l'enseignement avait
obtenu un vif succès, le recteur et les professeurs portèrent
I. Geschichte des neneren Drainas, Halle, M. Niemeyer, 1901, t. II, p. 80.
3. En tout cas, le manuscrit est d'une main espagnole, comme l'indiquent les
graphies bibrarem (vibrarem), explevil (explebil). obscrbans (observans), virisitudo (vicis-
situdo), discesi (disressi), pertaessum Cperlaesuiu), J^etat, (Jlectal), etc.
10 BLLLETIN IllSPAMQUE
leur choix d'abord sur Juan Fernândez de Séville, qui passa
bientôt à l'université de Coïmbre, puis sur Juan Pérez de Tolède :
« Hœc [altéra cathedra rhetoricae] primum loanni Fernandio
Hispalensi, cuius nunc doctrina Conimbricensis Academia
permultum iuvatur, deinde lo. Petreio Tolekmo commissa
est, iuveni ingeniosissinio, qui non ita pridem Complutum
venerat, » nous dit Alvar Gomezi. En quelle année cette nomi-
nation eut-elle lieu? Alvar Gomez ne l'indique pas, mais il va
de soi qu'elle ne saurait être postérieure à l'année lôSy :
Gallardo cite, en effet, un discours de rentrée manuscrit de Juan
Pérez conservé à l'Escurial qui porte ce titre : Joanis Petreii
Toleiaiii, Rhetoris Complutensis, Oratio Complutis (sic) in Studio-
rum initio habita, anno 1537 -^. Juan Pérez mourut jeune, à l'âge
de trente-trois ans, comme nous l'apprend une note accompa-
gnant le distique que lui composa Luis de la Cadena, chance-
lier de l'Université et abbé de San Justo y Pastor, et qui se
trouve parmi les pièces préliminaires des Comœdiœ quatuor
de Juan Pérez imprimées à Tolède en lôy/i- Le distique et la
note se lisent comme suit dans l'édition :
Ejusdem [Ludovici Cathenae] Distichon, foribus
templi affixum, duni idem ejferretur.
Effertur iuenis suijra qui se extulit omnes,
Ingenio iuvenes eloquioque senes.
Mortem obiit anno ciitatis suse trigesimo teiiio3.
h' A te retegata a dû être composée quelque temps après la
mort de l'impératrice Isabelle (i" mai i539); cela ressort d'un
passage de la comédie où Minerve, s'adressant au prince
Philippe, lui dit : « Gratulor sanctissimae matris memoriae, »
puis de deux pièces de vers latins in memoriam insérées dans le
1. De rébus gestis Francisco Ximeiiio, CisneriOf Archiepiscopo Toletano Ubrioclo, Alcalà,
1669^ fol. 2a3.
2. Ensayo de una Bibliotheca espanola, n" 34 ig.
3. Il est question de la mort de Pérez dans une lettre de Luis de La Cadena, sans
adresse et non datée, qu'a publiée D. Adolfo Bonilla: Claroruin Hispaniensium Epistolae
ineditac, Paris, 1901, p. 40 (cf. Bulletin hispanique, t. IV, p. 27C). A cette lettre sont
jointes la copie du distique et celle d'une épitaphe qui figure également dans l'édition
des Comœdiœ quatuor.
ATE RELEGATA ET MIXERVA UESTITUTA 1 I
manuscrit de Paris immédialcmeiit après la comédie, dont la
première porte l'adresse : u Principi Sercnissimo obitum
D. matris lugenti, » Or, en i53g, Juan Pérez exerçait son pro-
fessorat, puisque ses Progymnasmata Artis Rheloricae, imprimés
à Alcala par Juan Brooar, sont datés du mois d'avril lôSg». Il
vécut encore quelques années : en i542 et en lô^^i, nous le
voyons signer une épître et des vers latins en recommandation
d'un traité de rhétorique et d'un ouvrage de théologie sortis
des presses d'Alcala-; en i5'44 aussi, il termine son poème en
l'honneur de sainte Marie-Madeleine dont l'explicit du quatrième
et dernier livre, rédigé par lui-même ou par son frère Antonio,
est ainsi conçu : « loannes Petreius Toletanus miro studio ac
piclate erga Divam Mariam Magdalenem, hoc Poëma de eius
laudibus aggressus, anno telatis sua> \XV, mense XI, sœpe
deinde intermissum ac sa^pe repctitum absolvit tandem anno
sua; œtatis XXXII eodemque ab orbe redcmpto MDXLIIII,
YII Kalen. Septem., idque vouet ac dcdicat eidem Sanctiss.
Diuae, hoc qualiscunque (sic) munusculo sibi cam apud Ghris-
tum Opt. Max. patronum adoptatam unice cupiens^. » Cette
déclaration, combinée avec le renseignement fourni par Luis de
laCadena, nous enseigne donc que Juan Pérez mourut en i545 :
par cela même il est bien démontré qu'il a pu cinq ou six ans
auparavant prendre la parole au nom de l'Université d'Alcala
dans une circonstance solennelle.
Au surplus, l'impromptu joué en présence du prince héritier
répond tout à fait à certain côté du talent de Juan Pérez. On
sait qu'il imita en latin trois comédies de l'Arioste et une de
Piccolomini que son frère Antonio publia à Tolède en 1574 '»,
1. Gallardo, Eiisayo, n" 31 15, et Juan Catalina Garcia, Ensayo de una tipografia
complutensc, Madrid, 1S89, n°' i(j5.
2. Juan Catalina Garcia, livr. cité, n°" 178 et 201.
3. Ce passage, ainsi que le distique de Luis de La Cadcna, ont été reproduits par
D. Grcgorio Mayans, dans sa notice sur Juan Itérez (Specim.cn Bibliothecae Hispano-
Majansicmae... ex museo Davidis Cleinentis, Ilannovre, lyôS, p. 117). D. Rarnôn Menéndcz
Pidal a bien voulu coUationner les deux textes sur les éditions originales, qui n'existent
pas à Paris. Mayans, dans sa notice, dit qu'Alvar Gômez a parlé de notre Juan Pérez
dans une lettre adressée à Pedro Rua, que lui Mayans se proposait de publier. Il ne
semble pas qu'il ait donné suite à ce projet.
II. Voyez la description de ce volume assez rare, dans Pérez Paslor, La imprenta-en
Toledo, Madrid, 1887, n" 3i-. Dans sa dédicace au recteur et aux professeurs d'Alcald,
Antonio Pérez dit qu'il publie ces quatre comédies « ex multis quas nostcr Petreius
uobis rcliquerat, in Academiaquo Complutensi edidcrat ».
12 BULLETIN IIISPAMQUE
et Alvar Gomez, sans préciser autrement, nous apprend quil
égayait souvent l'Université par ses compositions comiques :
« Laetam ssepenumero Academiam fecit facetissimis comœ-
diarum argumentis. » Il possédait aussi des aptitudes remar-
quables d'improvisateur : « Eius tam prompta erat et cxtem-
poralis ad dicendum facultas, tam amœno amne et perenni
fluens tamque liquido et minine turbido, ut medio in Latio
natus et eruditus, iudicio etiam Italorum, qui illum audierant,
videretur, » ajoute encore Alvar Gomez i. Un autre de ses col-
lègues, professeur de rhétorique aussi, Alfonso Garcia de Mata-
moros, mentionne à son tour l'extrême facilité de Juan Pérez à
improviser sur n'importe quel sujet : « Nec illi defuit extempo-
ralis facultas, vel ultro et ex consuetudine declamanti, vel saepe
etiam adventu procerum et virorum nobilium intercluso ; ubi
non paratum aliquid et praemeditatum recitabat, sed de omni
re proposita, quam modo intellexisset, ornate et copiose, et
incredibili quadam suavitate disserebat^. » Cela étant, il ne
serait point surprenant que ses collègues l'eussent choisi pour
souhaiter la bienvenue au prince Philippe et composer à cette
occasion une sorte de divertissement littéraire, destiné à recon-
quérir au profit de l'Université les bonnes grâces du cardinal-
archevêque Juan Tavera. Ce personnage, outre ses fonctions
archiépiscopales, remplissait celles de Grand Inquisiteur, et
Charles -Quint l'avait investi, au moment de partir pour les
Pays-Bas, en octobre iSSg, de la charge de gouverneur des
royaumes de Castille et de Léon : Tavera se trouvait donc à la
tête de l'administration et du gouvernement, il remplaçait
l'Empereur. En partant, Charles-Quint lui ordonna d'habiter le
palais royal avec le prince Philippe et lui laissa des instruc-
tions avec les pleins pouvoirs qu'il avait coutume de laisser à
l'Impératrice. Pendant les deux années que dura cette régence,
nous dit son biographe, Pedro de Salazar y Mendoza, le cardinal
ne sortit pas une heure de son diocèse ; il séjourna toujours
soit à Tolède même, soit à Alcalâ, soit à Madrid ou dans
1. De rébus geslis, etc., fol. aaS.
2. De adserenda Hispanorum eruditione, dans Hph. Garsiae Malamori Opéra oinnia,
éd. de Madrid, 17C9, p. 5'i.
ATi: RELEG.VTA ET MINERVV KESTITUTA l3
quelques autres localités de rarchevêché i. Ayant auprès de lui
et sous sa garde le Prince héritier de la couronne, qui avait
alors une douzaine d'années, on conçoit qu'il ait eu l'idée de
lui montrer l'un des plus grands centres d'études de l'Espagne, la
splendide fondation de Cisneros. J'ai dit plus haut que la visite
pouvait se placer en lôSg: j'ajouterai ici qu'elle eut lieu, en
tout cas, après la nomination de ïavera au poste de gouverneur
des royaumes, qui est du commencement d'octobre, et, comme
l'indique un passage de VAte relegata, très peu de temps après
cette nomination : « Nostine, » dit Minerve à Mercure, « virum
notissimuni omnibus, merito suo praesulem optimum archiepi-
scopum Tolctanum,ç«em modo Caesar regni summae praefecil?»
A la rigueur, le Cardinal et le Prince ont pu ne venir ensem-
ble, pour la première fois, à Alcala, que dans les premiers
mois de i5/|0, et nous savons qu'ils y sont venus en effet, à
cette époque, par une lettre du précepteur du Prince, Juan
Martinez Siliceo, datée du 19 mars i54o, 011 ce dernier rend
compte à Charles-Quint des progrès du royal élève :
En lo que loca a la enscùanza dcl Principe, digo que en latin va inuclio
adelanlado. y anlcs de medio ano, como crco, podni pasar por si todos los
hisloriadores que han cscrito, por dificullosos que sean, â lo menos con
poca ayuda de maestro ; en el hablar latin ha arto aprovechado, porque no
se habla otra lengua en todo el tiempo del estudio, y el uso le harà doto en
el hablar tanto y mas que la leccion. El escribir en latin se ha comenzado;
tengo esperanza que le sucedeni mucho bien. Los dias pasados estiivo su
AUeza en Alcalâ y visité ;i todos los letores. y oyô lo que leian, y pucdc créer
V. M. que â todos los entendio, si no fué al que leia llebrayco, y holgô tanto
en los oir y entender lo que decian que ningun trabajo le fué todo el
tiempo que los oyô, que serian mas de très horas-.
Comme Siliceo ne dit rien d'une comédie qui aurait été
représentée ou récitée devant Philippe, il faut croire que ce
n'est pas lors de cette visite que VAte relegala fut produite par
son auteur : elle le fat, ou un peu plus tut, ou un peu plus tard.
L'intérêt de la [composition, que je crois devoir juscju'à
preuve du contraire attribuer à Juan Pérez, réside surtout dans
les allusions aux affaires intérieures de l'Université, aux rap-
ports de ses membres avec l'archevêque de Tolède dont dépen-
1 . Chronico de el cardenal Don Juan Tavera, Tolède, i6o3, p. aaS.
2. Modesto Lafucnte, Ilistoria gênerai de Espaha, t. XII (Madrid, f853), p. 38i.
Bull, hispau. ■,
lA BLLLETIN HISPANIQUE
dait très étroitement la création de Cisneros. Les archevêques
de Tolède étaient seigneurs au temporel et au spirituel d'Alcala,
ils nommaient le Gorregidor et le Vicaire général; mais, d'autre
part, les privilèges considérables que Cisneros avait obtenus
de l'autorité pontificale en faveur de sa fille chérie, l'Univer-
sité, suscitaient des querelles incessantes non seulement entre
les étudiants et les représentants de l'Archevêque, mais entre
ceux-ci et les membres du clergé qui à un titre quelconque
pouvaient se réclamer de la juridiction du Recteur. Si un clerc
immatriculé encourait l'excommunication du Vicaire général,
il s'adressait au Recteur, lequel faisait intervenir les Conserva-
teurs apostoliques de l'Université, et ceux-ci excommuniaient
le Vicaire pour avoir attenté contre les privilèges de l'Univer-
sité. Bref, c'était un conflit permanent : fuero universitaire,
d'un côté, droits souverains des archevêques, de l'autre. L'his-
toire de ces luttes, souvent fort vives, sous les premiers succes-
seurs de Cisneros, a été contée en détail par Alvar Gomez dans
le livre VIII de sa biographie du Grand Cardinal et a été résumée,
d'après cet ouvrage, par D. Vicente de la Fuente, dans le
tome II de son Hisloria de las wiiversidades (Madrid, i885).
Tavera, ayant succédé à Alonso de Fonseca sur le siège de
Tolède en i534, voulut rétablir l'autorité assez ébranlée de son
prédécesseur, qui avait beaucoup bataillé avec les universitaires
et tenté, à ses dépens, de tirer parti des rivalités entre étu-
diants ultramontains et cismontains, c'est-à-dire entre Castillans
et Andalous. Homme intègre, laborieux et consciencieux, mais
d'un esprit étroit, intransigeant et assez intéressé, plus même,
dit Alvar Gomez, qu'il ne convenait à un prélat de son rang, le
nouvel archevêque Tavera n'était pas d'humeur à se laisser
faire la loi par un recteur de collège. Son austérité ne s'accom-
modait pas non plus des fredaines des étudiants dont Fonseca,
homme du monde et de mœurs faciles, ne s'était guère inquiété,
et que Cisneros lui-même avait souvent tolérées et pardonnées.
Il menaça l'Université de lui donner, comme à Salamanque, un
maestrescûelas pour la ramener dans l'ordre. Ce projet et d'au-
tres causèrent un gros émoi parmi les professeurs ; on discuta
beaucoup des deux côtés, et, dans la chaleur de ces controverses,
ATE llEI.l-dATA El Ml>EUVA HESTITLT.V 10
Tavera laissa échapper parfois des paroles assez blessantes et
dures : « Cisneros n'a jamais rien fait de plus préjudiciable à la
dignité du siège de Tolède qu'en fondant cette Université, « ou
bien : « Si vous voulez quitter Alcalu : à votre aise ; la ville ne
s'en portera pas plus mal, et moi je n'en demeurerai pas moins
archevêque de Tolède et primat. » Les universitaires alors cher-
chèrent un appui à Rome, mais le vieux cardinal continua avec
opiniàlielé à défendre ses prérogatives, nolammenl en ce qui
concernait la jnridiclion de l'ordinaire sur les clercs : il aurait
peut-être obtenu gain de cause, lorsqu'une lièvre l'enleva le
I" août i54o. « Eius morte Acadcmia respiravit et velufi longa
tempcslate iaclalis lumen quoddam affulsisse visum est, » écrit
avec une salisfaclion non tlissimulée Alvar Gomez. L'Université,
ajoute-t-il, eut en lui un terrible adversaire, car ses qualités de
probilé et de sagesse donnaient lieu de croire qu'il jugeait plus
équilablemcnt et voyait mieux ce qui était à faire que les autres.
L'Aie relegalu est d'avant la période aiguë de la lutte; elle a été
écrite précisément au début de ces querelles. Le Cardinal a déjà
manifesté des intentions inquiétantes, mais il est permis d'espé-
rer que de bons procédés et des compliments bien tournés le
ramèneront à des sentiments plus doux; la paix peut être conclue
sous les auspices d'un prince royal, il faut en profiter. Voilà ce
que devait penser l'improvisateur en composant son Dialogus,
dont je reproduirai le prologue, qui donne le canevas de la pièce.
.Vtc.noxac' et maleficii doa.Miiicrvae invidens, quani in Gomphitensi Aca-
dcmia lionorifice collocalani vidcbat, ut cain inde excludal dat opcrani, con-
fcrt cum Monio, nialcdiccnliae dco, consilia, ut ambo cominuni opère illi
apud patronos struant calumniani et persuade[a]nt illam esse Cardinali Tole-
tano infestani. Id cgre ferentem Miuervam recréai Mercurius, detectis insi-
diis, et ambo illam iniuriam ulcisci destinant et de sceleralis pœnas sumcrc.
Adest Apollo qui a love nuncium pcrfert, ut Ate in Turcas cl Barbares rele-
gctur. Ea relcgata, in Momum etiam saevire volentibus Vulcanus adest, a love
cum mandatisid fieri probibens. Fit mentio de nuptiis Minervae cum Nter-
curio, quod postquam illa diu dctrcctaverit, tamdcm ea ratione convincitur,
ut Mercurius illam apud Cardinalem commendet diligenter. Ad illum eun-
libus ofTert se Princeps Serenissimus. Ex opinato ^ ac mutato consilio illum
adeunt, illum salutant, illi gratulanlur, productis etiam Gratiis ad actio-
nem graliarum. Claudit totam aclioncm Vulcani convivium.
I. J'ai parlout remplacé les e ccdilli's par ae.
•i. Ex opinato, expression empruntée à un mauvais texte de Qulntilicn; il faut
ex inopinato (voyez Forcellini, s. v, opiiiatum).
l6 BULLETIN HISPANIQUE
La première scène se passe entre Minerve et Mercure. La
sage déesse paraît fort mécontente et très agitée. Après de
longues pérégrinations, elle avait enfin et à grand'peine décou-
vert un séjour où elle pouvait se promettre une vie heureuse
et tranquille, et voici qu'on la regarde de mauvais œil, que
l'on conspire contre son repos. A Mercure, qui se présente à
sa vue et qui s'étonne de cette mauvaise humeur, elle raconte
ses infortunes. Depuis son départ forcé d'Athènes, cité livrée
maintenant aux Barbares, elle a erré de côté et d'autre; sa
visite aux Brahmanes et Gymnosophistes de l'Inde lui a causé
une première déception, et elle en veut beaucoup à ces men-
teurs de Strabon et de Philostrate de lui avoir tant vanté cette
sagesse orientale, qui est une pure farce. Puis, confiante
dans la rumeur publique, qui proclamait que la philosophie
avait élu domicile en France, elle s'est rendue à Paris *: elle
n'y a entendu que des bavards parlant un jargon inintelli-
gible. Trompée de nouveau, elle a pris la route de l'Italie; là,
subsistaient bien quelques vestiges du beau temps des lettres,
mais la guerre et le bruit des armes l'emportaient sur tout le
reste, et Minerve comprit qu'elle ne serait honorée en ce lieu
que comme déesse guerrière. Ce fut alors qu'on l'informa de
ce que venait d'instituer en Espagne ce héros digne de l'im-
mortalité, le créateur du collège d'Alcalâ, vrai temple de
Minerve. Aussi y est-elle accourue, et la réception qui lui fut
faite dépassa toutes ses espérances, a Je resterai donc ici quelque
temps, » se dit-elle. Tout ce récit est d'un tour assez agréable
et spirituel.
Mercariiis. Quas, quaeso te, adivisli nalioiies? — Minerva. lam scies. Audie-
ram prinium nescio quos Braginanos et Gimnos.ophislas apud Indos qui
philosopliarentur mirabililer de tota rerum natura. Eo igitur ubi me contu-
llssem, reperi omnia meras fabulas, ut maie saepe sim precata Straboni et
Philostrato et reliquis fabulatoribus qui me suis mcndaciis eo perpuleruut.
— Mer. Hinc tantum itineris frustra emensa? — Min. Imo vero remensa,
nam excepit me quidam rumor omnia studia philosophica ad Gallos demi-
grasse ibique Lutetiae Parisiorum enatas ipsas Athenas. Ego cupidilate
incensa, citatissimo cursu eo contcndi, promittens mihi omnem illam anti-
quam fœlicitatem. — Mer. Quid igitur? An non invenisti? — Min. Inveni
genus quod[d]am philosophorum inauditum mihi, o Mercuri, garrulum
quidem, loquax et obstreperum, sed quorum linguam non magis quam
ranarum intelligerem. Latine seilli loqui dicebant. Ego si bene olim Roma-
VTE RF.I.EGAÏA ET MINEHVA UESTITUTA I7
nos novi, non magis latine loqucbantur quam graece. Ilaquc cum intcUigcrc
non posscm linguani, inde disces[t<]i maie me habens. — Mer. Atqui, aiunt,
nunc ibi el graeca et lalina studla florere, si unquam alias fœlicissimc. —
Min. Aiiiiit, sed ego scmcl delusa non ausim repetere. Itaque inde cxclusa
decrcvi Italiam invisere ipsamque urbem Romam. si quao slarent \estigia
lilerarum. Inveni quidom nonniliil quod me remorari posset, sed cum
omiiia bellis slropcrenl alquo aiinis infesfarentur, magis me colebant ea
parle qua bellis pracsum quam lilteiis. inlerea natus est ille héros immor-
talilate dignissimus qui hoc Complutense liceum ercxit, qui hanc domum
mihi sacravit totaïuquc istam molem instruxit magnifico literarum omnium
apparatu. Ego continuo ubi id rescivi, hue advolo summa alacritate. Ueperi
omnia ex sententia, exceijta sum humanissime, culta honorillcentissime et
ab illo heroe supeditata sunt omnia copiose; nam et compluics reperi alum-
nos meos Airos cgregios, sum[m]a cruditione praedilos, doctrinis omnibus
excultos. Itaque perlubens hic mansi aliquandiu.
« Eh bien, dit alors à Minerve le messager des dieux, puisque
tu es maintenant satisfaite et que tu vis dans un milieu où l'on
te vénère, que te manque-t-il et pourquoi témoignes-tu cette
inquiétude? — Tu connais, n'est-ce pas, l'éminent prélat, l'ar-
chevêque de Tolède, auquel César vient de remettre le gouver-
nement de ces royaumes? — Sans doute, j'habite constamment
dans sa demeure, et quand je considère la vigueur de son
esprit, j'ai honte de moi-même. Mais as-tu donc affaire à lui?
— Ah! Mercure, on me dit qu'il m'est hostile. — Comment?
Et qui t'a dit cela? — Ate et Momus. — De jolis garants! Ne
te souvient-il pas qu'Ate a révolutionné le ciel, que Jupiter, la
saisissant par les cheveux, l'a précipitée sur la terre? Ne sais-tu
pas que Momus trouve toujours de qui médire et que Jupiter
lui-même n'est pas à labri de ses traits? — Oui, lu dois avoir
raison; ces méchants m'ont trompée, il faut que je me venge.
Cherchons-les et faisons-leur payer cher leurs méfaits. »
La scène II est un monologue de Momus, et c'est l'un des
meilleurs morceaux de la pièce. Momus s'ennuie, voilà six ans
qu'il rôde autour du Collège, épiant ce qui pourrait servir de
pâture à sa médisance, et rien ne lui est apparu. Que faire ?
« Mais ce grand prélat n'offrirait -il pas quelque morceau à
mordre? Sa sobriété excessive, sa dureté envers lui-même, son
travail acharné : voilà bien des défauts. A table, voyez-le,
comme il boit peu, et encore ce peu n'est-il que du vin dilué.
Je hais ces abstinents, ces buveurs secs. Est-ce là une table
10 nLM,r/n>' hispanique
archiépiscopale? Ailleurs, je vois des évoques qui festoyenl
comme il convient. Sainte abstinence, dira-ton; non, je dis
moi : pure hypocrisie... Mais j'y réfléchis, en critiquant, je
loue. Cette vie n'était-elle.pas celle des premiers pères dont
on nous prêche l'exemple? Allons, il faut chercher autre chose.
J'ai trouvé. Les grands personnages comme celui-ci doivent,
on le sait, s'entourer d'une nombreuse clientèle de gens du
monde, de brillants parasites, de flatteurs, d'histrions, d'oisifs
qui leur font cortège et sur lesquels ils répandent leurs faveurs.
11 n'y a que l'avare qui choisit ceux qu'il gratifie; le propre du
grand seigneur consiste à répandre au hasard ses bienfaits.
Or, celui-ci n'a dans son entourage que des hommes sembla-
bles à lui-même : sages, sérieux, modestes... Je fais encore
fausse route; je cherche à le ridiculiser, et c'est de moi qu'on
rirait. Attention, j'aperçois un côté faible par où je pourrai le
happer. Il consacre tout son temps aux affaires publiques, au
gouvernement de l'État, au Conseil, à l'examen d'une infinité
de questions épineuses. Ne ferait-il pas mieux de se donner
des loisirs, de vivre pour lui-même, après avoir tant vécu pour
les autres ?... Oui, mais je fais ici l'éloge de la paresse, et l'on
trouvera plus de gens pour admirer ses excès de travail que
pour l'en reprendre. J'enrage, j'étouffe. Avoir tant cherché en
vain! Mais, ô bonheur! voici venir Ate, la déesse de la dis-
corde, mon amie bien chère, qui sait toujours fournir des
sujets à ma raillerie. Ces jours derniers, elle m'a dit qu'elle se
proposait d'expulser Minerve d'Alcahi et qu'elle avait décou-
vert le moyen de la brouiller avec le Cardinal. »
Momus. Quis unquam Momo defuturum putaret quod reprehenderet ? Sex
iam totos annos inhis aedibus versor aliquid aflectans, inhians, observans quod
reprehendam. iNihil occurrit nisi frigidum, fictum, ineptum denique quod
me pudeat rei^rendere. Atqui solebam ego facile reperire quod morderem,
quod subsanarem, quod lacerarem, praescrtini in aulis principum, quae res
mihi dabat ad lisus et san[n]as argumentum amplissimum; sed quoniam
nihil aliud licet, reprehendam profeclo vel sandalium Veneris. Licebit invenire
colorem aliquem. Quid .' Iste ponlifex tam parvo ulitur victu, tam tenui. Quid ?
Tarn sobriusin se ij^sum est defraudans genium suum seque duriter tractans,
negotiis totos dies confectus. Ubi ad prandium ventum est, sorbilat vini
haustulum eumque dilutissimum. Odi istos abstemios atque potores semper
sobrios, semper siccos. Sane non habet ille caenam pontifîciam. Video ego alios
episcoposlauteepulantesetsplendide. Hipocresisistaest.nonsanctimonia. Sod,
AIE KELKGATA ET MINEUVA UESTITITA I ()
miserum me! non satis quadrat hoc malediclum. Sic magis laudo duni vitu-
porare conor, nam hic erat victus priscorum patrum quorum nos oporlcl
iuK m)itatores esse. Invesligandum est aliud. Habeo oplimum. Oportet viros
principes atqueprimarios nobiles familiam habere referlam lautis hominibus.
olegantibus parasitis, asscntatoribus, mimis, saltaloribus ociosis qui subser-
viantad ostentationem, magnificentiam, apparatum, in quos vel Icmere pro-
fundat opes suas et pascat innumeram turbam. Avaritia est deligere cui bene-
lacias ac non passim temere dissipare pecuniam. Hic autem omnes habet sui
siiniles, cordatos, graves, modestos. Quanto satins erat esse multos qui loque-
renturad gratiam, a quibus suas laudes audiret? Sed nihil agis, Mome, desipis
profecto dum nimium alTectas quod rideas. Te ipsum ridendum praebes;
sed non potest efTugere. Inveni quod rodam. Totos dies impendil publicis
negotiis, administrandae reipublicae, habendo senatui, cognoscendis innu-
nieris causis. Non oportebat illum vacare sibi aut ocium aliquando agere
aut sibi vivere, cum hactcnus vixerit omnibus? Sed, miserum me! haec
ociosorum est vita et eorum qui sub praetextu contemiîlationis consulunt
voluptatibus suis. Quanto satins est homines hominum causa natos
esse iuvandae et instituendae reipublicae gratia nullum laborem detrcctare !
Magis est mirandum quod ferre tolum onus possit, quam reprehendendum
quod velit. Crucior, dirrumpor; dolet tantum laboris, lantum insidiarum
frustra insumptum. Alio mihi dimigrandum est. Vellem nunc habere ubi
exerceam dentés ; sed ego hue deam Atim venientem video. O charum caput
qua nulla mihi benevolentius convenit, nuUa est amicior ! Dea est illa discor-
diae, calumniae, delationum, rixarum, hanc egregie charam ut oculos habeo,
nam sug[g]erit mihi seniper quod rideam, dum alios inter se odiis et litibus
committit et usque ad sanguinem pugnas conscrit. Modo mihi dixit nescio
quid se instruere quo Minervam ex hoc Complutensi domicilio extruderet.
ubi illa impense delectatur, atquc ad eam rem viam reperisse commodis-
simam, utCardinalisanimum quantum posset alienaretab ea atque irritaret;
sed vereor ut possit facere. Sed per me non stabit, quoniinus illi omnem
meam commodem operam. Hic tamen prius lubet illam paulisper audire
maledicentem, nam ea mihi sum[m]a est voluptas.
Après un court monologue d'Ate, les deux fauteurs de dis-
corde se mettent à converser. Ate explique à son complice
pourquoi elle est venue à Alcalâ. La réconciliation de l'Empe-
reur et du Roi Très Chrétien a ruiné ses projets; elle comptait
sur le voyage de Charles à travers la France pour susciter des
troubles, exaspérer les haines anciennes, mais tout a tourné
contre elle, les deux souverains sont maintenant amis, et le
Génie de César qu'elle a rencontré à Paris, après l'avoir dure-
ment apostrophée, l'a saisie par sa chevelure et lancée par-
dessus les Pyrénées : a C'est pourquoi, dit-elle à Momus, tu me
vois boiter. » Ate, en Espagne, n'a pas perdu son temps ; elle
a vite flairé un nouveau motif de discorde. C'est elle qui
a persuadé Minerve que le Cardinal lui en voulail : il faut
20 BULLETIN HISPANIQUE
maintenant exciter le Cardinal contre l'Université. « Et com-
ment t'y prendras tu? dit Momus. — Je lui prouverai que toutes
ces affaires universitaires sont indignes de lui, que tout ce
qu'on enseigne à Alcala est inepte, que la dialectique et la
philosophie ne servent à rien, que la théologie est passée de
mode, que l'étude des langues présente de grands dangers. —
Et tu crois qu'un homme comme lui se laissera convaincre par
tes raisons i> — J'ajouterai que l'importance prise par l'Univer-
sité, ses richesses et ses privilèges vont à l'encontre des droits
de l'Archevêque, que cette Université n'est plus qu'un asile
pour les scélérats et les contempteurs des lois. — Gomment,
parce que trois ou quatre étudiants ont été punis par leur rec-
teur, tu parles du mépris des lois? 11 importe au bon fonction-
nement des universités et aux intérêts des gens de bien qu'elles
aient leurs privilèges et leurs statuts particuliers. Quelles lois
a-ton violées, quels homicides, quels sacrilèges a-t-on com-
mis? Quoi, parce que quelques clercs auront coupé des choux
ou cueilli des pommes dans le jardin d'autrui, on dira que
l'ordre public est menacé ! Les universités ne doivent pas être
régies par des magistrats du dehors, même si de cette entorse
au droit commun devaient résulter quelques inconvénients.
— Eh bien ! je tâcherai de provoquer sa jalousie, en lui mon-
trant que la splendeur de l'Université obscurcit la sienne
propre. — Tu ne réussiras pas ; il n'est pas de ceux qui
souffrent de la gloire des autres. — On dirait vraiment que tu
cherches à me contrecarrer en tout! — Non, je voudrais seu-
lement l'éviter de fausses démarches. Je ne désire rien plus
que d'avoir, grâce à toi, des sujets d'exercer ma moquerie sar-
castique. Au surplus, éloignons-nous d'ici; l'endroit n'est pas
propice. Mêlons-nous à la foule de ces beaux seigneurs qui se
croient au-dessus de l'humanité : ceux-là excitent toujours ma
verve. — Mais, que vois-je? Minerve et Mercure, accompagnés
d'Apollon, viennent à nous. Préparons-nous, Momus, aide-moi
et sers mon dessein. » Voici, dans le texte latin, les passages
les plus curieux de cette scène :
Momus ...Quid illi [Cardinali] dices? Qua oratione uteris? — Ate. Primum
liapc omnia Complutcnsia sordida essp et \ilia ot indigna cjuod ille prove[h]at.
VIE UELEG.VTV ET MINEKVA RESllTUTA 21
suo favorc; nam nil aliud sont quain nugamcnta quaedam dialeclica el lîhi-
losopliica inopla et sine uUo usu in vita. Tum Uicologicis sludiis minime est
opus, consenuit iam islhaec disciplina et minime grata est vulgo, tum linguac
suspectae sunt et intérim perniciosae. Donique, ila rem traclabo, ut veris-
sima videalur. — Mo. Quasi vero is ilie est qui facile verbis capiatur ac non
norit calumniam a vcritate distingucre! Ego tibi nunc pro illo respondeo :
omnem islam orationem experientia réfutât, nam videmus, postquam haec
gimnasia erecta sunt, barbaricm pulsam ex Mispania, sacrarum lilcrarum
llorere sludia (uberrimum sacrae doclrinae pabulum), cum vix antea unus
aut aller reperiretur qui plebem instrueret, tum linguae ita excolunlur ut
nuncpueri in utraque lingua praestent quod mircntur senes. Quid habes ad
haec quod respondeas ? — Ate. Sine me progredi. Addam non expedire nec esse
tutuuï satis eius gloriae aut nomini tantas hic opes in medio coalescere, cxul-
tare illos impune el in aliéna ditione exercere imperium, nam hic nihil aliud
quam asyluin nefariis hominibus erectum qui, contemptis legibus el magis-
tratibus, in publico grassentur. — Mo. Qua de causa? Quod Ires aut quat-
luor scolastici a suo magislralu puniantur, quae hic violantur leges cuius
dignitas aut imperium imminuitur? Haec fuit bonorum immunitas et stu-
diorum libertas ut haberent privatas leges lorivataque institula, etiam si
nonnulli facinorosi ac sediciosi homines reperircntur. Tamcn hi in studio-
rum et bonorum gratiam suis erant dedendi magislralibus, sed quam multos,
quaeso te, huius inodi reperisti ? Quos vidisti excitatos tumultus? Quas leges
violatas? Quam rempublicam eversam? Quae homicidia? Quae sacrilegia?
Quae stupra? Quod teneros caules alicni fregerit horti ' quispiam aut poma
decerpseril, haec sunt nefaria illa et in quae, si non animadvertatur, actum
sil de republica ? Nescis dis[s]ol\i conventus studiorum si alienis magistratibus
liceat in ipsa exercere imperium, etiam si quis in ipsis paruin dignus repeiua-
tur? Quam multi mali bonorum gratia-tollerantur !
De la rencontre d'Ate et de Momus avec les dieux naît un
conflit des plus vifs. Minerve, au paroxysme de la colère,
interpelle Apollon : « J'espère bien, lui dit-elle, que Jupiter t'a
chargé de précipiter Ate dans le Tartare. — Elle y ira sans doute,
mais un peu plus lard; Jupiter veut d'abord qu'elle travaille
au triomphe du christianisme, il veut qu'elle se rende chez les
Turcs et les Barbares pour y semer la discorde, et les amener
à se détruire eux-mcmes. Après, l'Empereur n'aura plus qu'à
monter au ciel, laissant au prince Philippe, délices du genre
humain, la charge de maintenir les glorieuses conquêtes de
son père et de régir ses peuples. » Mais Minerve ne s'apaise
pas, et, apercevant Ate, elle s'élance sur elle, lui déchire le
I. Souvonir des vers d'Horace (Satires, I, 3, v. 1 15-117) :
Nec vincet ratio hoc, tantiindcm ut porrot idemqup.
Qui teneros caules alieni fre(jcril liorti
Et qui uocluruus sacra divum Icg-erit.
22 BULLETIN HISPANIQUE
visage et la traîne par les cheveux sur le sol : « Langue impu-
dente, qui as calomnié le Cardinal en nous le représentant
comme notre ennemi, tu expérimenteras aujourd'hui que la
colère de la fille vaut celle du père. » Les autres dieux applau
dissent, et Apollon célèbie sur la lyre la défaite et le châti-
ment d'Ate. Reste Momus; mais, au moment où les dieux
s'apprêtent à lui infliger la peine qu'il mérite, voici qu'appa-
raît Vulcain, qui leur enjoint, au nom de Jupiter, d'épargner
le médisant : Momus, de par la volonté du maître de l'Olympe,
doit aller à Rome, où il trouvera de quoi se repaître. Jupiter
estime que les mortels ont besoin d'un censeur malveillant,
d'un critique acerbe pour les rappeler de temps à autre à
l'ordre : la crainte de la médisance est chose salutaire. Momus
saute et danse de joie, il devient jovial : « Dis donc, Minerve,
pourquoi n'épouserais-tu pas Mercure ? Ce serait la consom-
mation de votre triomphe. — Ne vous l'ai-je pas dit? riposte la
déesse, tant que ce chicaneur sera là, nous ne pourrons pas être
tranquilles. — Eh, dit Apollon, Momus n'a pas si tort, — Plût
aux dieux, s'écrie Mercure, qu'il parlât sérieusement! » Et les
plaisanteries d'aller leur train. Minerve, après avoir traité ses
interlocuteurs d'impudents, finit par s'adoucir; elle prête
l'oreille aux raisons d'Apollon : « Faut-il donc, dit le dieu,
que la sagesse demeure stérile, ne vaut-il pas mieux qu'elle
procrée? Et de plus, s'il t'arrivait malheur, si lu mourais sans
postérité, Jupiter serait contraint d'extraire une nouvelle
Minerve de son cerveau. » L'argument de Mercure semble
aussi la toucher : « Je t'épouse sans dot. » Elle se décide enfin,
mais sous la condition que Mercure la réconciliera avec le
Cardinal. Mercure y souscrit d'autant plus volontiers qu'il
sait à quel point le prélat est bien disposé : <( S'il en veut ici
à quelques-uns, tu es hors de cause. Comment le plus lettré
des hommes ne s'entendrait-il pas avec la protectrice des
lettres? » Il est décidé que tous iront présenter leurs homma-
ges au Cardinal, et déjà les dieux l'aperçoivent couvert de sa
pourpre et assis sur son trône. Mais qui est auprès de lui?
« C'est, disent Mercure et Minerve, le Prince sérénissime. Oh
imprévoyants que nous sommes! Nous n'avons rien préparé,
ATi; lŒLF.fJATA KT MINEUVA UIÎSTITLTV 30
pas le moindre discours, pas le plus petit compliment qui
soit digne d'une telle personne. — Ne vous tourmentez pas,
répond Apollon; vous avez une excuse toute prête, vous
n'étiez pas prévenus. »
Après cette scène, nous avons une série de discours adressés
par Minerve, par Mercure, par Apollon, \ ulcain et Momus au
Prince et au Cardinal, qui n'offrent pas grand intérêt. Toute
cotte prose oratoire, toutes ces protestations de dévouement et
de fidélité, tous ces panégyriques très enguirlandés de fleurs
de rhétorique, ne contiennent aucune allusion à des détails
précis du différend entre le prélat et l'Université. Il suffit de
dire que la députation, à laquelle se joignent trois Grâces, im-
plore la protection des deux hauts personnages et les invite
à présider aux noces de Minerve et de Mercure, qui coïncide-
ront avec la réconciliation des universitaires avec leur patron.
En revanche, la fin du Dialogus est assez divertissante. Vwlcain
veut que la fête se termine par une copieuse libation, il veut
faire déguster par ses compagnons les crus renommés de San
Martin I et de Santorcaz% bien supérieurs, à son avis, au nectar
divin.
Minerva. Et \obis quidem, o Gratiae, agimus gratias pro isthac tam bene-
vola opéra et ofïîciosa ; sed nunc quid reliquum est.' — Apollo. Quid aliud
quam ut huic nubas et in cœlum redeamus, ut ibi nuptiae celebrentur
opulentissime? — Valcanus. Imo vero hic sedebitis paululum, nam anirnus
est vos omnes potione recreare iucundissima, quam si degustetis, dicetis
omne nectar prae bac esse contemnendum. Scitis quam slm egregius
pocilator et patinarum instructor. — Momus. Quid vult sibi Vulcanus, quid
lautiab hocexpectarepossumus? — Val. Sedete, dii festivissimi, diiamicissimi,
sede, tu Minerva, atque istum omitte, sede, tu Mercuri, et tu Apollo. Vos
deinde, virgines bellissimae. Tu Morne, sedeto, sed vide ne quid perturbes.
Gustabitis potionem omnium suavissimam, ac primum, lu, o Minerva,
quae nova nupta es eademque bellatrix, accipe ne pudeat. — Mi. Accipio ne
tuum videar non exhilarare convivium. O Jupiter pater, quid hac potione
potest esse suavius? Nos dii cum simus hac caremus voluptate.' Quidnam
istud est, o Vulcane ? — Vul. Haec est potio qua utuntur mortales, vinum
appellant. — Mi. 0 liquorem divinum. et non poterit in cœlum importari ?
1. II s'agit du vin de .San Martin de Valdeiglesias (province de Madrid), qu'on
appelait par excellence vino del sanlo. Voyez des allusions à ce cru citées par
Clemencin dans son Don Quijotc, t. IV, p. aSo, et qu'il serait facile de multiplier.
2. Le sanctus Torquatus du texte désigne évidemment Santorcaz, bourg du district
judiciaire d'Alcalâ, où les archevêques de Tolède possédaient un palais et peut-être
des vignes.
34 BULLETIN HISPANIQUE
— Viil. Non. Corrumpitur in via. Accipe, tu Mercuri; hoc te poculum
reddct dissertiorem quam es. — Mer. Et lubens, tametsi saepe alias bibi, nam
quolies me lupiter mittit in terras aut a terris redeo in cœlum, semper
iter delecto ad salutandum divum Martinum quem tu bene nosli. —
Vul. O nomen mihi gratissimum, sed sanctum Torquatum cur praetermittis?
Age, bibe, tu ApoIIo, rubicundior eris, âge. — Apo. lam diu est quod non
gustaram ex quo in terris exulebam, sed memini me dum servarem pecus
Admeli régis oves et boves vino commutasse. Nunc minime miror si poetae istud
bibentes in furorem agantur poeticum. — Mo. Non immerito, o Vulcanc.
tibi lupiter hoc dédit muneris, ut in convivio pocula ministrares, qui ita sis
ad oinnem civilitatem inslitutus, ut nunquam non genu fle[c]tas. — Vul. Tu
nondum potus incipis essedicax? Non ego tibi ministrabo telum contra
me, nam si vinum biberis, quis te feret, cum sobrius sis tam maledicus?
Agite vos, virgunculae. — Eufrosina. Apage. — Vul. Bibendum est vobis. —
Ea. Minime, o Vulcane. — Vul. Fieri non potest aliter. — Eu. Emoriemur
citius. — Vul. Vel pharmacum putatc quod vobis devorandum sit.^ —
Eu. Quis feret improbitatem tuam ? Degustabimus. — Vul. Hoc appellas
degustare quae ciathum exhauseris? Vos deinde sequimini. Tu, Momc,
quaere qui tibi propinet. — Mo. Malefacis, Vulcane, nam si ebrius in te
dixero, tribuetur ebrietati. — Vul. Nolo te irritare, imo vero quo mihi
parcas propinabo. Ego posthac decrevi offîcinam meam, quae in Sicilia est,
hue transferre in monticulum aliquem vicinum Sancto Martino, ne toties
mihi tantum spatii percurrendum sit, dum sitiens anhelansque ab usque
Aetna monte hue propero. Nunc quid reliquum est quam ut, refectis iam
viribus, iter agrediamur quod nobis restât longissimum? Ego intérim hune
ciathum exhaurio, nam ad iter hoc uterculo utcunque ero satis instructus.
— Mer. Discedamus. — Mo. Omnia haec vestra mihi videntur praepostera,
o Mercuri, nain oportebat has alas et talaria Vulcano claudicanti commo-
dares. — Mer. Facetum habemus in via comitem. Nos properemus. Tu vero,
Princeps serenissime, Aale; vos reUqui, valete et plaudite.
Cette scène bachique termine fort joyeusement la comédie,
qui comme toutes les comédies de collège a de temps à autre
des passages assez languissants et ternes; ceux que j'ai repro-
duits permettront, je pense, d'apprécier suffisamment le talent
de l'auteur, dont l'ouvrage, tout de circonstance, ne mériterait
guère d'être publié en entier. La comédie latine n'est ni très
abondamment ni très brillamment représentée dans la littérature
espagnole ' : raison de plus peut-être pour ne pas omettre d'en
décrire, au moins en passant, les spécimens les mieux réussis.
Alfred MOREL-FATIO.
I. Voyez, à ce sujet, une note de D. Adolfo Bonilla, dans J. Fitzmaurice Kelly,
Historia de la Uteialura espanola, p. 229.
MARÏÀNO JOSE DE LÂRUl
I
El romanticismo, que alla por el ano de i83o comienza en
EspaTia a imponer sus formulas y doctrinas; que renovo brillan-
temenle el arte literario y entre muchos poêlas lîricos y dra-
muticos produjo artistas de tanto valor como Espronceda,
Rivas, Garcia Gutiérrez, Hartzenbusch y Zorrilla, solo cuenta
entre sus prosistas a Larra como escritor de primer orden, y
Larra por desgracia vivio muy poco, pues murio a los veinti-
ocho afios de edad, gasto lo mejor de su ingenio improvisando
de un dia para otro articulos de periodico, literarios 6 de cos-
tumbres, en los cuales sin embargo se funda la importancia de
sus obras ante la posteridad, la parte principal de la reputacion
que muy mcrecidamente conserva.
Entre los romanticos ocupa y llena él solo un momento
importante de la historia de la escuela en su pais ; fué un
iniciador, abrio el primero caminos por donde los demàs
siguieron. Su Macfas es el primer drama romantico en verso
y con métros variados que aparecio en Espana, y durante
mucho tiempo se represento con aplauso en los tealros de su
patria y de la America espanola. Su novela El Doncel de don
Enriqiie el Doliente, en que sirve también el mismo Macîas de
protagonista, es la mas interesante, la mejor trabajada imita-
cion de Walter Scott que se hiizo en lengua castellana. Como
crîlico dramatico no tuvo rival en su tiempo, ni dcspués ha
habido quien le supere; sus juicios del Trovador de Garcia
Gutiérrez^ de los Amanles de Teriiel de Hartzenbusch, son lioy
todavîa lo mas exacto, justo y completo que se escribio sobre
esas dos obras capitales en cl desarrollo del romanticismo
espaùol. En fin, sus articulos de costumbrcs, los cuadros sali-
26 bl-lli;ti> iiispamqle
ricos en que tan vigorosamente pinta los hombres y los suce
SOS polîticos de su época, son pequenas obras maeslras que
reproducen con tanla gracia y pénétrante observaciôn como el
mismo Cervantes, y con dosis extraordinaria de amarga fran-
queza ademas, la vida pûblica y privada de Espana en aquel
periodo verdaderamente critico, cuando con Fernando VII
agonizaba el régimen opresor de absolutismo y predominio
teocratico, y con su hija Isabel, todavia entonces en la
infancia, crecfa y se ensayaba otro régimen de monarquîa
limitada y libertad relativa. Pero antes de fenecer lo uno y de
afirmarsc i:n tanto lo otro, debia mediar un espacio confuso,
incierlo, borrascoso, de sinsabores y tristezas infinitas. Dentro
de él precisamente, durante sus siete ù ocho afios mas revueltos
y sombrîos, empieza y acaba la vida literaria de Mariano José
de Larra.
Yino al mundo en Madrid el a no de 1809, hijo de un médico
militar, que a pesar del odio tan extendido entre los espaùoles
contra el invasor, se mantuvo al servicio de las tropas del
emperador Napoléon. Cuando el ejército francés comenzo en
1812 la retirada final de la penînsula, entraron también padrc
é hijo en Francia. ^o volvio Larra à su pais hasta 1817, y
volvio sin saber hablar bien, como era natural, ni el castellano'
ni el francés, aunque un poco mejor el segundo que el primero.
Con motivo de la profesion del padre no tuvo al principio
domicilio fijo, después intentô en varias universidades el
estudio del derecho con objelo de hacerse abogado : asi lo dice
el autor de la biografîa que précède a la edicion madrileaa de
las llamadas Obras Complétas. Segun las Mcmorias de un seten-
lôn de Mesonero Romanos, era medicina lo que estudiaba en la
Universidad de Madrid'. Pero la fortuna escasa de la familia,
el carâcler poco manso y poco dùctil del joven y las aficiones
literarias que desde el principio mostro, le hicieron desistir de
ese primer proposito, y establecido después en la capital, con
un pequeno empleo del gobierno, no suficientc para darle lo
necesario para vivir, mayormente desde que cometio la locura
I. Lo supongo crror de Mesonero. En otro lugar dice cqiiivocadamente que Larra
muriô âlos treintay tin anos {Memorias de un Selenton,'S\d,ûvïd, 1881, t. II, pâgs. 53 y 85).
MAIUANO JOSE DE LARK.V 37
de casarsc a los veiiile afios en pleno desacuerdo con su
familia, se eiitrego por fin al cullivo de las letras, « recurso
casi siempre, dicc en uno de los numéros del Pobrecito liabla-
dor, del que no ha lenido otro. »>
Engolfado en el movimiento literario de la capital, comenzo
entonces la vida de café, de leatro. de redacciones de periodico,
escribiendo sin césar, arreglando del fiancés y haciendo repre-
sentar dramas y comedias, reuniéndose en el café del Principe,
el Parnasillo, como le Uamaban, con los principales escritores
y artistas de la época, aunque ninica llego a crearse entre ellos
vcrdaderas simpatias, a causa, segûn Mesonero, de «su innata
mordacidad ». A medida que iba creciendo su reputacion y se
pagaban mejor los productos de su pluma, entraba mas y mas
en el gran mundo madrileno, donde su juventud, su talento,
su porte élégante y sus maneras corteses, predisponîan desde
luego en su favor. Alli se formé relaciones de todo género,
anudo intrigas amorosas, una de ellas tan véhémente y con-
trastada que lo arrastro al suicidio, disparàndose una pistola
en la sien en su propio aposento, al lado de la pieza en que se
hallaban su esposa y sus très hijos. Triste, penoso fin, mas
irrémédiable, falalmente inévitable; la entrevista tragica con
la mujer amada, que precedio inmediatamente al desenlace,
no hizo mas que precipitarlo. Basta leer la série de opusculos
admirables escritos por Larra en los ûltimos seis meses de su
vida para quedar dolorosamente convcncido de que sucedio lo
que por fuerza ténia que suceder, lo que ningiin recurso
humano hubiera podido evitar.
En estas pocas lîneas esta rcsumida toda la historia de su
vida, lo que de ella importa saber para comprendcr bien sus
escritos. Podemos ahora irlos siguiendo paso à paso.
Cuando à los veinte anos se hallo en Madrid, desconocido,
con cargas de familia y forzado a buscar el sustento por medio
de su pluma, puso naturalmente en el teatro su principal espe-
ranza de fortuna. No era cosa bien retribuida la ocupacion de
autor dramatico, pero éralo de todos modos mejor que cual-
quieraotra. De ella vivian ya Breton de los Herreros y Gil y
Zarate, ambos mayores que él pues nacieron en 1796, y habian
28 BULLETIN HISPANIQUE
hecho ya représentai' comedias, que si no muy buenas, no
son de las peores entre las suyas, como A Madrid me vuelvo
del primero y Un afïo después de la boda del segundo. También
Ventura de la Yega, que era casi de la misma edad que Larra,
se ejercitaba ya entonces en esas traduccioncs y arreglos del
fiancés en que tan especialmente llego a distinguirsc. Para
ganar algo era preciso trabajar mucho, porque la tarifa de
precios era bien baja ; los que mas caro se pagaban obtenîan
de los empresarios por cada pieza y por toda remuneracion
una suma de trescientos a cuatrocientos francos, y luego del
editor, por la propiedad absoluta de la obra, no mas de ciento
Ycinte y cinco : eso, segùn el mismo Mesonero Romanos, fué
lo que Breton y Gil recibieron por las dos comedias citadas
arriba, a despecho del buen acogimiento que merecieron.
Empresarios y editores, de acuerdo en ello con el pûblico,
daban tan poca importancia a la Question de arte, sentîan tan
reducida confianza en la imaginacion y valor propio de los
autores, que pagaban suma igual por las piezas traducidas y
por las originales I. Asi se comprende que hubiese Ventura de
la Vega trabajado durante veinte afios y traducido mas de
setenta piezas del francés, antes de producir la primer obra
exclusivamente suya, El Homhre de mwido, estrenada en i845.
Dio a luz Larra sin éxito alguno su primer trabajo periodis-
tico en 1828, a los diez y nueve afios; él mismo reconocio la
debilidad de ese ensayo precoz, que en forma de cuadernos a
intervalos irregulares publico bajo el nombre de El Duende
satirico, no incluyéndolo en la primera coleccion de sus arti-
culos formada en i835.
El 27 de Abril de i83i se estreno con gran favor en el
teatro una comedia en cinco actos titulada No mas mostrador.
Muchos la han creîdo siempre obra original de Larra; cl
Marqués de Molins, contemporâneo y amigo particular suyo,
la ténia por tal todavia medio siglo después, y asi lo afirma
en su interesante biografia de Breton de los Herrerosa. iSo lo
es en realidad, aunque se encuentren en ella pedazos ente-
!. Mesonero Romanos, op. cit., t. II, pâg. 05.
2. Breton de los Ilerreros... por cl Marqués de Molins. Madrid, i883, pâg. i55.
MARIANO JOSÉ DE I.ARHA 29
lamenle suyos, ademus de que en la armazon gênerai do la
pieza se reqnerîa una tarea de ajuste, cooidinacion y reileno,
que Larra muy bien desempeno.
Sobre dos originales franceses, el vaudeville en un aclo Les
adieux au comptoir de E. Scribe y la comedia en très que
el 2 de Fructidor del ano X de la repûblica francesa hizo
repiesentar en el teatro Louvois M. Micliel Dieulafoy con el
titulo de Le portrait de Michel Cervantes, estan construidos los
cinco actos de No mas mostrador.
La piececita de Scribe suministra la materia del primer
acto y mitad del scgundo en la comedia de Larra. Sugiere
ademas el desenlace, idéntico en ambas. Tratase de un malri-
monio de comerciantes enriquecidos : la mujer, dona Bibiana,
llena de afectacion y aspiraciones nobiliarias, prétende que su
marido, don Deogracias, abandone la tienda y se preste a
alternar eon ella en la buena sociedad y buscar algun partido
brillante para su hija Julia. El bonachon de marido quiere
por su parte casarla con el hijo de uno de sus corresponsales,
a lo cual la obstinada y dominante mujer resueltamente se
opone. Scribe desenvuelve y desenlaza esta situacion, vulgar y
mil veces explotada, con su habituai maestria y compone
en suma un vaudeville à couplets ligero y amable. La accion
en él se anuda inventando don Deogracias que el novio
por él preferido se haga pasar ante dofia Bibiana como un
Conde de titulo conocido y protolipo de elegancia madrilefia.
Ello se aclara en seguida y todo acaba bien.
Larra, deseoso de beneficiar mayor terreno extendiéndose
hasta cinco actos, toma de la comedia de Dieulafoy ' la idea de
hacer aparecer en carne y huoso al susodicho Conde, el cual a
su vez por una série de combinaciones que no importa recordar.
asume el nombre y la situacion del primer pretendiente, y de
1 . La comedia esta bastante bien escrila y la acciôn se supone pasar cl dia mismo de
la muerte de Miguel de Cervantes. Alguien proponc, como un episodio, hacia cl fin
del segundo acto, al protagonista, que es un pintor llamado Morillos, la cspecu-
laciôn de hacer cl rotralo del « pobre diablo >> que acaba de fallecer, porque desdcnado
en vida no podrfa menos la gente de querer poscer después de niuerto su vcrda-
dera eligie, pues nosehabîa hecho antes otro relrato. De ahi el titulo. Résulta de ello
simplcmcnte una série de juegos de escena y falsas rcprcsentaciones del supuesto
cadâver, pcro del verdadero Cervantes no se trata mâs.
Bull, hispnii. 3
3o BULLETIN HISPA.MQUE
uno en otro quid pro quo, alguno bien foi'zado é inverosimil.
se arriba languidamente al termine del quinto acto, renuncia
dona Bibiana a sus ridîculas nociones, pide perdon a su marido
y compendia este la moral casera de la obra con estas palabras
antes de caer el telon : (( Gasaremos a nuestra hija y nos honra-
remos con el trabajo, que si algo hay vergonzoso en la vida, no
es el ganar de corner, sino el no hacer gala cada uno de su pro-
fesion, cuando es honrosa. » Moraleja bien llana y vulgar, pero
no mucho mas que la proclamada por don Diego al finalizar el
Si de las ninas : « Esto résulta del abuso de la autoridad, de la
opresion que la juventud padece... »
El argumento, como se ve, no es ni bastante original ni
muy interesante, y a partir del segundo acto el andar de la
pieza no es todo lo râpido que debiera. El éxito que alcanzD
se explica ûnicamente por sus méritos de forma, la viveza del
diâlogo y la transparente elegancia del lenguaje; sin duda por
eso se conserve mucho tiempo en el répertorie usual de las
companîas de comicos trashumantes en Espafia y America.
Hasta los dîas de Moratîn no se encuentran en la moderna
literatura espanola comedias en prosa bien escritas. La prosa
castellana se presta dificilmente al género cômico. Jovellanos
en el Delincuenie honrado y otros, siguiendo huellas de Diderot
6 de Sedaine, escribieron con buen estilo dramas en prosa,
pero en cuanto a comedias la gran tradiciôn francesa del
siglo xvm, que va del Turcaret de Lesage pasando por Marivaux
hasta llegar al ingeniosîsimo Beaumarchais, apenas tuvo en
Espana seguidores. Breton, es verdad, escribio en prosa su
primera comedia, A la vejez viraelas, y tradujo otras del fran-
cés, todo antes que Larra; pero el talento de Breton no brilla
mas que en verso. Su prosa es siempre cualquier cosa, mien-
tras que su facilidad de versificar es una perenne mara villa.
Moratin es discipulo declarado de Molière; entre sus come-
dias se encuentran cuatro en prosa, dos originales y dos tra-
ducidas, prosa excelente, de intachable correcciôn, llena a
menudo de verdad era gracia comica, pero en el Si de las ninas
hay poco para hacer reir; es una comedia sentimental, casi un
drama, excepte el desenlace. De los dos unices actes de El Café
MAUIANO JOSÉ DE LARBA 3l
6 La Comedia Nueva el segundo carece enteramente de interés
dramatico, y en el primero, a pesar del vigor satîrico con que
pone en ridîculo los poetastros de la época, dehilitan su cfecto
las tiradas de don Pedro, el personaje por cuva boca habla
Moralin mismo, que es siempre pesado, de una severidad
antipatica, aunque no sea esta evidentemenle la intencion del
autor. De sus dos traducciones de Molière, el Médico a palos,
ûnica que siempre se représenta con aplauso, es un sainete
en très actos, no una verdadera comedia; un fin de fiesta,
« una farsa muy alegre y muy bufa, cual las demanda el gusto
vulgar. » como de ella dijo Voltaire.
Los discipulos 6 continuadores de Moratin, es decir, Goros-
tiza y Martinez de la Rosa primero, luego el fecundo Breton,
escribieron en verso, si no todas, las principales de sus obras.
La buena comedia en prosa puede considerarse relegada al
olvido y nada hubo entonces en Espana que revelara esfuerzo
serio de cultivar el género que ha cubierto a Francia de gloria
en el siglo xix.
Larra. que no aspira a tanto como acercarse a Molière, que
tiene mas bien algo de Beaumarchais, del Figaro a quien luego
habîa de tomarle el nombre, no llega ciertamente a la perfec-
ciôn de forma caracteristica en Moratin; tampoco lo busca. Su
estilo mas suelto, mas animado, no produce la impresion de
frialdad, de durcza, de pulimento excesivo que conserva la
prosa de Moratin. Manejada por Larra la lengua castellana se
adapta mas fâcilmente al efecto teatral, asi como se presta
mejor a un estudio profundo de caractères, a la punzante
amargura de una salira que va mucho mas lejos que la de su
ilustre predecesor. Pârrafos como el siguicnte, llenos de frases
brèves, expresivas, transparentes, que imprimen desde luego
todo su efecto en el cspectador, son raros en Moratin. Hallase
en la primera escena, la exposicion de la comedia, y no se
encuentra nada parecido en el vaudeville de Scribe :
«Mira, mujer. Bibiana Gartucho|eras cuando me enamoré
de ti, por mi mala estrella ; con Bibiana Cartuclio me casé, que
ojalâ fuera mentira, para purgar mis pecados en este mundo ;
y para mi Bibiana Garhicho bas sido, ères y seras hasta que
52 BULLETIN HISPANIQUE
me muera ; y si te mueres tu aiites, en tu lapida he de poner :
aqui yace Bibiana Cartuclio, y nada mas. » He conocido en mi
ninez muchos aficionados al teatro que sabian de memoria esas
lineas, hoy ya completamente olvidadas.
Gon mas confianza ahora en sus propias fuerzas y apoyado
en la notoriedad que a su nombre habia dado el éxito de la
comedia, emprendio en Agosto de iSSa la publicacion de El
Pobrecito Hablador, Revista satirica de costumbres, etc., por el
bachiller don Juan Pérez de Mangala, que a inlervalos irregu-
lares, como el Duende satirico anterior, estuvo apareciendo hasta
el mes de Marzo dcl ano siguiente. La confianza del editor era
sin embargo moderada, cual convenia a un joven de veintitres
anos que se érige en censor de costumbres, se propone, como
dijo, « la sâtira de los vicios, de las ridiculeces y las cosas »
y anuncia en el articulo-prospecto que la publicacion no sera
siempre original, que publicaiâ materiales traducidos, arre-
glados 6 refundidos, algo asi como « una capa con embozos
nuevos » . En virtud de este sistema, mas comodo que plau-
sible, es el primer artîculo del primer numéro una simple
adaptacion a costumbres espafiolas de otro del escritor francés
Jouy, tan célèbre en los tiempos del primer Imperio bajo el
nombre de « El Ermitano de la Chaussée d'Antin ». Pero no
tarda el Pobrecito en soltar los andadores y casi todo el resto
de la série es original.
Mesonero Romanos descubre en sus Memorias^ particular
empeno de hacer constar que la publicacion de Larra comenzo
en Agosto de 1882 y que sus articulos de costumbres, luego
reunidos bajo el titulo de Panorama Matritense, aparecian
desde Enero del mismo aîio en las Cartas espanolas. Vano
empeno ciertamente. Como cuestion de forma articulos de
costumbres insertos en periodicos no habîan de constituir un
nuevo géiiero literario solo por ser espanolas las costumbres
retratadas, pues antes y después de Jouy, que publico a prin-
cipios del siglo las Observaciones de su Ermitano, se trazaron
cuadros satiricos del mismo modo. En cuanto al fondo, jamas
ha habido algo entre si mas desemejante que los articulos de
I. Mesonero Homanos, op. cit.., i. II, pâg. «S'i.
Luira y las Escenas Matrilenses. Sin salir delPobrecilo IJablacior,
muy inferior a todo lo que después produjo Larra con el seu-
donimo de Figaro, nunca fuc Mesonero capaz de llegar al
grado de agudeza y de vigor que hay en trabajos como el Cas-
lellano viejo, Emperlos y desempenos 6 Vuelva Vd. manana, artî-
culos ya notables, aunque sin la superioridad de pensamiento
ni la tragica, elocuente misantropîa de los ùltimos escritos de
su eminente conlemporaneo. El estilo asî como la observacion
del Curioso Parlante tienden al suelo por su propio peso, son
de una llaneza exceslva, mientras que la frase de Figaro se viste
de alas y colores que naluralmente la elevan y abrillantan.
Cansado de luchar contra la censura suspendio Larra la
publicacion de sus follclos, a pcsar de recibidos por el piiblico
con algun favor, éxito bien de apreciarse en aquellos dîas
en que el mismo Pobrecito Hablador nos cuenta que no
pudo llegar a averiguar si eu el pais no se leîa porque no se
escribîa, 6 no se escribîa porque no se leia. Un rayo inesperado
de luz en medio de las tinieblas del ominoso reinado de Fer-
nando VII vino, gracias a la ûltima esposa del monarca, a ilu-
minar por brève término el horizonte en 1882 é infundir la
esperanza de un poco de libertad para las letras, del derecho
siquiera de escribir todo aquello que en nada lastimase los inte-
reses permanentes del trono y de la iglesia. Ya Larra, con
objeto de conciliarse la censura, habîa quemado hasta inmode-
radamente incienso a los pies de Fernando en uno de los prime-
ros numéros del periôdico, dando gracias a tan benévola
Majestad por una série de beneficios que enumera, entre otros
por haber mandado sustituir el suplicio del garrote al de la
borca para las frecuentes condenaciones a muerte que entonces
ocurrian.
Pero, con incienso 6 sin incienso, el resultado habîa de ser
el mismo. La vislumbre de esperanza se desvaneciômuypronto.
El régimen no aflojaba las férreas trabasy el Pobrecito Hablador
murio porque donde quiera que vol via los ojos encontraba « una
pared que fuera locura pretender derribar ». Suspendio pues
la publicacion, advirtiendo para descargo de su conciencia que
« si numéros enteros han sido dedicados à objetos de poca
34 BULLETIN HISPANIQUE
importancia, no hasido porquefuese tal nuestra intencion, sino
por la naturaleza de las cosas que nos rodean », con lo cual
aludia a la inexorable censura de la manera velada en que
era posible hacerlo.
II
El romanticismo entro priniero en Espana por medio de
Walter Scott, de sus traductores franceses, niejor dicho :
(( Me he ajustado con un librero para traducir del francés al
castellano las novelas de Walter Scott, que se escribieron ori-
ginalmente en inglés, y algunas de Gooper... Doce reaies me
viene a dar por pliego de imprenta, y el dia que no traduzco,
no como. « Estas palabras pone el Pohrecito Hablador en boca
de un « autor de todos conocido, que es hombre de mérito».
La filiacion por lo tanto es directa y légitima. Walter Scott
tradujo al inglés en su juventud el primer drama de Goethe y
la Leoiior, balada famosa de Burger, obras que, en cierto modo,
puede decirse, despertaron en él nuevo ardor poético y lo
encaminaron por nuevas sendas literarias. Francia tradujo al
novelista escocés y a su imitador americano, y de Francia
pasaron a despertar tambien en Espana la afici(jn a la nueva
literatura. No olvido que la Francia estuvo en contacto por
otros rumbos con Alemania, pero aqui liablo solo de Espana,
adonde ni el libro de la baronesa de Staël ni las traducciones
de Goethe y Schiller llegaron hasta mucho mas adelantado
el siglo.
Durante los ùltimos anos de Fernando, hasta su muerte
en i833, los rigores de la censura se ejercian por igual sobre
escritos espanoles y sobre los que se importaban del extranjero.
No penetraban fâcilmente en Madrid las primeras obras de los
românticos franceses, sospechosas desde luego por su proce-
dencia, su carâcter innovador y el poco respeto que las infor-
maba hacia la dignidad real, tal como en Espana se comprendîa ;
y si bien Larra, que conocîa perfectamente el francés, lograria
probablemente leer las novedades de Francia, de seguro que
muy pocos en Espaiîa pudieron poseer y saborear los libros de
Victor Hugo y demâs românticos, hasta que espiro el monarca
MAKIANO JOSE DE LAHK V O.)
y comenzo a levantarse la densa niebla que cubiîa el pais. En
ese ano ullimo y sombrio de la vida del monarca acopiô los
maleriales y compuso Larra su novela El Doncel de don Eurique
el Doliente, publicada a principios de 183/4.
Tiene enteramente la apariencia de una novela de Scott ; el
mismo corte, el mismo andar lento de la narracion, dialogos
largos, capitulos sin tîtulo, siempre precedidos de un epîgrafe
en verso, tomado generalmente de alguna balada 6 romance
antiguo, y al principio de la obra una râpida ojeada sobre la
historia y las costumbres de la época en que pasa la escena.
Pero la semejanza real ahi termina; argumento, personajes,
episodios, todo lo demas es enteramente espafiol, aunquc haya
juicios de Dios como en Ivanhoe, pasadizos que se rompen
como en Kenilwor/h y algun otro detalle que recuerde al
novelista escocés.
La leyenda de la vida y muerte tràgica de Macias el Enamo-
rado era popularîsim.a en toda Espafia, desde Galicia, donde
nacio el porfiado amador en torno de cuyo nombre se han
adberido multitud de noticias fabulosas^ hasta los opuestos
confines de la peninsula. En el siglo xv, en la época en que
era Dante el inspirador de toda una provincia de las letras
espafiolas, casi no hubo escritor que dejase de componer un
Infierno mas 6 menos imitado directamente de la Divina
Comedia; todos en él cantaron y Uoraron su desastrado fin. El
Marqués de Santillana reproduce débilmente el Nessun maggior
dolore de Francesca para ponerlo en boca de Macias :
La mayor cuyta que avei-
Puede ningiiu amador
i Es membrarse del placer
En el tiempo del dolor.
Pero Larra no cuida de seguir puntualmente los pormenores
de la leyenda, taies como por primera vez aparecen reunidos
y completados por Argote de Molina en su .\obleza del Anda-
luzia. El argumento ejerce sobre él una especial atraccion, pues
lo trata dos veces, primero como novela, luego como drama.
Ambas obras sin embargo solo tienen de comun el nombre del
protagonista, la pasion adultéra y el desenlace sangriento, este
36 BULLETIN HISPANIQUE
mismo diferente por los detalles en uno y otro caso. Las demâs
escenas son en ambas muy distintas.
Demuestra el autor haber estudiado con algùn cuidado la
historia gênerai de Espaîïa y de Europa, durante los primeros
anos del siglo xv y ùltimos del anterior, al trazar el fondo de
su cuadro. Hay un esfuerzo real de reproducir con aproximada
exactitud el periodo especial en que encierra su pintura. Es
verdad que de Macîas, el protagonista, apenas se sabe cosa
alguna con certeza, ni la fecha de su nacimiento ni la de su
muerte, casi nada mas que su condicion de enamorado à
outrance y las cinco composiciones que le atribuye el Cancio-
nero de Baena y que artîsticamente valen poco. Los otros per-
sonajes, principalmente don Enrique de Villena y su esposa
Maria de Albornoz, que en la novela hacen gran papel, fueron
en realidad, segùn las cronicas y las historias, bastante dife-
rentes de como Larra los describe y présenta, habiéndose con
razon creido dueîio de acomodarlos a su fantasia.
Las costumbres, la indumentaria, los mil detalles de la vida
privada, no se ajustan bien, conforme opinion gênerai de los
crîticos, a la verdad estricta; el mas reciente, Menéndez y
Pelayo, en las Observaciones preliminares del tomo X de las
Obras de Lope de Vega, dice : « El que buscara en su obra
colorido arqueologico, se Uevaria solemne chasco. » El juicio
me parece severo en demasia. Larra sin duda no era arqueologo
ni coleccionador de curiosidades como Scott, pero da pruebas
de haber leido con cuidado en busca de detalles los poetas,
cronistas y escritores de la época, de haber visitado con aten-
cion museos de armas y antigûedades, de haber seguido con
mucho cuidado textos antiguos como el Libro de Monteria, y la
impresion del lector comùn, al acabar la novela después de
haber aprendido multitud de cosas poco sabidas, no concuerda
con la de los criticos. Lo que en ella falta considerada bajo
este aspecto no creyo probablemente Larra que era muy nece-
sario, y se abstuvo de anadir, como Scott mismo y otros en
casos anâlogos, notas y referencias al final para darla a no
gran costa de erudito. Eso hizo el Duque de Rivas en su Moro
Expôsito, novela en verso del género de las de Scott, y logro
MAniA>0 JOSÉ DE I.VKKV 3"
liacer créer a criticos del peso de Alcalà Galiano y Enrique Gil
que era el poema del mas exacto y admirable colorido local.
Iloy es imposible poner fe en la erudicion del Duque ; auto-
ridad tan compétente como D. R. Menéndez y Pidal nos afirma
que completamente desconocîa la Edad Media espaiïola». Ni
siquiera hay que liar en la exactitud de las listas de autoridades
de las dos grandes notas finales, pues cita autores que ni aun
tratan del asunto a que se refiere^
Puede hoy todavia ser leido con gusto y provecho el Doiicel
de don Enrique; si no despierta el palpitante interés de Iva/ihoe
6 Quintin Durivard, no es en conjunto inferior, por ejemplo, al
Cinq-Mars de Alfredo de Vigny, una de las très mejores novelas
del género historico en Francia durante el perîodo romantico.
Las otras dos, como es sabido, son la Crônica del tiempo de Carlos IX
por Mérimée y Notre-Dame de Paris. Vigny imita también mucho
y muy de cerca a Walter Scott, es indudablemente mas poêla
que Larra, y los personajes de su novela, Richelieu, Luis XIII,
Ana de Austria, el padre José, tienen para todo el mundo una
importancia que no puede compararse con las figuras del triste
y pàlido periodo de la historia de Castilla escogido por el
novelista espafiol. En Cinq-Mars, como en las célèbres novelas
de Scott, que acabo de citar, la naturaleza del argumente hace
(( desaparecer las pasiones particulares y privadas ante inte-
reses mas générales é importantes » ^. Pero Larra mantiene viva
una fuente de interés que atrae y fascina. La intriga amorosa
que en Cinq-Mars es débit y artificiosa, en el Doncel constituye
el asunto mismo, y hay tanta sinceridad de pasion en Elvira
y en Macias que el efecto gênerai es singularmente conmo-
vedor. El ùltimo capitulo, con el epigrafe del Conde Claros
dispuesto como para producir un efecto misterioso que no
tiene por cierto en el romance original, es de una profunda y
dolorosa melancolîa.
El puesto de la obra ademâs en la literatura de Espana del
1. Ramon Menéndez Pidal, La Leyenda de los Infantes de Lara. Madrid, 1S9G,
pâg. 169.
2. Obras complétas de don A. de Saavedra, Duque de Bivas, Madrid, 1897, tomo III,
pdg. 546.
3. Le Boman historique.... par Louis Maigron, Paris, 1898, p. ariS.
38 BULLETIN HISPANIQUE
siglo pasado es ùnico. Al que pidiera una novela historica del
perîodo romântico no se le podria ofrecer hoy mas que el Doncel
de don Enrique, y sin embargo en ese género probaron sus
fuerzas Martinez de la Rosa, Espronceda, Escosura, Villalta,
Enrique Gil y algiin otro. El Senor de Bembibre de Gil, novela
publicada mucho después, en i844, cuyo argumento lecuerda
un poco el de La Novia de Lammermoor, se aleja y a mucho de
la senda que siguieron Scott y sus discipulos y, aunque obra
apreciable, sobre todo carece de la entonacion viril y el movi-
miento dramâtico que distinguen a las buenas novelas de la
escuela del autor de Waverley.
III
El Macias, « drama historico en cuatro actos y en verso, «
representado en Madrid « con grandes aplausos », segùn nos
cuenta Hartzenbusch ', el i[\ de Setiembre de i834, no es tal
vez como obra de arte tan interesante cual la novela sobre
el mismo asunto, pero en la historia de la literatura drama-
tica ocupa posicion mas importante y su influencia fué mas
extensa y mas fecunda.
Era una gran novedad, aunque en cierto modo alguien ya
habîa tratado de emprender el mismo camino. Las nuevas
ideas estéticas y las reglas menos estrictas que desde el afio
de 1829 habîan empezado a tomar posesion de la escena
francesa, suprimiendo casi todas las trabas y limitaciones
impuestas à la tragedia clâsica, ejercieron por primera vez
influencia en el teatro espaûol el dîa del mes de Abril de i83/i
en que se représenté La Conjuraciôn de Venecia, « drama
historico » de Martinez de la Rosa, primer ejemplo aplaudido
de la nueva escuela. Larra, que ténia ya sin duda completo el
plan de su Macias, redactaba entonces la crîtica de teatros
en la Revista Espanola de Garnerero, asistiô a la represen-
tacion, aprobo con viva simpatîa y le dedico en el periodico
un muy favorable articulo.
El éxito de ese feliz y tîmido ensayo de algo nuevo le
I. Obras escogidas de don A. Garcia Guliérrez, Madrid, 186G; Prolôgo, p. xv.
M.VUIANO JOSÉ DE LARRA 3y
mostraba el camino que contaba seguir, aiinque la verdad
era que Martînez de la Rosa poco recordaba los dramas de
Dumas y mucho menos los brillantes poemas en verso
de Victor Hugo; era en realidad mus bien un Delavigne
espanol. El tono gênerai, el meticuloso cuidado de no
excederse, de mantenerse en el término medio y el colorido
gris de oscenas a menudo demasiado desleîdas, traîan inevi-
tablemente a la memoria el autor de Mari no Faliero 6 las
Visperas sicilianas. Pero esta vez al menos se veia en Espana
una pieza bien construida, un cuadro historico vigorosamente
trazado a grandes pinceladas : el panteon de la familia Moro-
sini, masas de pueblo circulando por la plaza de San Alarcos
iluminada, cada uno diciendo lo que la situacion requerîa,
seriamente, sin gracioso inûtil ni lirismo exagerado. Luego
una conjuracion que estalla en pleno carnaval, la repùblica
que triunfa, y en el acto ùltimo la sala de audiencia del
inexorable tribunal de los Diez con las negras colgaduras
y las funèbres inscripciones, el Présidente que cae desplomado
al reconocer su hijo en el acusado. los otros jueces que sin
piedad condenan y mandan a la muerte en presencia de la
mujer idolatrada. Todos los elementos del mas patibulario
melodrama, por desgracia no realzados por la versificacion,
pero iluminados de tiempo en tiempo por expresiones magnî-
ficas, patéticas, en una lengua élégante y sobria, y el conjunto
en fin levantado sobre una base historica grandiosamente
concebida.
Larra, que era menos poeta que Martînez de la Rosa, que
versificaba laboriosamente, pero que ayudado por su buen
gusto y su inspiracion de artista se sentia capaz de ir mas
alla que ese irresoluto innovador, aspiré a [componer un
drama que fuese de amor é historico juntamente, valerse,
como sus antecesores del siglo xvn, de la mas compléta
libertad en el métro y en los movimientos, al mismo tiempo
que aplicaba a sus ideas y sentimientos la franqueza, el calor
y la energîa de las piezas romanticas francesas. El intento no
podia ser mejor, pero él también al emprender el nuevo
rumbo no tuvo energia para ir bastante lejos, quedose a
4o BULLETIN HISPANIQUE
medio camino y otros vinieron detrâs que sin miedo corrieron
hacia adelante y se acercaron mas a la meta deseada.
Carece en efecto Macias de la riqueza de accion, de la
realidad pintoresca y animada, de la novedad de arte, que
eran razon de ser del drama romantico : es demasiado seco,
demasiado escueto como accion. Aventajando tan notable-
mente a Martinez de la Rosa en lo poético de la forma y en la
intensidad del sentimiento, faltale la amplitud del cuadro
historico, la variedad de interés de la Conjuraciôn de Vcnecia.
El drama mismo que consagro Lope de Vega a la leyenda de
Macias con el titulo de Porjîar hasta morir, que Larra en nada
imito, que consta solo de très actos, apenas puede decirse que
contenga menos materia, aun descontândole todo lo que hay
de inùtil en la parte del gracioso.
El argumento del drama y el de la novela de Larra son
entre si muy diferentes. En aquél sabe el espectador desde
la primera escena que Macias y Elvira se conocen y aman de
antemano, que son esposos prometidos, que, como en la
historia de los Amantes de Teruel, hay un plazo fijado y que
si él se présenta antes de su vencimiento, es fuerza otorgarle
la mano de su amada. Este naturalmente desfigura y débilita
la tradicion, quitando al amor violento y adiiltero, a « la
porfia » del hombre, el caracter fatal de la leyenda y su efecto
terrifico. Detenido Macias lejos de Andùjar, ciudad donde
pasa la escena, por intrigas de un rival y el malquerer de su
sefior, que es Villena y no el rey doliente, no puede llegar
precisamente a tiempo, aunque acude presuroso el dia mismo
en que el plazo expira. Desde muy temprano se ha precipi-
tado el matrimonio de Elvira con Fernân Pérez. Cuando al
aparecer, hacia el medio del segundo acto, demanda Macias
a su senor el cumplimiento de la promesa, lo contiene este
hasta el instante en que vuelve de la iglesia el cortejo nupcial,
pues temiendo su venida se ha celebrado prontamente la
ceremonia. Elvira cae desmayada al reconocer â su amante,
que creia desleal â su palabra, y Macias desesperado se arroja
a los pies de Villena gritando: « Senor! 6 muerte 6 venganza! »
— La escena es rapidisima, esta vigorosamente escrita, se
MARIANO JOSE DE LARKA 4l
oyen solo frases brèves que cierran dramàticamente cl acto.
Logra introducirse Macîas en la habitacion de su rival
afortunado, allî encuentra a Elvira vestida lodavia con el
traje de boda. En el duo apasionado que pone el poeta en boca
de los amantes, alegando el uno los derechos de su amor,
la otra los deberes de su nue va situacion, se oye resonar en
verso algo niuy parecido a la moral del autor de Antony :
Los amantes son solos los esposos.
Su lazo es el amor: ^cual hay mâs santo?
Su templo, el univeiso : dondc quiera
El Dios los oye que los ha juntado.
Si en las ciudades no, si entre los hombres
Ni fc, ni abrigo, ni esperanza hallamos,
Las fieras en los bosques una cueva
Cedcrân al amor...
La influencia de Dumas se siente demasiado en todo este
acto tercero. Los amantes son sorprendidos allî mismo,
Macias frenético, desesperado, al ver que Elvira se humilia
hasta implorar para él perdon de don Enrique, quien lo
manda encerrar en una prision, lanza una invectiva violenta,
declamatoria, pero muy en situacion y de una energîa en la
expresion por momentos admirable. El actor Valero la hizo
durante mucho tiempo aplaudir con furor por toda Espana.
A esta peripecia sucede una escena que parecc direclamente
venir del Enrique III y su corle del viejo Dumas. Fernan Pérez,
el nuevo esposo, ciego de celos, amenaza matar à Elvira
blandiendo su punal, ella aguarda impasible el golpe, en lo
cual crée él ver la prueba de su immenso amor por el otro,
y exclama :
Le ama, 6 cielos, de tal modo
que ya preflere â su olvido
la muerte...
Mal haya el que tan amado
supo ser!..
como el duque deGuisa después de prueba idéntica prorrumpe :
Vous l'aimez bien, madame! Malédiction sur lui qui est tant aimé!
— Fernan prétende, también como Guisa, forzarla a dar una
cita al amante para perderlo y al negarse ella la ase del brazo
con furor, la obliga a gritar : u Por piedad, me lastimais,
42 BULLETIN HISPAMQLE
senor! » del modo mismo que la duquesa de Guisa al sentir
su brazo lastimado por el guantelete de acero, dice : Vous me
faites bien mal, Henri, horriblement mal!
Por ùltimo, ante la obstinacion de Elvira, llama aparté
Fernân a un servidor para decirle :
Alvar, cualro hombres buscadme...
me entendeis!
no tan claro, pero con las mismas siniestras intenciones con
que Guisa en otra parte del drama grita : Saint-Paul, qu'on me
cherche les mêmes hommes qui ont assassiné Dugast!
El cuarto y ùltimo acto del drama de Larra es bastante
corto. Elvira, adivinando lo que trama su marido, corre a la
prision para prevenirlo. Después de un segundo diio de amor,
mas bello que el anterior, y ambos al unisono en el senti-
miento esta vez, es ya tarde para que logre Macias salvarse de
Fernân y sus sicarios. Apenas sale a su encuentro vuelve
mortalmente herido. Elvira se hiere con la daga de su amante
que él ff alarga débilmente » y muere ella diciendo estos
versos :
Llegad... ahora... llegad... y que estas bodas
alumbren... vuestras... teas... funerales.
Y si bien estas lineas y la naturaleza de la catâstrofe y su colo-
rido poético recuerdan algo el final de Hernani, las palabras
siguientes de Fernân Pérez nos vuelven otra vez a la influencia
de Dumas :
Me vendian.
Ya se lavô en su sangre mi deshonra.
Calderôn, que mas de una vez puso en escena maridos que
lavan en sangre su deshonra, no concentraba asi en brève
frase final la catâstrofe de sus tragedias. Fué Dumas quien
desde i83i puso de moda esas clâusulas lapidarias : Elle me
résistait, je l'ai assassinée !
Dije antes que no era Larra tan poeta como Martînez de la
Rosa, y basta poner al lado una de otra las elegîas que ambos
compusieron con motivo de la muerte de la Duquesa de Frias
MARIANO JOSÉ DE LA.RRA 43
para compreiidcr la diferencia. Carecîa Larra sobre todo de
sentimiento en la exprcsion, hay sicmpre en él algo de seco,
de duro, de profiindamente agriado y lastimado por los
hombres y las* cosas ; llega fâcilmente a la elocuencia, pero
donde se requière ternura, lagrimas en la voz, emocion
comunicativa, fracasa casi siempre. Sus pasiones son reaies
y las expresa con sinceridad. pero suele haber en ellas tanto
de orgullo, de vanidad, como de amor 6 simpatîa.
Sabîa también hacer buenos versos, y con su gusto culti-
vado, su grande instruccion, la précision de su Icnguaje y el
natural vigor de su estilo lleyo a componerlos excclentes.
como abundantemente se encuentran en el Macias. El teatro
exige principalnriente energia y claridad en la expresiôn^
y pasajes como éstos, llenos de esas dos cualidades, siempre
sertîn apreciados y aplaudidos :
Yo le maté, diras : tu esposo en zelos
arderà, temeroso de que al cabo
le vendas como â mf, y hasta tus besos
mentiras créera. Cierto; y serânlo.
Ella, Fernân, me amô, y volverâ a amarme:
si constancia te jura es solo engano,
también à mi me la jurô, y mentia.
La poesia de fondo y forma que aqui faite esta compensada
por la fuerza y la brillante concision. Esto sucede no solo en
los endecasîlabos, también los octosilabos son à menudo
admirables en el Macias, que tiene séries de redondillas
rotundas y perfectas, dignas de todo encomio,
IV
Macias abrio el camino, tras él llego ya completamente
armado el drama romantico espafiol, « historico 6 caballe-
resco, » como al principio se le llamaba. El Trovador de Garcia
Gutiérrez y los Amantes de Tevuel de Hartzenbuscli, ricas pri-
micias del talento de quienes iban a ser de los mas renombra-
dos y afortunados entre los vates de Espana, se estrenaron,
uno aiio y medio, el otro dos anos, después del drama de
44 BULLETIN HISPAINIQUE
Larra. Hasta se cuentai que Hartzenbusch, llevando ya en la
mente su obra cuando se représenté el Macias, tuvo que alterar
el plan ya formado, porque accidentalmente coincidian en
puntos esenciales, lo que no era extrano, pues Larra tomo por
antécédente de su argumente la idea de un plazo fijado_, detalle
esencial de la leyenda de la historia de Diego Marsilla.
En el intervalo que sépara el Macias de los dos dramas
mencionados aparecio, no hay que olvidarlo, el Don Alvaro del
Duque de Rivas, inspirado en parte por la novela de Mérimée
Las aimas del Purgatorio, la misma que sugirio a Dumas su
Don Jaan de Marana y de rechazo a Zorrilla su Don Juan Tenorio.
El Don Alvaro f escrito durante la emigracion del autor en
Francia, en nada se parece al drama de Larra. Parece conce-
bido de proposito para atropellar juntas todas las reglas y tradi-
ciones del arte clàsico, mas sin poner mucho équivalente en
su lugar, pues carece de pasion dramâtica, de estudio de carac-
tères y de poesia profunda en la ejecucion. Escrito sin embargo
con fuego a veces y siempre con viveza, con animacion, atrajo
y entusiasmo a las masas, en virtud de sus grandes y enérgicos
brochazos a la manera de una pintura en tron^ipe-l'œil, trazada
para producir efecto. Las escenas populares en prosa, que
forman contraste con lo terrible de la trama principal : el
aguaducho del primer acto, el meson del segundo y la porterîa
del convento de los Angeles son admirables en su género,
cuadros realistas de costumbres bien reproducidas, pero del
todo independientes de la accion principal.
No tenemos la opinion de Larra como critico de teatros
sobre la obra del Duque de Rivas, en cambio poseemos dos
notables articulos, uno sobre el Trovador y otro sobre los
Amantes de Teruel. Nunca se ha juzgado con mayor simpatîa y
mas talento la produccion de rivales afortunados. Todos los
méritos estân en esos articulos seiîalados con verdadera frui
cion. los defectos sobria y exactamente indicados. Ambos
dramas son en verso y prosa. Larra no reprueba la idea, pero
I . Apuntes para una biblioteca de escritores espanoles contemporâneos, por Don Eugé-
nie de Gchoa, Paris (s. a.), t. II, pâg. 80. Véasc también : Ferrer del Rio, Galeria de la
Literatura Espahola, Madrid, i8i0, pâg. i63.
MARIANO JOSÉ DE LAHK.V ^5
la considéra una dilicultad mas que el poeta volimtariamente
adopta, y que no puede decirse siempre vcncida al dccidir el
autor cuales esccnas producen mejor su efccto en esta 6 aquella
forma. Garcia Gutiérrez y Hartzenbusch, cediendo al parecer
del benévolo critico, corrigieron en ediciones posteriores los
def'ectos senalados y renunciaron del lodo a la prosa. El Tro-
vador refundido es sin embargo en conjunto inferior a la pri
mera version; no asî la refundicion de los Amantes de Teruel,
mas igual y armonica que en la primera forma, y es la incluida
por el autor en la coleccion defînitiva de sus obras.
Nadie durante todo el siglo xix ejercio en Espana la critica
desde las columnas de los periodicos con tanta superioridad,
nadie ni antes ni después llego a reunir tanta autoridad, tanta
instruccion y tan elevada é inaltérable imparcialidad. Des-
pierta un sentimienio de lastima leer hoy esos articulos,
improvisados a veces de la noche a la manana por escritor de
tal ilustracion y tan buen gusto ; que conservan todavia casi
lodo su valor y serîan joyas inestimables si se hubiese dado al
autor tiempo y ocasion de acabarlos mas despacio. Los mas
de ellos, los mcjores, fueron reunidos en coleccion después
de su muerte y ni siquiera estân corregidas las erratas de la
primera impresion. En todos se descubre bien marcado un
acento de amargura y desolacion, como impucsto por el con-
vcncimiento de la inutilidad de la tarea, por la supina igno-
rancia del pùblico que, en aquellos agitados dias de guerra
carlista, Estatuto malogrado 6 constitucion del ano doce, ape-
nas se curaba de algo que no fuese la politica en su forma
mas opresiva y angustiantc.
Manifesté Larra siempre el mas vivo interés por el arte
dramatico é hizo los mayores esfuerzos por levantarlo y soste-
nerlo. Esc género mismo tan socorrido y facilmente popular
se consumîa ante la indiferencia universal; el teatro «sin
actores y sin piiblico » era simple « sucursal de la Opéra»,
como dijo en uno de sus ùltimos trabajos, confesando que él
también participaba ya de esa indiferencia, desesperado en
medio « de la noche oscura, tempestuosa en que nos encon-
tramos, luchando en vano con la deshecha borrasca que ira
Bull. Iiispau. !t
A6 BtLLETIN HISPANIQUE
dando al viento vêla tras vêla y desmantelando la barca palo
por palo » .
Tanto como de las piezas espanolas de teatro trataba en sus
crîticas de las novedades del arte dramâtico francés a medida
fjue iban traduciéndose, y hacialo siempre con el cabal conoci-
miento que tenîa de la moderna literatura francesa'. Si el
pùblico de Madrid lo hubiese ayudado un poco, mostrando
mas inleligente aprecio del arte teatral y la crîtica literaria,
habrîa él llegado a ser algo mas que un Janin 6 un Sarcey
espaîiol, pues al grau saber anadîa peregrino talento de artista;
serian sus articulos reunidos algo asî tan util y tan bueno
como la Dramaiurgia de Hamburgo de Lessing. La suerte no lo
quiso.
Lleno del espiritu de su época estudiaba siempre la antigua
y brillante literatura de su pais y sabla apreciarla con absoluta
independencia, sin atenerse a opiniones de otros ni cegarse
por ese falso patriotismo que inspira tantos errores, trasmitidos
luego por la rutina de generacion en generacion y de tratadista
en tratadista. Su empefio principal era aligerar un tanto el peso
excesivo de la Iradiciôn para encaminar por rumbos nuevos la
nueva literatura. Estudiar los autores del siglo de oro es util,
es necesario, para comprender y admirar el genio de la raza y
su maravillosa historia, para experimentar el vivo placer de
analizar y saborear lo que fué y siempre sera hermoso, pero
muy poco de ellos liay que imitar en nuestros dias. En un buen
artîculo, titulRdo Literatura, rapida ojeada sobre su historia
y su îndole gênerai en Espana, reconoce que superpuesta
la tiranîa politica a la tiranîa religiosa después de la pérdida
de lo poco que de la libertad nacional quedaba en el primer
cuarto del siglo xvi, la literatura, que en seguida florecio,
habîa nacido condenada a ser fenomeno prodigioso, pero esen-
cialmente transitorio, sin posible desarrollo fecundoy dilatado.
I. Admirc) grandcmenle â Dumas como autor dramâtico y en cinco exlensos
articules analiza cuatro de sus obras, Teresa, la Tour de Nesle, Catalina Howard y
Antony. De Victor Hugo, cuyo Hcrnani juzga muy alinadamente con motivo de la
traducciôn en verso de Ochoa, dice que es «uno de los mayores poetas que han visto
los tiempos », opinion que en Francia entonces estaba muy lejos de aceptar la mayoria
de los literatos, que le ponia encinia â Bcranger y Lamartine.
VCARIANO JOSK l)K LAHKA 47
Explica porqué no hubo en Espana entonces lo que llama escri-
^ores razonados, y porqué brillaron solo con dcslumbrante
fulffor el arte de la no vêla y el arte del teatro, frutos ambos de
la poderosa imaginacion de la raza, mientras la prosa séria
quedo confinada a los escritores mîsticos 6 tcologicos, de los
que (agrega Larra) a podemos présentai' una biblioleca anligua
desgraciadamente mas compléta que ninguna olra nacion », y a
los historiadorcs como Mariana y Solis, mas bien « columnas de
la lengua », destituidos de espiritu critico, autores de grandes
novelas historicas, que se abstuvieron de prestar atencion
alguna al « movimiento de su época » niperciben el mas ligero
eco de lo que fuera de Espaùa ocurria y transformaba la marcha
de lacivilizacion. A esa lileratura, que tan rapidamente decayo,
sucedio en el siglo xvni la imitacion francesa, preconizada y
practicada por un grupo reducido de literaios, que sin prepa-
raci(3n « se agregaron al movimiento del pueblo vecino, adop-
tando sus ideas laies cuales las encontraban, y entonces nos
hallamos en el término de la Jornada sin haberla andado n.
Esta nueva reforma resulto estéril también, porqué las des-
gracias de la patria atajaron pronto el escaso impulso que
llevaba. Rechazaba igualmente Larra con energîa el arte que
privaba en sus dias, « esa literatura reducida a las galas del
decir, al son de la rima, n y luchaba por el advenimiento de otra,
(i hija de la experiencia y de la historia, estudiosa, analizadora,
filosôfica, profunda, pensândolo todo, diciéndolo todo, en
prosa, en verso, expresiôn en fin de la ciencia de la época, del
progreso intelectual del siglo ».
Le impacientaba en extremo ese empefio de escribir calcando
el lenguaje antiguo, ese afan del purismo, que desde el siglo
anterior habian ya puesto de moda, unos por medio de saliras
como Iriarte 6 Gadalso, olros por medio del ejemplo como
Huerta 6 Moralîn. « Marchar en ideologîa, decîa Larra, en
metafisica, en ciencias, en polîlica, aumenlar ideas nuevas, y
pretender estacionarse en la lengua que ha de ser la expresion
de esos progresos, perdonennos los senores purislas, es haber
perdido la cabeza. » Una cosa es caer en la afectacion de reme-
dar lo antiguo y olra respetar en lo posible « el tipo, la indole,
40 JiLLLETl-N UISPAMQLE
las fuenles, las aiialogîas de la lengua ». Esto escribia en i8o5,
y esto mismo paede repetirse hoy, pues no faltan todavia
quienes usen como un conjuro esos términos de purista y de
castizo, que à menudo aplican a ciegas, como tiene que ser
en un idioma cuyos elementos no se han fijado aun completa-
mente, en el que no se han compilado léxicos de la lengua de
sus grandes escritores, ni siquiera de la de Cervantes, y donde
la autoridad oficial y suprema es un Diccionario en que faltan
muchas voces viejas y nuevas, en que las definiciones son
defectuosîsimas y que carece de ejemplos, infinitamente mas
necesarios éstos que sus misteriosas etimologias en signos,
incomprensibles para la inmensa mayoria de las personas que
mas han menester consultarlo. Littré mismo, en el cuerpo de
su utilîsimo diccionario, tan rico en ejemplos y en otras cosas,
que présenta las etimologias mas detalladamente que la Aca-
demia espanola, se abstuvo del pedantismo de esos caractères
arâbigos, hebraicos y sânscritos.
Larra, que no obstante su poco amor de los puristas, conocia
bien y estudiaba constantemente su lengua, que ténia com-
puesto para su uso particular un trabajo sobre sinonimos, hoy
probablemente perdido, hablando del diccionario de la Vcade-
mia dijo con su gracia habituai que « todos le debemos respetar
cuando acierta : es decir, que tiene la misma autoridad que
todo el que tiene razon, cuando él la tiene ».
Es sabido que durante las postrimerîas del reinado de Fer-
nando Vil el principe don Carlos, su hermano menor, se réfu-
gié en Portugal mostrando bien claro por lo que callaba, por
su actitud amenazante y por la especie de personas que lo
rodeaba, el designio de reivindicar derechos al trono, de dis-
putar por medio de las armas la sucesion y desconocer el
testamento real, invocando la antigua ley sâlica y la tradicion
borbonica, proclamada antes mas de una vez por el mismo
Fernando como dogma de la monarquia. La hija del monarca,
aclamada como reina en Madrid inmediatamente después del
MAIUANO JOSK DE LAKKA ^9
fallecimiento de su padre, tenîa très anos de edad. Casi al
mismo tiempo se précipité y revento el nublado que venia
formiindose en la frontera del vecino reino y comenzo la guerra
civil, que por espacio de siete anos iba a inundar de sangre
todo el norte de la peninsula.
Aunque al principio esluvomuy lejoselcarlismo delapujanza
militar, que después lleg6 (v adquirir, y muchos tardaron en com-
prender lo que habîa de serio y de grave en la parcialidad amo-
tinada bajo la ensena del todavîa ausente Pretendiente, temblaron
todos al recuerdo de los horrores, las atrocidades de una y otra
parte cometidas en los seis anos de la lucha contra cl ompera-
dor Napoléon. Los mismos hombres empenados en contienda
que en sus pechos igualmente agitaba las pasiones mas hondas y
tenaces, tenian por fuerza que seguir idéntica conducta. Milagro
séria si al cabo de tan violenta convulsion no quedaba el pais
para siempre dividido en dos fracciones irréconciliables.
No habia de ser asi; horizontes mas risuefios, cielo mas apa-
cible aguardaban detras del desencadenado huracân para los
que con energîa infatigable se aprestaban a defender, junto
con los derechos mas o menos discutibles, conforme al dogma
monârquico, de la hija menor del rey, la regeneracion de
la patria y extirpar de su suelo el despotismo organizado, que
por trescientos y tantos anos habîa de ruina en ruina llevado
la nacion al estado misérable en que Fernando Vil la dejaba.
Muchos desde el primer momento comprendieron y sin-
tieron cuân vital era para el porvenir el problema polîtico que
las circunstancias planteaban. Larra fué uno de ellos.
Por el mas extra no encadenamiento de causas y efectos esta
guerra civil, atizada por el fanatico hermano del rey difunto,
lesulto ser una fortuna para Espana. Entablose convencidos
desde luego los combatientes de que no habîa términos posibles
de acomodamiento, que la lucha se trababa entre la libertad y
la esclavitud, y que por primera vez allî los defensorcs de la
teocracia y el absolutismo polîtico sucumbirîan falalmente
ante nuevas generaciones, resueltas a implantar un régimen
en que la voz de los habitantes legîtimamente expresada valiese
mas que la voluntad del monarca.
r»0 BULLETIN HlSPAMQtE
Al estallar la guerra de independencia en 1808 los hombres
mas ilustrados y libérales : los viejos como Jovellanos 6 Val-
dés, los jovenes como Quintana, Antillon, Argûelles y tantos
otros, se colocaron del mismo lado que el clero, la mayor
parte de la nobleza y el pueblo. imprimiendo de ese modo li la
lucha un caracter nacional y generoso indiscutible. Pero en la
hora del triunfo pueblo y clero y nobles y militares aclamaron
a Fernando como rey absoluto, Irataron como vencidos à sus
aliados libérales, y los enviaron a purgar su patriotisme en el
destierro 6 en las prisiones. Volvio Espana a lo que antes era sin
haber dado un solo paso adelante en la escala de la civilizacion.
Ahora las cosas tenîan que marchar y resolverse de otra
suerte. Los eternos enemigos de la libertad habian corrido en
torno de don Carlos, una buena tercera parte de la peninsula
lo saludaba como rey, el clero en ma sa hacîa votos por su
triunfo. Tocaba pues a los libérales declararse defensores del
trono de Isabel II, hacer los derechos politicos condicion de
su existencia, y sellado el pacto con sangre y mantenido con
vigoroso esfuerzo era claro que no se repetirian después de la
Victoria las escenas inénarrables de perfidia y de crueldad que
deshonraron la vuelta de Fernando en 181 4.
Para Larra mas que para ningiin otro fué la muerte del
monarca una redenciôn. Guanto habîa de mejor en su talento
de escritor, en sus ideas y sentimientos, habrîa quedado para
siempre ignorado si hubiese continuado algùn tiempo todavîa
régimen tan duramente opresor. Era él libéral, profunda y
sinceramente libéral, querîa para el pueblo todos los derechos
politicos y creia con fe indestructible en el progreso humano,
en la perfectibilidad social, como lo explico en el prologo de
la traduccion que, con el tîtulo « El Tiogma de los hombres
libres », hizo de las Palabras de un creyente de Lamennais. Este
libro famoso, evangelio del socialismo cristiano, que ha muerto
literariamentc a causa de laafectacion de su estilo calcado ser-
vilmente sobre la forma bîblica, parecio en su tiempo una
mâquina demoledora de la sociedad; no a Larra, que solo
viô alli el ardiente amor del pueblo y de la justicia que tan
vivamente lo informa, Lo tradujo con amor. admirablemente.
UARIAIMO JOSE DE l.AHHV
Empero él bien sabla que el pueblo espafiol no eslaba aun sufi-
cientemente preparado para el ejercicio de ciertos derechos,
no olvidaba que los nacidos y educados como siervos necesitan
aprcnder primero a servirse de la libertad. Por eso apenas vio
surgir en i836 el monstruo del militarismo con lodos sus ho-
rrores, tuvo miedo y desespero del porvenir de la patria, como
pocos meses después iba a desesperar de la vida.
En i834 el problema no era todavia evitar el abuso posible
de la libertad. Otro fantasma por el momento mas temible se
habia levantado en las provincias del Norte y mantenia los
ànimos en penosa incertidumbre. No se sinti(j Larra como otros
bipnotizado ante el abierto abismo de la guerra civil y empren-
dio como un deber la tarea de desnudar y exhibir el monstruo
tal como en realidad era, no como la imaginacion 6 el terror
podian hacerlo aparecer. Cuanlo hubo de grotesco al mismo
tiempo que de errado y de fanatico en esa insurreccion, urdida
para entronizar un hombre « mas cortado para monje que para
monarca », como ha dicho el historiador Lafuente^ esta babil
mente retratado en la série maravillosa de cuadros del carlismo,
que trazo en la Revisia Espanola bajo el seudomino de Figaro,
firma que desde entonces hasta el fin conserve, y que llego en
Ëspana a ser mas conocida y popular que su propio nombre,
tanto que las colecciones de sus escritos dicen todas en la por-
tada : « Obras de Figaro. » Recuerdan esos artîculos, que en
gran parte estan en forma de dialogo, las comedias de Aristo-
fanes por la vigorosa energia con que van hasta el fondo de las
pretensiones que quieren poner en ridîculo, destruyendo apa-
riencias y desmenuzando falsos pretextos de legitimidad y de
piedad inventados para cubrir sordidas pasiones, como derri-
baba en Grecia el célèbre poeta comico los falsos idolos de la
demagogia aleniense. Mas décente y comedida, estorbada ade-
mas por las trabas de la censura, tiene la satira de Larra fuerza
y eficacia en algo parecidas, aunque sea évidente que no pue-
den literariamente parangonarse articulos modernos de pericV
dico y comedias en verso escritas por un poeta de genio en la
época de oro de la literatura griega.
Ridiculizar la guerra carlistaera tarea permitida \ aplaudida
i)2 BULLETIN HISPANIQUE
en los primeros anos del nuevo reinado, pero la libertad de
imprenta estaba aun muy lejos de existir, y por mucho tiempo
todavîa tuvo Larra que principalmente reduciise a articulos de
costumbres y juicios literarios. Sus crîticas ganaron mucho en
variedad y solidez, asi como su estilo, en los cuadros en que
tan agudamente se mofa de ciertos rasgos y caractères de la
vida social, llegando a adquirir tal flexibilidad, tanto donaire
y una tan élevante sobriedad, cual no se han vuelto à encontrar
reunidas en ninguno de los que después con mas 6 menos fortuna
han cultivado el mismo género. La lâstiina era que, fuera de las
piezas de teatro, pocos libros aparecian que diesen al talento
critico buenas ocasiones de brillar é interesar; aun entre las
primeras mas de una vez esgrimio el acero contra objetos poco
dignos de su esfuerzo.
La situacion polîtica de dîa en dia se agravaba ; el carlismo,
a pesar de que hombres como él claramente veîan su impoten-
cia final, duraba, y al parecer se fortalecîa, por la incapacidad
de los primeros générales encargados de batirlo y la falta de
recursos en el gobierno de la reina. El poder residia en manos
de hombres bien intencionados, del tipo mas 6 menos de Mar-
tînez de la Rosa, es decir, asustadizos é irresolutos. Aunque
convencidos de que solamente por medio de ideas é institucio-
nes libérales se podîa oponer barrera inexpugnable a los parti-
darios de don Carlos, escatimaban las reformas, propinândolas
a dosis minimas como remedio peligroso, sin pensar que al fin
podrîan arrancarles por la fuerza y en malas condiciones lo
que espontâneamente concedido hubiera sido medicamento
reconstituyente y Salvador.
Como abrumado 6 aburrido de tanta contrariedad quiso
Larra dar un viaje por el extranjero, donde paso la mayor
parte del ano i835. Salio en Mayo por la frontera de Portugal,
pues los carlistas interceptaban el paso por Yizcaya. Cual era
la disposicion de su animo en el momento de la partida puede
deducirse de las siguientes lineas :
(( El Caya, arroyo que divide la Espana del Portugal, corria
mansaménte a mis pies : tendi por la ùltima vez la vista sobre
la Extremadura espanola ; mil recuerdos personales me asal-
MA.RIANO JOSÉ DE LAHIl.V 53
taron ; una sonrisa de indignacion y de desprecio quiso des-
plegar mis labios, pero senti oprimirse mi corazon y una
làgrima se asomo a mis ojos. Un minute después la patria
quedaba atrâs, y arrebatado con la velocidad del vienlo, como
si hubiera temido que un resto de antiguo afecto mal pagado
le detuviera, 6 le hicicra vacilar en su determinacion, el expa-
triado corria los campos de Portugal. »
Desde el extranjero escribio poco para los diarios de Madrid.
Volvio a los diez meses, atraido, segiin escribio en el primer
artîculo después de su Uegada, por la noticia de que la libertad
de imprenta andaba ya en proyecto : "jYo, que de Calomarde
acâ rabio por escribir con libertad, no habia de liaber vuelto
aunque no hubiera sido sino para echar del cucrpo lo mucho
que en estes anos se me qued(3 en él, sin contar con lo mucho
con que se quedaron los censores ! »
Mas la libertad de imprenta no vino todavîa, fué s(j1o que se
aflojaron un poco las apretadas trabas. A ello debemos las très
deliciosas cartas politicas : Figaro de vuelta, Buenas noches y
Dios nos asista, que como los très articulos sobre la guerra
carlista forman un conjunto precioso, de interés historico
tanto como literario, que en todo tiempo leeran con gusto
cuantos conozcan 6 estudien la lengua castellana.
Pero el tono empieza a ser muy diferente y de aqui en adelante
la transformaciôn va senalandose mas y mas. Ya en esas cartas
apenas quedan huellas del Larra festivo y burlon de los cuadros
de costumbres, mucho menos se encuentran en los demâs tra-
bajos hasta su muerte ya proxima. También en ese ano i836
sufrîa lacosapùblica, como ya indiqué, la mas grave y desastrosa
transformaciôn. Los hombres del poder, obstinadamente empe-
âados en resistir el empuje de los que pedian mas libertades, no
parecîan dar importancia a la agitacion popular, a los movi-
mientos tumultuosos que por varios lad os se producîan. Tras ese
comienzo de anarquia vino inmediatamente la indisciplina en el
ejército, sintoma fatal, pues el ejército, que con bien désignai
fortuna luchaba contra la formidable faccion carlista y apenas
bastaba en el resto del pais para mantener el orden, era cl
indispensable apoyo del mal afirmado trono constitucional.
54 BULLETIN HISPANIQUE
El militarismo en su forma mas repulsiva, — la tropa armada
decidiendo de la marcha de la politica, générales sin cscrùpulo
faltando a la fe jurada para encaramarse violentamenle al poder —
comenzo a imponerse en Espana el 12 de Agosto de i836, para
no interrumpir durante cuarenta anos su obra nefanda. Enese
dia las tropas acuarteladas en La Granja, residencia de verano
de la familia real, salieron armadas a la calle sin mas jefes que
sus cabos y sargentos, penetraron en palacio y forzaron a la
reina madré a proclamar la constitucion de 181 2 y convocar
nuevas Cortes. Mientras tanto caîa el gobierno en Madrid, era
asesinado el gênerai Quesada y los ministres salvaban la vida
huyendo 6 escondiéndose : entre éstos figuraba el Duque de
Rivas, el autor del Don Alvaro, amigo particular de Larra.
Esa constitucion del ano doce, que en realidad poco 6 nada
habia regido antes, promulgada dentro de los muros de Gadiz
en plena guerra contra Francia y abolida por Fernando apenas
ocupo el trono, era ya en concepto de Larra una antigualla,
una memoria heroica, digna de respeto solamente « como
Cristo respeto el testamento viejo, fundando el nuevo ». En
efecto los diputados elegidos conforme a sus preceptos resol-
vieron inmediatamente redactar una nue va, que Larra no
Uego a conocer, pues no empezo a régir hasta mediado el afio
de 1837.
El motîn de la guarnicion de la Granja, que dividio por
siempre los defensores del trono de la reina en dos fracciones
opuestas é irréconciliables, dejo a Larra convencido de la
ruina total de sus esperanzas, de que era delirio esperar la
regeneracion de la patria por medio de la libertad, cuando el
militarismo tan insolente y victoriosamente podîa atropellarlo
todo. En la original y funèbre fantasia, el Dia de difuntos de
i836, en que describe la ciudad entera como un vasto cemen-
terio cuyos edificios pùblicos son monumentos funerarios con
inscripciones como estas : « Aqui yace el trono, nacio en el
reinado de Isabel la Catolica, murio en la Granja de un aire
colado. » (( Aqui yace la subordinacion militar, » y otras del
mismo jaez, concluye diciendo que su corazon también « lleno
no ha mucho de vida, de ilusiones, de deseos » es otro sepul-
MARIANO JOSE DE LARR\
cro cuyo letrero es : « \quî yace la esperanza. » Esa fantasia
es un poema, una admirable salira lirica en prosa, como lo
son La JSoche biiena, las Exequias del coude de Campo-Alanje,
Haras de Invierno y alguna otra. Un Larra mas misantropo,
mas desesperado que nunca se révéla en ellas.
Ciiando escribe las tristes lineas siguientes, homenaje al
joven Campo-Alanje, con motivo de su mucrte precoz en el
campo de batalla, se siente que no hayen ellas ficcion ni decla-
macion, que son el grito sincero de su angustiado corazon
deplorando su propia suerte tanto como la del amigo malo-
grado :
« (jQué le esperaba en esta sociedad? — Mililar, no era
insubordinado, a haberlo sido las balas lo hubieran respe-
lado. Hombre de talento, no era intrigante. Libéral, no era
vocinglero. Literato, no era pédante. Escritor, la razon y la
imparcialidad presidîan a sus escritos. ^Qxié papel podia haber
hecho en tal caos y degradacion ? » — El hombre que a los
veintiocho anos en taies términos se expresa, si no miente, esta
ya como fatigado octogenario al borde del sepulcro, esya presa
designada para la mucrte. Habîale tocado vivir en el mas
infausto momentode la historia de su palria, pero elgénero de
su talento y la naturaleza de su carâcter lo empujaron también
hacia la triste catâstrofe final.
Su natural sombrio, reservado, intratable a veces, fué em-
peorando con el tiempo Mordaz, cortante en la conversacion,
se creaba facilmente enemigos, y era demasiado orgulloso para
desagraviar pronto à los que ofendia. No era tampoco feliz,
segùn parece, en el hogar doméstico, por efecto sin duda de
ese terrible mal humor, que allî dejaria correr sin tratar de
dominarse. Hablando de los satiricos habîa formulado esta con-
fesion : « Molière era el hombre mas triste de su siglo, entre
nosotros dificilmente pudiéramos citar à Moratîn como un
modelo de alegria... y si nos fuera lîcito nombrarnos siquiera
al lado de tan altos modelos, confesarîamos ingenuamente que
solo en momentos de tristeza nos es dado aspirar a divertir
a los demâs. »
El éxito mismo de sus escritos, muy real, pero limitado.
56 BULLETIN HISPANIQUE
puede muy probablemente contarse entre las causas excitantes
de la desazon constante de su espîritu ; él se sentîa lleno de
ideas, capaz de grandes cosas, y lo creîa inferior a sus mereci-
mientos, le dolîa verse reducido a improvisar articules de
periodico, de que se hablaba veinte y cuatro horas y se olvi-
daban pronto, mientras que en otros géneros mas brillantes y
duraderos, que hubiera querido cultivar, otros mejor dotados
le aventajaban, Honra por tanto a su nobleza el recordar que
en nada a pesar de eso se altéré su imparcialidad, su genero-
sidad de critico. No cayo, como Sainte-Beuve por ejemplo, en
el error de creerse humillado por la superioridad que en poesia
lograron sobre él Lamartine y Vigny, Hugo y Musset, de con-
cederles siempre algo menos de lo que en justicia les corres-
pondia y celebrar en cambio demasiado a otros inferiores.
Larra por el contrario saludo, ya lo dije, con fervorosa sim-
patia la aparicion en el teatro de dramas que por el mayor
interés del argumento y el brillo de la versificacion dejaban
en la sombra a su Macias. El juicio sobre los Amantes de Teruel,
escrito en Enero de 1887, es una de las ûltimas cosas que dio
a luz, pues pocos dias después habia dejado de existir. En ese
mismo perîodo final busco ocasion de mencionar y celebrar
rivales como Vega y Breton, encomiando expresamente la
traduccion felicisima que este hizo de los Hijos de Eduardo de
Delavigne, asi como la de Hernani por Ochoa.
Espero un instante ocupar su actividad tomando parte en
las luchas de la polîtica y acallar 6 sofocar en el tumulto del
Parlamento la inquietud de su espîritu. Fué elegido diputado a
Gortes por Avila, pero el malhadado motîn de la Granja le
cerro igualmente ese camino y las Gortes no se reunieron. Todo
conjuraba contra él. En esa exquisita organizacion de artista,
en ese talento critico de primer orden, en ese satirico de tan
escrutadora mirada palpitaba un corazon de ardiente y extre-
mada sensibilidad, un coraz(3n de antemano preparado para
sufrir mas terriblemente que ninguno el dia que de él hiciese
presa alguna gran pasion. Y la pasion vino, tremenda, ava-
salladora, de la especie que él habia descrito al justificar los
furores de Diego Marsilla, el amante famoso de Teruel, « para
MAR1A>0 JOSÉ Dli LARRA b"]
la cual no hay obstâculo, no hay mundo, no hay hombres, no
hay mus Dios en fin que ella misma. » La mujer que la inspiro
quiso ariancarla ella misma ciel corazun del hombrc que tanto
la amaba; no imaginaba quizas cuân hondas eran sus raices,
y al tirar de ellas bruscamente se llevo también la vida del
infortunado poeta.
La nolicia del suicidio causé en Madrid extraoïdinaria sen-
sacion. En el curso de ese dîa i3 de Febrero de 1807 muchos
le habian visto y hablado en diversos lugares, sin notar cambio
alguno en su modo habituai de ser. Mesoneio Romanos, que
lo tuvo de visita en su casa, lo hallo «mas templado que de
costumbre ». El Marqués de Molins celebro con él larga cunfe-
rencia ;i proposito de una comedia que juntos habian empezado
a escribir y que debia tener a Quevedo por protagonista. Esa
tarde misma ocurrio la catastrofe.
Los funerales, costeados por amigos y admiradores, han de-
jado recuerdo imborrable en la historia de las letras espanolas.
La escena final en el cementerio, el acto de encerrar prematu-
ramente en un nicho tanto talento y tanta juventud, que no
podîa menos de ser en todo caso profundamente conmovedor,
adquirio particular importancia con la aparicion de Zorrilla,
a la edad de diez y nueve anos, recitando unos versos ante el
féretro, con la voz melodiosa y el ritmo cantante que daban
siempre gran realce a todo lo que leia.
Esa composicion juvenil, désignai, sin orden y a veces sin
sentido, no desmerece mucho al lado de otros versos liricos del
autor en plena madurez, pues nunca en ese género rayô Zo-
rrilla a grande altura. El poeta renego de ella después y de su
dramatica entrada en la vida pùblica, pero sera siempre coin-
cidencia digna de memoria que junto a la tumba.del gran ini-
ciador y maestro del romanticismo en Espafia, surgiese inespe-
rado el mas nacional de los poêlas romanticos espafioles, aquél,
que sin imitar directamente a Walter Scott, ni parecérsele
en nada, produjo leyendas en verso tan buenas como las del
insigne bardo nacional de Escocia.
Enrique PINEYRO.
EL CiSTELLANO EN AMÉRICÂ
(fin de una polémica)'
Es trivial noticia para los que hayan saludado obras de lingiiis-
tica que cuando un idioma se habla en territorios extensos
cuyos habitantes, separados por causas naturales, sociales 6
polîticas, no tienen comunicaciôn frecuente ni obedecen a una
idea superior que los haga considerarse a si propios como
unidad, ese idioma se divide por fuerza en dialectos. Este
hecho, reconocido por todos los lingûistas, naluralmente ha
dado ocasion a que se tenga por cierto que tal suerle cabra
al castellano. Pott, dando noticia en 1877 de la 2" edicion de
mis Apuntaciones criiicas sobre el lenguaje bogotano y después
de hablar de las divergencias que existen entre el inglés de los
Estados Unidos y el de Inglaterra, preguntaba : ^ Podrâ creerse
que las lenguas procedentes del Lacio, trasladadas al suelo
americano, escaparân al destine que les imponen las leyes
générales de la naturaleza ^ ? Por ese tiempo no ténia yo mayor
conocimiento del estado del castellano en America, fuera de
mi patria, ni habia meditado sobre el particular; asi que me
parecio infundado el pronostico. Con mas noticias después, he
mudado de opinion, y sobre todo viendo que cada dia se
acercan mas a su cumplimiento los anuncios relatives al
inglés, a pesar de las frecuentîsimas comunicaciones que hay
entre los pueblos que en America y Europa lo hablan, y de
que alli se hacen copiosas y baratisimas ediciones de los
mejores escritores ingleses antiguos y modernes ; solo porque
falta la cenciencia de la unidad, esa fuerza que de varies miem
bros constituye un organisme viviente. El lecter que baya
1. Véase Bulletin hispanique, III, pp. 35 sgs.
2. Es el lug-ar que indiqué en la nota 2 de la p. Sg del Bulletin; y repito la cita para
decir que los mismos conccptos expresô el sapientisimo Profesor en una carta latina
que publique en la 3' éd. de mi libro (Bogota, 1881), y que â esos prcsa!?ios atudi,
conjurândolos, al fin del prôlogo.
EL CASTELLANO EX AMERICA Ôg
visto mi primer articule, recordarâ que formulé claramente el
problema, aduciendo la comparacion del latfn y apuntando
varies de los datos que ayudan a su solucion, en carta que
escribî al egregio poeta argentine D. F. Soto y Calvo; recor-
dani también que, desazonado, D. Juan Valera ataco destem-
pladamente mi opinion en un articule de Los Lunes de El
Imparcial de Madrid. Rechaz(j el Sr. V. la comparacion con la
evoluciôn del latin que produje las lenguas romances, ale-
gando no haber paridad, porque alli intervino la invasion de
los « pueblos germânices y de otras razas, que dieron origen a
nuevos estados y aun a nuevas nacionalidades » ; y se siguio la
edad média, en que la civilizacion antigua c sul'rio largo éclipse,
é mas bien suene 6 letargo, del que hube de despertar o de
renacer trasfermada y muy etra de le que era y con otros modes
de expresion para manilestar su pensamiente », cosas que no
han sucedide en America. Argumentacion es esta que se funda
en la idea trasnochada de que à la vielencia de la invasion
germanica y a la influencia de los triunfadores se debio la
Irasformacion del latin y la diferenciaci(jn de las lenguas
romances', y en el desprecio, à que también paso la meda,
con que les filosofos del siglo xvin miraban a la edad média,
juzgandola cemo periedo no existente, como paréntesis en la
vida social, politica y literaria de Eurepa. A esto anadio otros
argumentes que pudieran llamarse de corrille, como el de
que no en todas las naciones queformaban el inmenso imperie
espanel, se halla a mano para desechar el habla de Castilla
otra lengua viva aûn 6 algûn dialecte que la reemplace ; 6 el
de que no hay motive para recelar la desaparicion del caste-
llano en el nueve continente, « A no ser que los actuales habi-
tantes 6 ciudadanos de las nuevas repiiblicas se consideren.
con humildad prefundîsima, tan pobres de ser prepio que
I. Véase Diez, Gramin. I, p. 50 (trad. franc). Littré combatiô en i85(;â Max Millier,
que exagcraba la influencia germanica, dicicndo que el romance era latin haLlado
por alemanes y afirmando que entre uno y otro no habia continuidad (Hisf. de la
langue française, I, pp. (jC sgs., éd. 1873). El Profesor de Oxford, con la ingeriuidad
propia de un sabio, adhiriô â la opinion de Littré, copiando sus propias palabras
(Lectures on Ihe science of language, II, G : p. ay? : N~ueva-York, 1870). Hoy nadie crée
en esc (Grôber. Grundriss der romnnischen Philologie, I, p. 131; Meycr-Lûbke ni
sifjuiera lo mcnciona en su EinJ'iilirung in das Studiuin der romanischen Sprarhwissen-
scliiifl, l'joi)-
6o BULLETIN HISPANIQUE
vengan a sobreponerse a ellos y à hacerles olvidar el habla de
sus padres, 6 bien los iiidios iiidigenas, 6 bien los emigrantes
italianos, franceseso alemanes, que acudan en busca de trabajo
y de bienes de fortuna » ; 6 este otro, que debio de parecer tan
concluyente a su autor que lo reprodujo {mutatis mutandis, ya
se entenderâ) en La Nacion de Buenos Aires, diciendo que por
no repetirse lo escoge entre los demâs : « Si en Espana no hay
mas que cuatro 6 cinco autores, y si para vivir vida intelec-
tual tenemos que recibirla de Francia, tan amenazado como
en aquellas repùblicas esta el castellano en esta desventurada
y estéril metropoli, donde solo Dios sabe que lengua habla-
remos, 6 si dejaremos de hablar, ya que nada propio y no
venido de Paris tenemos que decir en ninguna habla'. »
Desentendime por completo de especies semejantes en mi
anterior artîculo por consideracion al Sr. Y. y por respeto
a los estudios a que me he aplicado. En contestaciôn u ese
escrito mio, en que no hice sino extender los datos en que
habia fundado antes mi opinion, ha enviado el Sr. Y. una
carta a La Tribuna de Méjico en la cual, haciendo caso omiso
de esos datos indispensables de la cuestion, sostiene que a
fuerza de dar yo razones y deemplear argumentos para démos
trar la instabilidad de los idiomas, no pruebo nada, porque
pruebo demasiado, supuesto que con los mismos argumentos
y razones de que me valgo para anunciar la inminente (esto lo
dice el Sr. V., que no yo) desaparicion del castellano en los
que fueron dominios de Espana, se puede anunciar, si los
aplicamos al inglés, la desaparicion de ese idioma en el
Canada, en los Estados Unidos, en la Australia y en no pocas
otras colonias inglesas esparcidas por el mundo. Dejo aparté
que contar a los Estados Unidos entre las colonias inglesas
corresponde a la preocupacion de mirar a las naciones hispano-
I. En La Tribuna reaparece el argumento bajo esta l'oniia ad Icrrorein : « Por
modeslos que seamos, no podemos concéder que desde los tiempos de Ruric hasta los
de Pedro el Grande 6 casi hasta fines del eiglo xviii, se hayan escrito en ruso mas
obras de mérito que en castellano. El ruso, no obstante, no ha desaparecido : antes
bien, se ha cultivado con esmero y ha servido para que exprcsen en él sus altos pen-
samientos, que por donde c[uiera se celebran hoy y se admiran, Puschkin, Lermontoff,
Go"'ol, Turgueneff y muchos otros fiiôsofos, poetas, novelistas y rcformadorcs socia-
les. » Esta visto que el Sr. V. no quiere cntender de que se trata.
EL CASTELLA.XO E> AMÉlUCV 6l
umericunus como parte inlegraiile de Espana (de lo cual
hablaré abajo), para decir que precisameiite el caso del inglés
es el argumento mas oporluiio que puedc prescntarse eu
favor de mi tesis, y que el afirmarlo es cosa tan vieja, por lo
meuos, como lo que yo pieiiso del caslellano'. Alega ademas
que en Francia, en Inglaterra y en Alemania, ni mas ni menos
I. Cotno es de conjeturarse, el caso del inglés en America es anâlogo al del
castellano : conserva voces y acepcioncs de buena cepa que en Inglaterra se han
olvidado, y lanibién voces que, siendo provinciales 6 dialéclicas en su origen, han
pasado à ser de uso gênerai; otras han mudado de sigiiilicacion; ademâs vocablos
nucvos, ora formados con elementos antiguos, ora tomados de lenguas cxtranjeras,
pronunciacioties viciosas y errores gramalicales, asi en la morl'ologîa como en la
sinlaxis (Barllelt, Dictionary of Americanisms, prôl. : Boston iSSy; Storm, Englischc
Philolo(jie'^, 1, pp. S.'n-oiS, donde se resumen y comentan sabiamente los princi-
pales trabajos sobre la materia^. Oigamos algunos tcstigos : Marsh, americano, bata-
llaiido ya con su conciencia de lilôlogo, ya con sus aficiones de litcrato, reconoce las
muchas causas que obran para corromper cl inglés en su patria, pcro trata de
conjurar los funestos presagios, ponderando los inconvenientes de la separaciôn
dialéctica y las ventajas de una lengua comûn, y anade : « If we cannot prevent so
sad a calamity, let us not voluntarily accelerate it » (Lectures on the English Language 4,
XXX, pp. GGG sgs., Nueva York, 1872). — Trench, inglés, después de exponer las
razones por las cuales no crée que el inglés haya de dividirse en dos lenguas,
advierte : « .Vt tlic same timc one must OAvn that thcre are not wantingsonieominous
signs. Uf latc, above ail since the conclusion of their great Civil War, some writers
on the other side of the Atlantic hâve announced that henceforth America will, so
to spcak, set up for herself, Avill not accept any longer the laws and canons of speech
which may hère be laid down as of iinal authority for ail members of the English-
spcaking race, but travel in her own paths, add words to lier own vocabulary, adopt
idioms of lier own, as may seem tho best to her. She has a perfcct right to do so.
The language is as much hers as ours d {English past und présents, p. Gi, Londres,
1873. ; Gômo contrasta este modo de expresarse con cl de D. Leo^joldo Alas : Nosotro.<
sonios los amos de la lengua.'). — \ ointe anos después escribc Sweet, inglés también :
« Through the colonization of iiritish North America in the iGth and 17111 centuries,
the Ameriean English of the United States and Canada is anothcr independent
modilicalioa of Standard English, though much less arcliaic than Irish-English.
Educaled American English is now almost enlirely independent of Brilish influence,
and dilVors froiii it considerably, though as yet notenough to niake the twodialects —
American English and British English — mutually uniiitelligible. American English
itself is beginning to split up into dialccls. Australia and .N'en- Zealand were colo-
nized during the présent century, and their educated speech dilTcrs but slightly from
Brilisli English... Thèse new dialectal diilercnces are mainly observable in the
spokcn language. Literary English still maintains its unity everywhere, a few
'< Americanisms », cxcepted... » {A Neiv EnijUsk Gramniar, 1, p. 22/i, Oxford, 189a).
M dicho de los interesados anadiré eljuicio de un extrano, compétente como el que
mâs, y de la nias cumplida iniparcialidad cientilica; hablo de Storm, cuyas palabras
traduzco liclniente en obsequio del mayor numéro : << Peculiar evoluciôn del inglés
popular es el inglés que se habla en los Estados Lnidos, el que no esta con el inglés
i-n la relaciôn de dialecto determinado, sino en la de evoluciôn del antiguo inglés
popular modilicado por dialectos ingleses mâs niodernos. El cardcter peculiar de los
americanos y sus circunstancias especiales han producido nuevas y multiples evo-
luciones. El habla inglesa y la amcricana se hallan casi en la misma relaeiiôn que el
noruego y el danés : ningùn norucgo, por purista que sea, puede 6 quiere escribir
en danés pnro; si bien en America no se ha llegado â tanto. El tipo es todavia el
inglés puro, mas raros puristas lo hablan ; la generalidad, sin exceptuar â la gente
educada, habla un idioma especial que se conoce en seguida no solo por la pronun-
linll. hispaii. b
•Î2 BLLLETI> HlSI'A-MQLÈ
que en Espatîa y las que fueron sus colonias (vuelta a la preo-
cupacion), hay dialectos y que no por eso estan amenazados de
muerte el francés, el inglés y el aleman : el caso es diferenti-
simo, porque (repitiéndome) la influencia politica, social y
llteraria de ciertos centros tiene allî a raya las hablas locales,
y no podrian ellas levantar cabeza y llegar a la categoria de
lenguas literarias 6 exclusivas de una région sin césar antes
esa influencia unificadora. Para el conjunto de los pueblos que
hablan castellano, por el contrario, faltan una administraciôn
pûblica comûn, una norma de todos aceptada que dé el tono
para el bien hablar en sociedad, y en fin una vida intelectual
comûn, que mediante el trato constante, informe lodas las
manifestaciones del pensamiento. En los paîses europeos los
dialectos son antiguos, y el habla de las capitales los va arrin-
conando y absorbïendo ; en America las divergencias son poste-
riores y no hay influencia tan poderosa que las ahogue. Detreinta
6 cuarenta anos data en los literatos americanos, no en los espa
noies, la moda de consultar, si ocurre duda, la gramatica y el
diccionario : çcuànto durara la moda? écuanto durara la dudai'
Fuera de estas razones, tan poco concluyentes como esta
visto, no hace el Sr. V. sino divagar entreteniéndose en cosas
que no vienen a cuento. Pero hay très 6 cuatro puntos que ncj
es bueno dejar sin recuerdo 6 rectificacion.
A lo que parece, no tiene el Sr. V. mas idea de lo que se
habla en America que la que le dan los libros de sus admira-
dores, los cuales se aventurarân a lo sumo a incrustar en co-
rriente frase castellana algunas voces indîgenas en obsequio
del color local, a la manera del conocido
Llora, Uora, ùrutaû,
En las ramas del yatay.
L'iacién sino tambiéu i^or una multitud de expresiones y g'i'os especiales. Es cierto
que en el estilo elevaùo la lengua escrita no diflerc mucho; pero, con lodo eso, un
escritor americano se conoce siempre por su lenguaje, particularmente cuando trata
asuntos ordinarios 6 especiales. Los buenos escritores escoceses 6 irlandeses procuran
evitar los provinciHlismos, y pertenecen ;t la literatura inglesa; los americanos 6 no
quieren 6 no pueden evitar los americanismos, y tienen la idea de qnc su inglés
es tan bueno 6 mejor que el de los ingleses : lo cierto es que es difercnte (Storm es
quien subraya), La literatura americana es pues distinta de la inglesa : una y otra
ovoluciôn de la lengua se inûuyen sin duda mutuamcnte, pero son independientes
una de otra « (ubi supra, pp. S'u-?.).
tL CASTELLAMO Ey AMERICA (j3
Por aquî se habru persuadido de que, en gênerai (segun de
sus artîculos se colige), las Icnguas no se alteran sino por la
introduccion de voces nuevas, y de que, en paiiicular, el cas-
tellano del Nuevo Mundo no difiere del de la Peninsula sino
por haberse tomado palabras referentes (( a especiales y locales
usos, costumbres, producciones naturales, trajes, etc. ». Pres-
cindiendo de la evidencia, dire que esta opinion se halla en
desacuerdo con otra opinion que razonablemente he de tener
por bien recibida en la patria del Sr. Y. : entre las resoluciones
del Congreso hispanoamericano de 1892 se lee que «. conven-
dria que la juventud que visita a Europa, residiese algûn
tiempo en Espana antes de regresar à su pais, a fin de estrc-
char los vinculos fundados en la solidaridad de lengua que
deben unir, en provecho de todos, a los pueblos de ambos
continentes», y ademas que « convendria se enviase à los
alumnos distinguidos. por via de recompensa, a las escuelas
normales de Espana. a fin de que sigan algunos cursos
de nuestra lengua ». No es necesario ser lince para ver que
esto fue redactado y propuesto por espanoles, y menos para
adivinar que el habla americana no les parece muy catolica, y
eso no por tal 6 cual palabra que rarîsima vez tendran ocasion
de usar fuera de su patria. En lugar de quejarme, agradezco
que se baya dado ese testimonio en favor de mi opinion; y
también sin quejarme anadiré que varios paises de America
creen que ellos hablan con mas correcciôn que los demâs ' ;
lo cual meramente quiere decir que notan diferencias notables
entre su modo de hablar y el de otros lugares. Por manera que
I . Menciona el Sr. Lenz la opinion de que el castellano de los chilenos bien educados,
salvo la pronunciaciôn, es mas correcte y rico que el de los demis hispanoame-
ricanos (Zeitschrift fiir roin. Philologie. XMl, p. 21 4). En la l'iltima sesiôn del
Congreso hispanoamericano celebrado en Madrid el ano de 1900. el représentante de
\enezuela « recabô para su pais el privilegio de ser la naciôn americana que con mâs
tidelidad conserva el idioma, los usos y las costumbres de la madré patria» (Corres-
pondencia de Madrid en La Aaciôn de Buenos Aires, a'i de Diciembre njoo). Ignoro
hasta que punto opiniones semejantes estân basadas en el examen y comparaciou
directa y porsonal. Faltaria â la gratitud si omiliesc el testimonio que en el siglo ivn
daba mi paisano el obispo Picdraliita en favor de los habitantes de Santa Fe de
Bogota : « Los que vulgarmente se llaman CrioUos son de vivos ingénies : hablan el
idioma espanol con mas pureza castellaiia, que todos los demâs de las Indias : incli-
nanse poco al esludio de las leyes, y medicina, que sobresale en Lima, y Mexico; y
mucho al de la Sugrada Theologia, Filosofia, y Ictras humanas» (Historin gênerai de
(•is •■onqiiislas del Xiievu Reyno de (Jnniada. ptc. I, lih. VI. cni). IV).
64 BULLETIN HISPANIQUE
los Espaùoles sienten que los Americanos iio hablan como
ellos, y los Americanos sienten que su habla no es idéntica.
En vista de esto colijo que si en America un provinciano va
a la capital de su nacion y quiere probar que ha dejado el pelo
de la dehesa, a fin de parecer culto no pronunciarà las zz a la
espafiola ni usarâ frases 6 voces madrilenas 6 do otras capitales,
porque se le reirian en la cara; sino que se acomodara al uso
de la gente culta, por mas que ese uso no parezca bien en
Espana ni en otras ciudades de America. Si esto es asi, en cada
parte habrâ modos especiales de expresarse. favorecidos por la
buena sociedad, y que es probable se aumenten y aiiaiguen de
dîa en dîa. No se me oculta que quien tenga a la visla libros
compuestos é impresos en Madrid, Méjico, Lima 6 Santiago,
necesita un acto soberano de fe para créer que la unidad relativa
de lenguaje es aparente y que bajo ella se esconde la disocia-
cion. Para liacer su creencia razonable, bastarale recordar que
la causa primordial y caracterîstica de la diferenciacion dialéc-
tica, lo que principalmente dificulta la mutua inteligencia,
no réside en la alteracion del vocabulario (como se imagina el
Sr. Y.), sino en la de la pronunciacion, con todos los accidentes
que el acento, el tono y el tiempo elocutorio acarrean en la
agrupacion y enlace de las palabras. Los que hablamos caste-
Uano entendemos sin particular esfuerzo muchas frases \ aun
periodos en un libro portugués ; pero es probable que si oyé-
semos conversar naturalmente a dos portugueses, acaso no dis-
tinguiéramos una sola de esas palabras que parecîan claras en
letra de molde. Diferencias de esa indole son hoy perceptibles
entre varios paises de America, y por la mera entonacion se
distinguen a veces los habitantes de ellos ; otros accidentes los
separan todavia mas. En los dos versos de Guido Spano arriba
citados, solo en no se presta à divergencias notables : unos
dicen llora y otros yora, unos pronuncian con toda distincion
la 6- de las ramas y otros la oscurecen, hay quien convierta del
en der, y aun la silaba inicial de la voz indîgena yalay puede
variar, una vez que en el Plata y en Méjico (Veracruz) la y se
pronuncia como la ./ francesa, sin contar que en ârutau el
acento circuntlejo de la primera // ha de indicar alguna
EL CASTEF.L.\>ô K> AMERICA 1)5
especial inflexion que no lodos acertarân; ademas no tienen
numéro los que en vez del imperalivo singular llora dirîan
llord. Para todos estàn escritos osos versos de un mismo modo,
y en diversas partes se leen difercntemente. Si anadimos la
multitud de voces nuevas sacadas de las castellanas y las acep-
ciones y construccioncs también nuevas, que ni son comunes
ni iiiteligibles para todos, resultara que en mas de très siglos
no se han estado ociosas en America las causas que modifîcan
y dividen los idiomas.
« Que las lenguas tienen mas persistencia en el dîa entre las
naciones rultas que la que tuvieron entre las nacioncs burbaras
en antiguas edades : « sea enhorabuena; pero eso no quiere
decir que se estacionen, como basta a demostrarlo cualquier
gramatica historica. Fâcilmente habra quien se imagine que
estuvo fija la lengua castellana en su edad clasica por excelen-
cia, desde las églogas de Garcilaso hasta Hado y Divisa de Calde-
r(3n; pero nada mas inexacto. En esos dos siglos se verificaron
cambios profundos en la fonética, en la morfologîa ^ en la
sintaxis, y ninguno de ellos se cumplio sin que, para genera-
lizarse, vacilaran los escritores, adelantandose unos, quedân-
dosc otros en zaga, segùn los lugares 6 la edad. En ese tiempo
se vio desaparecer la .9 y la z sonoras (la primera de las cuales
era la que el francés pronuncia en rose, zèle), y quedaron solo
las sordas que hoy tenemos; se confundieron entre si las
fricativasy sonora y x sorda (que corresponden a los sonidos
de la J y ch francesas), para convertirse luego en la fricativa
velarj; hizose déclinable quien, é indéclinables, precediendo a
un sustantivo, excepta, mediante, obstante, embargante ; las segun-
das personas de plural, que al acabar el siglo xv terminaban en
dis, éis, is agudos (llegâis, tenéis, deci'sjyen ades, edes esdrûjulos
'deciades, amdrades, vioiésedes, qaisiéredes), se fueron igualando
hasta parar, a fines del siglo xvn, en las formas hoy recibidas,
arrastrando en su movimiento la misma persona del pretérito,
que antes era siempre en tes ; se conglutinaron definitivamente
los elementos del futuro y pospretérilo de indicativo, que
todavîa scparaba Cervantes (tornaros he, amarraros he); fijose
el posponer al infinitivo los pronombres, que aun se hallan
G(î nriJ,ETl\ HISPVMQUE
antepuestos en Quevedo (deseando no las llevarj; cayeron en
desuso algunas construcciones como advertir de encajar, pro-
poner de hacer, creo que si viens que no lo hard; el vocabulario
tampoco se vio libre de alteraciones, aumentos y menoscabos :
al paso que muchos vocablos fueron acomodados 6 acercados
a la forma ptimol(jgica (medecina : medicina; escuro : oscuro),
otros padecieron una trasformacion inversa, cediendo a la
accion de procediniientos populares como asimilacion, disimi-
lacion, acomodacion analogica, etc. (intricar: intrincar; aplacible :
apacible: aparencia : apariencia, a semejanza de ciencia, obedien-
cia; emendar : enniendar, a semejanza de enderezar) ; cayeron
en olvido mucbas voces y locuciones que habian sobrevivido
al siglo XV, y tomâronse muchas, ya del latin, ya del italiano,
ya de otros orîgenes, de las cuales bastantes estân hoy en uso,
mientras que no pocas murieron al nacer; de una y otra
cosa dan ejemplo las que introdujeron los culteranos. Adrede
he escogido este perîodo para poner de manifîesto, primero
que ni los mas insignes escritores ni poder humano alguno
son capaces de atajar el movimiento natural del lenguaje, >
luego que la fuerza conservadora y regeneradora que, segiin
alega el Sr. V., tienen las lenguas para expulsar lo que no les
conviene, no ha obrado en los dos siglos trascurridos para
volver las cosas à su estado anterior. Si la lengua, pues, se
altéra siempre, y de ordinario sin que'intervenga la voluntad
humana, son ilusorios todos los consejos que se den a espa-
noles 6 americanos para que la conserven intacta 6 para que
las alteraciones sean uniformes. Si como aquéllos y éstos lo
sienten, hay diferencia en el castellano de uno y otro lado de
los mares, y en el nuevo continente entre varias regiones,
es obvio que las divergencias que han aparecido en el curso
de mas de très siglos, pueden aumentarse de la misma
manera que se han originado. Aunque hoy no impidan el que
nos entendamos, nada importa el grado de un àngulo (segiin
expresion de Whitney) si las dos lîneas que lo forman han de
prolongarse por largo espacio. Lograrâse que los escritores se
ajusten en mayor 6 en menor grado a cierto tipo extranacio-
nal, como en la edad média se logro a veces que se escribiera
EL CA.ST£LLA.>0 EN AMEKiCV
mejor latin; pero la Icngua corriente de la conversacioii
culta gozara en todas partes de libertad mayor, y como ella
es base de la lengua literaria, el dîa en que las dos se
diferencien considerablemente, el dialecto popular invadin'i al
literario : el romance vencera al latin. Los libros en que se
registran las j)articularidades del habla americana son va bas-
tantes y algunos voluminosos; démos que los verdaderos
provincialismos quepan en la octava parte de esos volûmenes :
siempre exigini no poco estudio y cuidado el evitarlos. Tengo
a la vista très libros de très naciones americanas en uno de los
cuales se tacha como grave error el empleo del verbo enfermar
con un pronombre reflejo (ella se enferma) y el galicismo de
usar el qae en frases por el estilo de conforme à esos principios
es que debe procederse, y en el mismo libro incurre el autor en
esos defectos; en otro veo a un mismo tiempo improbado y
varias veces usado el verbo solucionar ; en cl tercero hallo esta
frase : « Hasta que murio P. B., ccharon de ver que habia sido
un insigne poeta, » no obstante que en su lugar oportuno osIj'i
advertida la incorreccion de omilir el no. Si eso sucede a los
que estudian estas malerias, d que no harâ el comùn de los
mortales?
Trae el Sr. V. a colacion el caso de las regiones donde
se habla aiîn la lengua griega, en las cuales « se procura
que se borren las diferencias que el vulgo ha introducido
por defectos de pronunciaciôn 6 por ignorancia de la gra-
mâtica, y que la lengua adquiera en todas partes cierta
uniformidad y mayor semejanza con el antiguo y clâsico
idioma ». Si alguna paridad hubiera con el caso del castcUano
en America, por cierto que lo- que realmente pasa no favore-
ceria a la opinion del Sr. Y. Adquirida gloriosamente la inde-
pendencia y fundada la nacionalidad, nccesilaban los griegos
una lengua en que se dieran las leyes,se ensenaran las ciencias
y las artes y se encarnaran las creaciones del ingenio. Lo
natural hubiera sido valerse del dialecto corriente en el centro
de donde habia de procéder el impulso, y cultivandolo y
ennoblcciéndolo, hacer de él la lengua nacional ; y asi lo pen-
saron acertadamente algunos, como el célèbre Corais, juzgando
()^ lU'IJ.F.TlX HISPANIQUE
que iomar para vehiculo de culture un lenguaje extrano al
pueblo era tanto como privar de los beneficios de ella a los
que mas los necesitaban. Peio al mismo tiempo se habîa conser-
vado como lengua literaria un griego muclio mas arcaico, y
poniéndose de por medio la vanidad, dejâronse llevar los
griegos del hipo de asemejarse mas y mas a sus mayores, y
mirando como indigno de los libros el idioma de la conver-
sacion, empezaron a introducir en aquella lengua artificial
voces antiguas, a eliminar las de origen foraslero y a reducir
formas giamaticales al tipo clasico. Filologos entendidos asî
on el griego antiguo como en el moderno h an tenido por grave
desacierlo la pretcnsion de hacer que una lengua vuelva
fragmentariamcnte algunos siglos atrâs, y augurado pioximo
desengafio : quiza no van errados. Al paso que la poesîa lîrica
y la épica se mantuvieron mas 6 menos fieles a la forma
popular, nadie se atrevîa en la prosa âdejar aquellos peligrosos
senderos, hasta que en 1888 publico el Sr. Psichari su libro
Mi viaje en la lengua corriente de Atenas. No le han faltado
seguidores, y el habla popular ha ganado terreno en otios
géneros, a pesar de la resistencia natural que opone siempre
la fradicion, y que recientemente se ha manifestado en los
ruidosos conflictos ocasionados por la traduccion de la Sagrada
KscHtura en lengua vulgar'. Si este movimiento triunfa, sera
nuevo argumento de que las lenguas literarias no se forman
mediante restauraciones arqueologicas, sino con el sabio
cmpleo del habla corriente : sean testigos la Divina Comedia,
la Celesfina y la Biblia de Lutero. Por otra parte, los defectos
de pronunciacion y la ignorancia de la gramâtica que convir-
tieron el griego de Platon y Sofocles en el de los cleftas y pali-
caris, son exactamente los mismos que convirtieron el latin de
Giceron y Virgilio en el romance que con la lèche mamaron
Petrarca y Garcilaso ; los mismos que han producido los
I. He sacado estas noticia» de los libros siguientes : Mullach, Demetrii Zeni Para-
phrasis Balrachomyomachiae vulgari graecorum sermone scripta, pp. xvii, i52, Berlin,
1887; G. Deville, Elude du dialecte Tzaconien, pp. 99, i3i, Paris, 18OG; G. Meyer, Essays
und Studien, I, p. n 1-2, Berlin, i885 ; Thumb, Handbuch der neugriechischen Volksprache,
pp. VII, VIII, Estrasburgo, 1890. Aqui, como en otros puntos, cito algunos libros poco
nuevos, para que consle que estas son cuestiones viejas, dilucidadas y resueltas, hace
tiempo, en sentido diferente de lo que ahora discurre el Sr. V' .
EL C\STKI,L\NO EN AMÉKICA G()
americanisnios que alguna vez confiesa el Sr. ^ . le ofenden
en libros americaiios, y los espaùolismos que a veccs lambién
ofenden à los amcricanos en libros espanoles : manifcsluciones
lodas de la evolucion latal del lenguaje, incoercible en todos
los tiempos y en todos los climas.
\o olvidaré que la restauracion arqueologica es pelig^rosa :
al mismo Gorais se le hizo ver que algunas de las que él
intento eran erroneas ; y para hablar de casa, a los restaura-
dores de las letras espanolas en el siglo xviii se debio el uso
disparatado de sendos que tanto ha dado que hacer a los gra-
mîiticos, y el de la forma verbal en -ara con el scntido de
pretérito y copretérito de indicativo, con que nos han aburrido
los poêlas. Ni dejaré de indicar (en contra de lo que lambién
se me ha opucsto) que los monumentos de las épocas pasadas
tienen limitadisima intluencia para uniformar un idioma
(punto exclusivo de que en esta discusion se Irata), y no pue-
den imitarse sino con suma discrecion : pruébalo el efecto
desagradabilisimo que producen cierlos escritos taraceados de
antiguo y moderno con que, pensando lucir bizarrîa de len-
guaje, nos regalan de cuando en cuando autores espanoles y
americanos. Cuando leemos una obra cuyo vocabulario 6
fraseologia discrepan de lo que diariamenle cmpleamos, tradu-
cimos luego mentalmente esas discrepancias (en cuanto sean
intcligibles) à nuestro modo de hablar, haciendo lo mismo que
al leer en una lengua extranjera antes de estar habituados a
pensar en ella; de manera que en varias comarcas, en tiempos
diferentes, la traduccion puede ser diversa y no alterarse en
nada el dialecto a que se hace : después de recrearse con un
capitulo de Cervantes 6 de Fr. Luis de «Léon, signe una persona
culta (cuanto méis una iliterata) hablando como antes. Me
parece que a este acto psicologico se debe el que los copiantes
y c'ajistas acomoden instintivamente a su especial lenguaje el
de libros antiguos y aun el de los modernos; si bien en oca-
siones obra, para producir igual resullado, el designio de faci-
litar la lectura a las personas a que se destina la copia 6
edicion. Uno y otro ha sucedido en la literatura espaùola,
segûn lo comprobé en otra ocasion; pero hay mas : en nuestro
70 BULLETIN HISPANIQUE
liempo no se han contentado algunos con esta parcial Iraduc
cion, sino que, a la mancra que otros refundieron las obras del
teatro antiguo para hacer tolerable su representaciôn', ellos
han hecho también refundiciones complétas de libros en
prosa, sustituyendo al original una redaccion de di verso vora-
bulario y estilo^ Vese pues que en Espana mismo hay quienes
juzguen que no es conveniente ni posible proponer como
I. V. Morol-Fatio, La Coinedia espagnole, p. 29, y la nota.
a. La ediciôn de la Hisloria de los movimientos y separacion de Cataluna y de la
guerra... por Melo, que imprimiô Sancha en 1807 y que se ha copiado tantas veces,
esta completamente modernizada (empezando por el tîtulo) : fuera de liaberse
reducido muchas frases al gusto actual, se eliminaron los inflnitivos asimilados en
aile, elle, ille, con las segundas personas esdrûjulas en âredes. éredes, se anadio cl
articulo â los nombres nacionales como franceses, que no lo llevaban generalmente
cuando signifîcaban los fuerzas militares (ocupdronla franceses), etc. Lo mismo La
Celestina publicada por Amarita en 1822, y tan injustamente alabada : léese en ella,
contra las ediciones que sirvieron de base, cojear por eoxquear, llamadla como qui-
siéredes por Uamalda como qiiisierdes, mientras por mientra, traérsela por traérgela,
descender por descendu-, esloy por eslô, trasquilar por tresquilar. las doce dan ya por
da, etc. Mencionaré algunas refundiciones complétas : sea la primera la de las Guerras
civiles de Granada de Pérez de Hita, de las cuales daré una muestra escogiéndola en
la segunda parte, parque las ediciones do la primera, ya en cl siglo xvii, ofrocen
variedad; no asi las de la otra, pues estdn conformes las cuatro que tengo à la vista
(Barcclona y Guenca, 1C19; Madrid, 172,5, 1731). Es del cap. XIV :
(Guenca, 1619, fol. 190, V. Barcelona, (Amarita, i833, II, p. 289-290; Bibl. de
i6if), fol. i58, v°.) Riv., m, p. 639".)
Forluna no contenta con esto, quiso Mas no parô aqui la desgracia : el valc-
passar mas adelante con su improspe- roso capitân Géspedes, por orden del
ridad : y lue que el valeroso Cespedes senor don Juan de Auslria, estaba puesto
cstaua en la puente de ïablate en pre- de presidio en la puente de Tablale para
sidio, por orden del senor Don luan de que los moros de la sierra no pudiesen
Austria, porque los moros de la sierra bajar â los lugares que estaban sobre el
no pudicssen baxar a los lugares cer- camino de Granada; y habiendo tenido
canos, que estauan la via de Granada. noticia de la derrota de los crislianos del
Y el valeroso Capitan tuuo noticia de la puerto de la Ragua, deseoso de vengar
rota de los Ghristianos del puerto de la injuria, subiô con su compailfa â lo
la Ragua; y por vengar la injuria con su alto de la sierra buscando al enemigo.
compailia, subiô a lo alto de la sierra Ciertamente la salida fue desordenada,
on busca del enemigo, confiado en su y asi correspondiô el éxilo. Los moros
valor. Esta salida fue a su modo, y sin reconociendo al instante la poca gonte
orden, y assi le sucedio. Mas porque los que traia, le acoraetieron con valor, y
moros reconociendo la poca gente de su â poco tiempo toda la compailia con su
bandera, le acometieron tan brauamente, capitân fue desbaratada, quedando esto
que el valeroso Capitan, y su gente fue muerto en el campo y su cuerpo despucs
desuaratado, y su bandera perdida, y el hecho pcdazos, pues por la fama de su
muerto con mucha crueldad, porque valor no hubo moro que no le hiciese
a la fama de su valor, no auia moro que hcrida; cogieron la bandera, y Uevaron
no le diesse herida despues de muerto, por gran reliquia el alfanje ensangron-
lleuando por gran reliquia cl alfange tado de Géspedes al reyecillo. Sin em-
cnsangrontado do su sangrc. Mas el bargo, Géspedes vendiô bien cara â los
valeroso Cespedes vendio altamente su moros su vida, peleando antes como
vida, peloando como varon fuerlc y varon forlisimo, porque se hallaron mas
belicoso, porque de su mano se hallaron de cien moros partidos por su mano
El- GASTELLANO EN VMERIC V
modelos las obras antiguas sin modernizarlas. ^^o habrâ, por
consigiiientc, cierta candidez en pretender que los americanos
nos ponganios a imitai* lo que lantos espanoles dan por muerlo?
cHO séria aumentar las divergencias que nos separanPFuerade
mas de cieii moros parlidos por modio,
y desdo los hombros hasla la cinta, con
la luerça de su poderoso ])raço, acom-
panada de una ospada la mejor que
ténia el niundo Valenciana, de mano
y média, hancha de très dcdos, tan
fornida, que pesaua catorze libras. Yo
doy fè que la vide en Vora, y la tuueen
mi mano, y la vi pesar. Pues boluiendo
al caso, cl valeroso Capilan no muricra,
ni los suyos se pordicraii, si don Antonio
de Luna, que venia del Ucal de Orgiua
le socorricra, que lo pudiera hazer muy
bien, por llcgar uuiy ccrca de alli, y ver
la batalla con sus ojos.
dcsde los hombros hasta la cintura con
la fuerza de su poderoso brazo, mane-
jando una espada valenciana que era la
mejor del mundo, ancha de 1res dedo»,
y tan lornida que pesaba catorce libras.
Doy fe de que la vi en Vera, la luve en
mi mano, y presencié el acto de pcsarla.
Fuc tanto mas dolorosa la pérdida deste
valicnlc capitân y los suyos, cuanto que
don Antonio de Luna, que venia del real
de Orgiva, pudo muy bien socorrerle
habiendo llegado muy cerca de alli, de
modo que vio la batalla por sus propios
ojos.
Daré otra muestra de una obra del siglo xvi, reimpresa no ha muchos anos, cuyo
titulo y éditer callo por particulares respetos :
Texto original
Pues advierte que aunque el Profeta
santo dize en el capitule primero, que
eran qualro : en el decimo dize que era
vno. Este ténia rostro de leon, de aguila,
de bezerro, y de hombre. Por este myste-
rioso animal es sinificado el varon justo,
ocupado todo en este espiritual exercicio,
que voy platicando. El quai como leon
se retira a la soledad : como hombre se
humana y trata con los hombres...
Reimpresiôn
Pues advierte que, auu cuando el
Profeta santo dice en el capitulo pri-
mero que eran cuatro, en el décimo
expresa que era uno. Este tenîa cara de
Icôn, de âguila, de becerro y de hombre.
Por este misterioso animal es signiflcado
el varôn justo, ocupado todo en este
espiritual ejercicio de que voy hablando.
El cual, como leôn, se retira â la soledad ;
como hombre, es humanitario y trata
con los hombres...
Pues assi bas de entender que passo
en Christo nuestro Redemplor, el quai,
orando en el huerto sudo sangre en
abundancia, no del miedo que liuvo a
los açotcs, corona de espinas, bofetadas,
clavos y muerle (que si esso fuera, que-
dara descolorido, por aver de acudir
necessaria mente la sangre a favorccer al
coraçon, donde se siente y padece el
miedo) sino de la vehementissima âpre,
hension de las afrentas anexas a essos
mismos tormcntos, y infâme muerte.
Y porquc no solo en el rostro, sino en
todo su cuerpo santissimo avia de padccer
afrenta, porque le avian de desnudar en
medio del dia, y de tan gran concurso
de gente, y gonte tan perversa y mala,
acudio cl sudor a todo el cuerpo. Y por-
que esta afrenta y vergucnça avia de ser
en estremo mayor, que la que han pade-
Pucs asf bas de entender que aconteciô
en Cristo. Nuestro Redentor, orando en
el huerto, sudô sangre en abundancia,
no por miedo que tuviera a los azotes,
corona de espinas, bofetadas, clavos y
muerte; que si eso fuera, quedara desco-
lorido, por haber de acudir necesaria-
mente la sangre â favorccer al corazôn,
donde se siente y padece el miedo, sino
â las afrentas consiguientes a esos mis-
mos tormentos y muerte infâme. Y por-
que no solamente en el rostro, sino en
todo su cuerpo santisimo habia de
padecer afrenta, supuesto que habia de
ser desnudado en medio del dia y ante
una concurrencia tan grande de gcntes,
y gentes lan malas y perversas, se ori-
ginô el sudor en todo su cuerpo. Y por-
que esta afrenta y vergiienza haJJÎa de
ser en extremn mayor que las padecidas
72 BULLETIN HISPAIVIQUE
que nada, en gênerai, es mas ocasionado a impropiedades que
el prurito de dar a las ideas una forma diferente de aquella
en que fueron concebidas ; lo cual podria comprobarse men-
cionando obras de varios escritores nacidos a uno y otro lado
del mar'.
Explotando el Sr, V. lo que generosamente se le ha ocurrido
achacarme, hace rechifla de que yô lo haya leîdo todo, desde
el poema del Cid, para sostener que es falso que la construc-
cion entrar d la casa sea americanismo, como lo han asentado
diccionaristas espanoles, invocajido a ciegas y a bullo la
autoridad de los clâsicos; lo que, al decir de mi agresor, me
cido y pueden padecer los hombres, la y cuantas pucdaii padecer los hombrcs,
imaginacion délia fue tan poderosa, que la imaginaciôn de ella fue tan poderosa.
no se contenté con sacar la sangre a la que no se limité con arrebatar la sangre
tez del rostro, y cuerpo, que es hasta al rostre, que es hasta donde suele llegar
donde suele llegar el color sanguine© en el color sanguinoo en los que sufren
los que padecen afrentas, sino que desa- afrcntas; sino que, desaforada como un
forada como vn cavallo desbocado y sin caballo sin freno, no solo corrié â inyectar
freno, no solo niojo cl cuerpo. y las olros muchos pu n los de todo el cuerpo,
vostiduras, sino que corriendo en tierra, sino que traspasé la piel por sus poros.
le dexo hecho vna zarpa. Y que mucho manche las vestiduras y regé el suelo.
que passasse esto en Christo, que era ,;¥ que mucho que pasase esto con
Dios verdadero, pues aun en los hombres Cristo, que era Dios verdadero, cuando
fs facil provar lo mismo?... en algunos hombres, y aunque en mo-
nor escala, algunas veces se ha obser
vado lo mismo?...
El cotejo de las redacciones sucesivas piiede ser util para cl estudio histérico de la
lengua; pero como uo se conozca sino una posterior, es facilisimo incurrir eu
errores. ïomando yo como fiel el Melo de Sancha, dije (flomo/u'a, XXll, p. 79) que
ese autor habîa empleado las formas sincopadas de las segundas pcrsonas de plural,
lo cual es falso; Gessner, creyendo â la Bibl. de Rivad., advierte que en la segunda
parte de las Guerrns civiles prédomina el plural quiencs y en la primera qaien, lo que
no proviene sino de que esta fue menos modcrnizada (Zeitschrift fiir rom. Philologie,
X\ 111, p. iôa). Aribau, hablando de la misma obra (por supuesto conforme al texto
que él publica), escribe estas palabras risibles : « Una de las singularidadcs que mâs
admiramos en Ginés Pérez de Hita es, que si se toma cualquier pasaje de su obra,
nos parecerâ escrito modernamente por una dieslra pluma, después que el lenguaje
ha participado del progreso de los conocimientos en materias ideolôgicas. Parece que
adiviné el modo con que habian de hablar los espanoles mâs de dos siglos después
que él )> (Bibl. de Riv. 111, p. xxxvi). Por mi parte, después de aquél y otros enganos,
me he vuelto desconfiadisimo : los neologismos tanto mâs cuanto que, humanitario,
inyectar, en menor escala de los pasajes cotejados me pusieron sobre aviso, y decidî
averiguar el caso. De aqui résulta que no es prudente atenerse â ediciones modernas
cuando se trata de la historia de la lengua.
I. Ignoro si se ha aumentado, y cuânto, en la generalidad de los espa-
noles la aficién â leer sus clâsicos, desde la época de Fernân Caballero : « Lalour,
dans un de ses articles, avait écrit : '< Les Espagnols aiment beaucoup leurs poètes,
» qu'ils ne lisent pas.» Là-dessus, Fernân s'écrie: « ;Qué verdad, que verdad,
» empezando por mil Pero, ijquién lee tanto, tanto. lanlo.^» (Bulletin hispanique,
m, p. 266.
EL CASTELLAJiO EN AMERICA 78
pone en contradicciôn con mi teorîa. Estas son sus palabras,
en que se dan la mano el buen sentido, el buen estilo y la
buena filologîa : « El mismo senor Don Rufino José Guervo,
contradiciendo en la prâctica su teorîa, ^:no nos da un her-
moso ejemplo que imitai*, escribiendo y publicando su Diccio-
nario de co/tstrucciôn y régimen (aquî los elogios de cajon),
donde se citan millaies de autores que esciibieron una lengua
en que solo hay cuatro 6 cinco cuya lectura pueda aguantarseP
Sin sacar nada de gusto ni de provecho de dicha lectura, el
Sr. Guervo lo ha leido todo para decidir, pongumos por caso,
que desde el poema del Cid hasta cualquier escrito de ho\ [PJ,
lo mismo puede decirse eiitrar en la casa que cidrar n la casa.
En suma, cuando para poner en claro puntos semejantes, se
gasta tanto tiempo, se estudia tanto y se vence la repugnancia
que deben inspirar obras insulsas, que no traeii provecho ni
gusto a quien las lee, algo valdra é importara y algiin vigor
de vida tendra aiin la lengua en que dichas obras estan escritas.
Permîtasenos al menos exclamar con las lagartijas [la lagartija]
de Iriarte cuando vieron al sabio que las estaba disecundo :
Valemos mucho
Por mâs que digau. »
Para el investigador cientifîco no existen las diferencias que
entre las cosas establece la preocupacion vulgar : por el mismo
tiempo en que el buen Iriarte escribia 6 publicaba su fabula,
Galvani y Volta, disecando ranas (que para el fabulista no
valdrian mas que las lagartijas) iniciaron las maravillas que
han trasformado las ciencias y la vida moderna; cosa que- no
se si se lograra con el elefante 6 el leon, personajes siemprc
vénérables en el escenario esopico. Mientras que la adoracion
de las lenguas sahias retardé los progresos de la lingûistica, el
habla de los pobres campesinos de Lituania vino a ser precioso
eslabon de la familia indoeuropea, y no lo es menos de nuestra
familia romanica el habla de los atrasados montaneses del pais
rético : ni los unos tienen que envanecerse de lo que por su
lengua hicieron un Kurschat 6 un Schleicher, ni los otros de
los. dcsvelos de un Ascoli 6 un Gartner : mâs l)ieM han de
^4 BULLETIN HISPANIQUE
mirar con carino estos insignes y desinteresados cultivadores
de la ciencia a las lenguas incultas que les han permitido dar
nueva luz à la historia de la civilizacion. Si el Sr. Y. llega a
convenir en que la filologîa es disciplina cientifica, que no
puede saberse si no se estudia de raiz, liabra de confesar que
tan respetable es, en su género, la aplicacion del que rastrea la
historia de las construcciones gramaticales como la del que
détermina la orbita de un cometa 6 las estratifîcaciones del
globo terrestre, 6 la del que averigua la fecundacion de las
primaveras 6 la reproduccion de los pulgones. A los ojos del que
estudia una lengua como fil(31ogo, tanta importancia pueden
tener los fragmentos de una lapida en que apenas se descifran
algunas palabras, 6 un instrumente de donacion barbaramente
escrito en que figuran personajes desconocidos, como las obras
mas acabadas del ingenio humano; y si de su estudio no saca
provecho alguno para las obras que escriba, los elogios que se
le hagan, seran injustos 6 ironicos. Para cohonestar la preten-
sion de que la literatura de un pais lejano actiie como factor
linico en reducir a ese solo tipo el lenguaje de un continente,
se necesitarîa que abarcara esa literatura todo el cùmulo del
saber humano, y que por el numéro de las obras y sus cuali-
dades de fondo y de forma satisficiera cumplidamente las
necesidades de la cultura actual.
Todo lo que, proponiéndolo a nuestra imitacion, alega el Sr.
V. sobre el florecimiento de la lengua en Rusia y en Servia, en
Cataluîia, Hungrîa, Bohemia, Groacia y entre los polacos
acosados por los mismos que los han privado de patria, es
tanto como dar por no existente la vida propia de las naciones
americanas. Lo que allî se esta verificando obedece 6 a la con-
ciencia de la unidad nacional 6 a causas politicas que estrechan
la simpatîa de los individuos, avivan los recuerdos y las tradi
ciones y hacen mas grata la lengua que los atesora. Aunque
mas se pérore y se diga en los congresos literarios, nada de
eso existe entre la que fue metrôpoli y las que fueron colonias.
Los espaîioles miraron siempre con suspicacia y desdén a los
americanos^ y la arrogancia con que los trataban no fue, en
concepto de todos, la menor entre las causas de las guerras de
EL CASTELLAJiO EN AMERICA -jb
indcpendeiicia û principios del siglo xix '. Me inclino a créer
que hoy los americanos no guardaii ni sombra de ese l'encor, y
que si en la mayor parte hay indiferencia, los espanoles cuen-
tan con las simpatias de muchos; pero, por lo que siento, con-
jcturo que si hubiera una guerra entre un estado americano y
un pueblo de otra lengua, a nadie se le ocurrirîa evocar los
recuerdos de Covadonga 6 de Lepanto : otros nombres se pre-
sentarîan antes para excitar el entusiasmo palriotico. De
algunos anos à esta parte les ha venido a algunos espanoles la
idea de atraer à los americanos con las consideraciones de la
igualdad de raza, lengua, costumbres y religion (temas muy
propicios para las declamaciones huecas), y sobre todo hala-
gando su vanidad literaria ; por desgracia, acontecimientos de
nuestra historia moderna demuestran que taies consideraciones
nada valen en la practica, y los elogios mismos, por su exor-
bilancia, han hecho dudar a no pocos de la sinceridad con que
se prodigana; ademas, el traslucirse que semejantes manifesta-
I. Vaya una rauestra : Alamos Barrientos, cl conocido traduclor de Tacito, escribia
en 1598 hablando de la gentc que entonccs habilaba las Indias : « De niancra que no
quedan sino es très gcneros de personas en aquellas partes de quienes se puede > ivir
con rccelo : todos los espanoles nacidos y bacendados en aquellas provincias, conciuis-
tadores y descendicntes de ellos, y los forastcros que han ido a ellas 6 por enriquecer
ô por huir de Espana y de sus necesidadcs. De unos y de otros hay dos especies y suer-
tos de hombres, ricos y pobrcs (que en aquellas partes no se conocen ni conliesan raâs
linajes). Los ricos y que ticnen hacienda que pcrder, no son buenos para revuellas y
rebeliones; y para que no sigan [â] los que las hicieren, es tacil sustenlarlos y gran-
jear su alicion con cualquiera beneficio, por pequefio que sea, 6 sean niercaderes con
asiento allf, 6 cualquiera otra suerte de gente... Los pobres son los forasleros y
vagantes sin oficio ni ministerio pûblico, que necesidades, delitos y afrenlas recibidas
en esta tierra Uevaron â aquellas, 6 los mismos naturales pobres por accidentes, y los
descendientes de los conquistadores, y los mestizos, hijos de indias y espanoles ; gentcs
todas faciles para introducir y admitir novedades, livianas de entendimiento, y que
en cualquiera parte del mundo, â juicio de los prudentes, se tuvieran por una gran
semilla de alboroto civil, y mas en aquella tierra, que, ô sea por cl clima del cielo
que tiene sobre si, 6 por los aires que corren, 6 por los mantenimicnlos que produce,
hace â la génie que entra en ella semejante â la nalural, y aun peor, mentirosa, trapa-
cera, cnganadora, desleal, ambiciosa, altiva y amiga de mande y senorio por cual-
quiera camino que sea, aunque el mâs ilicito; soberbia con los mcnorcs y abatida con
los que tienen mando y superioridad sobre ellos. Eslo es por la mayor parle, que
confieso tambien que hay muchos que con la virtud vencen sus mismas inclina
ciones n {^L'arl de gouverner. Discours adressé à Philippe III (1098). itublié pour la pre
mière fois en espagnol el en français... par J. M.Guardia, p. 29, Paris, 1807, Pion. Aunque
esta obra ha sido atribuida â .Vntonio Pércz, el docto edilor prueba concluycntemente
que es de Alamos Barrientos). Aqui vcndria bien, para mostrar la conlinuidad, poner
las palabras de un afamado escritor contemporâneo, mâs brèves pero igualmente
amabics para con los americanos; ya han sido citadas por otros, y peor es meneallo.
(Véase Pineyro, Hombres y glorias de America, pp. 399 sgs., Paris, 1903.)
2. «Gonsumado en bcncvolencia (el Sr. Valera), su misma suave amabiiidad se
Iruoca en lormidablc arma on casos romo cl de las Cartas americanos, dondc la excesiva
76 BLiLLETl> HISPAMQUE
ciones han sido capa de propaganda comei'cial, no put'de
menos de ofender a los amantes desinteresados de las
letras'.
Gomo el Sr. V. no ha invalidado ninguno de los principios 6
de los hechos con que he sustentado mi tesis, ni aducido razon
6 investigacion cientifica que esclarezca la cueslion (cosa poco
extrana en quien a si propio se califîca.de « atrasado aprendiz
de filologo »), y al escribir sobre el parlicular para Madrid,
Buenos Aires y Méjico no ha querido sino desahogarse contra
mî, escogiéndome entre los que han dicho lo mismo^, el
decoro me obliga a guardar silencio aunque dicho Senor siga
urbanidad produce enteraniente el efeclo de la severa censura; se déjà el libro bajo
la impresiôn de que los escrilores del continente sudamericano quedan ahogados
bajo el peso de las flores que un habilisimo cortesano les prodiga.» (Fitzmaurice-
Kelly, Historia de la Uleratiira espafioia desde los orîgenes hùsta el ano de 1900, trad. de
D. A. Bonilla y San Martin, p. 027. Madrid. El Sr. F.-K. pinta admirableniente el
efecto de la obra ; la aplicaciôn de la cita a la idea expresada en cl texto corresponde
â la opinion de varies americanos.)
1. Obligado por la discreciôn â no valermc de documentos de cierto orden, citaré
tan solo esta prueba : el Sr. V. en un libro reciente, habiendo liablado de la conducla
internacional que, en su concepto, conviene â los pueblos que hablan castcllano, con-
cluye : « Justo y razonable es olvidar anliguos rencores y mutuas quejas, y estrechar
lazos de nuestro fraternal afecto, con el trato mâs intimo y frecuente y con el conoci-
miento y canibio de nuestras producciones, sobre todo intelectuales .»
2. Harc dos citas que tomo del ilustrado literato argentino D. Eruesto Quesada :
« Personalidad tan descoUantc en la Peninsula como R. Altamira, decia al que esto
escribe : k Creo que la campafia pan-iberista, en lo que respecta sobre todo â las esferas
en que nosolros podemos intervenir (pues dejo a un lado la cuestiôn de las relacioncs
comerciales, que es capitalisin;a, pero que ha de brotar de otras fucntes), tiene que
basarse en un profundo conocimienlo mutuo. .\osotros sabemos poquisimo de ustedes :
y ahi, salvo unas cuantas personas de cultura et-pecial, el resto, aun de los letrados é
intelectuales, solo conoce de Espana los nombres y libros de ajgunos litcratos (quizâ
también de algunos eruditos) y la leyenda de nuestro obscurantismo; pero de nueslra
escuela libéral moderna, de nueslros filôsofos, pcdagogos, sociôlogos, economistas,
juristas, etc., de la obra fructifera que hacen y merced â la cual seguimos viviendo
(aunque en minon'a) con el espiritu moderno, de eso nada absolutamente se sabe, y
es, sin embargo, lo que podria hacernos mâs simpâlicos en America y lo mejor que
podemos ofrecer para la intimidad intelectual con ustedes» (Revista del Aleneo, II,
p. 89). El Sr. Altamira ha puesto la cuestiôn en el mismo terreno que yo : si en
Espana hay todo eso, â America no llega, y por tanlo no puede ejercer inlluencia de
ningûn linaje. La otra cita es do otra cuerda : « Murho mejor séria para nosotros, —
lia dicho recicntemente revista tan autorizada como La EspaFia Moderna — y araso
para los americanos de nuestra raza, que Espana siguiese siondo la metrôpoli inte-
lectual de sus antiguas provincias del Nuevo Mundo. No lo es, y ante el hecho sirve
de poco la dialéctica. Estas primacias intelectuales no se ganan por tilulos histôricos,
ni por los meros vincUlos de consanguinidad y de raza. Requiercnunasuperioridaddc
cultura que no poseemos con reiaciôn â otros pueblos de Europa, y no podemos cen-
surar en jiisticia â los hispanoamericanos porque busquen inspiraciôn en esos pue-
blos » (£i Pro6/eHia c/e Za ie;î(;ua, p. ii5-6; Buenos Aires, 1900). Pero esto es tortas y
pan pintado en comparaciôn de las atrocidades que ha dicho el Sr. V., como se verâ
en la nota siguiente : tal se me figura que la ira de este senor conlra mf es el dcspc-
cho del remordimiento.
EL CASTELLAPiO EN AMÉUICA. 'J'J
enviando sus agudezas y discreciones à los cuatro angulos del
mundo'. K. J. CUEKVO.
I. Es sensible que un cscritor de la rcprcsentaciôn social y literaria del Sr. V.
incurra en olvidos que podnaii compararse a las artes de que se valen pcriodistas de
raala loy para mejorar su causa y dcjar l'oo al adversario : plantée incidenlalinente y
siii intencioii do lierir â nadic, aplicândolo al castellario eu Aniérica y cou datos a
mi parecer cicrtos, un probicma de lingùistica gênerai resuello uiuclius afios anles en
el niisnio senlido asi en abstracto como cou respecte al castcllano y al ingli's, y adverli
que la idea no cra mi'a : empôûase el Sr. V. en alirmar que yo solo soy el profeta,
conio receloso de que se ponga en duda su acierlo si déjà ver que va contra el sentir
de franceses, alemanes, ingleses 6 norteainericanos; asenté claranienle que la disgre-
gaciôn compléta del castellano no era cosa de nianana (« estâmes pues en visperas —
que en la vida de los pueblos puedeu ser bien largas — de quedar separados...»;
« Pero, amigo mio, esto es todavîa cuento largo, y mientras nos entendemos... »),
y el Sr. V. alîrma que yo la juzgo inminenle; hablo con absolufa iiulependencia
cicntîfîca, sin amor ni desamor, y el Sr. V. da â entendcr que yo abrigo alguna cspe-
rauza 6 dcsco de que eso se realice, y aun me acliaca la crecncia de que cou la multi-
plicacién de las Icnguas se nos aclararân las cntcndcderas; êslimando como el dato
mâs importante, después de la frecuente comunicacion, para pronosticar la unidad
6 la disgregraciôn de una lengua que se habla en un vasto territorio, el saber si
existe 6 no un centro de iniluencia literaria, social 6 politica que imponga su modo
de expresarse â los individuos que se sirven de ella, lo manifesté dicicndo : « La
iniluencia de la que fue metrôpoli va debilitândose cada dîa, y fuera de cuatro 6
cinco autores cuyas obras leemos con gusto y provecho, nuestra vida iutelectual se
dériva de otras fuentes, y careccmos pues por complcto de un regulador que garan-
tice la antigua uniformidad »; pues bien, el Sr. V. en su arli'culo de El Imparcial,
que titulô : « Sobre la duraciôn del habla castellana, con motivo de algunas frases del
Sr. Cuervo » (luego él fue el primer contradictor y no yo, como sale diciendo), no
solo reconoce cl liecho, sino que lo agrava en térrainos de una crudeza tal cuales
acaso ningiin americano habri'a empleado : « Fuera del teatro (dice), adondc acude
la gentc por lo muy afîcionada que es â divertirse, apenas hay literatura popular en
Espana. La i^oesia en verso y por todo lo alto esta en gênerai harto dcsacreditada,
y d pesar de Quintana, Gallcgo, duque de Rivas, Espronccda, Zorrilla, Campoamor,
Nùnez de Arce y bastantes otros que viven 6 han vivido en el siglo que esta termi-
nando, se nos anuncia fatfdicamcnte que va â desaparccer la forma poética. Y no se
créa que lo escrito en prosa ha conquistado todo el favor y esté muy boyantc. Si
exceptuamos â D. Bcnito Pérez Galdôs y â otro par de autores â lo mâs, apenas los hay
hoy eu Espana verdaderamente populares y cuyos libros se compren y se lean. Con fati-
gas lendri'anios que andar hoy para completar et numéro de los cuatro 6 cinco autores
de que habla el Sr. Cuervo y cuya lectura trae gusto 6 provecho â los americanos. Ni
siquiera en Espana caemos en gracia. » Y después de esto signe dândosc por scntido é
importunandocon lo del gusto y provecho; sin embargo, como mis palabras no ledaban
motivo suliciente para provocar contra mi las iras de sus favorecidos, en La Tribune las
adultéra asi : (( Tan déplorable es, si hemos de créer al Sr. Cuervo, la csterilidad de
nucstro pensamiento que fuera de cuatro 6 cinco autores cuyas obras leeino'^ con gusto y
proveclio, nuestra vida inteleclual se dériva de otras fuentes : n eso que el Sr. V. subraya
lo ha dicho él y no yo. Aun con mayor desenfado (para no emplcarel términopropio),
intenta liacer créer que yo he dicho que en toda la literatura castellana, desde sus
albores hasta hoy, no hay sino cuatro 6 cinco autores que se lean con gusto y prove-
cho. Semejante machacar en lo del gusto y provecho (cinco veces en El Imparcial, una
en La Xaciôn y otras cinco en La Tribuna), con incorreccioncs como « fue uno de los
ingredientes que entra en la composiciôn », déjà vislumbrar en que estado de ânimo
ha redaclado el Sr. Valcra sus arliculos : él prétende que las naciones hispanoameri-
canas seau colonias lilerarias de Espana, auntiue [lara abasteccrias sea mcnestcr tomar
productos de paises extraujcros, y, ligurâudose leuer aûn el imprescriptible derecho
â la rCiiresioM violenta de la insiirgenle>, no pucJe sulrir que un americano ponga
en duda el que las circuiistaucia» actualos cou^ientan laies ilusiunes : esto lu hace
perder los estribos y la serenidad cldsica. llasla aqui Uega el fraterual alecto.
Bull, kispan. (3
BIBUOGRAPHIK
Eduardo de Hinojosa, i" Le servage en Catalogne au Moyen- Age :
■2° Le Jus priniae noctis a-t-il existé en Catalogne? dans les
Annales internationales d'histoire. Congrès de Paris, 1900:
Histoire comparée des institutions et du droit, Paris, 1902;
pages 21 3-2 26.
Origeny vicisitudes de la pagesfa de remensa en Catatuna (Discours
de réception à l'Académie de Barcelone, Barcelone, 1902).
Sur la condition de la classe rurale en Catalogne et sur le droit du
seigneur dans cette province, M. de Hinojosa a écrit quelques pages
pusément, sensément. On croit peut-être que l'entreprise est aisée ; elle
est, au contraire, très difficile et très méritoire, si l'on en juge par la
violence passionnée avec laquelle ces questions sont trop souvent
traitées, en Espagne et ailleurs.
Le jus primae noctis dans ce pays est connu par les pièces d'un
conflit qui éclata vers le milieu et la fin du xv" siècle entre les paysans
et les seigneurs. Ceux-là exposèrent leurs griefs; ceux-ci répondirent,
et le Roi prononça. Les paysans se plaignaient de divers mais usos,
mauvais usages, abus, au nombre desquels figure la « ferma de spoli
forsada » ; nous verrons tout à l'iieure ce que signifie ce nom. De plus,
et ceci est plus grave, le Roi décide que « les seigneurs ne pourront
pas, la première nuit après que le paysan a pris femme, dormir avec
elle )), etc. De (( ferma de spoli forsada » certains ont fait o ferma de
sposa forsada » ; et ils ont traduit comme il suit la sentence royale :
(I Le paysan qui prendra femme ne pourra pas dormir la première
nuit avec elle, » etc.
De pareils procédés de discussion sont inadmissibles, et M. de Hino-
josa aurait eu le droit de les juger sévèrement. 11 a préféré n'en point
parler. 11 se borne à exposer clairement les questions et à déduire les
solutions les plus raisonnables d'une documentation aussi complète
que possible. C'est ainsi qu'à propos du jus primae noctis cet érudit
fait connaître la réponse, jusqu'à présent inédite, des seigneurs : « Res-
ponen los dits senyors que no saben ne crehen que tal servitut sia en lo
présent principat ni sia may per algun senyor exhigida. Si axi es
veritat com en lodit capitol es contengut, renuncien, cassen e anuUen
losdits senvors tal servitut, com sie cose molt injusta e desonesta. »
BIBLIOGRAPHIL 79
Dans les excellents mémoires de M. de Hinujosa il est quelques
points de détail, en très petit nombre, sur lesquels j'ai le regret de
n'être point pleinement d'accord avec lui. Je crois, par exemple, que
les termes serfs et servage ne conviennent pas aux homens de remensa.
hommes de rachat, de la Catalogne. Beaumanoir nous dit bien que la
condition des serls est très variable; néanmoins, entre cette condition
et celle des homens de remensa il est des dilTérences spécifiques et
d'une telle importance qu'un même mot ne peut guère désigner Tune
et l'autre. Il est vrai que le français ne fournissait pas d'expression
adéquate à l'idée et qu'il était assez naturel de prendre l'expression la
plus rapprochée: mais il eût mieux valu, ce me semble. re<ourir à
une périphrase, parce que le servage proprement dit n'a pas existé en
terre catalane.
A propos de la ferma de spoli forsada, M. de llinojosa cite un
article de la coutume de Gerona suivant lequel le seigneur foncier
percevait le droit de mutation de loo/o à l'occasion de l'hypothèque
donnée par le mari sur les censives pour garantir les reprises dotales
de la femme. La citation est fort intéressante et le rapprochement
ingénieux; mais le droit dont il s'agit me paraît être différent. Le spoli
n'est pas l'hypothèque dotale, c'est le douaire; Vapprohul'ion, ferma,
de la constitution du douaire par le seigneur foncier devait être
demandée par le tenancier, forsada, obligatoirement, parce qu'il y
avait transfert éventuel de propriété : par privilège, les habitants de
Barcelone en étaient dispensés, aux termes de l'art. la du Recognove-
runt proceres. L'expression /erma de spoli forsada a donc une explica-
tion grammaticale satisfaisante.
De plus, la réponse des seigneurs analysée par M. de Hinojosa
confirme cette explication : « En ce qui concerne la ferma de spoli, ils
consentent à laisser au vassal la liberté de solliciter du seigneur
l'approbation de l'acte constituant le douaire; le seigneur se contentera
d'un droit de a sous par livre et il lui sera interdit d'exiger du vassal
que celui-ci soumette à son approbation l'instrument dont il s'agit. >>
Il paraît plus rationnel d'expliquer le document par le document
lui-même que par d'autres textes, qui peuvent se référer à des rede-
vances différentes.
Il me sera permis, en terminant, de dire le vif plaisir que j'ai pris à
lire ces pages : rarement les vieilles institutions catalanes, si atta-
chantes par leur vivante originalité, ont été analysées avec autant de
maîtrise. Historien, jurisconsulte, philosophe, M. de Hinojosa est
encore administrateur ; le gouvernement des hommes a développé et
affiné en lui la pénétration et la pondération de l'érudit. Il a traité un
beau sujet avec la sûreté et le calme d'un esprit supérieur.
J.-A. HRLTAILS.
8o BULLETIN HISPANIQUE
Hisloria gênerai de Espana escrita por individuos de numéro de
la Real Academia de la Historia... Caslilla y Léon durante los
reinados de Pedro I, Enrique II, Juan I y Enrique III, por el
excmo. Sr. D. Juan Gatalina Garcia..., tomo II. Madrid, El
Progreso editorial, [1901]'; 5o5 pages, gr. in-8".
Dans cette nouvelle Histoire générale d'Espagne, entreprise par un
groupe de membres de l'Académie d'histoire, l'un deux, M. Juan
Gatalina Garcia, s'est chargé des règnes de quatre rois de Castille et
de Léon : D. Pedro 1", D. Enrique 11, D. Juan I" et D. Enrique 111,
c'est-à-dire des événements écoulés depuis i35o jusqu'à i4o6. Un
volume, édité en 1892, était entièrement consacré au premier de ces
princes; le tome second, que nous annonçons, se réfère à l'époque de
D. Enrique 11 et de son fds D. Juan 1".
Parmi les souverains de l'Espagne au Moyen-Age, il n'en est point
dont la vie ait été plus mêlée d'événements tragiques et dont la
mémoire ait donné matière à autant d'appréciations contradictoires
que D. Pedro 1". Deux courants d'opinion se_ sont formés à son
sujet : les uns, ne considérant que la quantité de victimes qu'il fit
autour de lui, le représentèrent comme un tyran sanguinaire et lui
donnèrent le surnom de Cruel, les autres ne virent dans ses exécutions
sanglantes que l'exercice de sa justice contre des personnages qui
l'avaient trahi et lui décernèrent le titre de roi Justicier. Ce sont là des
jugements sommaires que les historiens dignes de ce nom ne pou-
vaient accepter en bloc et dont ils devaient discuter équitablement les
éléments pour tracer de ce prince un portrait véridique. C'est ce qu'ils
n'ont point manqué de faire, et notre Mérimée avait à cet égard
devancé M. Juan Gatalina Garcia. On sait que, monté sur le trône à
quinze ans et vite émancipé de la tutelle où prétendait le tenir Albu-
querque, le vieux conseiller de son père, D. Pedro vit pendant toute
la durée de son règne son pouvoir menacé par les grands vassaux qui
aspiraient à une pleine indépendance, et en particulier par ses frères
naturels. L'un d'eux, l'aîné, D. Enrique, comte de Trastamara,
menacé dans sa vie, s'était enfui en France avec un petit groupe de
partisans ; saisissant une occasion favorable, il rentra en Espagne,
entraînant à sa suite les compagnies de routiers que la paix avec
l'Angleterre laissait sans emploi. Son armée se grossit de tous les
mécontents, et il se posa, dès lors, en prétendant à la couronne, bien
qu'il ne fût qu'un bâtard; il réussit à forcer le souverain légitime à
chercher Un refuge d'abord en Portugal, puis en Gascogne sur le
territoire anglais. Mais bientôt, secondé par le Prince Noir, D. Pedro
reconquit son royaume par la victoire de Nàjera, et son compétiteur,
défait, fut obligé de prendre à nouveau le chemin de l'exil; néanmoins,
il mécontenta ses alliés et s'aliéna encore une fois par ses cruautés
BIBLIOGRAPHIE 8l
une partie de ses sujets. Le comte de Trastamara envahit derechef la
Castille, et les deux frères, s'étant trouvés en présence près du château
de Montiel, engagèrent une lutte corps à corps où D. Pedro fut tué.
Celte mort laissait la couronne aux mains du fils naturel de
D. Alfonso XI, puisque le roi qui venait de périr ainsi par un fratri-
cide n'avait pas lui-même d'enfants légitimes, mais il s'en fallait de
beaucoup que l'autorité du nouveau souverain, D. Enrique II, fut
reconnue dans toute l'étendue du royaume. En elTet, d'une part les
partisans de D. Pedro occupaient un certain nombre de places impor-
tantes qu'ils n'étaient point disposés à rendre de bon gré; d'autre part,
les princes voisins de la Castille voulaient profiter de la situation
critique du roi pour agrandir leurs domaines : Carmona, Ciudad-
Rodrigo, Zamora et Molina refusaient d'ouvrir leurs portes, tandis
que l'Aragon, la Navarre, le Portugal et les Maures de Grenade
s'alliaient contre le comte de Trastamara. Menacé à l'intérieur par
ceux qui ne voulaient point le reconnaître, menacé aux frontières, en
proie aux plus graves difficultés financières, il semblait qu'en cette
lutte inégale D. Enrique dût succomber. Heureusement pour lui, ses
ennemis ligués ne surent pas agir de concert pour l'accabler : le roi
de Portugal, qui se déclara imprudemment le premier, vit son territoire
envahi et sa capitale en péril; il fut obligé d'accepter la paix. Le roi
de Grenade, après avoir détruit Algeciras, consentit à traiter, et les
difficultés pendantes avec l'Aragon furent d'un commun accord
soumises à l'arbitrage du pape. Une à une, les places où s'étaient
enfermés les partisans du roi défunt tombèrent au pouvoir de
D. Enrique, et les auxiliaires étrangers qui avaient puissamment
contribué au succès de celui-ci, mais dont les services coûtaient fort
cher, furent peu à peu payés et licenciés pendant que leurs chefs
recevaient comme récompense des terres et des seigneuries. La nou-
velle dynastie eut bientôt à craindre un autre danger : l'une des filles
naturelles de D. Pedro, issues de son union avec Maria de Padilla,
élevée depuis son enfance à la Cour d'Angleterre, épousa, en 1872,
Jean de Gand, duc de Lancastre, fils d'Edouard III, qui résolut de
revendiquer les droits de sa femme. Cette circonstance détermina le
roi de Castille, depuis longtemps allié de Charles V de France, à
prêter à ce dernier le secours de sa puissance maritime contre
l'Anglais, qui devenait ainsi l'ennemi commun, et, le 28 juin suivant,
les amiraux espagnols remportaient sur la flotte du comte de Pem-
broke une victoire complète devant la Rochelle. En 137^, D. Enrique,
que le roi de Navarre n'avait pu détacher de l'amitié avec la France,
voulut même porter la guerre dans les possessions anglaises et vint
inutilement mettre le siège devant Rayonne. Des trêves furent bientôt
conclues en 1370 à Rruges, un commencement d'hostilités avec la
Navarre fut promptement apaisé, et lorsque le roi de Castille mourut,
S:< Bi;r,i,ETi>' hispvmqie
à Santo Domingo de la Calzada, le 3o mai 1379, ^e^ seulemenl de
quarante-six ans, il était parvenu, grâce à sa modération et à sa persé-
vérance, à établir solidement sa dynastie, car son fils lui succéda
sans contestation; mais il n'avait obtenu ce résultat qu'en appauvris-
sant la couronne elle-même, en multipliant, afin de s'assurer la
fidélité des grands, ces largesses et ces donations qu'on connaît sous
le nom de mercedes enriquenas. D. Juan I", à son avènement, trou-
vait donc un royaume pacifié à l'intérieur, mais que menaçaient
toujours à l'extérieur les prétentions du duc de Lancastre et de la
fille de D. Pedro. 11 s'agissait là, il est vrai, d'un danger qui n'était
point imminent, puisque le prince anglais, pour atteindre son adver-
saire, devait avoir un accès dans la péninsule ibérique et devenir
l'allié d'un des rois voisins de la Castille. Or, cet allié, il le trouva
tout naturellement en Portugal. Une première guerre avec le souve-
rain de ce pays, Ferdinand P% fut vite terminée ; mais lorsque celui-ci
mourut, en i383, D. Juan prétendit recueillir son héritage en vertu
des droits de sa seconde femme D' Beatriz, contre le sentiment
presque unanime de la nation portugaise, dont le patriotisme répu-
gnait à une union possible avec la Castille et ne voulait d'autre roi
que Jean, Grand-Maître de l'Ordre d'Avis, fils naturel de Pierre I".
Il fallait donc conquérir le Portugal : c'est à quoi D. Juan se disposa
imprudemment. Une bataille maladroitement engagée, en i385, à
Aljubarrota, se termina en une déroute complète pour les Castillans,
et le roi lui-même put à grand'peine échapper : non seulement le pays
qu'il convoitait était perdu pour lui, mais encore la Castille allait
être envahie par le Maître d'Avis appuyé par les Anglais et le duc de
Lancastre qui voyait là une occasion favorable de réclamer, les armes
à la main, la succession de D. Pedro 1". Dans ce péril extrême, le roi
de Castille ne perdit pas courage, demanda des secours à son allié
Charles VI, et tint tête comme il put à l'ennemi. Les Portugais et les
Anglais, dont l'armée, décimée par la maladie, n'avait obtenu sur le
territoire castillan aucun succès décisif, ne tardèrent pas à rétrograder,
et des négociations s'engagèrent. On arriva enfin à une entente, et il
fut décidé, par un traité conclu à Rayonne, que l'héritier de D. Juan I".
l'infant D. Enrique, épouserait Catherine, fille du duc de Lancastre.
Ce mariage de la petite-fille de D. Pedro I" avec le petit-fils du comte
de Trastamara était une heureuse solution de la querelle dynastique,
puisqu'il écartait à jamais toute compétition entre les deux branches
de la descendance de D. Alfonso XI. Le roi de Castille mourut à
Alcalâ de Henares d'une chute de cheval, le 9 octobre 1390, laissant
la couronne à un enfant de onze ans, pendant la minorité duquel le
pays allait être de nouveau en proie aux troubles.
Le volume où M. Juan Catalina Garcia a raconté les événements
dont nous venons de donner un résumé si imparfait, est écrit sim-
BIHMOGRAPHIE N;>
plemenl, sans digressions et se lit en entier avec intérêt. La principale
source à laquelle l'auteur a puisé les éléments de son récit est la
chronique d'Ayala, si vivante et si pleine de détails précieux; il a con-
sulté également de nombreux documents imprimés dans les recueils
diplomatiques et dans les compilations des xvir et xviii"' siècles. Mais
ce qui donne une valeur toute particulière à son œuvre, ce sont le>
appendices qui font suite à l'histoire des règnes de D. Enrique II et de
D. Juan I". Ces appendices contiennent le catalogue des actes émanés
de ces princes et qui se trouvent dispersés dans les archives particu-
lières, dans celles des divers couvents ou qui ont été publiés dans un
certain nombre d'ouvrages. Chacun des actes est analysé brièvement,
suivi de la date à laquelle il a été rédigé et accompagné d'une mention
qui en indique la provenance. Les documents rassemblés de la sorte
sont au nombre de ^52 pour D. Enrique II et de 524 pour D. Juan I":
on en a ajouté quatorze, écrits au nom du D-* Juana Manuel, femme du
premier de ces princes, et sept qui appartiennent à D' Leonor
d'Aragon et à D" Beatriz de Portugal, les deux épouses du second.
Ce n'est là qu'un commencement, et pour que l'étude de la diploma-
tique des rois de Castille puisse être faite scientifiquement, il faut
souhaiter que les actes de ces souverains soient publiés en grand
nombre : M. Juan Catalina Garcia a déjà rendu un service signalé en
indiquant même sommairement tous ceux qu'il a connus.
Georges D\IMET..
Eloy Garcia de Quevedo y Concellôn, El Abad Maluenda y cl
Sacristdn de Viejd Riîa. Madrid. 1902. [Extrait de la Revisia
de Archivas.]
D. Juan Pérez de Guzmàn, le premier, a fait connaître le poète bur-
galais, jusque-là à peu près ignoré, D. Antonio de Maluenda, dabord
dans la Ilustracion Espanola (22 déc. 1890) et dans une anthologie des
lyriques castillans (Cancioncro de la Rosa, tome 1), puis dans une
édition spéciale, publiée à Séville, en 1892, aux frais du marquis
de \erez de los Caballeros, auquel les lettres espagnoles doivent
tant. Cependant, malgré ses efforts pour la préciser, la figure de Ma-
luenda restait encore bien vague. M. Concellôn, particulièrement
informé de tout ce qui touche aux arts et à la littérature de la province
de Burgos, y ajoute, dans le présent travail, quelques traits qui en
complètent heureusement la physionomie. Grâce à d'heureuses rechei-
ches dans les archives de la cathédrale de Burgos, il rectifie diverses
erreurs de M. Pérez de Guzmàn, et montre qu'en septembre i586,
Maluenda, qui était déjà abbé de San Millàn de Lara, prit possession
de sa charge de chanoine, à laquelle il renonça, le 5 avril 1689, en
faveur de D. Inigo de \elasco, archidiacre de Valpuesta; qu'il vécut
84 BULLETIN HISPANIQUE
quelque temps à Madrid, mais revint ensuite à Burgos, où il mourut
le 8 décembre i6i5.
Ses œuvres poétiques ont été publiées par Pérez de Guzmân, d'après
un manuscrit (M. 828) de la Biblioteca Nacional. Elles offrent cette
particularité^ dont M. Concellôn s'est aperçu le premier, que plusieurs
d'entre elles se retrouvent, avec des variantes plus ou moins impor-
tantes, dans les œuvres du comte de Yillamediana. Les comparaisons
faites par le critique ne laissent aucun doute sur le fait, mais l'expli-
cation de ces coïncidences singulières est assez embarrassante et, sur
ce point, on ne peut encore faire que des hypothèses. Lequel des deux
poètes a copié l'autre? M. Concellôn remarque que le manuscrit offre
des corrections ou variantes nombreuses et importantes, et comme
M, Pércz assure qu'elles sont de la main de Maluenda (sur quoi se fonde
cette affirmation?), c'est à ce dernier qu'il serait tenté d'en attribuer la
paternité. Ce problème, bien posé par le critique burgalais, reste en
somme à résoudre.
Mais il en est un, du moins, que M. Concellôn paraît avoir résolu, et
c'est celui relatif à un autre poète de Burgos, déjà signalé par Martinez
Anibaro, dans son Dlccionario de autores de la provincia de Burgos,
et que l'on ne connaît que sous le nom (qu'il se donne lui-même) de
Sacristdn de Vieja Rûa. Le manuscrit de ses poésies, signalé par Mar-
tinez Anibaro, et consciencieusement étudié par M. Concellôn, qui l'a
eu longtemps à sa disposition, ne contient pas moins de 1,000 pièces.
Elles sont pour la majeure partie inédites; mais celles que cite notre
auteur nous donnent le plus vif désir de connaître l'œuvre entière.
Les pièces satiriques en particulier, écrites manifestement sous l'in-
fluence de Quevedo et de Gôngora — celui de la première manière, —
sont pleines de verve et de cet esprit, un peu recherché et subtil sans
doute, qui était alors à la mode, mais qui prouve une fécondité d'ima-
gination, une richesse verbale, une souplesse de style peu communes.
J'ajoute qu'elles fourniraient les plus précieux renseignements sur les
mœurs, les goûts, les travers du temps et sur la vie intime d'une
grande ville de province vers le milieu du xvii" siècle. Car c'est bien
vers cette époque que ce prétendu sacristain de l'antique paroisse
(aujourd'hui disparue) de Vieja Rùa paraît avoir vécu. C'est un point
que met en lumière M. Concellôn (lequel nous a fourni d'autre part la
date exacte de la mort de Antonio de Maluenda) et, en vérité, il suffi-
sait pour cela de remarquer que parmi les sonnets du Sacrisldn il y
en avait un sur la mort de la reine dona Isabel, femme de Philippe IV
(6 octobre i644). Cette simple constatation, rapprochée de la date du
décès de Maluenda, permet aussi à M. Concellôn de faire justice delà
supposition toute gratuite de ceux qui avaient pensé (et l'auteur rappelle
modestement qu'il avait été du nombre) que Maluenda et le Sacristdn
de Vieja Rûa ne faisaient qu'une seule et même personne.
BIBLIOGRAPHIE 85
En terminant son intéressant opuscule, l'auteur s'exprime ainsi :
(( Queda aûn envueUa en niehlas la extrafïa personalidad del SacrLslân
de Vieja Rua y qiiedan ai'in inéditas las niieve décimas partes de sus
poesî'is. Para aclarar lo obscuro hace falta un inveslir/ador diligenle;
para publkar lo inédilo, un ediior de inteligencia y gusto, que bien
pudiera serlo la Sociedad de Btbliôfilos espafîoles. » Sans doute, et la
Sociélé des Bibliophiles a fait ses preuves; mais qu'il nous soit permis
d'ajouter que cet investigateur diligent, elle l'a sous la main, et que ce
dernier, lui aussi, a fait ses preuves. Nul mieux que M. Concellôn, qui a
étudié longtemps le manuscrit appartenant à D. Lorenzo Garcia Mar-
tînez del Rincôn, qui liabite Burgos et connaît à fond toutes les anti-
quités de la ville et de la province, nul n'est plus à même de retrouver
dans les archives du chapitre, si peu consultées, ou dans celles de
VAyuntamicnto, si habilement classées par D. Anselmo Salvâ, les traces
de ce mystérieux et plaisant sacristain ; nul non plus n'est mieux
désigné que lui pour publier ces poésies avec tous les éclaircissements
nécessaires et désirables. Et il y a des chances pour que la publication
de ces œuvres — d'après ce que nous en connaissons — enrichisse
la littérature castillane de quelques pages vraiment curieuses et remar-
quables. On ne publie que trop de vieux papiers, dont on cherche en
vain l'intérêt ou l'utilité, pour que l'on ne saisisse pas avec empresse-
ment l'occasion, qui s'oll're d'elle-même, de nous faire connaître des
œuvres qui promettent d'être un régal pour les lettrés.
E. MÉRIMÉE.
G. Desdevises du Dézert, Le Conseil de Castille au xviii' siècle.
Paris, 1902, 47 pp. [Extrait de la Revue hislorique, t. LXXIX,
1902.]
Nous ne pouvons que signaler ici brièvement cette nouvelle étude
du savant et laborieux professeur de Clermont. Elle est consacrée au
Consejo de Castilla proprement dit; les deux autres Chambres du
Conseil, la Real Cdmara et la Sala de alcaldes de Casa y Corle, feront
sans doute l'objet d'un travail spécial. Sans parler des nombreuses
pièces d'archives consultées, l'auteur s'est servi surtout, pour son étude,
de trois ouvrages ou recueils : la Novlsima Recopilaciôn, de i8o5, la
Colecciôn de memorias y noticias del gobierno gênerai y politico del
Consejo, de MartinezSalazar(i764), et la Prdctica del Consejo, de Esco-
lano de Arrieta ( 1 796). 11 traite successivement du personnel du Conseil,
de ses attributions, de la procédure et de « l'esprit » du Conseil, et
quoiqu'il ne soit pas toujours très facile de maintenir entre ces quatre
points une distinction rigoureuse, la division cependant est assez simple
et répond en somme assez exactement à la réalité des faits pour que la
clarté de l'exposition n'en soufire pas. L'examen des attributions ou
86 MlJLLETiN HISPAMQUE
du fonctionnemenl du Conseil à une époque donnée de Thistoire
suppose évidemment la connaissance de son organisation pendant
les périodes précédentes, car, en Espagne plus peut-être que partout
ailleurs, le mécanisme des grands corps de l'État s'est maintenu par
la force de la tradition, alors même que des changements profonds
s'étaient introduits déjà dans la condition des personnes ou dans les
idées politiques et sociales. 11 n'en est que plus intéressant de noter,
— et M. Desdevises du Dézert n'y manque point pour la période qu'il
étudie, — les changements apportés à la procédure ou à l'organisation
générale de cet inslrumentiim regni, jadis si puissant, soit par la force
des choses, soit par la pression des événements. La multiplicité des
détails, les exemples empruntés aux documents contemporains, la
définition exacte des procédés, formules, opérations et actes de procé-
dure, permettent, à qui n'a point fait de ce sujet une étude spéciale, de
se rendre un compte suffisant du fonctionnement, parfois si compliqué,
de ces rouages multiples. Peut-être voudrait-on voir signalée avec plus
de netteté l'impulsion, sur bien des points nouvelle, imprimée à l'an-
tique machine par les Floridablanca, les Campomanes et les Jovel-
lanos. Du moins, l'auteur a-t-il résumé tous les minutieux renseigne-
ments patiemment réunis, dans une dizaine de pages excellentes
(Esprit du Conseil), où il fait, avec beaucoup de modération et d'équité,
la part exacte des défauts et des qualités des magistrats de l'ancien
régime. 11 est à souhaiter qu'il poursuive avec le même zèle ses belles
études, aussi utiles aux lettres qu'aux historiens et aux spécialistes.
Federico Hanssen, Notas à la versijîcaciôn de Juan Manuel,
Santiago de Ghile, 1902. [Extrait des Anales de la Universidad,
tome CIX, 27 pp.]
Il faut signaler tout particulièrement aux candidats à l'agrégation
cette nouvelle brochure de l'ingénieux professeur de Santiago, dans
laquelle, prenant pour base le texte de Knust, publié par Birch-Hirsch-
feld (Leipzig, 1900), il étudie la métrique des vers qui résument chacun
des enxiemplos du Llbro del Conde Lucanor et de Patronio. Des entre-
prises de ce genre prêtent naturellement à beaucoup de critiques de
détail, car, même en dépit d'éditions postérieures, le texte ne paraît
pas encore suffisamment sûr et selon la théorie que l'on adopte sur la
synalèphe et l'hiatus, on peut modifier les vers comme l'on veut,
mais elles offrent du moins une excellente occasion d'étude précise et
minutieuse.
Eloy BuUôn, El clasicismo y el aiililarismo en la Ensenanza.
Conférence faite à l'Ateneo de Madrid le 3 janvier 1902.
Plaidoyer chaleureux en faveur des études classiques, qui auraient
grand besoin d'être fortifiées en Espagne, aussi bien dans les Universités
lilBLlOGUAFIUE
8-
que dans l'enseignemenl secondaire. Sans doute, l'Espagne, trop
arriérée sur bien des points, a besoin de s'européaniser, mais il y
aurait danger pour elle à briser toutes ses traditions et à se mettre
gauchement à la remorque des autres : il faudrait plutôt, pense
l'auteur, espagno/iser l'Espagne.
Carlos Servert Fortuny, Leyendas toledanas. Madrid, F. Fe,
1902.
u Des légendes tolédanes, en vers, au commencement du xx' siècle!
Voilà qui prouve du courage! » s'écrie le prolognisla Jacinlo Benavente.
Et il en faut, en effet, après Zorrilla, Bécquer et tant d'autres. Mais le
sol tolédan est si fécond qu'il y a toujours quelques lleurs à glaner
entre ces ruines illustres. M. Servert Fortuny nous rapporte le bouquet
qu'il y a cueilli sous forme de trois légendes : Le ruisseau de la Fleur,
le Christ de la Miséricorde et Capulets et Montaigus.
Manuel F. Villegas, Estrofas. Madrid, Serra, 1902.
Élégante plaquette, dédiée à Nùnez de Arce et contenant quelques
traductions et quelques poésies originales.
E. M.
F. Moreno (Dr Moorne), Esgrima espaflola. Apnnies para su
historia. Prologo de D. A. de Saint-Aubin. Segunda edicion.
Madrid, Valero Diaz, 1902: in- 12, xv-232 pages.
Il a existé de la fm du xvi° siècle au début du xix* une école
d'escrime vraiment espagnole, se distinguant absolument des écoles
française et italienne. Garranza et Pacheco de Narvaez en ont été les
maîtres et en ont codifié les règles, en les enveloppant d'un appareil
soi-disant scientifique, d'un fatras philosophico-mathématique, qui a
rendu leur œuvre très obscure et d'une compréhension malaisée
aujourd'hui, avec nos méthodes actuelles d'escrime essentiellement
différentes des leurs. Il nous est très difficile de nous rendre compte
du sens exact des expressions techniques qu'ils emploient et leur
langue même semble parfois manquer de la précision nécessaire.
C'est ainsi que le mot angulo désigne tantôt l'angle ^que fait l'épée ou
le bras avec le corps, tantôt l'ouverture des jambes. M. F. Moreno a
bien essayé de déterminer la signification de quelques termes (notam-
ment p. 66-68), mais ses définitions manquent souvent de clarté.
C'est peu nous apprendre que de dire : « Medir las espadas es elegir el
medio de proporciôn, » surtout avant d'avoir défini convenablement
le medio de proporciôn, qui est la mise en garde particulière à
l'école de Carranza, et quand M. Moreno y arrive tardivement, il en
parle en termes en somme moins explicites que ne le fait Pacheco
de Narvaez aux fol. .5i-55 de son Libro de las Grandezas de la Espada.
88 BULLETIN HISPANIQUE
Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait çà et là dans cette petite étude d'utiles
indications, mais elle est un peu trop succincte, surtout avec son
absence à peu près complète de figures, pour nous permettre de tenter
un commentaire assuré du passage du Gran Tacano où Quevedo a
ridiculisé un maître d'escrime de l'école mathématique, non plus que
le récit du duel de la Verdad sospechosa d'Alarcon (se. VII, acte III).
Mieux vaut encore le beau traité de l'Académie de l'Espée de Girard
ïhibauld (iGaS-iôSo), dont les nombreuses figures rendent le texte,
sinon très facilement, au moins suffisamment compréhensible et dont
la théorie dérive en ligne directe des principes mathématiques des
deux grands maîtres espagnols.
H. LÉONARDON.
Archiva de la Real Casa y Biblioteca parlicular de S. M. — Mono-
grafia escrita por D. José Maria Nogués. Madrid, Sucesores
de Rivadeneyra, 1901; in-8% 44 pages (Fascicule 4i de la
collection : Guia Palaciana.)
La collection où a paru cette monographie, est trop particulièrement
écrite à l'usage des « gens du monde », pour qu'on doive s'attendre à
y trouver des notices d'un caractère rigoureusement scientifique. C'est
ce qui justifie les longs préambules sur l'origine des Archives et des
Bibliothèques en général, que M. Nogués a cru devoir offrir à ses
lecteurs et qui, sous le titre de ce fascicule, sont un peu décevants
pour un spécialiste. L'auteur, ne disposant que d'une place très mesu-
rée, s'est ensuite trouvé à l'étroit en arrivant au véritable sujet de son
étude : ses indications sur la formation des diverses Archives en
Espagne, ses descriptions de l'Archivo de la Real Casa et de la Biblio-
thèque du Palais Royal de Madrid, en ont été forcément réduites à
quelques pages d'une brièveté malheureusement excessive. M. Nogués
a pourtant réussi à citer quelques manuscrits, choisis parmi les plus
précieux, la plupart relatifs à l'Amérique. H. L.
Armas y tapices de la Corona de Espana. — Discursos leidos anie
la Real Academia de la Historia en la recepciôn pdblica del
Excmo. Senor Conde V''" de Valencia de Don Juan, el dia 6 de
abril de 1902. Madrid, Viuda é hijos de Tello, 1902; in-4°,
45 pages.
Le comte de Valencia de Don Juan, D. Juan Crooke y Navarrot,
s'est signalé par des travaux sur l'histoire de l'art, qui lui ont assigné
un rang des plus distingués parmi les archéologues espagnols, et il a
réuni lui-même une collection artistique des plus remarquables. Sa
dernière œuvre, publiée en 1898, son Caidlogo histôrico-descriptivo de
la Real Armeria, a rectifié les innombrables erreurs de date et d'attri-
BIBLIOGRAPHIE 89
bution contenues dans l'ancien catalogue de Marchesi, de 18^9. En ce
moment, le comte de Valencia de Don Juan imprime une étude sur
les tapisseries de la Couronne d'Espagne, La Flor de las tapicerias de
la Corona de Espana, qui sera reçue avec grand plaisir parles curieux
d'art, et où seront reproduites cent cinquante des principales pièces de
cette collection merveilleuse, dont quelques pièces de choix ont été
exposées et universellement admirées à Paris, en 1900, au Pavillon
d'Espagne. Dans son discours de réception, le comte de Valencia,
après quelques indications formant une sorte de petit appendice à son
catalogue de ÏArmerîa, a esquissé à grands traits l'histoire de quel-
ques-unes de ces tapisseries. Dans sa réponse au récipiendaire,
M. Francisco R. de Uhagôn a très joliment retracé la carrière de
gentilhomme érudit du comte de Valencia de Don Juan.
On trouvera dans ce même fascicule une notice biographique et
bibliographique sur D. Juan de Dios de la Rada y Delgado, dont le
comte de ^"alencia occupe le fauteuil à l'Académie royale d'Histoire.
H. LÉONARDON.
La Siicesiôii contractual, obra premiada por la L'niversidad
central con la iinpresiôn à sus expensas para honrar la
memoria del que fué su caledratico D. Auguste Comas por
Enrique Garcia Herreros. Prologo de Rafaël de Urena,
Catedrâlico de Literatura y bibliografîa juridicas en la
Universidad Central. Madrid, Imprenla de les hijos de M. G.
Hernandez, 1902; xxiii-i56 pages in-8°.
11 existe actuellement en Espagne, parallèlement à tant d'autres
courants modernistes, une tendance et des doctrines de rénovation et
transformation du droit civil dont M. Augusto Comas, professeur à
l'Université de Valence, puis à l'Université centrale, fut l'un des plus
décidés champions. On conçoit que nos voisins soient peu satisfaits
d'un Code civil qui n'est qu'un compromis entre notre propre Code
français (dont le aproyeclo de Côdigo civiln de i85i résumait l'esprit),
et une systématisation hâtive d'éléments contradictoires introduits par
des législateurs trop confiants en leurs éludes de législation comparée
pour ne pas violer l'antique tradition juridique nationale, les exi-
gences du droit privé et même les nouvelles aspirations sociales. Les
Espagnols ne possèdent, en vigueur, à l'heure actuelle ni un Code,
puisque la construction décorée de ce nom est plutôt une accumu-
lation de directions hétérogènes que le systématique développement
d'un principe d'unité; ni un Code civil, puisqu'elle exclut de parti
pris d'intéressantes matières de droit privé (le régime hypotliécaire,
par exemple); ni un Code civil espagnol, puisqu'elle reconnaît et
ressuscite les vieilles législations particularistes de Biscaye, Navarre,
go BULLETIN HISPANIQUE
Aragon, Catalogne, Mallorque et va jusqu'à créer un nouveau terri-
toire forai, celui de Galice, établissant ainsi une base légale aux
revendications des partisans des (npalrias chicas».
L'étude de D. Enrique Garcia Herreros est, en même temps qu'une
brillante manifestation des nouvelles tendances juridiques espagnoles,
une très sérieuse contribution à l'épineux débat de la succession
contractuelle. A la précision et à la clarté d'une doctrine que Cimbali
et Comas ne renieraient pas, elle unit la connaissance des théories
étrangères synthétisées en une exacte bibliographie et l'appui des
traditions historiques nationales, esquissées, en vérité, un peu super-
ficiellement, car elles eussent mérité une étude plus ample. D. Rafaël
de Ureila y Smenjaud retrace admirablement, dans les pages de son
prologue, les phases de cette moderne évolution dont le livre cité est
une heureuse expression et l'éminent professeur de l'Université
centrale Tun des plus actifs propagateurs.
Camille PITOLLET.
Juan Valera, Florilegio de poesias caslellanas ciel siglo \i\.
ïomo IV, Madrid, Fé, 1902; i vol. 447 P^^ges.
Le tome lY de ce Florilège, dont nous avons déjà signalé la publica-
tion, comprend les extraits des poètes les plus récents et met fin à la
collection des poésies. Les sceptiques, qui mettent en doute l'existence
d'une poésie lyrique espagnole pendant le dernier siècle, apprendront
sans doute avec quelque étonnement que D. J. Valera n'en a pas
trouvé moins de loa dignes de leur être signalés. Encore s'excuse-t-il
d'en avoir laissé beaucoup de côté, pour des raisons diverses. Et pour
qu'il nous soit possible de combler nous-mêmes ces lacunes, il nous
donne les noms des poètes oubliés, parmi lesquels il y en a, en effet,
qui ont des titres très sérieux au dignas es entrave. Inutile d'avertir
ceux qui connaissent le large et libéral esprit de l'illustre collecteur,
que toutes les opinions littéraires, religieuses ou politiques sont
impartialement représentées dans le recueil. Nous aurons au surplus
le loisir de revenir sur cette utile anthologie lorsque paraîtra le 5° et
dernier volume, qui contiendra des notices biographiques sur les
poètes cités, et le jugement de l'auteur sur ces derniers. Ce ne sera
donc ni le moins utile ni le moins agréable tome de la collection.
E. M.
SOMMAIRES DES KEVUES
CONSACRÉES AUX PAYS
DE LANGLE CASÏILL.\-\E, CATALANE OU PORTUGAISE
Revista de Archiros, Bihiiotecas y Museos.
Janvier 1901. — Fr. de Uhagôn. El Santo Cristo de Maria Stuart :
1. El convento de Santa Cruz de Valladolid de Comendadoras de Santiago.
— A. Farinelli. Mâs apuntes y divagaciones bibliogrâfîcas sobre
viages y viajeros.por Espana y Portugal. |C'est le troisième supplé-
ment apporté par M. Farinelli à la Bibliographie des voyages en Espa-
gne et en Portugal de M. Foulché-Delbosc. Les deux premiers ont
paru dans la Bevista critica et ont été réunis en un volume, Oviedo,
1899. L'auteur ne donne pas seulement une liste des relations de
voyages omises dans le catalogue dressé par M. F.-D. Il ajoute une
grande quantité de notes qui n'offrent pas moins d'intérêt. Suite dans les
numéros d'aoùt-septembre et de janvier 1902.] — A. Paz \ Melia. Otro
Erasmista espaiïol : Diego Graciân de Alderete, secretario de Carlos ^ .
[Biographie, correspondance ; ses lettres à Erasme et aux Valdés ; lettres
sur la iliiniinada de Salamanque, Francisca Fernândez, sur le sac de
Rome. M. P. y M. regrette de ne pouvoir publier les quatre-vingt-sept
lettres latines de Graciân, trop détériorées par le feu. Il explique ce
qu'est le Speravi de cet écrivain peu fortuné, sorte de catalogue des
déboires de toute sa vie, son Enlasiasmo , son Aitesis, etc. Notes sur
Juan Dantisco et sur les personnes nommées dans les lettres de Gra-
ciân. Cet article se continue dans les numéros de février-mars et
août-septembre.] — Bartolomé Ferra. Bronces antiguos hallados en
Mallorca. — A. Paz y Melia. El natural desdichado, comedia inédita v
autografade Agustin de Rojas Villandrando. [Continue dans les numéros
d'avril et octobre.] — Pedro Roca. Testament original de D. Alvaro
de Luna. — Notes bibliographiques sur la Historia de D. Juan de
Austria deB. Porreiïo (A. P. v M.); Die Handschriften der castilia-
nischen Uebersetzung des Codi de H. Suchier; Don Jaime de Aragon,
ùltimo conde de Urgel, de A. Giménez Soler (P. R.); la Celestina por
Fernando de Bojas, éditée par D. E. Krapf, avec une étude de D. M.
Menéndez Pelayo (P. R.).
Février -Mars. — Fernando Fernândez de Velasco. D. Juan Fer-
nândez de Isla; susempresas y sus fâbricas. [Continue dans les numéros
d'avril, de mai et de juin.] — Carta del Archivo de Simancas al Histô-
rico nacional y â los de Indias y Alcalâ [Exposé humoristique de la
situation, des améliorations et des desiderata de V Archivo de Simancas.]
— Fr. de Uhagôn. El Santo ('risto de Maria Stuart : 11. Los Guevaras,
92 BULLETIN HISPANIQUE
senores y luego condes de Escalante. [Suite de l'article de janvier avec
des notes : la copa del condestable de Caslilla; encargos de la reina de
Escocia, sus servidores, objetos suyos; venida à Madrid del principe
de Gales; estado actual de las reliquias; los retratos.] — M. R. de
Berlanga. Nuevos descubrimientos arqueolôgicos hechos en Câdiz del
1891 al 1893. [Continue dans les numéros d'avril, mai et juin.]— A. Paz
Y Melia. Codices mas notables de la Biblioteca nacional : Sonetos,
canciones y triunfos del Petrarca. — Rodrigo Amador de los Rios.
Fîbulas de bronce para cinturon de la época de la invasion germânica
en Espaiîa. — Documentos : Thcatro de los Theatros de los passados
y présentes siglos de Francisco Antonio de Bances Candamo; cartas
escogidas de las escritas à D. Diego Sarmiento de Acuna, conde de
Gondomar, 6 reunidas por este; cartas de D. Frai Juan de Çumarraga,
de la orden de san Francisco, primero obispo de Mexico, escritas a
Suero del Aguila; testamento original de D. Alvaro de Luna suite).
[Ces documents sont publiés par D. M. Serranoy Sanz, D. J.deRùjula et
D. P. Roca, et les trois premiers continuent dans les numéros d'avril,
juillet, août- septembre, octobre, novembre et décembre.] — Notes
bibliographiques sur Juan Rulz, arcipreste de Ilita, lihro de Buen
amor, édité par J. Ducamin (R. Menéndez Pidal); la Crônica troyana
en Gallego, éditée par Martînez Salazar(A. P. y M.); Piedras preciosas
de Salvador Rueda (P. R.).
Avril. — A. GiMÉNEz Soler. El Justicia de Aragon ç es de origen
musulman? [Etude critique de Orîgenes del Justicia de Aragon de
Juliân Ribera paru en 1897. Continue dans les n°^ de juillet, août-
septembre.] — Notes bibliographiques sur la Colecciôn de Autos,
Farsas y Coloquios del siglo xvi de Léo Rouanet(R. Menéndez Pidal);
lôn, didlogo plalânico traduit par Afanto Ucalego (P. R.) ; Bibliograjia
de Hartze nbuschior méepsirD. Eugenio riartzenbusch(P.R.); Ambrosio
de Salazar de A. Morel-Fatio et Le diable prédicateur édité par Léo
Rouanet (R. M. P.). — M. de Campos y Munilla. Crônica de Archives,
Bibliotecas y Museos. [Objets entrés dans le il/a^eo arqueolôgico provin-
cial de Séville en 1900].
Mai. — Cristobal Pérez Pastor. Problema histôrico-arlistico. [Il
s'agit des statues que D. Francisco Gômez de Sandoval y Rojas et Dona
Catalina de la Cerda,Duques de Lerma, firent faire pour les sépultures
de la capilla mayor du monastère de San Pablo de Yalladolid.] — A. Paz
Y Melia. Côdices mas notables de la Biblioteca Nacional : Libro de
horas del siglo xv. — M. S. y S. Un libro nuevo y un cancionero
viejo. [La première partie de ce titre fait allusion au Proceso de Lope
de Vega por libelos contra unos cômicos, édité par D. C. Pérez Pastor
et D. A. ïomillo, et grâce auquel M. Serrano croit pouvoir attribuer
à Lope quelques-uns des romances qu'il a publiés ici, ou au moins
les considérer comme se rapportant à cet incident delà vie du poète.] —
SOMMAIRE DES REVUES gS
Documentos : Colecciôn de cartas originales y autrjgralas del Gran
Capilan, que se guardan en la Biblioteca Xacional. — Notes biblio-
graphiques sur Lo Rat-Penat en el escudo de armas de Valencia de
Yicente Vives y Liern (Roqle Ciiabâs); Los Irabajos geogrdficos de la
Casa de contralaciôn de Manuel de la Puente y Olea (M. S. y S.) ;
Ensayo de un Diccionario de los artifices que Jîorecieron en Sevilla
(t. II) de José Gestoso y Pérez (J. R. M.)- — Crônica de Archivos
Biblioteca y Museos. [Pièces entrées dans l'Archivo d'Alcalâ de Henares;
continue dans le numéro de novembre.]
Juin. — A. Paz y Melia. Noticias para la vida de Ausias March. —
A. BoMLLA Y San Martin. Etimologîa de picaro [M. Bonilla y voit
un mot d'origine arabe]. — M. S. y S. Bernardo de Brihuega,
historiador del siglo xiii. [Ce Bernardo, contemporain d'Alphonse X.
est l'auteur des Flores sancioriim Christi Marlyrum et confesso-
rum cités par Nie. Antonio d'après un manuscrit de l'Escurial et avec
lesquels M. R. Béer n'avait pas pensé à identifier un manuscrit en cinq
tomes de la Biblioteca nacional{cî. Bol. de la R. Acad. 1887, p. 363 : Los
cinco libros que compila Bernardo de Brihuega por orden del Rey
D. Alfonso el Sabio). M. Serrano signale une Chronica de Espana
du même auteur, /o/to, sin fin, marquée dans le catalogue, terminé en
1623, de la bibliothèque de D. Diego Sarmiento de Acuna à VaUadolid.]
— Documentos : Cartas de Antonio de Leyva à Carlos V (publiées par
E. Gonzalez Hurtebise). — Notes bibliographiques sur Nobiliario
de los palacios, casas solares y linajes nobles de la M. N. y M. L. provincia
de Guipâzcoa de Domingo de Lizaso (J. de R.); La imprenta en
Côrdoba, de J. M. de Yaldenebro (J. Fernândez y Martinez): Aledo,
su descripciôn é historia, de J. Bâguena (P. R.); Ensayo de Fonética
gênerai, de R. Robles (P. R.) ; de Paginas de la Historia de Orihuela,
El plato del Obispado, de J. R. Gea. — Crônica de archivos, etc. [Der-
nières acquisitions du Musco arqucolôgiconacional.']
Juillet. — M. Flores Calderôn. La Sala de Varios en la Biblioteca
Nacional. [L'auteur de l'article a refait la classification des varios et
les fiches correspondantes, qui montent à 83^ooo (à la date de l'article).
Il publie quelques-uns de ces varios, relatifs à Napoléon (n" de juillet),
aux autos defe, aux corridas de toros (n° d'octobre).] — J. Calmette.
Notes sur Wifred le Velu : 1. Du surnom de Pilosus donné à Wifred ;
II. Wifred a-t-il été marquis? III. La prétendue souveraineté de Wi-
fred. — A. Paz y Melia. Côdices mas notables de la Biblioteca Nacio-
nal : Los triunfos del Petrarca. — J. Pîo Garcia y Pérez. Indicador
de varias crônicas religiosas y militares en Espana (fin). — Notes
bibliographiques sur Indice de pruebas de los caballeros que han ves-
lido el hdbito de Santiago de V. Vignau et F. R. de Uhagon (A. P. y M.) ;
Prim de H. Léonardon (A. P. y M.) ; Historia y bibliografia de la Prensa
de Badajo: de R. Gômez Villafranca (P. R.). — Crônica de archivos, etc.
Bull, hi-spaii. 7
94 BULLETIN HISPAIMQLE
Relaciôn de los impresos espanoles recibidos en la Biblioteca Nacional
durante los anos 1 897-1900.
Août-Septembre. — Fh. R. de Uhagô>. Una traducciôn castellana
desconocida de la Dlvina Comcdia [Traduction du Purgatoire par un
continuateur anonyme de l'archidiacre de Burgos, Pero Fernândez de
\ illegas, traducteur de l'Enfer], Texte publié d'après un manuscrit de
feu le comte de Onate. — J. Ramon Mélida. Donaciôn Stutzel : Barros
griegos [Don de M, Théodore Stutzel, de Munich, au Miiseo Arqiieolà-
fjico nacional]. — A. Arco y Molinero. Estudio biogrâfico, bibliogrâ-
fico del insigne canonista Fr. Pedro Murillo y Velarde, catedrâtico de
la Universidad de Granada. — Nie. Tenorio. Algunas noticias de
Menardo Ungut y Lanzalao Poleno. — N. Sentenach. D. Juan de
Dios de la Rada y Delgado. — Notes bibliographiques sur Per la
Bibliograjia dei. cancionerus spagnuoIL de A. Mussafia {A. P. y M.):
Estoria Iroyana acabada era de mil et cjuatro cientos et once annos,
publiée par J. Cornu (A. P. y M.); Deutsche Buchdrucker in Spa-
nien und Portugal et Gedruckte spanische Ablasstrieje der Inkunabel-
zeil, de K. Haebler (A. P. y M.); Introducciôn al estudio de las insti-
tuciones de derecho romano, de F. G. de Diego (P. R.); Toledo en el
siglo AT/, du comte de Gedillo (P. R.).
Octobre. — E. de la Pedraja y Fernândez. Investigaciones para la
historia del pueblo de Liencres. El castillo. — Ignacio Olavide. Anto-
nio Birckmayer, fundador de la Casa de Israël. — A. Blâzquez. Vias
romanas de Sicilia. — Julian Paz. Garicatura flamenca del siglo xvi.
— Notes bibliographiques sur Cançoneret dobres vulgars, de Mariano
Aguilô y Fuster (A. B.); Colecciôn de Autos, Farsas y Coloquios del
siglo x\i, de Léo Rouanet(R. M. P.); Estudos de Philologia niirandosa,
et Esquisse d'une dialectologie portugaise, de J. Leite de Vasconcellos
(R. M. P.).
Novembre. — Ramôn Escandon. Historia cientifîca. Una indica-
cion del astronomo arabe abbatenio y una rectificaciôn a Platon de
Tivoli, Regiomontano y Delambre. — M. R. de Behlanga. La mas
antigua necrôpolis de Gades y los primitivos civilizadores de la His-
pania [termine dans le numéro de janv.-fév. 1902]. — M. S. y S. Ganciôn
en alabanza de Guzmân el Bueno j; de D. Manuel José de Quintanal*
— A. Aguilo. Biblioteca Nacional. Golecciôn de Encuadernaciones.
— A. Elias de Molins. Numismâtica : Leca de Barcelona; Edi-
licio que antes habia pertenecido al Temple, iSaS. Acunaciôn de
florines. Monedas croat de Barcelona y Perpinân, i4i8. — Notes biblio-
graphiques sur Étude de l'alliance de la France avec la Castille, de
G. Daumet (A. P. y M.); Historia genealôgica y herdldica de la Monar-
qui'a espanola, Casa real y Grandes de Espana, de Fr. Fernândez de
Bethencouit (A. P. y M.).
Décembre. — Jorge Bonsor. Los pueblos antiguos de Guadalquivir
SOMMAIRK DES REVUES QD
y las Alfarerîas romanas. — Jua>j Mem^ndez Pidae. Leycndas del
ùltimo rey godo. [Travail primilivement destiné à entrer dans l'Horne-
naje d Menéndez Pelayo, mais non terminé à temps. Examen et com-
paraison des textes arabes et des textes espagnols postérieurs sur la
légende de la maison aux couronnes, de la maison aux cadenas, de la
casa ou cuera d'Hercule, c'est-à-dire du ou des palais mystérieux que
Rodrigue ouvrit malgré la prière soit des gardiens, soil des prêtres,
soit des grands, et où il trouva la prédiction de l'arrivée des Maures.
A l'exemple d'autres critiques, M. Juan M. P. penche à voir un fond
historique dans ce récit rapporté avec de nombreuses variantes par
tant d'historiens anciens. La ciieva de Ercoles ne serait autre que la
crypte de l'église S. Ginés, et c'est là que serait entré Rodrigue
pour son malheur et celui de l'Espagne. Ingénieuse comparaison entre
leS'fu/iiras de cavaliers arabes que Rodrigue est dit avoir trouvés dans
la maison enchantée et la lettre hiéroglyphique envoyée par Tendilli à
Montezuma et où étaient représentés des cavaliers espagnols.] —
M. Serraxo y Sainz. Juan de Vergara y la Inquisiciôn de ïoledo.
[Historique du procès intenté à Vergara sur la dénonciation de Fran-
cisca Ilernàndez; continue dans les numéros de janvier et juin 1903.]
— Entremés de los negros, de Simon Aguado. — Gabriel Llabrés,
Repertorio de consuctas representadas en las Iglesias de Mallorca.
[M. Llabrés a mis la main sur une collection de quarante -neuf
pièces dont il donne les titres, et dont trente-quatre sont intitulées
consiietas, les autres rcprescntaciones, cohles, ohras ou aucto.'i. Il est à
remarquer que le nom de consiieta, d'après ce que nous dit La Canal
{Esp. sagr., XLV, p. i5 et ss.), désigne à Gérone non une pièce
religieuse, mais une sorte de codex liturgique formé en i3Go et renfer-
mant des indications sur les cérémonies plus ou moins dramatiques
de la cathédrale de Gérone. La publication de quelques-unes des
consuctas de Mallorca ne serait certes pas sans intérêt.] — Notes biblio-
graphiques sur Esiudios de historia literaria en Espana de E. Cota-
relo; El Loaysa de El celoso extremeno, de Fr. Rodriguez Marin; Hijos
iliistres de la villa de Brozas, de E. Escobar Prieto; Macias 0 Namo-
rado, Mira de Mesciia et la Judia de Toledo, Uher Lope de Vega's El
castigo sin venr/anza de H. A. Rennert; Cariai y Guelfa, publié par
A. Rubiô y Lluch (A. P. y M.); Lihro primera de Cahildos de Lima,
annoté par E. Torres Saldamando ; Compendio de la Historia r/eneral
de Mexico, de N. Léon (M. S. y S.).
L'année 1901 contient, en outre, avec titre et pagination à part, un
Catdlofjo de los retratos de personages espanoles que se conservan en
ta secciôn de estampas y de hellas artes de la Bibliotcca nacional, par
\ngel M. de Barcia (20 premières feuilles) ; la suite de Y Inquisiciôn de
Toledo et du Catdlogo de cuentas de la administraciôn pàblica de imU
â 185'). Il y a 19 planches.
96 BULLETIN HISPANIQUE
Janvier-Février 1902. R. Chabas : Estudio sobre los sermones
valencianos de San Vicente Ferrer que se conservan manuscritos en
la Biblioteca metropolitana de Valencia. [Continue dans le numéro
suivant,] — A. Paz y Melia : Côdices mas notables de la Biblioteca
Nacional : vu, Comedias de Plauto. — A. Elt'as de Molins : Galcerân
Albanell, arzobispo de Granada y maestro de Felipe IV. — Ciro Bayo.
La poesia popular en la America del Sur. — J. D. Fitz-Gerald : Cabal-
leros Hiiiojosas del siglo xii. [Examen de la légende relative à D. Muno
Sancho, M. Fitz-Gerald a pu identifier le manuscrit qui a été la source
de Yepes et de Castro et explique comment ils attribuaient à Pero
Marin le récit qu'ils ont reproduit.] — Documentos : Actas originales
de las congregaciones celebradas de Valladolid en 1627, para examinar
las doctrinas de Erasmo [A. P. y M. et M. S. y S.]. — Notes sur
Los moriscos espanoles y su expulsion, de P. Boronat (V. Y.) ; Cantas
balurras, de G. Garcia Arista (P. R.); Statue d'éphèlye du Musée du
Prado à Madrid, de P. Paris (J. R. M.) — Crônica de Archivos, etc.
(Pièces entrées dans le Museo Arqueolôgico de Tarragona en 1897.)
Mars. — E. Mêle et A. Bonilla : El Cancionero de Mathias duque
de Estrada (termine dans le numéro suivant). — A. Herrera ; Benito
Arias Montano (curieuse médaille du célèbre auteur de la Bible
d'Anvers, à l'âge de quarante-trois ans et à la date de 1569, ce qui fixe
définitivement la date de sa naissance). — M. Flores Calderôn : La
Sala de Varios en la Biblioteca Nacional. — N. Sentenach : Piedras
grabadas del Museo Arqueolôgico Nacional. — A. P. y M. Biblioteca
fundada por el conde de Haro en i455 (suite). — J. R. Melida :
D, Fernando Diez de Tejada. — Documentos : Las piraterias de Walter
Raleigh en la Guyana (M. Serrano y Sans). — Compte rendu de
Lope de Vega, Arte nuevo de hazer comedias, édition Morel-Fatio.
[D. Adolfo Bonilla, qui a bien voulu rendre compte de mon édi-
tion de VArte de Lope, publiée dans le Bulletin hispanique, t. III,
p. 365, signale deux passages dont il propose une interprétation autre
que celle que j'ai donnée. Sur le v. 187 : Contra el antiguo y que en
razon se funda, il n'approuve pas la leçon y en que razon se fundan
que j'avais indiquée comme possible à côté de l'autre Contra el antiguo,
que en razon se funda donnée par Caramuel y Luzân, et qui est satis-
faisante. Il pense qu'il n'y a rien à changer au texte de l'édition prin-
ceps qui équivaut à « contra el arte antiguo, y fundado en la razôn ».
Je renonce très volontiers à la correction y en que razon se fundan,
mais je ne crois pas que le texte primitif puisse être maintenu inté-
gralement : il me paraît nécessaire de supprimer y et de lire le vers
comme l'ont fait Caramuel et Luzân. L'explication des vers (264-66)
No traya la escritura ni el lenguaje Ofenda con vocablos exquisitos par
« No traya la escritura vocablo exquisitos, ni el lenguaje ofenda con
ellos », paraît inacceptable à Bonilla. « El adjetivo traido tiene la signi-
SOMMAIRE DES REVUES 9^
ficaciùn de usado, gastado, cosa que se va haciendo vieja, y se dice
propiamente de la ropa. Lope emplea en este sentido el verbo traer, y
quiere decir : No traiga el poêla la escrilura (i. e. no sea de un estilo
descuidado, incorrecto y vulgar), ni lampoco ofenda el lenguaje con vo-
cnblos exquisitos (i. e. ni peque por el extremo contrario »>. Le participe
Iraiclo signifie, en effet « usé )), parce que ce qui a été longtemps porté
est usé, mais que le verbe à d'autres temps ait aussi ce sens, c'est ce
qui reste à démontrer. J'ai voulu consulter sur ce point notre maître
à tous, D. Rulino José Cuervo, qui a pris la peine de me dire son senti-
ment : « La manera ordinaria como estân expresados los preceptos 6
consejos déjà entender sin esfuerzo alguno que el sujeto de traiga y
ofenda es el poeta; si eslo es asi, la frase « no traya la escritura « tiene
un sentido obvio del que no es lîcito prescindir sin razones muy pode-
rosas, y ésas no las encuentro. Lo de no citar la Escritura en las come-
dias (fuera del punto de vista teologico) no parece fuera de su lugar
cuando Lope quiere condenar la pedanteria. Traer por citar (« traer
ejemplos ») lo usa el mismo Lope : Rivad. XLI, p. ôga'. La acepciôn que
le da el Sr. Bonilla me parece insolita, y necesito grande esfuerzo por
acomodarla a la frase; juzgo que ese verbo no se usa nunca solo en
sentido desfavorable. Para hacer probable su explicaciôn deberia el
Sr. Bonilla presentar testimonios de la época. Ademas, me parece que
escritura por estilo séria singularmente impropio en este lugar (y acaso
en cualquiera), porque se trata especialmente de obras dramâticas, que
son mas bien para oidas que para leidas. » M. Cuervo, on le voit,
revient à l'interprétation de Caramuel, que j'avais écartée sans raisons
suffisantes. A propos d'un passage de l'avant-propos de mon édition,
M. Bonilla me reproche d'avoir pris le Naharro que cite Lope à côté de
Rueda pour Bartolomé Torres Naharro, alors qu'il s'agit du comédien
ÎNavarro ou Naharro dont parlent Cervantes et Rojas de Yillandrando. Ce
qui m'avait fait penser à Bartolomé — et sur ce point je me suis ren-
contré avec La Barrera et Menéndez Pelayo(éd. de la Propaladia, t. Il,
p. Lxxi) — c'est que Lope ajoute « apenas ha ochenta anos que pasa-
ron ». Les quatre-vingts ans, il est vrai, ne conviennent pas plus à Rueda
qu'au comédien Naharro; la question reste donc indécise. —A, M. -F.]
— Notes sur Hierros artisticos, de L, Labarta (J.R. Melida); Museo —
Biblioteca de Ultramar en Madrid, Catdlogo de la Biblioteca (^L S. y. S.)
Le numéro de janvier 1902 commence la publication, avec titre
et pagination à part, de Bibliografia hispano-latina cldsica, par
M. Menéndez Pelayo. G. C.
Boletîn de la Real Academia de Buenos Letras de Barcelona.
L'Académie de Biienas Letras, qui est pour les provinces catalanes ce que
l'Académie de l'Histoire de Madrid est pour l'Espagne castillane, a décidé la
création d'un bulletin destiné à tenir le public au courant de ses travaux et
à publier des documents et des dissertations érudites. Nous félicitons cordia-
gS BULLETINS HISPANIQUE
lemenl l'Académie barcelonaise de cette entreprise si digne d'intérêt, et dont
les heureux résultats ne sq feront pas attendre. Voici le sommaire des huit
premiers fascicules qui correspondent aux années igoi et 1902.
N° 1. José Balari y Jovany : Nota de etimologia catalana. [Il s'agit
des mots esme, esmar, aesmar. Ce dernier ne vient pas de aestimare,
comme le dit M. Balari, mais de adaestimare.] — Francisco Carreras
Y Candi : La Institucîon del Castlà en Cataluna. — H. Finke : Arnaldo
de Vilanova en la Corte de Bonifacio VIII. [Très curieux rapport d'un
agent du roi d'Aragon à Rome sur les relations entre Arnaud de Ville-
neuve et Boniface VIII en i3oi. Il nous apprend que Boniface était
atteint de la pierre et qu'Arnaud a fecit quendam denarium et quod-
dam bracale pape, que cum portaret, malum lapidis amodo non
sentiret ». L'agent ajoute que Boniface ne pense qu'à trois choses :
« ut diu vivat et ut adquirat pecuniam, tercium ut suos ditet, magni-
fet et exaltet. De aliqua autem spiritualitate non curât. » M. Finke a,
depuis, republié ce rapport dans son ouvrage intitulé Ans den Tagen
Bonifaz VIII, Munster, 1902, p. xxx.] — Axdrés Giménez Soler : Las
libertades aragonesas. — Luis Comexge : Clinica regia. [Renseigne-
ments sur la maladie dont mourut D^ .luana Enriquez, deuxième
femme de Jean II d'Aragon.] — Joaquin Miret y Sans : El testamento
de la condesa Ermengarda de Narbona. [Document de l'an 11 96.] —
Fernando de Sagarra : Un error sigilogrâfico. [Il s'agit d'un sceau
avec la légende S. Vniversitatis ville de Pratis. Quelqu'un avait traduit
universilas par université, alors que ce mot signifie naturellement la
communauté des habitants.]
N° 2. JoAQufN Miret y Sans : La casa de Montcada en el vizcondado
de Bearn. [Travail très important.] — Francisco Carreras y Candi :
Bellesguart, real sitio de Martin I. [Étude intéressante sur une rési-
dence du roi Martin I" d'Aragon, située près de Sarriâ. Documents
relatifs à des travaux de construction et de plantation d'arbres.] —
Luis CoMENGE : « Perdra lo puny. » [L'auteur pense que cette peine
n'était pas une véritable amputation.] — A. Giménez Soler : Retrato his-
torico de la reina D' Maria. [II s'agit de la femme d'Alphonse V d'Ara-
gon.] — Joseph Mas y Domenech : Llibre de la Cort del Bruch. 1637-
i663. [Ordonnances municipales.] — Francesch Carreras y Candi:
Numismâtica sarda del sigle xiv. Ceca de Viladiglesies.
N° 3. — S. Sanpere y Miquel : La candidatura del duque de Saboya.
[Candidature de Victor-Amédée II au trône d'Espagne.] — J. Soler y
Palet : Quelcom pertocant a la guerra dels dos Pères. [Lutte entre
Pierre IV d'Aragon et Pierre de Castille.] — Joaquin Miret y Sans : La
casa de Montcada en el vizcondado de Bearn (suite). — C. Parpal y
Marqués : Los municipios de Menorca. [Rivalités des municipes de
Minorque au xvii' siècle.]
N° 4. — L. Comenge : El protofisico de Pedro el Ceremonioso. [Il se
SOMMAIRE DES REVUES gd)
nommait Pedro Ros cl descendait d'une branche de la famille romaine
des Orsini.J — S. Sanpere v Miquel : Pedro el Greco. [Il s'agit de Père
Serafi, poète et peintre du xvi" siècle, surnommé el Greco, peut être,
dit l'auteur, à cause de la pureté de son dessin.] — J. Codina y For-
MosA : Libre dels ensenyaments de bona parlerîa. [Extraits de la tra-
duction catalane du Trésor de Brunetto Latini, d'après un manuscrit
du séminaire de Barcelone. D. Antonio de Boiarull en avait déjà publié
un court fragment, dans ses Esladios de la lenr/ua calalana, Barcelone,
i86/|.] — JoAQuix Miret y Sans : La casa de Montcada en el vizcon-
dado de Bearn (suite).
No 5. — F. Carreras y Ca^di : Palomas y palomares en Calaluiia
durante la edad média. | Mémoire très documenté sur l'élevage des
pigeons et sur les pigeonniers dans les pays catalans au Moyen-Age.]
— A. GiMÉNEZ SoLER : Notas para la historia de las costumbros privadas
en la edad meditl. — C. Parpal y Marqués : Menorca feudataria. —
.loAQUiN MiRET Y Sa>s : La casa de Montcada en el vizcondado de
Bearn (suite). — J. Codina y Formosa : Libre de ensenyamenls de
bona parleria (suite).
N° 6. — M. Aguilô y Fcster : u Ballesla. » [Article ùatlesta extrait
du lexique inédit de la langue catalane de feu Mariano Aguilo y
Fuster.] — F. Carreras a Candi : Palomas y palomares en Catalufia
durante la edad média (suite). — Joaquîn Miret y Sans : La casa de
Montcada en el vizcondado de Bearn (suite et fin). — J. Mas y Dome-
nech : Notes historiques del Monestir de Santa Maria de >'alldonzella. —
J. Codina y Formosa : Libre dels ensenyaments de bona parleiia suite .
N° 7. — F. Carreras y Candi : Un llibre de geomancia popular del
sigle XIII. [Extraits d'un manuscrit des archives de la cathédrale de
Barcelone en catalan provençalisé que l'éditeur date du xiii- siècle.] —
JoAQUiN Miret y Saks : Documentos inéditos del condado de Besaliî.
— F. Carreras y Candi : Palomas y palomeras (suite). — J. Codina y
Formosa : Libre dels ensenyaments de bona parleria (suite).
Ji° 8. — F. Carreras y Candi : Palomas y palomeras (suite etjinj. —
J. Codina y Formosa : Libre dels ensenyaments de bona parleria (suite .
Ces huit premiers fascicules font très bien augurer de ceux qui les
suivront. Nous demanderons seulement à M. Miret y Sans, le savant
secrétaire de l'Académie, qui est un excellent paléographe, de surveiller
de près la correction et la ponctuation des documents qui, parfois,
laissent un peu à désirer. — A. M.- F.
Revis ta de Extremadura.
Mai 1901. PuBLio lIuRTADO : Supersticiones extremefias. [(Continue
dans les n" de juillet, août, octobre, novembre, décembre 1901, jan-
\icr et juin if)0'?.] — Daniel Berjano : Poetas placentinos contempo-
râneos do Lope de Vega. Suite.) [Citations intéressanles. Termine
lOO BULLETIN HISPANIQUE
dans le numéro suivant.] — Juin 1901. M. Rosa de Llna : Ruinas pro-
tohistôricas de Logrosân, Santa Cruz y Solana de Cabanas. — Eugemo
EscoBAu Prieto : Don Nicolas de Ovando. — Vicente Pare des : La
Catedral de Leôn. — Juillet. Eugenio Escobar Prieto : Don Nicolas de
Ovando. (Fin.) [Réfutation de quelques erreurs historiques au sujet de
ce personnage.] — Nicolas Izquierdo Hernandez : Algo sobre el habla
popular de Extremadura. [Indications très intéressantes.] — Août. Matîas
R. Martinez : Coria. [Étude épigraphique.] — Vicente Paredes : Excur-
sion a Câparra. — Septembre. Matîas R. Martinez : Coria. (Suite.)
— M. RosA DE LuNA : Confesiones. [A propos des Carias maritimas de
Juan Ortiz del Barco.] — LuisR. Miguel: Las Jurdes. [Notice historico-
géographique.] — Octobre. José Benavides : Historia del portazgo de
Plasencia en los siglos xiv y xv. [Suite. Continue dans le n" de mai
1902.] — M. Rivas Mateos : Una excursion a Sierra de Gredos. —
Cayetano Rodriguez : Amistades luso-hispanas. — José Garcia Mora :
Maravillas y arcanos de la mùsica. — Novembre. Gabriel Llabbés:
El Fuero de Trujillo. [Publication de cefuero octroyé par Alphonse X
en 1256, avec sa confirmation par Jean I".] — Felipe Trigo : La Toga.
[Étude sociologique sur la criminalité.] — Décembre. Vicente Paredes :
Datos para los cervantistas (Suite) : Los Quijadas de Esquivias. —
R. Garcîa-Plata de Osma : La mi nochegûena. [Chants populaires
recueillis près d'Alcuéscar.] — Janvier 1902. R. de L. : Monumento â
Extremadura (apunte bibliogrâfico). — Eduardo H. Pagheco : Apuntes
de geologia extremena (suite). — Février. — Vicente Paredes : Nuevas
inscripciones extremenas. — Mars. José Marti y Monso : Alonso Gon-
zalez Berruguete ; el Retablo de la iglesia de Santiago en Câceres. —
Vicente Paredes : Carta Puebla del medio lugar de Aldeanueva del
Camino. — Edgardo de Amarante : El judîo errante. — R. Garcia-Plata
DE OsMA : Rimas infantiles. [Chants populaires recueillis à Alcuéscar.]
— Avril. Crotontilo : Un endemoniado; contribuciôn al estudio de
las Supersticiones extremeîias. — Carlos Groizard y Coronado : Don
Pedro Lôpezde Miranda. [Étude historique.] — J. Sanguino y Michel :
Por Alcântara y Brozas; excursion artistica. [Finit dans le n° suivant.]
— Mai. Matîas R. Martinez : Badajoz â través de la historia patria.
— Juin. M. Rosa de Luna: Excavaciones en la Sierra de Santa Cruz. —
Luis Hermida : El alboroque de boda (costumbres extremenas). —
Sergio Pesado Blanco : ïermas de Montemayor. [Étude épigraphique.]
2 mars 1903.
LA RÉDACTION : E. MÉRIMÉE, A. MOREL-FATIO, P. PARIS
G. CIROT, secrétaire; G. RADET, directeur-gérant.
BMrdeaoz. - ImiTimerie G. Godkouilhou, me Oniraade, 11,
Vol. V. Avril- Juin 1903 N° 2,
NOTES IBÉRIQUES'
II
LA THALASSOGRATIE PHOCÉENNE
A PROPOS DU BUSTE D'ELCHE
Salammbô ou Carmen? phénicienne ou gréco-ibérique? Je
ne veux pas prononcer un jugement sur la question de l'ori-
gine de la célèbre «dame d'Elcheo.Je désirerais seulement
indiquer comment l'influence grecque a pu s'exercer directe-
ment dans le pays où cette dame a reçu le jour.
La domination carthaginoise sur les côtes d'Espagne a été
précédée par une thalassocratie phocéenne. Nul doute n'est
plus possible à ce sujets. Mais cherchons les dates auxquelles
elle a commencé et pris fin.
Les Phocéens ont pénétré dans les eaux espagnoles aux
environs de la date à laquelle ils fondèrent Marseille (ôoo-ôgS
avant notre ère)3. En Bétique, ils connurent le roi Argantho-
nios'', qui régna, dit-on, quatre-vingts ans et qui mourut
1. Cf. Bnllelin hisijanique, t. IV, 1902, p. 12-19.
2. Depuis l'article de Théod. Ueinach sur la tête d'Elche au Musée du Louvre, dans
la Revue des Études grecques, t. XI, 1898, p. 89-60. Le mémoire de Zorn, Ueber die
I\ iederlassungcn dcr Pliokder an der Siidkiiste von Gallien , Kaltowitz, 1879, est insi8:nifiant.
3. On trouve les dates de Goo, 097, 093; cf. Busolt, t. I, p. 285, n. 5. — Qu'il ne
faut pas reculer la fondation jusqu'au moment de la chute de Phocle, c'est ce qui m'a
toujours paru surabondamment prouve par Dcdcrich, Bheinisclies Muséum, t. I\',
i83G, p. 99 et suiv.
!x. Je crois bien, sinon à la longévité, du moins à l'existence d'un roi de
Tarlessus ayant accueilli et protégé les Grecs, et je ne puis pousser le scepticisme
jusqu'à dire, avec Meltzcr {Gesckichte der Karthager, t. I, 1879, p. i (38), qu'il n'est que
« le représentant de la période philhellénique de l'histoire de Tartessus, période
-1 F B. — Bull. Iiispan., X, 1903, 2. 8
I02 BULLETIN HISPANIQUE
vers ôf\i-ô\oi. C'est donc entre 620 et b^o qu'ils débarquèrent
pour la première fois sur les rivages de Tarlessus^.
Est-ce après, est-ce avant la fondation de Marseille? J'ai
peine à croire que ce soit après. — Entre l'âpre Ligurie et la
divine Bétique, l'hésitation n'était point possible. Celle-ci était
la terre fabuleuse des métaux, des bestiaux innombrables, des
moissons prodigieuses. C'est vers elle que se sont portées
d'abord les convoitises de tous les peuples : Tyriens, Grecs,
Carthaginois, Romains. Au vu' siècle, Tyr avait abandonné
les mers occidentales, Carthage s'en approchait. Les Grecs
essayèrent d'y arriver bons premiers. Colaeus de Samos vint
à Tartessus vers 63o3 et y fît des bénéfices énormes : la Grèce
entière acclama sa victoire commerciale''. En ce moment, il
close par l'arrivée des Carthaginois». Sur les rois de la dynastie à laquelle appar-
tenait Arganthonios, cf. Justin, XLIV, />. — Hérodote fait vivre Arganthonios
pendant cent vingt ans; Anacréon lui donnait cent cinquante ans (Pline, Vll, i54;
Strabon, III, 2, i4; cf. Appien, Iberka, 63); d'autres, jusqu'à trois cents ans (Silius
Italiens, III, 3g8, peut-être d'après Posidonius). Cette période de trois cents ans
' pourrait correspondre à la durée de la dynastie qui finit, je crois, à Arganthonios,
ce qui la placerait de S^o à 54o; mais il faut tenir compte aussi du fait que les
Turdétans, héritiers des gens de Tartessus, avaient des annales poétiques, où ils
augmentaient volontiers le nombre des années ou comptaient par des «années»
sans doute beaucoup plus courtes que les années ordinaires : cf. Strabon, III, 1, 6
(d'après Posidonius.^) : Tr,; Tix/xtà; ]j.-'ir^\i.rtZ k'y/jyac ...£Ea/.t(7X''''>''f'J'' etwv, w; çasc, et
c'est à ces traditions indigènes qu'il faut rattacher et les renseignements de Posidonius
et ceux de Justin. — Le nom d'Arganthonios (signifiait-il «roi de l'argent» dans
la langue indigène'') a pu parfaitement être im nom propre, le radical argant,
arganth, argent, étant un des plus répandus dans l'onomastique et la toponomastique
de l'antiquité et en particulier des pays occidentaux. — Nous suivons pour les dates
la chronologie do Busolt (t. II, p. 469 et 753); on peut s'en séparer à 5 ans près, mais
le rapport des dates entre elles, qui est le principal, est fixe.
1. Hérodote, I, i63: 'Efjpàwîuo-s oi TapTr,TffoO oyôojxovTa ëxsa, èoiuxîz Si (xâ)
îràvxa sÏxoti /.ai ÉxaTov. Le renseignement de Pline (VII, i56) ne me paraît pas
emprunté à Hérodote : Arganlhonium Gadilanuin octoginla annos régnasse prope cerlum
est: putanl quadragesimo coepisse; cf. Valère-Maxime, VIII, i3, ext. 4o, qui se sert
exactement des mêmes expressions que Pline. Je me demande si la source première
de cette tradition n'est pas Hécatée de Milet.
2. Je tiens à ne pas préciser, car, si l'on ne peut pas placer ailleurs Arganthonios,
il est impossible de dire à coup sur quelle était sa ville principale. Pline (VII, i56;
cf. Valère-Maxime, VIII, i3, ext. li) dit, en dehors de Posidonius et d'Anacréon :
Arganlhonium Gaditamim; Silius (III, 896, d'après Posidonius, cf. Strabon, III, 2,
i4) dit : Carteia; Appien (Ibcrica, 2 et 6i) dit : Carpessus, qui est dans sa pensée et à ces
deux endroits la même chose que Carteia, et il est bien probable qu' Arganthonios
régnait sur ces deux villes et plus loin, dans les terres et le long de la Méditerranée;
cf. p. io6, n. 4. Je ne parle ici que des textes mentionnant le royaume d'Argan-
thonios; sur les diflérentes identifications de Tartessus, cf. Movers, Die Phanizier,
t. II, II* p., i85o, p. 594-614; et, contre lui, Unger, qui croit à l'existence d'une ville
de ce nom (Philologus, supp. IV, i884, p. 31G-217).
3. Date acceptée par Busolt, t. I, p. -285
4. Hérodote, IV, i53.
LA THALASSOCRATIE PHOCEE>>E A PROPOS Dl BISTE D ELCHE lOo
n'y avait, entre Cadix et Carteia, que des Barbares : la voie était
libre pour les Grecs. — C'est alors, je crois, que les Phocéens
se présentèrent à leur tour dans le détroit de Gibraltar : ils
venaient d'inaugurer les vaisseaux à cinquante rames et les
longs voyages sur mer'. Où porter avec plus de profit leur
marine hardie et résistante, si ce n'est vers « les sources de
l'argent»? — Je placerai donc volontiers leur débarquement
dans l'extrême sud de l'Espagne entre les années 620 et 600.
Arganthonios y était le seul maître. 11 aimait les Grecs.
Tous ces rois de la Bétique ont été des pacifiques et des intel-
ligents. Il leur offrit des terres.
Mais les Phocéens refusèrent 2. Aucune colonie ne fut fondée
dans l'admirable région du Guadalquivir, En revanche, Mar-
seille fut établie entre 600 et bç)3, chez les sauvages Ligures.
Les Phocéens perdaient terriblement au change. — Il faut
qu'il y ait eu une raison impérieuse pour les écarter de Carteia
et de Cadix, et des Colonnes d'Hercule, et pour les rejeter,
comme vers un pis-aller provisoire, dans la mer de Toscane.
Cette raison, c'est sans doute l'intervention de Carthage.
C'est vers cette date qu'elle a dû jeter son dévolu sur Cadix,
supposée fille de Tyr comme elle. Peut-être ne s'y est-elle pas
dès lors établie à demeure. Mais elle a rappelé à ses habitants
la parenté, vraie ou mythique, qui les unissait à elle^; elle
s'est arrangée, par un traité ou autrement, à interdire aux
Phocéens tout commerce ou au moins toute colonie au delà
des colonnes d'Hercule^.
Je ne crois pas, cependant, qu'elle ait été assez forte, vers
600, pour leur couper toutes les relations avec les indigènes
de Carteia et de Cadix, sujets du roi Arganthonios. Plus d'un
Phocéen séjournait auprès de ce dernier : s'il n'y eut pas de
ville fondée dans la région de Tartessus, il y eut du moins un
groupe d'amis ou d'hôtes du roi 5. 11 demeura, par leur inter-
1. Hérodote, I, iG3.
2. Hérodote, I, 163.
3. Cf. Justin, XLIV, 5, sur les liens de consanguinité entre Cadix et Carthage.
4. Cf., dans le traité de Cartilage avec Rome : Mr, Xr/i^ErrOa'. ir.iy.v.-i:t. (MaiTTi'a;
Tapar|to'j)'Pw(xato-j; [irfiï âixTîope-jecjÔai, [xr|0£ nôXtv xTtîiEiv (Polybo, III, 23, 4).
5. Appien, Iberica, a : "E>,>.r,vi: tî ôuloîm;, è; TapTriCro-ôv -/.a\ 'Apyxvflwviov TaptriT-
ijO-j Sa<7i/,Éa Tr/.iovTïç, ijxaîïva'. v.x'. Toivof tc/î; iv 'lor.pix.
104 BULLETIN HISPANIQUE
médiaire, en relation avec Phocée même : quand les Perses
menacèrent la Lydie et les cités grecques, il envoya de l'argent
à la ville pour qu'elle se bâtît des murailles' (entre 549 ^^ ^^^ ^•'^)-
Mais si les Phocéens avaient laissé aux Carthaginois le pri-
vilège de la route directe des gisements métalliques, qui était
par Cadix et le Guadalquivir, ils tentèrent d'arriver par
d'autres voies à ce but éternel des ambitions commerciales ^ :
ils s'installèrent à l'entrée des vallées côtières de la Méditer-
ranée, qui font brèche dans cet énorme bloc de minerais
qu'était, disait-on, le noyau central de l'Espagne 3.
1. Hérodote, I, iG3 : '0 ôs ny6o[j,£vo; tov M7iôov uap' a'jTwv w; a-j'^oixoi âoîoou o-çt
yprijxaTa xer/o; TrsptSDtAÉffôai ty^v TtôXiv. Il y a, cependant, plusieurs difScultés à rap-
porter cette anecdote à l'expédition d'Harpagos (voyez ce que dit à ce sujet Radet,
La Lydie et le monde grec, 1892, p. 211), et je me demande s'il ne s'agit pas de quel-
ques menaces faites contre Phocée par Grésus ou par un de ses prédécesseurs : la
date pourrait donc être reculée de beaucoup au delà de l'année bl\o. Voyez, sur ces
guerres, Radet, p. 194 et suiv.
2. Gela a été bien montré par Th. Reinach, p. 53.
3. Sans parler de leurs établissements au nord de l'Èbre, qui visaient d'autres
routes et d'autres gisements. — De traces de commerce hellénique dans la région
pyrénéenne, je ne trouve que les suivantes chez Aviénus :
lo CallipoUs, qu'il place (5 1 4-5 19) entre l'embouchure de l'Èbre et Tarragone;
mais MûUenhoff, redressant ici les expressions du périple, identifle Gallipolis et Bar-
celone: Die Schilderung der Lage von CallipoUs passt volkommen auf Barcino (I, p. 172);
G. Millier, au contraire, accepte le texte, et place Gallipolis au cap Salou {Philologus,
t. XXXll, 1873, p. 118).
2° Pyrénc. Voici le texte (558-56o) : In Sordiceni caespitis confinio \ quondani Pyrenae
latera civitas diti Jlaris (laris?) \ stetisse fertar : hicque Masiliae incolae | negociorum
saepe versabant vices. Gomme, dans toute cette région, Aviénus ne mentionne aucune
des colonies de Marseille, ni Rliodé ni Emporium, on a supposé que ce nom de
Pyréné dissimule une de ces deux villes, et, probablement, celle d'Emporium, traduit
par Aviénus en vices negociorum (Ghrist, Aviénus, 18G8, p. 261, q. n. v., et d'après lui,
Unger, Philologus, suppl. IV, i884, p. 261). Gela est fort ingénieux. Mais est-il prouvé
qu'Emporium existât dès ce temps-là.'' Aviénus ne l'aura-t-il pas omis pour le même
motif qu'il a omis Rhodé et Agde, parce que les Marseillais n'avaient pas encore fondé
des colonies ? Pourqupi Aviénus n'aurait-il pas mentionné PyrénéEmporium plus haut
lorsqu'il décrit (5/1/4-047) la région du golfe de Rosas.^ Sa ville de Pyréné n'est-elle
pas plutôt au nord qu'au sud du cap Creux .^ L'expression de negotia, negotiandi, n'est-
elle pas habituelle à Aviénus (100, ii4)? Hérodote, dont la source est contemporaine
du périple, ne connait-il pas la ville de Pyréné (11, 33).^ N'est-il pas remarquable
qu'Hécatée, lui aussi un contemporain de ce périple, ignore précisément Emporium,
Rhodé, Agde et les mêmes villes que lui.^
Si Aviénus ne parle pas de ces cités, dites-vous, c'est une erreur ou une lacune de sa
part, car elles existaient au iv* siècle. Mais savez-vous si le périple n'est pas antérieur
de cent ans à leur fondation.'' Vous n'avez sur tous ces rivages qu'une demi-douzaine
de textes, à date indécise, flottant l'espace de plusieurs siècles, et vous voulez les
détruire ou les corriger l'un par l'autre .^Ges misérables textes sont les seuls lambeaux
qui ont survécu de l'histoire de ces pays depuis 620 jusqu'en 220. Pouvez-vous sup-
pos3r que, dans ces trois ou quatre siècles, il n'y ait pas eu da changements innom-
brables dans la géographie politique du rivage.' Voyez ce qui s'est passé en Sicile ou
dans la Grande Grèce. Les rivages de l'Espagne ont va sa succéder toutes les thalasso-
cratios môditcrranéennss et toutes les invasions cDn'Ja3n'ales. La même rade utile a
LA TlIALASSOCKATIE PHOCEF.NM:: A PROPOS DL BLSTE D ELCIIK lOD
On les vit trafiquer près de rembouchure de l'Èbre',
s'arrêter près de celle du Jucar^. Et, ce qui fut beaucoup plus
grave, ils bâtirent une vraie ville, Mainaké^, près de l'em-
élé occupée tour à tour par les Carthaginois, les Grecs ou les Ibères, abandonnée et
reprise peut-être à chaque génération. Cela, évidemment, complique d'une façon
elTrayante la science des textes anciens. Mais nous ne sommes pas pour faire de la
science facile.
La vérité est que le rédacteur du périple d'Aviénus a décrit ces rivages au moment
précis, le jour où il les a vus, et non pas, summatim, tels qu'ils pouvaient se présenter
dans l'espace indéterminé d'un siècle d'autrefois. Si son témoignage vous paraît sur-
prenant, ce n'est pas parce qu'Aviénus a changé le texte, c'est parce que les temps ont
changé.
Je m'en tiens donc, le plus possible, au document que j'ai sous les yeux. Au nord
des Pyrénées, dans une des anses admirables do Cerbère, de Port-Vendres, de Banyuls
ou de Collioures, se trouvait, vers l'an 5oo, un grand marclié indigène que visitaient
les Grecs et qu'ils appelaient Pyrene. Unger rectifie le texte ainsi (de môme que
Holder):
Quondam Pyrenae latera [juxta et insulam,
Aile lumentem] civitas, etc.,
sous prétexte qu'il y a une île près d'Emporium. Mais, dans le port de Collioures,
vous avez l'îlot de Saint-Vincent, et, au lieu de insulam, qui vous empêche d'écrire
jugum ou prominens, ou n'importe quoii* N'oublions pas, enfin, que tout ce coin du
Roussillon a été extraordinairemcnt visité dans l'antiquité, et que les rendez-vous
d'indigènes y ont abondé: Iliberris. « la ville-neuve» (Elne, cf. Bulletin hispanique,
igo2, p. 13), Caucoliberis, qui a dû signifier le « marché-neuf «ou quelque chose d'ap-
prochant (c'est aujourd'hui Collioures, cf. Alart, Géographie historique des Pyrénées-
Orientales, i85g, p. 53 : une des meilleures monographies de ce genre que je connaisse),
portas Veneris (Port-Vendres), Cervaria (Cerbère). Qu'y a-t-il d'étonnant à ce que,
au VI* siècle, il ait existé dans ces parages, sous le nom de Pyréné, un important lieu
de foire et d'échanges, entre Grecs et Barbares.'
1. Aviénus, /191, place ici un nom de localité grecque : Ad usque cassae \C] herronesi
terminas. A rapprocher de Strabon, 111, i, 6, qui nomme la localité de Xippôvr|(7o;
comme ville, et (plus hypothétiquement) d'Hécatée de Milet, fr. iG : "Vo'J; ttôai;..., èv
'I6-r|p''a -/epoovri'Tou (Etienne de Byzance) : Los Alfaques au sud de l'Ebre (Mùllenhoff,
p. 1C9'; cf. Reinach, p. 50); Peniscola (C. Mûller, p. 117; Unger, p. 252).— L'idée
d'Unger (p. 275), qu'il faut chercher les localités indiquées par Hécatée du coté de
l'étang de Thau, me paraît inadmissible.
2. Aviénus, ^76-/477 : Hemeroscopiam quoque habita\ta] pridem hic civitas. Identifié
avec Dénia par ^lùUenhoff (1, p. lOi) et bien d'autres; mais Reinach a très bien mon-
tré (p. 45) qu'Héméroscopium doit être cherché plus au nord, peut-être à CuUera près
de Valence. Il doit y avoir, en effet, une lacune dans le texte de Strabon relatif à cette
ville (111, !,, 6).
3. Aviénus identifie complètement Malaga et Mainaké (426-427) : Malachae flumen,
urbe cum cognomine , Maeneace prior\c quae\ vocata est saeculo. Tout le monde paraît
d'accord pour voir là une erreur d'Aviénus, due sans doute à une interpolation posté-
rieure au texte du périple primitif : et cela, parce que Strabon (d'après Posidonius.^)
distingue avec une extrême netteté l'un et l'autre sites et reproche à quelques-uns de
ses prédécesseurs de les identifier : ïajTr|V (Mi/axav) Ttvs; -r, MaivaxT) ■zr^^/ a-JTTiv vo[jlî-
Ço-Jdiv, T^v ûtrrâTïiv lût'/ <l>ci)xaïxâ)v irô/.îtov Trpb; Ô'jtei y.sijilvrjv 7tap£tAr|3a[X£7, oOy. k'<TTt
ôé ■ aXk' i%Eivr\ jjlÈv aiTWTépto tt,; KaATtr,; iazi, 7.atî(Txau.iJ.Év/j, za ù"iy-/i) ffoj'oycra 'EÀXr,-
vixT.i; 7t6),e(i);, ti ôk MxXaxa 7:\r,(jio'i tJiâXXov, <toiviy.iy.Y) tw ayr^ij.'X'Z'. (III, 'j, 2). J'hésite,
cependant, à propos de pays que nous connaissons si mal, et quand il s'agit d'une
histoire répartie sur six siècles, à donner tort à Festus Aviénus sur le dire d'un écri-
vain postérieur de cinq cents ans à son périple. Il pourrait se faire que Malaga et
Mainaké aient été la même ville, tour à tour phocéenne et punique, et qu'il y ait
eu non loin d'elle un autre comptoir grec, phocéen ou marseillais, dont les ruines
Io6 BULLETIN HISPANIQUE
bouchure du Guadalhorce, dans la région de Malaga. Cette
rivière ouvrait, pour pénétrer aux mines, une voie presque
aussi directe que celle du Guadalquivir i : c'est celle que suit
aujourd'hui le chemin de fer de Malaga à Cordouea, lui-même
héritier 3 d'une vieille route romaine. Malaga, Cadix, sont
encore, et furent souvent rivales : les Phocéens dans la vallée
du Guadalhorce, c'était la plus terrible concurrence qui pouvait
menacer Carthage^.
Ces établissements phocéens, s'ils ne sont pas contem-
porains de Marseille^, ne lui sont postérieurs que de peu de
temps. Je placerai leur création entre ogS et 54o, date de la
auront été plus tard identifiées avec Mainaké. Quand on songe que moins de deux
cents ans après la mort de Gharlemagne, les Francs se trompaient sur l'emplacement
véritable de son palais de Gassinogilum, on peut bien croire que les coureurs de
rivages aient oublié le vrai site de Mainaké. C'est, d'ailleurs, une des choses qui s'ou-
blient le plus vite, que l'exacte localisation d'un lieu historique. — Le Pseudo-Scym-
nus (i 40-1 47) place Mainaké près des Colonnes d'Hercule et en fait MaTo-aXiwTiXTi
■nôliç. Cela peut vouloir dire, sans doute, que Mainaké a passé pendant un temps
(reconstruite à la même place, ou plus loin) sous la domination marseillaise (après
480). Mais le périple de ce nom est un document tout différent de celui d'Aviénus,
plein de spéculations hasardeuses et de conjectures rapides: le même Pseudo-Scymnus
ne fait-il pas fonder Eléa (aSo) par les Marseillais et les Phocéens.^ — Etienne de
Byzance place (s. v.) Moc/cy) ou Maivâxr] en Celtique, ce qui, dit justement Th. Reinach
(p. 54), « est incompréhensible. »
1. Cordoue était, évidemment, le centre sinon de production, du moins d'entrepôt
du bassin minier de la Bétique. Car on signale l'or dans cette ville, ou plutôt dans
ses terres (Silius Italiens, III, 4oi), et à Cotinae, sur la rive droite du Bétis, et en aval
(Strabon, III, 2, 3); l'argentà Castulo, Ilipa, Sisapo (Polybe, X, 38; Strabon, III, 2, 3
et 11); le cuivre également à Colinae (Strabon, III, 2, 3). Toutes les montagnes qui
forment la ceinture du Guadalquivir sont aujourd'hui encore l'une des deux grandes
régions minières de l'Espagne.
2. Ne pas oublier, d'ailleurs, que, dans l'arrière-pays montagneux de Malaga, il
y a y.àv~aj9a -/py^-ïta y.ai aXXa [i-hixXf.x. Ajoutez, dans les eaux de Malaga, Taptv;£Îaç
(jieyâAa; (Strabon, III, 4, 2). Le pays, à tous les égards, est à peine inférieur à la
Bétique du Guadalquivir.
3. En partie seulement. La route romaine passait par Antequera.
4. II est fort possible que l'installation des Phocéens dans la région de Malaga se
rattache à leurs relations amicales avec Arganthonios. Ce dernier était dit « le roi
de Tartessus », et Aviénus étend le domaine primitif des divites Tartcsii bien au delà
de Malaga, vers l'est, jusque vers le cap de la Nao (463; de même, Pseudo-Scymnus,
148; cf. MûUenhoff, t. I, p. iSg; Reinach, p. 47). Je ne dis pas que les Tartessiens
occupassent, sans solution de continuité, toutes les contrées maritimes, depuis le
Bétis jusqu'au cap: mais il est fort possible que, de leur empire intérieur, de larges
bandes de territoire soient venues rejoindre quelques régions utiles du rivage; ou,
encore, qu'ils aient eu des territoires côtiers enclavés dans des possessions étrangères.
De fait, Aviénus spécifie très nettement que les Tartesii porrig[un]tar in Calacticum
sinum, qui est le rivage d'Estepona (424), et que l'île de la Lune, près de Malaga, est
Tartesiorum [ju]ris (428). Là étaient donc peut-être des terres du roi Arganthonios;
là peut-être celles qu'il offrit aux Phocéens, et celles qu'acceptèrent ceux qui demeu-
rèrent près de lui.
5. L'arrivée des Grecs àîPyréné est] postérieur, semble-t-il, à la fondation de cette
ville.
LA THAI-ASSOCR.VTIE l'IH iCKKN NE A PUOPOS DU BUSTE D ELCHE IO7
prise de Phocée par les Perses. C'est dans ce demi-siècle,
mettons entre 693 et 5/19 ', que j "intercalerai les quarante-quatre
années de thalassocratie que les chronologistes anciens attri-
buaient à la marine de Phocée 3.
Je ne peux pas admettre que les Phocéens aient occupé les
rivages de la Méditerranée occidentale sans livrer de rudes
combats contre les Carthaginois. Ceux-ci, depuis 654-3, étaient
installés à Iviça (Ebiisus)^, c'est-à-dire face au cap de la Nao,
exactement à mi-chemin entre Marseille et Malaga. Pour être
maîtres de cette route, qui leur était indispensable, les Pho-
céens devaient avoir raison de leurs rivaux. Les Carthaginois
furent vaincus par eux, sans doute dans plusieurs rencontres,
vers le temps 011 se fondait Marseille. Du cap de l'Aigle au
Guadalhorce, les mers appartenaient à Phocée '^
Vers le même temps, ou peu après, les Phocéens songèrent
à l'autre bassin de la Méditerranée occidentale, celui de la
mer Tyrrhénienne, où dominaient les Étrusques. Vers 56o, ils
s'installèrent à Alalia, en Corse 5, menaçant de là l'Italie et
les mines de l'île d'Elbe. Un empire maritime se préparait
pour eux dans les mers de l'Occident, avec trois points d'appui
admirablement situés: Alalia, vis-à-vis le Tibre; Marseille,
près du Rhône; Mainaké, près de la brèche qui menait au
I. La première de ces dates est la date la plus basse à laquelle on puissse
placer la fondation de Marseille. Il est à remarquer que les quarante -quatre ans
de la thalassocratie phocéenne s'achèvent au moment où Phocée devient sujette de
Crésus.
a. Eusèbe, édit. Schœne, p. 22G: Ex Diodori scriptis breviter, de temporibus Thalasso-
cratorum... Phohaei, nnii. XLIV; Samii, ann...
3. Timée apud Diodore, V, 16; Geffcken, p. i5'i.
/(. C'est ainsi que j'interprète le texte fameux de Thucydide (I, i3): <i>wy.ari; te
Macfira/.îav o'.y.c^ovTS; Kxpyrfio'Ao-j^ ÈvtV.ojv va'jij.ot/0-jvTE;, texte qui est peut-être le
passage de l'historien grec qui a été le plus souvent discuté ; voyez, notamment, dans
ces dernières années: Meltzer, Geschichte dcr Karlhager, t. I, 187g, p. /|85; Sonny, De
Massiliensium rcbus quaestiones, 1887, p. 12 (qui regarde ce passage comme inter-
polé, solution par trop commode); Habel, Worhenschrift fiir klassische Philologie, i888,
col. 1283 et s.; Classen et Steup, édit. ('4') de Thucydide, 1897, p. 3i6 et s. (Steup
a eu le tort d'abandonner l'explication donnée par Classen dans sa 3* édition, explica-
tion que je crois la meilleure); Clerc, Les Phéniciens dans la région de Marseille, 1901,
p. 6. Le tort d'un certain nombre de commentateurs a été, en cette affaire comme en
matière d'explication d'Aviénus, de croire qu'il n'y a jamais pu y avoir qu'une
guerre entre Marseille et Carthage, et que c'est toujours à la même que les anciens
font allusion. J'imagine, au contraire, que de 600 à 218, l'état de guerre fut normal
entre les deux villes, avec des vicissitudes infinies.
5. Hérodote, I, i65.
loS BULLETIN HISPANIQUE
Bétis; les trois vallées essentielles du monde occidental allaient
tomber sous leur influence i.
Mais, vers 54o, Phocée fut prise par les Perses, et près de
la moitié de ses habitants émigrèrent vers Alalia et les eaux
italiennes.
Fait étrange, ils ne se rendirent pas à Mainaké, qui était,
et de beaucoup, la région la plus riche, la plus fertile, la
mieux située de toutes leurs possessions lointaines. C'est, nous
dit Hérodote, parce qu'Arganthonios, le roi philhellène de
Tartessus, était mort 2. Ce qui signifie, je crois, ceci : que
Carthage avait, dès lors, solidement occupé Cadix 3, que les
terres et les mers de l'Espagne étaient moins sûres pour les
Grecs qu'auparavant, que la dynastie des bons rois de la
Bétique avait pris fin, et que les Puniques avaient commencé
à tenir leur revanche sur leurs rivaux de Phocée.
Ils achevèrent leur œuvre cinq ans plus tard. Vers 535,
Carthaginois et Etrusques décidèrent d'en finir. Ils unirent
leurs flottes et, dans les eaux de la Sardaigne, attaquèrent les
Phocéens. Ceux-ci s'attribuèrent la victoire. En réalité, ils
perdirent tous leurs vaisseaux. Alalia fut évacuée. Les débris
I. L'importance de la navigation grecque dans les eaux espagnoles au vi" siècle
est encore attestée par l'abondance, chez Aviénus, de noms géographiques d'origine
hellénique; on les trouvera réunis chez Sonny (p. Gy et 70), qui les attribue, je crois,
à tort, aux Marseillais.
a. Hérodote, I, iG5. Le fait qu'Hérodote mentionne la mort d'Arganthonios à
propos de l'immigration phocéenne à Alalia montre bien qu'il tient à expliquer
pourquoi elle ne s'est pas dirigée vers l'Espagne.
3. C'est donc vers 54o, et dans le temps même où les Perses conquéraient l'Ionie,
que je placerai le retour oITensif des Carthaginois en Espagne et la prise de possession
de Cadix par leurs flottes. Il y a toujours eu, dans l'histoire de la Méditerranée, entre
les faits de l'Orient et ceux de l'Occident, une corrélation qu'il serait puéril de ne
pas reconnaître. — Je ne me dissimule pas, d'ailleurs, que la date de l'installation
des Carthaginois à Cadix est à la fois la plus importante et la plus obscure de l'his-
toire de l'Espagne ancienne. Je donne ma solution comme une conjecture, et rien
de plus. Elle est, du reste, appuyée par le texte de Justin (XLIV, 5), qui dit : Post
régna deinde Hispaniae (c'est-à-dire après la fin de la dynastie indigène d'Arganthonios)
primi Karthaginienses imperium provinciae occnpavere. Justin ajoute que Cadix fut alors
menacé Jînitimis Hispaniae populis (les Ibères? cf. p. 110, n. 4) et qu'elle appela
Carthage, qui la sauva et l'annexa. Voyez, sur cette question, Movers, Die Phœnizier,
t. II, 2' p., i85o, p. Goa; Meltzer, t. I, p. i8o et i486; et, en dernier lieu, Atenstaedl,
De Hecataei Milesii fragmentis qaae ad Hispaniam et Galliam pertinent, Leipzig, 1891,
p. 46 et s.
L\ TIIAI.VSSOCKATIE PIIOCKENNE A PROPOS DU BUSTE D ELGHE IO9
des fugitifs se réfugièrent à Marseille ou dans la Grande-Grèce «.
La mer Tyrrhénienne fut rendue aux Étrusques, et Carthage
devint ou redevint souveraine dans les eaux espagnoles.
C'est peu après cette date de 535 que je mettrai la destruc-
tion des comptoirs phocéens de l'Espagne, le reflux des Grecs
dans Marseille, désormais isolée en Occident. Un voyageur
a fait, au début du siècle suivant % une tournée de cabotage
sur les côtes méditerranéennes, de Cadix à Marseille. Il les
a décrites avec une extraordinaire précision. Or, partout où
les Grecs s'étaient arrêtés ou établis, il n'a trouvé 'que des
ruines ou des souvenirs. Tout le rivage est désormais évacué
par les marchands helléniques 3.
Il est possible, au surplus, que Carthage n'ait pas été seule
responsable de ces ruines. Elle avait, pour l'aider ou la rem-
placer dans cette besogne, des indigènes de l'Espagne, et notam-
ment les Ibères, qui étaient ceux du nord-ouest de la péninsule
I. Hérodote, I, iG6 et 1G7.
.■>. Toutes les fois qu'x\viénus parle d'un comptoir grec, sauf Marseille (vers 704),
il emploie le passé : Macneace prior[c quae] vocata est saecalo (iay); Heineroscopium
quoque habUa[la\ pridem hic civitas ('170-477); in quis et oliin prisca Callipolis fuit (5i3);
de même Pyréné, quondain clc. (Sjg); Arles, Theline vocata sub priore saeculo (ùqo). —
Je sais bien l'objection qui a été souvent faite : l'emploi du passé n'est pas l'œuvre du
rédacteur primitif du périple, il vient d'un remanieur postérieur, il peut venir
d'Aviénus lui-même. Et cela peut être vrai dans quelques cas. Je ne peux me décider
cependant à généraliser cette règle, et à ne pas voir dans ces cas des exceptions assez
rares. Si Aviénus ou l'un des remanieurs qui l'ont précédé avaient voulu rappeler
que telle ou telle ville n'existaient plus de leur temps, ils ne se seraient pas servis du
présent pour un si grand nombre de villes ou de peuples disparus après le vi* ou
le V" siècle, par exemple : Altollit inde se Sicana civitas (479), cité qui existait, en effet,
vers 5oo (Hécatée, fr. i5), et qui n'est mentionnée nulle part ailleurs; lierda du
Sud, prima eorum civitas Ilerda surgit i'A~o); urbs Massiena surgit (iâi-iSa), que Cartha-
gène a remplacée. Pour moi, et ce que je dis de l'Espagne est vrai de la Gaule, le
périple, presque partout, nous donne l'état des rivages tels qu'ils se présentaient
avant la colonisation marseillaise, après la ruine de la colonisation phocéenne, dans
celts période (entre 535 et iSo) de trouble et de désolation où Carthage s'emparait
des eaux occidentales, et où les Ibères étendirent luurs ravages, leurs domaines et
leur nom au nord de l'Èbre et au sud du Jucar. — Cf. aussi sur la confiance que
mérite Aviénus, Marlins Sarmento, Ora maritiina, 2' édit., Porto, 1896, p. xv.
3. Plus j'examine, en elfet, Aviénus, plus je souscris aux conclusions de MùUen-
hoff (I, p. 202) ou de Sieglin, ce dernier plaçant le périple vers '170. Déjà Uckert
avait été frappé des rapports existant entre Hécatée et Aviénus {Géographie, II, i" p.,
1821, p. 240). — Entre autres adversaires du système de Miillenhofr, UngeT(Philologus,
suppl. IV, i884, p. 198) rejette après 4oo la date du périple, et voici pourquoi : le
périple ne connaît que Pyréné comme ville marseillaise sur les côtes espagnoles, et
Marseille possédait là Mainaké et Iléméroscopium ; donc il a été écrit après la chute
des colonies marseillaises, c'est-à-dire après 4oo. — Mais Unger ne distingue pas entre
la thalassocratie phocéenne et la thalassocratie marseillaise, qui se placent à deux
époques très différentes, séparées l'une de l'autre par la revanche de Carthage.
I lO BULLETIN HISPANIQUE
et qui habitaient entre le cap de la Nao et les Pyrénées'.
Ces Ibères, bien différents des pacifiques habitants de Tar-
tessusa, étaient des guerroyeurs, brigands de terre et de mer.
Ils paraissent s'être mis en branle, entre autres époques, dans
la seconde moitié du vi" siècle, au moment même de la ruine
de l'empire phocéens. Ils ont tracassé plus d'une fois les
Tartessiens et Cadix ^. Ils ont été, pour beaucoup, la cause de
l'abandon ou de la destruction des villes de tout le rivage
méditerranéen de l'Espagne^. Ce fut peut-être sous leurs coups
que disparut l'Etat d'Arganthonios. Carthage, si elle ne s'est
pas alliée à eux, a profité du trouble qu'ils ont jeté entre le
Jucar et le Guadalquivir. Elle a trouvé parmi eux, le moment
venu, des mercenaires. Les Ibères ont combattu en Sicile, à
la bataille d'Himère (48o), sous les ordres d'un général cartha-
ginois et contre les Grecs f^.
1. Les plus anciens textes sur l'emplacement des Ibères sont absolument d'accord
pour les localiser dans cette région; voyez les fragments d'Hécatce (fr. 4-i8),
Aviénus (472, Ix'jh, 48o), Hérodote (I, iC3), Pseudo-Scymnus (vers 199, d'après
Ephore?). — J'avoue hésiter seulement sur un point: il ne m'est pas absolument
prouvé que les Ibères se soient primitivement étendus jusqu'au pied même des
Pyrénées (Aviénus, 55a).
2. Cela a été très bien indiqué par Reinach, p. /|C-/|8 : «Les Tartessiens étaient
infiniment plus civilisés et plus philhellènes que les Ibères, qui l'emportaient, en
revanche, par leurs qualités militaires. » — Quelles différences ethniques et linguis-
tiques séparaient ces deux groupes de populations .^ Nous ignorerons probablement
toujours ies premières. Les secondes seront peut-être connues le jour oii l'on fera
l'étude systématique et chronologique des noms de lieu. Je crois que c'est la langue
des Ibères qui a fourni les lUberris ou « ville neuve », nom qu'on rencontre depuis
Auch jusqu'à Grenade, et dont l'extension correspond aux progrès successifs de la
puissance de ce peuple. A-t-elle aussi fourni les Ilerda, llipiila {« vieille ville »??), etc. ;
c'est fort possible. Mais 'EXtp-jpyY], qui est très certainement le nom d'une ville tar-
tessienne, ne peut-il être rapproché de ces noms-là (Hécatée, fr. 4)?
3. Il me semble que le temps du périple suit de très près celui des incursions
ibériques hors de leur domaine propre, et que le document nous fait assister, en
quelque sorte, à l'extension du nom d'Ibère (vers 247-248, 463, 473-474, 552, 6i3).
4. Macrobe, Saturnales, I, 20: Theron, rex Hispaniae citerioris, cum ad expugnandum
Herculis templiim etc. Il est bien probable que celte attaque a été la cause directe,
vers le temps de la mort d'Arganthonios, du recours désespéré de Cadix à Carthage.
Cf., diversement, Movers, II, 2, p. 658.
5. Remarquez qu' Aviénus dit spécialement des deux villes qu'il appelle ibériques,
rilerda du Sud (475) et Sicana (479), qu'elles sont bien debout.
6. Hérodote, VII, i65. Au surplus, il ne serait pas impossible que, plus tard, peut-
être passé 480, les Ibères se soient retournés contre les Carthaginois vaincus, et qu'ils
aient de nouveau menacé ou peut-être même occupé Cadix (cf. Athénée, Hep'i
[i.YD'avyiiJiâTMv, p. 9, Wescher; Vitruve, X, i3). On ne comprendra jamais bien cette
histoire si l'on ne songe pas à ces constantes alternatives de thalassocraties et d'inva-
sions. Il ne faut pas compter par siècles, mais par quarts de siècle, quand on veut
la reconstituer. Et l'auteur des listes de thalassocrates (cf. p. io7,n. 2) avait raison
dans sa manière de compter.
LA THALASSOCRATIE PHOCEENNE A PROPOS DU BLSTE D ELCHE I I I
La chute de la tlialassocratie phocéenne, correspondant aux
incursions des Ibères, a donc été pour l'Espagne orientale
une ère de très grands désastres, à la fois matériels et moraux.
De l'alliance entre les Grecs de Phocée et les royautés
accueillantes de Tartessus aurait pu naître une culture nou-
velle et originale. Le triomphe de Carthage et les progrès
des Ibères ont amené, pour un temps et sur ce point, un recul
de la civilisation. Les choses ne changeront qu'après la
bataille d'Himère (480). — Si la tête d'Elche est une œuvre
hellénique d'entre 5oo et /i5o, elle ne peut être due qu'à un
métèque phocéen demeuré en terre barbare, enfant perdu de
rionie vaincue. Mais, je le répète, je ne veux point prendre
parti dans les discussions que le^buste a soulevées.
Camille JULLIAN.
AR&ANTHONIOS ET LE MUR DE PHOCÉE
Voici, après avoir lu les pages qui précèdent, la conjecture
que je propose relativement à la date de la construction des
murs de Phocée avec l'argent d'Arganthonios. Il est hors
de doute que l'expression tcv i\I?;o:v désigne le grand empire
iranien dont les Mèdes et les Perses furent successivement
les maîtres. C'est bien Gyrus qui est mentionné dans le
passage qui nous occupe. Mais alors nous nous heurtons
aux invraisemblances et aux impossibilités qu'ont signalées
tous les commentateurs. Je ne vois qu'un moyen d'en
sortir. Hérodote s'est très souvent servi d'Hécatée et il ne
l'a pas toujours mis en œuvre avec exactitude. Mon avis
est que le renseignement sur Arganthonios provient d'Hé-
catée, et qu'Hécatée par les mots xsv M-^cov désignait le
prince sous lequel la puissance mède atteignit son apogée,
à savoir Gyaxare. Je rapporterai donc l'édification du rem-
part de Phocée à l'époque de la guerre entre Gyaxare et
Alyatte (591-585).
Dans cette hypothèse, tout devient clair. Vers le début
112 BULLETIN HISPANIQUE
du VI* siècle, Phocée, qu'aucun texte ne nous montre en lutte
avec les rois de Sardes, leur était sans doute unie par des liens
de commerce et d'amitié, probablement même par une de ces
conventions, 'cpy.'.a, ajvOyj/.a'., comme les Mermnades en ont
signé tant d'autres avec les cités grecques de la côte. Sur ce|p
entrefaites, éclate le différend entre Alyatte et Gyaxare. Les
Mèdes viennent d'anéantir Ninive. Ils s'annexent toute la
vallée supérieure du Tigre et pénètrent en Cappadoce. Leur
flot menaçant bat la rive droite de l'Halys. On conçoit que ces
foudroyantes conquêtes et, plus que tout, la destruction de
l'empire assyrien aient frappé les imaginations grecques,
pleines de la prestigieuse légende de Sémiramis. A peine
remises de l'invasion cimmérienne, les villes d'Ionie voient
un formidable orage s'amonceler sur les Hauts Plateaux.
Est-ce qu'un appel des Phocéens à leur ami Arganthonios n'a
pas alors toute sa raison d'être? Est-ce que la phrase ttjOoij.svoç
-ccv Mï;;:v m; a'Jqc.To n'a pas ici toute sa valeur? Est-ce que,
depuis l'apparition des Mèdes sur la frontière lydienne jusqu'à
la bataille de l'éclipsé qui met fin aux hostilités après une
lutte ouverte de cinq ans, les Phocéens n'ont pas eu toute la
latitude voulue pour informer Arganthonios de leurs craintes,
recueillir ses subsides et fortifier leur cité?
Et comme la chronologie s'arrange! Vers 63o, voyage de
découverte de Colseos de Samos. Entre 620 et 600, arrivée des
Phocéens à l'embouchure du Guadalquivir, relations avec les
ïartessiens, fondation de comptoirs. Aux environs de 691,
mission en Bétique, libéralités d'Arganthonios, construction du
rempart de Phocée. J'incline à croire que la longévité fabuleuse
attribuée au roi de Tartesse n'a été imaginée que pour faire tenir
dans un même règne les événements compris entre l'explo-
ration de Colseos et l'édification du mur phocéen faussement
rapportée au temps de la conquête de l'Ionie par Harpage.
D'ailleurs, il en était sans doute du nom d'Arganthonios en
Bétique comme du nom de Syennésis en Cilicie : il doit avoir
été celui de tous les rois de la dynastie tartessienne. Ceci nous
expliquerait que l'on ait fait régner jusqu'à trois cents ans
l'ami des Phocéens. Georges RADET.
UNE EXCURSION AU PAYS DES ÉPOPÉES
(Notes de voyage en Vieille Caslille.)
... Il ne fait point jour encore quand nous quittons notre
Jonda de Burgos pour gagner l'auberge d'où part la voiture
de Soria. Lorsque, de l'antique Ccd de Canlarranas, où, selon
la tradition, les Infants de Lara avaient leur demeure, nous
débouchons sur la Plaza Mayor, j'aperçois vaguement l'énorme
masse de la cathédrale, qui se dresse par- dessus les toits.
La dentelle aérienne du crucero et des deux flèches ajourées
est toute pailletée d'étoiles scintillantes qui s'accrochent en
grappes aux clochetons et aux aiguilles. Le ciel est admira-
blement pur et l'air vif des hauts plateaux castillans présage
une belle journée. En passant sous l'Arc de Santa Maria, pour
gagner, sur la rive gauche de l'Arlanzon, le faubourg de la
Vega, nous saluons les vieux juges de Castille, Lain Calvo,
Nuno Rasura, Diego Porcellos, ainsi que le comte-roi Fernan
Gonzalez et Rodrigo de Vivar, dont les naïves statues et les
noms héro'iques protègent l'antique Cabeza de Caslilla. Il n'est
que juste de mettre sous leur invocation une excursion qui
doit être pleine de leur souvenir.
Quoique l'heure fixée pour le départ approche, et que la
diane éclate dans les casernes voisines, c'est à peine si l'auberge
paresseuse semble s'éveiller. De temps à autre, cependant, un
tintement de grelots, une ruade suivie de jurons sonores et la
brusque apparition d'un falot indiquent que l'on procède aux
préparatifs du départ. Dans l'ombre, que leurs cigarettes
piquent par instants d'un point rouge, cinq ou six paysans,
enveloppés dans leurs manias, la montera enfoncée jusqu'aux
oreilles, attendent, avec cette patience qui est l'une -des vertus
caractéristiques des Castillans, et à laquelle je m'exerce. Assis
sur le parapet de la rivière, j'ai tout loisir d'assister à la lente
Il4 BULLETIN HISPANIQUE
apparition de la cité, qui commence cà et là à sortir des ténè-
bres. Vers le levant, la ligne bleue des monts d'Oca s'enlève
nettement dans la lumière grandissante de l'aube. Une lueur
pâle blanchit bientôt les façades des casernes et du « Salon »,
tandis que, sur la rive gauche, les panaches des peupliers de
la Quinla émergent de la masse sombre de la verdure. Les filets
épars de la rivière, déshonorés pendant le jour par les lavan-
dières, s'allument et luisent comme des coulées de vif-argent,
entre les graviers où paissent des brebis.
C'est là, dans ce lit desséché et pierreux, dans cette « glera »
de l'Arlanzon, que, par une matinée peut-être semblable
à celle-ci, le Cid Ruy Diaz de Vivar, chassé parle roi Alphonse,
et trouvant toute porte fermée à Burgos, vint dresser sa tente.
« Mon Cid Ruy Diaz, » dit le vieux poème, (( celui qui en
bonne heure ceignit l'épée, fit halte dans la glera quand nul
ne le voulut recevoir chez lui. Autour de lui il y avait une
bonne compagnie. Ainsi fit halte Mon Cid, comme s'il eût été
dans la montagnes.» C'est là encore que, pour célébrer ses
noces avec D' Lambra de Bureba, Ruy Velâzquez de Lara,
seigneur de Vilvestre, fit dresser un grand château de bois
(tahlado), contre lequel, lance en main, ses invités exerçaient
leurs forces et rivalisaient de vigueur. « Une semaine avant
que les noces ne s'achevassent, Roy Blasquez fit construire un
tahlado très haut, dans la glera, près de la rivière 3. »
Et tandis que j'essaie de retrouver dans ma mémoire les
termes de la vieille Chronique, il me semble assister à la dispute
qui s'éleva entre Alvar Sànchez, cousin de la mariée, et
Gonzalo Gonzalez, le plus jeune des sept Infants de Lara,
et entendre les injures homériques qui se croisent entre les
deux bandos. v Et quand Gonçalvo Gonçalvez entendit cela,
il en eut grand chagrin au cœur, et ne le put souffrir; il
s'élança très bravement sur lui, et lui donna un si fort coup
de poing sur le visage qu'il lui rompit les dents et les mâchoi-
res, de sorte qu'incontinent Alvar tomba mort à terre aux
I. Poema del Cid^ édit. Pidal, V. 58-Cî.
a. Crûnica gênerai de i344j citée par Meiiéiidez Pidal dans la Leyenda de los Infantes
de Lara, p. a5o.
UNE EXCURSION AU PAYS DES EPOPEES 1 I O
pieds de son cheval... » Ce fut la première journée et comme
le prologue d'une longue tragédie, dont nous retrouverons
le souvenir au cours de notre excursion.
Les Juges de Castille, le Cid, les Infants de Lara!... Ces om-
bres épiques, que l'imagination évoque aisément dans l'aube
indécise, sont bien ici chez elles. Mais comme la brume légère
qui flotte sur les maigres filets de la rivière, elles se dissipent
bientôt; la rêverie s'évapore avec la rosée. Voici, déjà, que
le faîte de la cathédrale s'illumine d'une lumière dorée; d'un
bout de la ville à l'autre, de Santa Gadea à San Lesmes,
les clochers s'éveillent tour à tour et mêlent leurs carillons.
Tout à coup, les notes aiguës des clairons déchirent l'air,
et les petits fantassins en pantalon rouge commencent à ma-
nœuvrer sur cette même glera, où, bouhourdis en main, évo-
luaient déjà les Confrères de Santiago et les Bofordadores
burgalais, renommés dans toute l'Espagne. La vie et la réalité
reprennent possession de ce coin de terre, où, cependant, les
morts me semblent plus vivants que les vivants.
L'heure du départ est enfin venue. On s'empile dans la misé-
rable patache, et au milieu d'un tourbillon de poussière,
parmi les coups de fouet, les ruades, le bruit de ferrailles, le
frémissement des vitres, les apostrophes assourdissantes du
cocher à « la. Coronela » ou à « la Preciosa », l'attelage
s'ébranle, et part au galop par la plaza de la Vega et la calle de
Madrid. Celte belle fougue se ralentit au passage à niveau ; elle
se calme tout à fait aux premières pentes qui enserrent la
vallée. Sur la gauche, voici la rustique promenade des Pisones,
où le soleil d'automne est si tiède, et la route qui conduit à
San Pedro de Cardena. Cette route, je la suivais naguère, lors
de mon premier pèlerinage à la terre du Cid, et je tâche
aujourd'hui de tromper la longueur de l'ascension, en évo-
quant dans ma mémoire cette triste et noble solitude de
Cardena, d'où, hélas I a disparu presque tout ce qui rappelait
le Campéador.
Un tombeau anonyme, sur lequel gît un chevalier ridicu-
lement accoutré, est censé être celui de Rodrigo de Yivar. Mais
ce tombeau est vide. Les ossements du mcis famoso Caslellano,
Il6 BULLETIN IIIS1'A?«1QUJÎ
ainsi que ceux de Chimène (Rodrigue, qui l'eût cru!...), après
des voyages et des aventures plus romanesques que celles
chantées par Castro et Corneille, ont fini par échouer, lamen-
tables pièces de musée, dans une vitrine, au milieu de la
chapelle de YAyuntamiento de Burgos, pour faire, moyennant
quelques réaux, l'admiration des touristes naïfs. La liste, com-
plaisamment amplifiée, de ses descendants ou de ses lieute-
nants orne seule la muraille de l'église, où, de loin en loin,
apparaissent quelques clients de Baedeker ou de Murray. Le
vieux cloître abbatial a presque disparu sous les remaniements
successifs ; quelques arceaux à peine attestent encore l'antiquité
de celte demeure. Quand je le vis la dernière fois, ce désert
n'était troublé que par le chant nasillard d'un pelit pâtre qui
gardait ses chèvres et par le vol tournoyant de ramiers qui
s'abattaient dans les lauriers. Et, malgré tout, le souvenir et le
nom du Campéador emplissaient d'autant mieux cette solitude
que rien n'en venait troubler le silence. Ce qui en fait l'intérêt
c'est ce qu'on ne voit plus, et c'est avec le Poème du Cid en
main, et non avec le Baedeker, quil convient de visiter désor-
mais ces lieux augustes.
Au fond de cette faille, aux pentes verdoyantes, qui se
creuse tout à coup au milieu du plateau semé de pierres
bizarrement déchiquetées, s'élevait, au temps du Cid, le cou-
vent de la reine D* Sancha, déjà vieux de plusieurs siècles. Il
était protégé par une ceinture de forêts, et baigné par le ruis-
seau de Karadigna, sur les bords duquel était venu mourir le
fabuleux Infant Théodoric. Ce fut en cet abri sauvage que le
Cid, à la veille de son exil, cacha ce quil avait de plus précieux,
sa femme Chimène et ses deux filles, Sol et Elvira. L'abbé
D. Sancho devait veiller sur ce trésor. Au moment de quitter
la terre de Castille pour l'aventureuse correria à travers le
pays des Maures, l'exilé voulut revoir, une dernière fois peut-
être, celles qu'il laissait exposées aux rancunes du roi. Cette
scène des adieux, malgré la gaucherie du joglar inconnu qui la
rédigea, est encore charmante de simplicité et de fraîcheur;
dans la rude épopée de la Reconquisfa, elle jette une note de
tendresse inattendue. Le héros, démesurément exalté depuis, y
UNE EXCURSION AU PAYS DES ÉPOPÉES I l~
redevient homme; son allcndiissement, les larmes qui coulent
de ses yeux, tandis quil lient en ses bras ses fillettes étonnées,
rappellent infailliblement la scène classique d'Hector et d'An-
dromaque, que certes le trouvère burgalais ne soupçonnait pas.
Ce fut au petit point du jour, nous dit -il, que le Gid, chevau-
chant avec sa mesnie, arriva de la glera de TArlanzôn à San
Pedro de Cardefia. « Les coqs chantaient à l'envi et l'aube
voulait poindre quand le bon Campéador arriva:
Apriessa cantan los gallos e quieren quebrar alborcs
Qaando lego a San Pero el biien campéador. »
L'abbé D. Sancho récitait les matines, aux premières clartés
du jour. D'^ Chimène était là avec cinq honnêtes duègnes (cinco
duenas de pro), et elle priait pour « celui qui naquit en bonne
heure ». Quand le Gid frappa à la porte et se fit connaître,
« Dieu ! quelle joie pour le père abbé ! » Mais quelle joie sur-
tout, mêlée de larmes toutefois, pour Ghimène ! « Devant le
Campéador Doua Ghimène plia les deux genoux. Elle pleurait
de ses yeux, et voulut lui baiser les mains : Merci, Campéador,
en bonne heure vous naquistes; par de méchants intrigants
vous êtes chassé de chez vous. Grâces vous soient rendues,
ô Gid, barbe très accomplie! Nous voici devant vous, moi et
vos filles : elles sont infantes encore et en bas âge. » Cependant
le Gid ému passait sa main sur sa belle barbe fleurie. « Et ses
filles, il les prenait dans ses bras, et il les serra sur son cœur,
car il les aimait fort. Il pleure de ses yeux et très fortement
soupire : Ah ! Doua Ghimène, ma femme très accomplie,
comme mon âme même je vous aime! Et maintenant, vous le
voyez, il faut nous séparer de notre vivant. Je m'en irai donc,
et vous, vous resterez ici. Plaise à Dieu et à sainte Marie que
je puisse moi-même marier mes filles ! » Malgré sa peine, le
héros n'oublie rien. Ses recommandations à l'abbé de Cardefia
sont d'un homme avisé, qui sait comme il faut parler. « Pour
un marc que vous dépenserez pour elles, jen donnerai, moi,
quatre au monastère. » Moyennant quoi, « l'abbé y consentit de
bonne grâce, olorgado gelo... de grado. » — Mon Gid avait pris
d'ailleurs ses précautions, sachant déjà que la guerre ne se fait
Bull, hispan. 9
il8 BULLETIN HISPANIQUE
pas seulement avec du fer. Les 600 marcs empruntés aux juifs
Rachel et Vidas, en échange de « l'or de sa parole », enfermé
dans la trop fameuse malle de la Sala Capitular, allaient
trouver bon emploi. Le lendemain, Martin Antolinez, « Bur-
galais accompli, » lui amène cent quinze cavaliers, « Mon Cid
sourit en les voyant, et pense à chevaucher. » Aussi, le lende-
main matin, après la messe solennelle, la petite troupe
s'éloigne, gonfanons au vent, « Le Cid va embrasser Dona
Chimène, Doîia Chimène va baiser la main du Cid, en pleu-
rant de ses yeux et ne sachant que devenir ; et lui se remettait
à regarder ses filles,,. C'est ainsi qu'ils se séparent l'un de
l'autre, comme l'ongle de la chair.
Asis' parten unos dotros commo la una de la carne. »
Laissons le bon Campéador, par ces mêmes halliers que
nous traversons, « aller son chemin, » passer les sierras de
Covarrubias et de Miedes du Guadarrama, franchir successi-
vement l'Arlanza, le Duero, pour tomber enfin dans la vallée
du Henares surCastcjôn, Guadalajara et Alcala, Nous n'avons
pas à le suivre au delà de ce cœur ou rinon de Castille, dont
il n'avait plus que trois jours pour sortir...
Nous voici cependant au sommet de la côte. Nous la
redescendons bientôt au galop, malgré des tournants inquié-
tants, encombrés de chariots en détresse, qui n'avancent
qu'à grand renfort d'attelages de bœufs. Au fond, le joli
village de Sarracîn, avec des bouquets d'arbres et des eaux cou-
rantes. Nous quittons la route de Madrid pour suivre quelque
temps les bords de l'Ausines, A quelques centaines de mètres
de là, au bord de la route, s'élève une charmante maison ou
casasolar de la Renaissance, à moitié ruinée. Elle est habitée
en partie par des paysans et par des abeilles, dont les ruches
sont installées sur les élégants balcons. C'est le palacio de
Saldanuela, plus connu dans le pays sous une dénomination
grossièrement expressive, où l'on veut voir une vague allusion
aux fantaisies de la princesse d'Eboli ou d'une noble dame
de Saldanuela. Quoi qu'il en soit, la Renaissance^ qui a laissé
tant de chefs-d'œuvre dans la région burgalaise, en oflre peu
UNE EXCURSION AU PAYS DES ÉPOPÉES II9
de plus intéressants que celui-ci, avec sa noble façade, son
paiio égayé d'une gracieuse fontaine, encore debout, et ses
larges escaliers. Si le caprice de quelque opulent amateur ne
s'en mêle, cette demeure innommable et qui n'a pas d'histoire '
ne tardera pas à disparaître, comme tant d'autres, pour rentrer
dans l'oubli définitif.
Le. chemin, de plus en plus médiocre, monte peu à peu;
la vue s'élargit; le monte ou hallier, riche en lapins et en per-
drix, remplace les champs; les lignes harmonieuses de la
sierra de la Demanda, à gauche, et les crêtes de Mamblas,
à droite, commencent à se dérouler. Vers le midi, quelques
échappées laissent encore apercevoir le vaste horizon bleuâtre
de r « ancha Casiilla ». Dans un vallon sauvage, qui s'ouvre sur
notre droite, voici les carrières d'Hontoria. On aperçoit les
flancs écorchés des ravins, au fond desquels s'accumulent
les éclats et les débris éboulés. C'est de là qu'est sortie, pierre
par pierre, toute la cathédrale de Burgos. Pendant des siècles
et des siècles, les chars à bœufs, aux roues grinçantes, ont par-
couru ces sentiers raboteux, chargés de ces blocs éclatant* et
tendres que l'air durcit et que dore le soleil. Aujourd'hui
encore, pour restaurer le beau claiistro hajo, honteusement
abandonné naguère, c'est à Hontoria que l'on revient puiser.
Un peu plus loin, vers Gubillo del Campo, un chemin
se détache de la route à gauche, et conduit, à travers les landes,
à l'église de San Quirce, ou Saint-Cyr. S'il faut en croire la tra-
dition, l'abbaye de ce nom fut fondée au x° siècle par le grand
Comte Souverain, Fernân Gonzalez, dont le souvenir, il est
vrai, est partout dans cette région. Ainsi l'assure du moins
un méchant buste illustré dune inscription prétentieuse. La
chapelle actuelle, de style roman, est des plus modestes : elle
réserve toutefois aux archéologues de très intéressants sujets
d'étude. Commencée au milieu du xi' siècle, après la bataille
d'Atapuerca (io54), elle fut terminée et consacrée en ii/jy.
Quelques chapiteaux, très curieusement historiés, et, surtout,
l'originale coupole en média naranja apportent des renseigne-
I. Voyez cependant Ilustraciôn esp. y americ, 3o sept. 1899, et Boletln de la Sociedad
de Excurs., 1" déc. 1899.
I30 BULLETIN HISPANIQUE
ments précieux à l'histoire de l'art roman en Gastille. D.Yicente
Lampérez en a su déjà tirer bon parti '.
La route, qui a dépassé la cote de mille mètres, redescend
maintenant en pente douce par Cuevas, Mazariego et Ortigûela,
pauvres villages aux maisons grises et poussiéreuses, écrasées
par de monumentales cheminées coniques, semblables à d'énor-
mes verrues. A l'intérieur, le vaste entonnoir goudronné de ces
cheminées abrite toute la famille, assise en rond autour du
foyer, et l'enfume consciencieusement. Peu à peu, la vallée
déploie plus largement à nos regards son immense tapis,
tacheté des îlots sombres des bois et des touches blanchâtres
des villages. Les sierras de la Demanda, de Neila, de la Umbria
ou de Quintanar lui forment une ceinture pittoresque de
rochers et de pinares, tandis que sur la droite, l'Arlanza, en-
richi de tous les torrents du bassin, ronge le pied des escar-
pements à pic du Gayubar, oii genévriers et chênes semblent
monter à l'assaut. Plus près de nous, les mamelons de Mam-
blas (mammalas) , dont le nom scandalisait le bon Berceoa, s'en-
tr'ouvrent en face de l'éperon du Gayubar pour livrer passage
à l'Arlanza, qui court vers Govarrubias. Cet ample plateau
montagneux, si plein de lumière en ce moment, c'est Yalfoz
ou Terre de Lara, témoin de tant de luttes, arrosé de tant
de sang. Voici, à l'entrée, fièrement campée sur un rocher qui
domine le pays à la ronde, la Torre de Lara, dont le Consejo
de Burgos nomma longtemps Valcaïde, puis le Picôn ou Pena
de Lara, au pied duquel s'abrite l'antique village qui conserve,
aux dépens de Salas, le nom légendaire des sept Infants. Plus
loin, pointent les clochers de Cascajares, de Jaramillo Que-
mado, de Barbadillo del Mercado; celui de Salas, chef-lieu
actuel du district, se cache derrière un pli de terrain. La vue
de cette haute vallée, même sans les souvenirs qui la rendent
illustre, dédommage, par sa beauté tranquille, des incommo-
dités du voyage. Nous dépassons bientôt Cascajares, où Fer
nân Gonzalez, avec une poignée de braves, remporta sur des
I. Voyez : La Abadia de S. Quirce, Ilustraciôn esp. y amer., 3o sept. 1899.
a. Non quissenios la villa en escripto meter,
Ca no es nomneciello de mai buen parecer.
{Vida de Santo Domingo, 6i3.)
LiNE EXCURSION Al l'AYS DBS ÉPOPÉES 13 1
milliers de Maures une victoire dont le souvenir s'est conservé
dans la redoncUlla populaire :
La rota de Cascajares
Es argumento évidente
Que vale mds poca gente
Con Dios, que, sin Bios, mil tares.
A Barbadillo, nous quittons, sans essayer de déguiser notre
satisfaction, le coche de Soria, qui, depuis six heures, nous
secoue sans pitié.
Lara, Cascajares, Barbadillo, Salas de los Infantes..., nous
voici de nouveau en pleine épopée. Dans cet amphithéâtre de
montagnes se déroulèrent en effet presque toutes les scènes de
la tragique histoire des sept Infants de Lara, qui, depuis
l'aurore des lettres espagnoles jusqu'à nos jours, inspira tant
de poèmes, de romances, de drames, de nouvelles, et que, hier
encore, nous entendions chanter par un aveugle dans les rues
de Burgos. Commencée sur la glera de l'Arlanzon, elle se con-
tinue et s'achève ici, après nous avoir entraînés un moment
jusqu'à Cordoue. C'est à Barbadillo même,
En Barbadillo, en esa mi heredad,
que Ruy Yelâzquez le traître et D^ Lambra avaient leur châ-
teau; ici cette dernière vint se réfugier, après l'affront reçu des
Infants aux fêtes de Burgos, pour ruminer et exécuter sa ven-
geance. Du château, il ne reste plus trace, bien entendu, mais
on peut se figurer, en examinant les lieux et en relisant la
chronique, l'endroit où il devait s'élever '. Le village occupe,
sur la rive droite de lArlanza, une terrasse qui s'abaisse en
pente douce vers le sud -est, où elle forme une pointe ou
espolôn, qui se rapproche sensiblement de la rivière. De cet
endroit on domine un petit pont pittoresque dune douzaine
d'arches, et le gué, où passent d'ordinaire cavaliers et trou-
peaux. L'autre angle de ce plateau est tourné vers le couchant,
et surplombe la rive verdoyante du rio Pedroso, qui, à peu de
I. Voyez, sur toute cette légende, le livre, si admirablement informé, de
M. Ramôn Menéndez Pidal, La Leyenda de los Infantes de Lara. C'est aussi le meilleur
guide dans ce pays.
122 BULLE ro HISPANIQUE
distance, se jelle dans l'Arlanza. C'est en ce dernier point
qu'une tradition locale place le palais de Velâzquez; une rue
porterait encore, dit -on, le nom de Calle de D" Alambra, mais
je l'ai, pour ma part, vainement cherchée, et d'ailleurs le
fameux cuho ou bastion de Burgos, du haut duquel cette même
Alambra se serait précipitée, — plus de deux cents ans avant
que ce bastion ait été construit, — nous fixe sur la valeur des
traditions populaires. Gomme « les ruines elles-mêmes ont
disparu » et que, les documents faisant défaut, chacun est libre
de laisser courir son imagination à sa guise, c'est plutôt sur la
pointe ou angle de l'est, entre la rive et le chemin creux du
pont, que j'aime à me figurer le manoir de Ruy Velâzquez,
séparé de la rivière par la hiierta en pente et commandant le gué.
Et précisément, tandis qu'assis en cet endroit je reconstitue
par la .pensée la scène naïvement narrée par le chroniqueur,
des gamins prennent leurs ébats sous nos yeux dans les eaux
attiédies par la chaleur orageuse du jour. Ce tableau rustique
et l'inconsciente impudeur des pilhielos me remettent aussitôt
en mémoire le récit de la chronique, sous lequel on devine
l'écho de quelque Cantar de Gesta perdu. Il jette en tout cas un
jour curieux sur les mœurs du temps. — « Lorsque les sept
Infants furent dans la huerta, Gonzalo Gonzalez ôta tous ses
vêtements, ne gardant que son linge de dessous (los pa/los
metiorea), et ce à cause de la grande chaleur qu'il faisait. Il
croyait que les Dames ne le voyaient point, parce qu'il en était
loin, mais il se trompait, car Dona Lambra et ses duègnes
l'apercevaient fort bien. Il prit son autour sur le poing, et alla
le baigner. Et quand Dona Lambra le vit tout nu, elle en prit
grande colère, et elle dit à ses duègnes : « Mes amies, ne voyez-
)) vous pas comme Gonzalo Gonzalez s'est mis en vêtements de
» lin? Je crois qu'il ne le fait que pour que nous nous enamou-
)) rions de lui. Par ma foi, je vous le dis, j'aurai grand chagrin
>) s'il échappe à la juste punition qu'il mérite. » Et ayant ainsi
parlé, elle fit appeler un de ses hommes, et lui dit: «Va,
» prends un concombre, remplis -le de sang; cours à la huerta
)) oii sont les sept Infants, et lance-le sur la poitrine de Gonzalo
» Gonzalez (celui-là que tu vois avec l'autour sur le poing) ; puis
UNE EXCURSION AU PAYS DES ÉPOPÉES I aS
» reviens vers moi aussi vite que tu pourras. Ne crains rien,
)) car je te protégerai. » — Il est fait comme ordonne Lambra. Les
Infants d'abord prennent la chose à plaisanterie, mais Gonzalo
et Diago montrent à leurs frères la gravité de Tinsulte. — « Alors
tous saisissent leurs épées et se dirigent vers le palais.
L'homme, en les voyant venir, s'enfuit vers Doua Lambra, qui
le couvre de son manteau. Les Infants dirent alors: «Cet
» homme nous a insultés, et nous voulons le punir. » Elle leur
répondit qu'ils n'en avaient point le droit, car cet homme était
à elle; que s'il avait commis quelque faute, elle le ferait punir
elle-même. Alors ils le saisirent sous ses yeux, et lui donnèrent
un tel coup de poing, qu'il éclaboussa de sang les vêtements
de Dona Lambra. Puis ils l'entraînèrent hors du palais où elle
était, et lui donnèrent tant de coups d'épée qu'ils le tuèrent. »
Sur ce, ils montèrent à cheval et s'en allèrent à Salas, leur
domaine, emmenant avec eux Dona Sancha, leur mère.
On connaît la suite de cette lugubre histoire, le guet-apens
tendu aux Infants par leur oncle Ruy Velâzquez, de complicité
avec les Maures, le massacre d'Almenar, la mission de Gonzalo
Gustios, père des Infants, à Cordoue, et sa captivité dans le
palais d'Almanzor, oii on lui présente les têtes sanglantes, ses
amours avec la princesse mauresque Zenla, la naissance de
Mudarra, enfin l'arrivée de ce dernier en Gastille, où il retrouve
son père, aveugle et pauvre, et le venge, en tuant Yelàzquez et
Lambra.
C'est dans ce bourg de Salas, que l'on aperçoit de la colline
opposée à Barbadillo, que la légende place la scène de la recon-
naissance entre le bâtard maure et son père. — « Et D. Mudarra
Gonzalez alla à la porte du palais et demanda où étaient D. Gon-
zalo Gustios et D^ Sancha, et il baisa la main à Gonzalo d'abord,
puis à Sancha. Il ôta son manteau et s'assit à leurs pieds, et
D* Sancha le prit par la main, voulant le faire asseoir près
d'elle, mais il dit: «Grand merci. Madame, je ne m'assiérai
» point à vos côtés, car je ne suis pas encore chevalier. » Et
D* Sancha le regardait tant qu'elle pouvait, car elle le trouvait
très ressemblant à son fils Gonzalo Gonzalez... » — Toute cette
scène, en sa simplicité un peu fruste, est plus belle, à mon
la/i BULLETIN HISPANIQUE
sens, que la plupart des paraphrases qu'elle a inspirées depuis.
Elle ne le cède en beauté tragique qu'à celle où le malheureux
père, emprisonné, reconnaît, prend en ses mains et apostrophe
chacune des sept têtes des Infants, Malgré l'adoucissement
relatif des mœurs et les atténuations qu'ont pu y apporter les
remaniements successifs, la barbarie des époques primitives
apparaît encore dans le récit de la mort du traître, telle que la
raconte la chronique, comme elle apparaît — et j'ose faire cette
comparaison — dans les Choéphores d'Eschyle, cet autre
drame de la vengeance et de la justice. Ruy Velâzquez, traqué
par Mudarra comme une bête fauve, est enfin atteint et vaincu:
il gît à terre, le corps traversé par la lance. — « Alors Gonzalo
Gustios vient en toute hâte : Mon fils, je t'en prie, ne le tue pas,
mais conduis -le à ta mère, DoFia Sancha, qui a rêvé qu'elle
buvait son sang, afin que le songe s'accomplisse!... — Alors
dit Don Mudarra: A Salas il n'entrera pas, mais qu'on le porte
à Vilvestre, sa maison, et là, on lui fera justice. » — On le
met donc sur une bête de somme, el on arrive ainsi à Vilvestre,
tout au fond de la vallée, parmi les forêts de pins, entre Pala-
cios de la Sierra et Canicosa. — « Et Don Mudarra Gonzalez
envoya chercher à Salas sa mère, Dona Sancha, afin qu'elle
assistât à ces noces. Dès qu'elle fut avisée, elle arriva en grande
hâte et avec grande joie. Lorsque Don Mudarra et Don Gonzalo
Gustios apprirent qu'elle était tout près, ils sortirent pour la
recevoir, en brandissant leurs bouhourdis et leurs lances, et en
faisant grandes démonstrations d'allégresse. Aussitôt qu'il ren-
contra Dona Sancha, Don Mudarra lui baisa la main, puis ils
se dirigèrent ensemble vers le palais, où ils mirent pied à
terre. Alors Don Mudarra dit à Dona Sancha : Madame, voici
le traître; faites le justicier comme bon vous plaît. — Le traître
ferma les yeux et ne voulut pas la voir. Dona Sancha tourna
les yeux vers l'endroit où il gisait; elle vit courir du sang, et
dit: Loué soit Dieu! Grâces lui soient rendues pour la faveur
qu'il m'octroie, car maintenant sera accompli le songe où je
buvais le sang de ce traître ! — Alors elle s'agenouilla à ses
côtés pour boire de son sang, mais Don Mudarra Gonzalez
l'arrêta par le bras, la fit lever et dit : Madame ma mère, à
UXE EXCURSION VU P.VYS DES ÉPOPÉES ia5
Dieu ne plaise que le sang d'un traître entre en un corps
aussi loyal et aussi gentil que le vôtre ! Vous le tenez en vos
mains: faites-le justicier. »
Sur ce, chacun des assistants propose un supplice raffiné,
mais Doua Sancha tient à rester seule « juge de cette cause,
alcalle desle fecho ». Elle fait donc suspendre le malheureux par
les hras et les pieds à deux poutres dressées au milieu d'un
champ, et tous les parents de ceux qui étaient morts à Alme-
nar avec les Infants s'escriment à le déchiqueter à coups de
llèches ou de lances, jusqu'à ce que les lambeaux du corps
tombent à terre. On les enfouit sous « plus de dix charretées
de pierres », et « encore maintenant, dit le chroniqueur, tous
ceux qui passent par là, au lieu de réciter un Paler noster,
lancent une pierre au monceau en disant : Que le Diable ait
son âme ! Amen. »
Aujourd'hui, le voyageur, égaré dans les pinèdes de Vilvestre,
y chercherait vainement le monceau sous lequel gisent les
ossements du traître. Mais tout le pays, de Torre Lara au val
d'Arabiana et de Barbadillo à la Laguna Negra, connaît l'an-
tique légende, laquelle, chemin faisant, s'est développée,
déformée, enrichie de détails nouveaux et bizarres. Pendant
qu'un obligeant ami nous cherche un guide et des chevaux
pour Santo Domingo de Silos, nous causons sur la place
avec quelques Alamhrados : c'est ainsi que les loustics des
environs, qui ne dédaignent pas les à-peu -près, désignent
les compatriotes de Dona Alambra (a/«m6rados = éméchés).
L'un d'eux nous raconte la légende de la Laguna Negra,
perchée là-haut, au sommet du pic le plus élevé de la Sierra,
et dans les eaux sans fond de laquelle la mégère se serait pré-
cipitée. Un autre nous indique, au milieu de la paroi à pic du
Gayubar, une touffe de verdure accrochée à une saillie du roc :
c'est la Huerta de la Mora, et cette mauresque, cette mécréante,
c'est toujours Dona Lambra. Ne dit-elle pas, en effet, dans un
vieux romance :
Si de esto no me vengais,
Yo mora me iré â tornar?
Mais c'est surtout à Salas, dont les Infants portent toujours
136 BULLKTI> HISPANIQUE
le nom dans les plus anciens documents, que la légende, éparse
ailleurs, s'est localisée. On n'y voit plus le château primitif
aux sept salles symboliques (salas), ni même celui que Mudarra
le Vengeur avait fait reconstruire et dont Sandoval, en i6i4,
décrivait de bonne foi «les murs épais en grosses pierres de
taille, et les tours percées de meurtrières à la mode antique ».
Mais l'église actuelle prétend conserver les huit têtes des Infants
et de leur précepteur, Nuno Salido, l'excellent augure, « el que
bien cato las aves. » Déjà, dans la vieille chapelle, où, tout
musulman qu'il était, il entra « pour faire ses prières )>, Mudarra
avait pu les voir, suspendues comme ces chapelets de têtes
grimaçantes qui ornent si bizarrement la voussure du portail
intérieur et les corniches de S'" Maria de Burgos. Et cette vue
lui avait arraché des larmes, e parose sobre ellas llorando. Nous
ne les avons pas vues, mais comment notre scepticisme résis-
terait-il aux deux procès-verbaux que les magistrats de Salas
firent dresser et authentiquer par-devant notaires, en 1679 et
en i846, et desquels il appert que les crânes et les cendres,
enveloppés dans une étoffe qui tombait en poussière, sont
conservés dans une niche murée? Pauvres têtes, fauchées aux
champs d'Arabiana, portées livides à l'émir Almanzor et baisées
par le vieillard captif, pas plus que les ossements de Rodrigue
et de Chimène, elles ne devaient trouver le repos dans la mort.
San Millân, Arlanza, Salas, sans parler de Gordoue, se les
disputent depuis des siècles; plus heureuses du moins que ces
débris héroïques, elles ont échappé au pilori postume et à la
curiosité indécente des touristes.
Cependant les chevaux sont prêts. Notre guide nous presse,
car des nuages menaçants se montrent vers le sud-ouest. Nous
franchissons à gué l'Arlanza et commençons à contourner les
dernières pentes orientales du Gayubar, pour prendre ensuite
à droite, et suivre le sentier qui conduit à l'abbaye de Silos.
Avant de nous enfoncer dans le vallon de Contreras, nous
jetons un dernier coup d'œil sur le pittoresque cirque du haut
Arlanza, la Campina, qu'encadre admirablement la barrière
des sierras. Le chemin capricieux se perd à chaque instant
entre les buissons où dominent les genévriers. Le sol est entiè-
UNE EXC0RSlO>' AU l'ATS DES EPOPEES 127
rement tapissé de lavandes, qui couvrent toutes les pentes de
leur manteau violet pùle, nuancé par endroits de la pourpre des
bruyères. Des vols de perdrix filent de sous les touffes d'estepa
ou ciste odorant, tandis que les vautours mêlent infatigablement
leurs cercles tranquilles au-dessus des crêtes. Quelques pâtres,
coiffés de la montera, vêtus des zajones, sorte de tablier de cuir
recouvrant les cuisses, paraissent les seuls habitants humains
de ces solitudes alpestres. Bientôt, à un détour du chemin, la
masse superbe du Penôii de Carazo se dresse en face de nous,
comme pour nous barrer le passage. Sur ses pentes basses,
d'innombrables troupeaux de moutons et de chèvres s'agitent
et font des taches blanches, qui se déplacent lentement. Plus
haut, l'immense mesela, où commencent à courir des nuages
lourds, couronnent ces assises gigantesques. Le plateau est
bordé dans toute sa longueur d'une muraille de roches lisses
et à pic qui lui donne l'apparence d'une forteresse. Des ravins,
profondément creusés, l'entourent et le défendent. Placé au
centre du massif épais d'où l'on peut descendre rapidement
dans les vallées de l'Èbre, de l'Arlanzon ou du Duero, Carazo
a été, en effet, pendant longtemps une forteresse naturelle où
les Musulmans se maintinrent obstinément, et l'un de leurs
plus sûrs boulevards contre la Castille voisine. Quelques restes
de tours, déjà mentionnées au xni° siècle et encore habitées au
xv% quelques pans de murs, visités par les aigles et les bergers,
attestent seuls maintenant, sur le vaste plateau aérien, les
luttes épiques qui ensanglantèrent ces âpres défilés. Le grand
comte de Castille en délogea le premier les Maures :
A Carazo fue cercar,
Una syerra muy alla e muy firme castellar.
C'est par le siège de Carazo que l'antique poème de Fernân
Gonzalez, dont nous avons un remaniement, commence le
récit de ses exploits '. Un siècle plus tard, au temps du Cid et
d'Alphonse VI, le comte Gonzalvo Salvadores commandait les
I. Poema de Fernân Gonzalez, au tome LVII de la Biblioteca de Autores espaholes, de
Rivadenevra.
128 BULLETIN HISPANIQUE
Torres de Carazo, qui conservèrent leurs alcaïdes, ou gouver-
neurs, au moins jusqu'au xv^ siècle'.
Au hameau de Contreras, nous tournons à gauche et com-
mençons à gravir un ravin sur le flanc droit duquel s'élève le
sentier. Bientôt, toute trace de culture disparaît, les buissons
deviennent plus serrés, les pins se mêlent aux genévriers, des
lignes d'arêtes rocheuses percent le sol. Gomme la nuit s'avan-
çait en même temps que l'orage, nous nous engageâmes, espé-
rant raccourcir, dans un chemin de chèvres qui ne tarda pas
à se changer en véritable escalier. Lorsqu'après maints tâton-
nements nous arrivâmes au col, l'obscurité était complète et
l'orage prévu éclatait avec violence. Les éclairs, qui s'allu-
maient incessamment autour de nous, suffisaient sans doute à
notre petit guide pour retrouver le chemin au milieu du
fouillis entrevu des rochers et des pins, oij nous laissions avec
résignation nos montures se diriger comme bon leur semblait.
Au bout d'une bonne heure de descente au milieu d'un véri-
table feu d'artifice et du fracas répercuté par les penas environ-
nantes, nous distinguâmes enfin une petite lumière au-dessous
de nous. C'était Silos. Peu après, nous mettions pied à terre
dans la cour de l'abbaye et prenions place à la table hospita-
lière et frugale des moines Bénédictins.
Les quelques jours passés à Silos devaient nous laisser
d'aimables souvenirs. Cette solitude, perdue au fond des monts
de Burgos, est un admirable séjour pour l'artiste ou l'érudit,
et aussi un centre encore tout neuf autour duquel touristes
et alpinistes peuvent varier leurs excursions. Qu'ils se hâtent
cependant, avant que les théories banales des voyageurs
« circulaires » l'aient envahie! Déjà, une route, qui affiche
la prétention d'être carrossable, s'avance de Covarrubias :
quelques kilomètres encore, et Silos recevra des hôtes arrivés
autrement qu'à pied ou à cheval. Il paraît même que, dès
à présent, les raffinés, qui aiment leurs aises, peuvent, en une
petite journée à peine, aller, en voiture à bœufs, rejoindre
la grand'route. Sauf accidents imprévus, mais non invraisem-
blabes, révolutions, guerres civiles, etc., dans quelques années,
I. Dom M. Férotin, Cartulaire de Silos, p. a5.
UNE EXCURSION Al 1»AYS DES ÉPOPÉES 120
ces cinq ou six kilomètres de route seront peut-être achevés,
et l'excursion sera aisée... à moins que d'ici là Tincurie ou le
manque d'argent ne laissent détruire la partie déjà construite.
Peu s'en est fallu que ces deux causes de ruine, trop puis-
santes, hélas! dans ce pays, n'aient fait disparaître à jamais,
avec le cloître et le monastère, l'un des plus éloquents témoins
de l'art et de la civilisation médiévale en Espagne. Il était
déjà à moitié ruiné, comme Cardena, Arlanza, Covarruhias ou
Fres del Val, lorsque les Bénédictins de Solesmes l'achetèrent
en 1881, et y envoyèrent une colonie. Celle-ci commença par
solidifier le cloître et par réunir, au prix de bien des fatigues
et des démarches, ce qui restait des archives dispersées, du
trésor pillé, de la bibliothèque vendue. Elle fit plus encore :
fidèles à l'esprit de leur ordre, les moines publièrent, avec l'au-
torisation et aux frais du gouvernement français, le Carlulaire
de l'abbaye, source infiniment précieuse pour l'histoire de la
Castille et de l'Espagne ', et écrivirent l'histoire de Silos a, dont
la lecture est une utile préparation à cette excursion. S'ils
n'ont pu rentrer en possession de toutes les pièces du trésor,
dont quelques-unes parmi les plus belles — le frontal d'autel
et les arquetas d'ivoire — font la richesse du Musée de Burgos,
ils en ont du moins dressé le catalogue 3, à l'aide des anciens
inventaires, de même qu'ils ont reconstitué, dans la mesure
possible, celui de la bibliothèque. Il suffit de feuilleter ces doctes
ouvrages pour se convaincre que Silos fut, au Moyen-Age, l'un
des centres d'où l'art sous toutes ses formes, ainsi que les
lettres et la tradition chrétienne, rayonnèrent avec le plus d'éclat
sur l'Espagne. Ces âpres montagnes, dont l'accès est encore
si incommode, ont abrité le frêle berceau de la civilisation et
entretenu, selon l'expression du P. Florez, l'étincelle cachée
sous la cendre, esta pequeiïa ascua conservada entre aqiiellas
cenizas. Ce que les héros, dont nous retrouvions tout à l'heure
la trace à chaque pas, avaient commencé et rendu possible,
1. Recueil des chartes de l'Abbaye de Silos, par Dom Marius Férolin, bénédictin
de Solesmes. Paris, Imprim. nation., 1897.
a. Histoire de l'Abbaye de Silos, par Dom Marius Férotin.
3. L'ancien trésor de l'Abbaye de Silos, par D. E. Roiilin, bénédictin de Solesmes,
Paris, Leroux, 1901.
l3o BLLLET1> HISPANIQUE
les saints et les moines l'ont achevé. Nulle part la fécondité
de celle collaboration, qui fit l'ancienne Espagne, nest plus
matériellement saisissable. Le plus ancien texte du Carlulaire
est une charte de donation, du 3 juin 91g, concédée au monas-
tère (alors dédié à Saint Sébastien), par le comte Fernan
Gonzalez et sa femme. Doua Sancha. Nous y trouvons toute
la topographie de Silos, encore aisément reconnaissable.
Le ruisseau, sur le bord duqviel la « basilique » était construite,
a perdu, il est vrai, son nom ibérien de Ura (l'eau), qui survit
d'ailleurs à Piienledura. Il porte maintenant le nom bizarre
de Mataviejas (Tae-vieilles), qui exerce l'imagination des novices,
et dont une variante, Mataovejas (Tue-brebis), s'explique a mer-
veille quand on parcourt les gorges en amont, funestes aux
troupeaux. Ces fissures gigantesques du rocher (las penas de la
Caldera) se nommaient elles-mêmes, à cette date, Pefia Soca-
vata, mais les noms de Tabladillo, de Peàa Rubia, de Caraco,
de Pefia Gova, se sont fidèlement transmis de génération en
génération.
Après Fernan Gonzalez, le Cid Campéador. Par lettres du
12 mai 1076, signées sub arcis monaslerii quem vociianl Kara-
digiia, « Rodric Didaz » et sa femme « Scemena », mariés deux
ans auparavant, concédaient à l'abbaye, libres de tous droits
et servitudes, la moitié des villages de Pennacoba et de Fres-
cinosa (Pefiacova et Fresnosa), lesquels « ils tenaient eux-mêmes
de leurs parents » .
C'est ainsi que les noms des moines et des saints, de
Placentius et de Dominique, lequel allait devenir le patron
éponyme, se trouvent sans cesse mêlés à ceux des Conquis lador es
et des rois. En somme, ils travaillaient les uns et les autres à
la même œuvre ; ils étaient poussés par le même enthousiasme
et réalisaient également l'idéal national. Ils combattaient,
chacun à sa manière, mais avec la même outrance héroïque,
les mêmes ennemis. C'est leur âme, à la fois naïve et violente,
qui se manifeste dans les monuments archaïques qu'ils nous
ont transmis, dans l'imagerie des cathédrales comme dans les
fragments ingénieusement restaurés des Cantares de Gesta ou
des vieux Romanceros, dans les documents barbares des archi-
LNE EXCURSIO.N AU PAYS DES EPOPEES l3l
ves comme dans les prosas déjà plus savantes du Mesler de
Clerecla. Pendant trois siècles, entre les ténèbres du Moyen-
Age et la fin de la Reconquista, l'épopée jaillit spontanément
du cœur de la nation, sous lépée des conquérants, sous le ciseau
des -maîtres tailleurs de pierres et sur le luth des jongleurs.
Nulle part on n'en surprend plus clairement la trace, et l'on
n'en perçoit mieux l'écho que dans ce coin de la Vieille
Castille.
11 suffirait, pour s'en convaincre, de parcourir attentivement
ce monastère de Silos. Je crains, à vrai dire, que le fameux
cloître à deux étages, le joyau, la merveille de l'abbaye pour
l'archéologue, ne paraisse assez insignifiant aux profanes. Ces
arceaux bas et sombres du xi" siècle, ces vieilles pierres usées,
écornées, couvertes de sculptures naïves, parfois grotesques,
ces statues, si gauches dans leur raideur hiératique, ces lam-
bris et ces solives patiemment enluminés au xv^ siècle, ces ins-
criptions indéchiffrables, semées au hasard sur les parois, il
n'y a rien là qui de prime abord parle bien vivement à l'ima-
gination. Et pourtant, quand on sait entendre leur langage,
que de choses disent ces cent-vingt- huit chapiteaux accouplés,
couverts de feuillages, d'efflorescences inconnues, d'entrelacs
curieusement noués, pleins d'animaux, de monstres fabuleux,
harpies, sirènes, centaures, léopards, vautours, où, par des
infiltrations obscures, que les savants s'efforcent de suivre, la
fable gréco-latine se môle aux légendes orientales et aux
mythologies du Nord! Puis, pêle-mêle, des sujets tirés des
Livres Saints, comme dans les reliefs, dits byzantins, des
quatre angles, des scènes de la vie des artisans, à côté des
portraits de rois contemporains, si vraiment certain chapiteau
du deuxième étage représente bien Alphonse VI, Sancho
El de Zarnora, et ses sœurs, Doua Urraca et Doua Elvira. Mais
laissons aux spécialistes, aux Rodrigo Amador de los Rîos,
aux Madrazo, aux Serrano Fatigati, aux Lampérez (pour ne
citer ici que des Espagnols), le soin de déterminer la place qui
revient à Silos dans le splendide épanouissement de l'art roman,
qui, de San Juan de la Pena a la Catedral Vieja de Salamanque,
de Santillana del Mar à Ripoll, de Santiago de Compostela
iSa BULLETIN IIISPAMQLE
a San Cucufate del Yalle, a fleuri les églises de tant de mer-
veilles délicates.
Les souvenirs littéraires s'unissent ici intimement aux
œuvres de l'art primitif. Ils sont plutôt austères, il est vrai.
Les moines, en ces temps-là, songeaient plus au profit qu'au
plaisir de leurs lecteurs. Ni Grimaldus, ni VAnonymus Silensis,
ni, plus tard, Pero Marin, Jeronimo de Nebreda, Antonio
Pérez, Sébastian de Vergara ou Ildefonso Saez n'ont laissé des
noms bien illustres. Cependant, parmi leurs œuvres, il en est
quelques-unes, écrites ou inspirées dans ce cloître, qui occu-
pent une place d'honneur parmi les premiers monuments de
la langue et de la poésie castillanes. La Vie de saint Dominique
de Silos ou celle de Sainte Oria sont du nombre. Le moine
qui les rédigea n'était point sans doute de Silos; il appartenait
au monastère de San Millau de la Cogolla, qui se cache dans
un vallon, à quelques lieues d'ici, sur le penchant septentrional
de la sierra de la Demanda. Il était né vers la fin duxn' siècle,
au bourg voisin de Berceo, dont on ajouta le nom au sien,
Gonzalo. Mais il était compatriote du grand saint, Domingo
Manso, qui, au milieu du xi" siècle avait relevé le monastère
de Saint Sébastien de Silos. Quand Berceo écrivait, deux cents
ans plus lard, la mémoire de saint Dominique était très
vivante dans le pays que remplissait le bruit de ses miracles.
Il traduisit en romance la vie latine composée par le moine
Grimaldus, mais il n'est pas douteux que lui-même n'ait fait
de longs séjours au Val de Tabladillo. Déjà les relations entre
San Millân et Santo Domingo étaient intimes ; elles sont
attestées par maintes chartes de hermandad. Chaque année
encore, en septembre, les habitants de Cafias, patrie de saint
Dominique, viennent processionnellement à pied à Silos, à
travers la montagne. Berceo consacra sa vie à célébrer les
saints de ce coin de terre, saint Millau, sainte Oria, saint
Dominique. Il écrivit pour le peuple, et infatigablement, en
ses stances massives de cuaderna via, rima les biographies
composées par les clercs. C'est proprement un charme que de
lire cette légende dorée sous les grands noyers, au bord du
Mataviejas, ou, mieux encore, dans le cloître ombreux et fleuri.
UNE EXCURSION AU PAYS DES ÉPOPÉES l33
dont le silence n'est troublé que par l'écho des mélopées
grégoriennes, auxquelles répondent, en manière de parodie, les
croassements des choucas (grajos), apprivoisés par les novices.
Ce n'est pas certes que le bon Gonzalo soit un excellent
poète ni un grand clerc; mais il croit d'une foi si sincère,
à ce qu'il raconte, ^u'on se laisse gagner à son émotion. Et
puis toutes ces merveilles qu'il rime avec une facilité un peu
lâchée, se sont passées dans le rayon que la vue embrasse du
haut du clocher. Dans ses couplets nous retrouvons tous les
noms rencontrés dans nos promenades. Avec un peu de
bonne volonté, on s'imagine que rien n'a changé dans ce coin
de Caslille : croyances, costumes, prières, légendes, langue
même, tout a survécu. N'est-ce point quelque chose de rare
aujourd'hui que le sentiment dune telle immobilité?
Nous chercherions vainement, par exemple, dans le monas-
tère ou dans les environs immédiats, l'étroite cellule où s'était
fait emmurer la recluse sainte Oria, la plus illustre des enpa-
redadas espagnoles, si nombreuses par la suite. Le couvent de
femmes, oii Florez suppose que vécut l'emmurée, a disparu
entièrement. Dès le début, l'ascétisme fleurissait spontanément,
comme la lavande, au milieu de ces rochers. Ces âmes, « plus
grandes encore que folles », ne rêvaient que sacrifices surhu-
mains et renonciations héroïques,
En rincon cerrada yacer en pohredad,
Vivir de lo que diere por Bios la christiandad.
De sainte Oria à sainte Thérèse et de sainte Thérèse à la
dernière prise de voile, la tradition se continue fidèlement
avec des rites analogues, et, sans doute aussi, des joies sem-
blables :
Fo end a pocos dias fecha emparedada,
Ovo grand alegria cuando fo encerrada.
(( On lemmura bientôt, et il y eut grande joie quand elle fut
enfermée. »
La méditation de toutes ces choses archaïques, facile en ce
désert, suffirait à charmer les heures. Que si cependant l'on
Bull. Iiispaii. ,,,
tSÀ BULLETIN H1SPA.NI(5UË
recherche des distractions plus actives, elles ne manquent
point. Un alpiniste, que n'effraient point les rochers ni les
précipices, ferait sans doute bien des découvertes dans les
sierras environnantes. Signalons -lui, entre autres, le pic (dont
le nom nous échappe) qui dresse sa tête sourcilleuse au sud-
est, entre Penacova, Carazo et Mamolar, ou encore, si son
ambition se contente à moins, les défilés du Mataviejas, et la
crête qui court au Sud et sépare la vallée de Tabladillo de
celle de Hortezuelôs et Hinojar de Gervera : il pourra de là
admirer à son aise l'eflroyable gorge de Yecla, auprès de
laquelle notre rue d'Enfer, près de Luchon, n'est qu'un enfan-
tillage.
Mais il faut songer au retour. Pour rejoindre Burgos, une
route se présente naturellement; c'est le chemin qui, passant
par Govarrubias et San Pedro d'Arlanza, va rejoindre celui de
Soria à Ortigûela. Gomme celle que nous avons suivie à
l'aller, cette route réserve au voyageur des distractions variées.
La double légende héroïque et chrétienne a aussi illustré ces
régions, que leurs beautés pittoresques suffiraient d'ailleurs à
recommander. Le chemin, après avoir descendu la vallée
jusqu'à Santibàûez del Valle (jadis S. Juan de Tabladillo),
traverse les hauteurs boisées sur la droite et va retomber, par des
sentiers alpestres, dans la vallée de l'Arlanza, près de Govar-
rubias. La contrée est des plus sauvages. Les diverses espèces
de genévriers, les chênes, les pins y forment d'épais massifs,
que le rocher bleuâtre perce par endroits. A leurs parfums
plus âpres se mêle la suave odeur des lavandes, qui embaume
toutes ces montagnes et qui nous suit partout, comme celle de
la fleur d'orangers dans la Haerta de Valence. De Govarrubias
à San Pedro d'Arlanza, la gorge est profondément encaissée
entre de hautes collines au sol rougeâtre et c'est à cette double
circonstance que Govarrubias (Caevas-rubias) doit son nom.
La remarque est du P. Florez, lequel ne dédaignait pas au
besoin d'égayer ses très doctes dissertations de légers croquis
et d'esquisses rapides. « Govarrubias, dit -il i, est situé dans un
creux entouré de monts qui l'enserrent de telle sorte que l'on
I. Espana Sagrada, t. XX VII, p. i3.
U>E EXCURSION AU PAYS DES ÉPOPÉES I 35
ne l'aperçoit que, lorsqu'après une descente, l'on en est tout
près. Le sol en est presque partout de couleur rouge, et, à
cause de cette teinte ainsi que de sa situation au fond d'un
cirque, le nom de Covarrubias lui convient à merveille. Les
monts qui l'entourent forment une sorte d'amphithéâtre très
agréable, car toutes les pentes qui dévalent vers la ville sont
tapissées d'arbres fruitiers et de vignes. Le climat y est si doux
que les fruits y mûrissent plus tôt que dans toute la région
voisine. »
Covarrubias fut l'un des séjours favoris des comtes de Cas-
tille et de Fernan Gonzalez, Ce dernier y avait un palais sur la
place actuelle d'Altozano, et un château, dont il reste une grosse
tour carrée. L'église collégiale des saints Cosme et Damien
a hérité des anciens couvents de moines et de religieuses,
auxquels, dès le x' siècle, les comtes faisaient des donations
dont le texte existe encore. Comme Cardeûa, elle devint un
panthéon, où comtes souverains et rois de Castille aimaient
à dormir leur dernier sommeil. En parcourant ces inscriptions
fastueuses, en étudiant ces sépulcres, malheureusement dis-
persés en partie, c'est toute l'histoire politique et artistique de
ce royaume, du x' au xni^ siècle, qui passe sous nos yeux.
A certain moment, ce défilé perdu fut lun des points où se
concentra la vie de cette noble province, « alors, — comme le
dit précisément la Geste de Ferndii Gonzalez, — que la Castille
n'était qu'un petit coin de terre, que Montes d'Oca en était la
borne, que les Maures tenaient Carazo, et que toute la Castille
n'était qu'une simple alcaldie.
Esionces era Castylla un pequeno rrincon,
Era Montes d'Oca de Castylla mojon,
Moros tenian a Carazo en aquesta sazon,
Es tances era Castylla toda una alcadia. »
En remontant le cours de l'Arlanza, qui, à cet endroit, coule
de Test à l'ouest, l'on s'engage de plus en plus dans des
gorges dominées par des crêtes boisées, qui, par endroits, sur-
plombent à pic la vallée. La rivière, grossie de toutes les eaux
de la Campina et de la Tierra de Lara, s'est glissée dans une
l36 BULLETIN HISPA?<IQUE
fissure qui sépare les liauteurs de Mamblas de la Peîia de
Gayubar. Elle s'y heurte sans cesse à des arêtes ou contreforts
rocheux, autour desquels elle a dû, en grondant, se frayer un
passage. Chaque détour de la route, qui serpente entre ces
promontoires enchevêtrés, ménage au voyageur un point de
vue nouveau.
L'ombre qui tombe des falaises, la fraîcheur qui s'élève du
fond de ce canon, la solitude rarement troublée rendent la pro-
menade charmante. Dans l'un des étranglements les plus
étroits, une vieille tour romane, la iorre del archiva, et quel-
ques ruines calcinées apparaissent sur la rive droite. C'est tout
ce qui reste, depuis l'incendie de i8g4, du fameux monastère
de San Pedro d'Arlanza. Lorsque Florez le visita, il n'y trouva
plus que vingt-quatre religieux. Du moins put-il voir encore
debout le cloître à double étage, comme celui de Silos, mais il
ne le décrit point. Il note seulement ce détail pittoresque que
lorsqu'on lève les yeux, on voit les arbres accrochés aux
flancs de la montagne former une couronne au-dessus des
toits. Et il s'amuse à décrire le site, les allées d'arbres que l'on
rencontre en venant de Lara, l'aspérité des pentes, et ces vols
de martinets qui nichent dans le cloître et tournoient sans
cesse dans l'ouverture béante de ce cirque. Le consciencieux
érudit escalada même la montagne jusqu'à l'ermitage de San
Pedro el Viejo, mais, arrivé au bord de la terrasse qui domine
le gouffre, il voulut regarder en bas, et fut pris de vertige.
L'histoire d'Arlanza fut longtemps inséparable de celle du
comté de Castille : la longue liste de ses abbés authentiques
commence dès 912. La réputation de ses saints, ses reliques,
parmi lesquelles la fameuse Vierge des Batailles de Fernân
Gonzalez, les miracles qui se multipliaient auprès des tom-
beaux des premiers anachorètes, Pelayo, Arsenio et Silvano,
ou des saints, Vicente, Sabina et Cristeta, attirèrent dans ces
gorges une foule de prélats, de princes, d'infanzons, ainsi qu'en
témoigne Gonzalo de Berceo, à propos de l'abbé saint Garcia,
contemporain du Cid.
Arlanza n'est plus maintenant qu'un nom. Les dépouilles
du monastère sont allées enrichir Govarrubias, qui montre
UNE EXCURSION AU PAYS DES EPOPEES l3-
les sépulcres suspects de Fernun Gonzalez et de sa femme
Sancha, le musée archéologique de Madrid, où a été déposée
la porte romane, enfin, la cathédrale de Burgos, où l'on
voit, à langle nord -est du cloître supérieur, un tombeau
(( byzantin », que l'on a adjugé, sans aucun fondement, à
Mudarra, le bâtard de Salas. De même que Cardena et que
Silos, Arlanza s'enorgueillit d'avoir inspiré l'un des monu-
ments les plus vénérables de la littérature médiévale, le
poème de Fernân Gonzalez, dont il nous reste une rédaction
du milieu du xin" siècle, mais qui, très probablement, sous
une forme peu différente, remontait plus haut. La Geste dut
sortir de San Pedro, hypothèse très vraisemblable, d'abord
parce qu'Arlanza fut pour Fernan Gonzalez ce que Cardena
devait être pour le Cid, le séjour de prédilection, le centre où
la légende se cristallisa, et aussi parce que le souci d'exalter le
couvent, d'énumérer ses gloires, de faire constater ses droits
aux largesses souveraines éclate à chaque page. « Lorsque tu
auras, brave Comte, arraché le pays à l'ennemi, qu'il te sou-
vienne de notre misérable couvent, et n'oublie pas la pauvre
hospitalité que tu y reçus :
Quando ovyeres tu, el buen Conde, el campo arrancado,
Vengate en mientes que somos convento laçrado
Et lion se te olvide el pobre ospedado. »
A quoi le comte répond comme un homme « qui comprend
les choses, ensenado », que tout ce que les moines deman-
deront leur sera accordé, et il énumère complaisamment les
bienfaits futurs. « Je ferai une autre église d'un plus fort
ciment; j'y placerai mon tombeau; je donnerai de quoi entre-
tenir plus de cent moines :
Fare otra yglesia de mas fuerte çimiento,
Fare dentro en ella el mi soierramiento ,
Dure ay donde vivan monges mas de çiento. »
La légende locale de saint Pelage, racontée tout au long
dans la Geste, est fort adroitement présentée pour lier le sort
de la Gastille à celui du monastère de San Pedro. Elle dit
l38 BULLETIN HISPANIQUE
comment, certain jour, le comte Fernân Gonzalez, chassant le
sanglier dans ces parages, dut mettre pied à terre à cet endroit,
pour suivre l'animal, qui gravissait la pente de ce « fyero
lugar ». Le chasseur arriva de la sorte jusqu'au sommet de la
montagne. Il y trouva un petit ermitage et vit le sanglier
miraculeux aller se cacher sous l'autel. Un anachorète, nommé
Pelage, habitait cette rustique demeure. Il accueillit le comte,
l'hébergea, et lui prédit les victoires qu'il allait remporter sur
le roi des Maures, Almanzor, ainsi que les destins glorieux
qui l'attendaient :
Sera por todo el mundo temido la ta lança.
La prophétie s'accomplit, et après les batailles heureuses
de Cascajares et de Hacinas, le comte reconnaissant accomplit
ses promesses. Telle est, en ses lignes essentielles, la légende
d'Arlanza,
J'ignore oiî se trouve actuellement le tableau commémoratif
de la victoire, dont des copies ornaient au xviii" siècle les
murs du cloître; mais l'on montre encore la grotte où le
puerco sétait réfugié, et celle oii vivaient saint Pelage avec ses
deux compagnons. Cette grotte d'Arlanza devait être, dans
l'idée du trouvère, comme la réplique castillane ou le pendant
de celle, plus célèbre, de Covadonga, dans les Asturies.
... Nous regagnâmes Burgos par une nuit sans lune. Le long
de la route, de distance en distance, de grands feux brillaient,
au milieu de sortes de camps retranchés, que formaient des
chariots pesamment chargés. La flamme éclairait de reflets
rougeâtres les faces tannées d'hommes assis en cercle autour
du foyer, où cuisait le souper : avec la fumée, une pénétrante
odeur de genévrier se répandait à travers les landes. A quelque
distance du cercle, des bœufs dételés ruminaient, couchés dans
les fougères, tandis que les chiens, à notre approche, s'élan-
çaient, avec des intentions évidemment peu hospitalières. Ces
voyageurs étaient les bûcherons de la sierra de Quintanar, qui
allaient par étapes vendre leurs planches de sapin à la foire
annuelle de Burgos. Chacune de ces rencontres fournissait
une excellente occasion à Tune de nos mules, célèbre à la
UNE EXCURSION AU PAYS DES ÉPOPÉES iSg
ronde pour son mauvais caractère, de se livrer à des fantaisies
inquiétantes, dont on ne venait à bout quen lui jetant un sac
sur la tête. Elle répondait cependant (par antiphrase, je sup-
pose) au nom de « la Perla », décidément trop prodigué en
Espagne. Nous réussîmes, contre toute vraisemblance, à éviter
le fossé ou le ravin, qui nous guettaient. Et — je Tavoue sans
fausse honte ■ — j'en fus personnellement d'autant plus heureux
que, juché sur la banquette extérieure, je pouvais mieux
mesurer l'arc de cercle qui devait m'y amener. Aussi, quelques
heures plus tard, j'aperçus avec plaisir, tout au bas de la cote,
les lumières do ÏEspolun et de la gare. Je ne voulus point me
souvenir que ces lumières étaient des lampes électriques, je
fermai les oreilles au sifilet du chemin de fer, si violemment
anachronique. La mémoire toute pleine des légendes et des
grands noms parmi lesquels je venais de vivre quelques jours,
les yeux encore éblouis par les visions d'autrefois, je trouvais
quelque peu choquante la banalité des choses familières. En
repassant à pied près de l'Arc de Santa Maria, je revis, avec
les héros protecteurs, le blason de la vieille cité castillane, et
jamais mieux qu'au retour de cette excursion, je ne compris
le sens de la devise qui le couronne : Caput Ccistellae.
Ernest MÉRIMÉE.
D^ MARINA DE ARAGON
i523-i549
Il est rare que l'on sache quelque chose de précis et d'un
peu intime sur les femmes qu'ont célébrées les poètes
espagnols du xvi" siècle. Tout au plus entrevoit- on, dans les
hommages enthousiastes et les strophes enflammées de leurs
adorateurs, quelques silhouettes gracieuses, que les formules
d'un style convenu laissent, d'ailleurs, assez indécises et
flottantes. Nous ne saisissons rien des traits caractéristiques de
leur nature morale, rien ou presque rien des qualités maî-
tresses de leur cœur ou de leur esprit. Les effusions de la poésie
erotique pétrarquesque, — que l'on songe, par exemple, à la
Luz de F. de Herrera — les subtilités et préciosités de la galan-
terie espagnole des cancioneros, tout cela peut être ou passionné
ou délicat, mais reste superficiel, d'une psychologie vraiment
trop sommaire. A quoi bon des descriptions qui ne font rien
revivre, des accumulations d'épithètes qui ne peignent pas? On
ne saurait s'intéresser à des images si fugitives et dépourvues
à ce point de personnalité.
Et pourtant, parmi les femmes objets du culte des poètes
de cette époque, il en est heureusement quelques-unes dont la
physionomie plus accusée se distingue mieux; dans les vers de
ceux qui les ont chantées, nous discernons à peu près ce qui
fut un jour le côté saillant de leur caractère, les dons naturels
et les vertus acquises qui les rendirent particulièrement char-
mantes, qui firent qu'on les aima, qu'on les regretta et les
pleura. L'une d'elles est une fille d'honneur de l'impératrice
Isabelle, femme de Charles-Quint, Dofia Marina de Aragon,
qui appartenait à la grande maison des Aragon-Gurrea, comtes
de Ribagorza, issus d'un fils naturel du roi Jean II'. Son frère
i. VoirD. Francisco Fernândez de Béthencourt, Historia genealôgica y herâldica de la
Monarquia espanola, Casa Real y Grandes de Espana, t. III (Madrid, 1901), p. ^09 et suiv.
D' MARINA DE ARAGON \t\l
D. Martin, sixième comte de Ribagorza, réunit à nouveau à
l'ancien comté aragonais le duché valencien de Villahermosa,
qui avait été porté en Italie par le mariage d'une Aragon,
grand'tante de D" Marina, avec Robert de San Severino,
prince de Salerne. Cette Aragon-là s'appelait également D'* Ma-
rina, et peut-être donna-t-on à la nôtre ce nom en souvenir
de sa parente, qui toutefois ne put être sa marraine ' : la prin-
cesse de Salerne, en effet, remariée en secondes noces au prince
de Piombino, mourut vers i5i3, plusieurs années avant la
naissance de la fille d'honneur de Flmpératrice.
Nous ne manquons pas de renseignements sur les plus pro-
ches parents de la seconde D" Marina. Le père, D. Alonso
de Aragon y Gurrea, cinquième comte de Ribagorza, se con-
tenta d'être surtout un haut et puissant seigneur, un de ces
personnages très décoratifs, auxquels les souverains aiment à
confier des emplois d'apparat et dont les annalistes mention-
nent complaisamment la présence dans des circonstances
solennelles. C'est ainsi que le vieux Ferdinand le Catholique
le chargea de lui amener Germaine de Foix; c'est ainsi que les
députés d'Aragon l'envoyèrent quelques années plus tard les
représenter aux Pays-Ras, auprès de Charles, et qu'il accompa-
gna le jeune roi dans son premier voyage en Espagne ; c'est
ainsi qu'il hébergea dans sa ville de Pedrola le pape Adrien VI,
lorsque cet ancien précepteur de Charles alla prendre posses-
sion de la tiare; qu'il accompagna Madame d'Alençon venue
pour visiter son frère prisonnier, qu'il assista au mariage de
l'Empereur avec Isabelle de Portugal. Très attaché naturelle-
ment aux privilèges de l'ancien royaume d'Aragon, que le
nouveau régime centralisateur allait battre en brèche, se sentant
I . Le R. P. Jaime Nonell, dans son ouvrage intitulé La santa Diiqiiesa, vida y virtudes
de la vénérable y excelentisima senora Doha Luisa de Borja y Aragon, condesa de Riba-
gorza y duquesa de Villahermosa, Madrid, 1892, p. 90, nomme notre Marina .Varh'na.
Cette erreur lui vient d'un auteur du xvii* siècle, le R. P. Tomas Muniessa, premier
bioo:raphe de D' Luisa, qui publia en 1691, à Saragosse, une Vida de la V. y Ex" S"
D. Luisa de Borja, dont le P. NoncU s'est beaucoup servi. A la page 83 de la réimpres-
sion de cet ouvrage (Madrid, 187G, â cargo de Julian Peila), le nom de Marina a été
altéré en Martina. Peut-être la faute ne se trouve-t-elle pas dans l'édition originale de
1G91 que je n'ai pas vue. Le nom de Marina est assez commun au xvi* siècle; il se
rencontre notamment dans la famille maternelle de Marina de Aragon, les Sarmiento
comtes de Salinas.
1^3 BULLETO HISPAMQUE
d'ailleurs par sa naissance et son nom doublement tenu de les
défendre et comptant peut-être un peu trop sur sa parenté de
la main gauche avec la maison royale, il encourut en une
occasion la mauvaise humeur du souverain et renonça désor-
mais à figurer dans son cortège; s'étant retiré en Aragon, oiî
il se disputa avec ses voisins aussi fiers et intransigeants que
lui, il mourut, âgé de soixante-trois ans, à Saragosse, le 3 novem-
bre i55o. Son portrait par Rolam de Mois, qui le représente
vêtu d'une sorte de chamarre ou de casaque, la main droite
sur sa dague, la main gauche sur son épée, a fort grand air;
les traits sont ceux d'un homme d'une soixantaine d'années,
hautain et rude'. Ce ricohombre aragonais eut trois femmes:
une Isabelle Folch de Cardona, une Isabelle de Espés, et, en
dernier lieu, il épousa D"* Ana de Sarmiento, dont il eut quatre
filles, entre autres notre Marina, et un fils, D. Martin, qui
succéda à son père comme comte de Ribagorza.
Les parents d'Ana de Sarmiento étaient D. Diego Gomez
de Sarmiento de Villandrando, comte de Satinas et de Ribadeo,
et D" Maria de UUoa, fille de D. Rodrigo de LUoa, grand
maître des comptes (contador mayor) de Henri IV et des Rois
Catholiques 3. Rolam de Mois a aussi exécuté l'image de celte
troisième femme de D. Alonso de Aragon, et sa peinture, dans
la manière de Titien 3, donne l'impression d'une femme de
rare distinction. Si Marina ressemblait à sa mère, elle en hérita
de fort beaux yeux, un nez pur et une bouche gracieuse : jolis
détails que Rolam de Mois a peints avec délicatesse dans l'ovale
très allongé de la figure de D'' Ana.
De l'enfance de D" Marina, qui paraît avoir été la deuxième
fille du troisième mariage de son père '*, nous ne savons rien.
On peut conjecturer qu'elle fut élevée dans le collège de
Buenavia, fondé par D. Alonso, pour l'éducation des filles
1. Ce portrait a été reproduit dans le livre du P. Nonell, p. 66.
2. José Pellicer, Informe del origen de la casa de Sarmiento de Villamayor, Madrid,
iC63, fol. 96.
3. Reproduite aussi dans l'ouvrage du P. Nonell, p. 92.
!t. R. P. Nonell, l. c, p. 90. D. Francisco F. de Béthencourt, l. c., t. III, p. 472,
la considère comme l'aînée; mais les données de Nonell, empruntées, d'ailleurs,
à Muniessa, paraissent plus exactes et sont confirmées, ainsi qu'on le verra, par
d'autres témoignages.
D' MARINA DE ARAGON l/jS
nobles, à proximité de sa résidence de Pedrola. Mais quelles
furent ses relations avec ses parents, avec ses nombreuses
sœurs de deux mariages, avec son frère D. Martin, avec la
femme de celui-ci, D" Luisa de Borja, sœur de saint François
de Borja et elle-même vénérable, la Santa Duquesa, comme on
rappelle dans la famille? D. Martin, lui, qui fut dans sa jeu-
nesse menin de l'impératrice Isabelle, a laissé la réputation
d'un amateur instruit et d'un érudit ; il s'entourait de lettrés
et d'artistes, — c'est lui qui ramena de l'étranger Rolam de Mois,
le peintre auquel nous devons tant de portraits de la maison
ducale', — il collectionnait avec goût des objets d'art, des
médailles et des armes ; il aimait à bâtir et à orner ses demeu-
res : Philippe II l'a nommé le « philosophe aragonais », ce qui
veut dire sans doute que cet Aragon préférait l'existence pai-
sible d'un dilettante mondain aux tracas de la vie de cour et
aux soucis de la politique a. Sa sœur et lui appartinrent donc
à la maison de l'Impératrice; mais à quel moment Marina
entra-t-elle dans le service d'honneur d'Isabelle de Portugal?
Nous ne le savons pas exactement; tout ce que nous pouvons
dire, c'est qu'Isabelle, qui épousa l'Empereur en i526, étant
morte en iBSg, l'introduction à la cour de la jeune fille se place
forcément entre ces deux dates. En i5/i3, nous le verrons, elle
était encore très jeune, mais toutefois en âge de se marier,
1. lusepe Martînez, le peintre de Philippe IV, nous a donné des renseignements
assez curieux sur ce peintre, son genre de talent et ses habitudes de gentilhomme
qui ne condescendait à peindre que des gens de qualité qu'il faisait poser chez lui,
sauf les dames, auxquelles il accordait la faveur d'aller les trouver dans leur palais :
« S. E. el senor duque le ocupô [Ilolam Mois] en hacer retratos de la genealogia de
su casa, sacândolos de originales muy anliguos, los cuales eran de manera muy seca
y de poco dibujo; mas él los rcdujo â la moderna con tanta gracia y bondad, sin
defraudar â lo parecido, que parecia los habia sacado del mismo nalural... Su ejer-
cicio principal fuc hacer retratos grandes y pequefios : no hubo en aqucl tiempo
persona de cucnta que no se hiciera retratar de su mano, y en particular las damas,
porque tuvo tal gracia, que sin casi sombras los hacia muy parecidos. En esto imitô
mucho al Tiziano ... no se dignô de hacer retratos â gente ordinaria, teniéndose
â menos de cmplear sus manos en semcjante gonte, aunque le repagasen, ni tampoco
ir â casa de ningun caballcro por principal que fuese, sino solo en casa lo retrataba :
â las damas solamente iba con mucha cortesîa â hacerlos â sus palacios y casas.
Tratôse como caballero, teniendo siempre caballo â la estaca, y su casa con la osten-
tacion que merecia su ingénio. » (^Discursos practicables del nobilîsimo arte de lapintura,
Madrid, 1866, p. 187.) L'éditeur de cet ouvrage, D. Valcntin Cardcrera, signale uu
défaut du peintre qu'on peut constater dans le portrait d'Ana de Sarmicnto, celui
de peindre les bras un peu longs.
2. Voir l'ouvrage de M. de Béthencourt, t. III, p. 678 et suiv.
lZ|4 BULLETIN HISPANIQUE
Or, s'il est vrai, comme je le crois, qu'elle était la deuxième
des filles de D. Alonso et D" Ana, la naissance de Marina se
placerait au plus tôt en l'année i523, car, en 1622, le 28 mars,
D* Adriana, la première fille, fut baptisée à Pedrola par le
pape Adrien VI i.
Avant de demander à la poésie ce qu'elle a à nous appren-
dre sur Marina, je mentionnerai seulement deux incidents de
sa vie que nous connaissons par d'autres témoignages. En
i543, la fille de D. Alonso se trouvait à Madrid, auprès de sa
grand'mère maternelle, D" Maria de Ulloa, dans le couvent
de San Dorhingo el Real, et y eut avec certain étrange person-
nage une assez plaisante conversation sur laquelle nous
aurons à revenir. L'autre incident est celui de ses fiançailles,
qui précédèrent de peu sa mort. On nous dit que la maladie
dont elle devait mourir la rappela à Pedrola, qu'elle fut enter-
rée au monastère de Santa Catalina de Saragosse et que son
fiancé fut le duc d'Alcalâ^. Une peut s'agir ici que de D. Perafun
de Ribera, deuxième marquis de Tarifa, qui fut créé duc d'Alcalâ
de los Gazules en i557, et mourut vice-roi de Naples le 2 avril
15723. S'il est exact que ce grand seigneur andalous aspira
à sa main, la chose a dû se passer avant la création du titre
de duc d'Alcalà au profit de D. Perafân et alors que ce person-
nage n'était encore que marquis de Tarifa, car Marina, nous
allons le voir, mourut au plus tard en lô/ig.
Une notice, d'une concision lapidaire, de la vie de Marina
nous a été conservée dans un sonnet que le secrétaire de
Charles-Quint et de Philippe II, Gonzalo Pérez, père du fameux
Antonio, composa en Thonneur de la jeune fille si prématu-
rément enlevée à l'admiration et à l'afTection de tous ceux qui
la connaissaient. De ce sonnet nous possédons deux versions :
la première a été insérée dans une traduction espagnole des
Emblèmes d'Alciat, par Bernardino Daza, qui fut publiée
ù Lyon en iSiig. Le privilège de ce livre à Guillaume Rouille
el Macé Bonhomme est du 9 août i548, la dédicace de Daza
1. Bélliencourt, l. c, t. III, p. U']2.
2. Béthencourt, l. c, t. III, p. /172, et R. P. Muniessa, /. c, p. 83.
3. Diego Ortiz de Zùniga, Anales eclesiasticos y seculares de Sevilla, éd. de 1795,
t. III, p. 378, et t. IV, p. 6 et 59.
D' MAIU.N.V DE ARAGON 1^5
à Juan Vuzqucz de Molina du i" juillet lô/jg, et l'achevé d'im-
primer du 17 août de la même année. Le sonnet de Pérez
se trouvant tout à la fin du volume, il pourrait avoir été
communiqué ù Daza, au cours de limpression, comme une
pièce récemment écrite à propos du fatal événement, qui
se serait passé dans cette même année ou un peu plus tôt'.
Soneto a forma de Emblema dcl niiiy M. y miiy H. seiîor G. Ferez à
la muerle de Doua Marina de Aragon. Dialogo.
Quien yaze aqui? yo soy Dona Marina.
Que sangre? de Aragon, que no déniera.
Porque? porque quiçà mejor me fuera,
Y no acabara en suerte tan malina.
Que fue tu vida acà ? con la diuina
Emperatriz biui, que su dama era.
Fuiste casada? no, bien lo quisiera.
Pues quien te lo estoruô? tu lo adeuina.
Biuiste descansada? ni aun un hora.
Fuiste hermosa? no se, el mundo lo diga.
En que edad acabaste? mal lograda.
De que mal? de dolor. Fuiste senora?
Ni aun de mi libertad, y ansi en fatiga
Llegè (sic) a la triste y vltima jornada.
Cette première version, en somme, parle de la naissance de
Marina, de ses fonctions de fille d'honneur de l'Impératrice,
d'un mariage manqué et d'une fin prématurée (mal lograda)
causée par un profond chagrin. L'autre version, qui se trouve
dans un manuscrit de la Bibliothèque nationale de Paris (Esp.
373, fol. 234'°), est moins heureuse de forme, — en ceci sur-
tout que les deux tercets ne disent rien et terminent platement
le sonnet; — le poète y exprime, d'ailleurs, à peu près les
mêmes idées que dans la première, mais ajoute ce détail
précis que Marina mourut à vingt-six ans 2, et que la mort la
1. Celte version du sonnet de Pérez a été reproduite dans une «Brève noticia de
Gonzalo Ferez, padre del célèbre Antonio Pérez, escrita por el jesuita Esteban
de Arteaga y Lopez » (Coleccion de doc. inêd. para la historia de Espaha, t. XllI, p. 548).
3. Ces vingt-six ans combinés avec Tannée lôig, date probable delà mort de
Marina, nous donnent bien lôaS comme date de naissance; ce qui tend à prouver
que Marina fut la seconde fille de D. Alonso et de D* .\na.
l46 BLLLETIN IJISPAMQUE
surprit au moment -où elle allait se marier (mi lalatno el
sepulchro).
Soneto de Gonçalo Ferez a la sepultiira de Dona Marina de Aragon,
hija del conde de Ribagorça.
Dona Marina fuy, mi sangre ha sido
aquella de Aragon, clara y preçiada;
mi vida nunca verme descansada ;
mi suerte no alcançar lo que he querido.
Mi talamo el sepulchro. y mi marido
la obscura sombra fue desta morada,
do en anos veynte y sey[s] la muerte ayrada
mi clara y mucha luz a sclaresçido i.
;0 tu que por aqui passar quisieres,
no pares a mirar la piedra dura
que ençierra mis despojos mal logrados !
Si en tanta tristeza no te vieres,
que te niegue consuelo tu ventura
en todos otros casos desastrados.
Mais le chantre le plus inspiré de la pauvre novia fut Diego
de Mendoza. Dans le recueil de ses poésies, il y a quatre pièces
qui ont trait à Marina : un sonnet, une élégie, deux épîtres. Le
sonnet, très insignifiant et très faible, ne compte pasa; l'élégie,
au contraire, malgré des maladresses coutumières au poète,
qui, incomplètement maître de l'idiome poétique, n'arrive
qu'avec peine à trouver une forme adéquate à ses pensées sou-
vent ingénieuses et même profondes, et, malgré une fin décon-
certante où le récit de l'histoire d'Orphée apparaît sans que
l'on sache trop pourquoi, cette élégie, toute vibrante d'une
émotion des plus sincères, a des passages fort réussis où
l'heureux choix de l'expression riAalise avec la délicatesse du
sentiment. Les épîtres, écrites du vivant de Marina et qui lui
furent adressées de Venise, où Mendoza remplissait les fonc-
tions d'ambassadeur, sous le couvert d'une Maria de Pefia,
criada de la jeune fille, affectent le ton plaisant que Mendoza
1. Le mot sclaresçido est une mauvaise leçon pour oscurecido.
3. Non moins insignifiant est un autre sonnet « Sobre el sepukro de D' Marina de
Aragon », qui figure parmi les poésies de Gutierre de Cetina {Obras de Gutierre de
Cetinaj éd. Hazanas, Séville, 1896, t. I, p. 118).
D-* MAR1>A DE ARAGON 1^7
empruntait volontiers aux auteurs italiens de capitoU bur-
lesques ; mais l'allure facétieuse des deux morceaux n'empêche
pas qu'on y sente le culte respectueux et tendre que Mendoza
avait voué à la jeune fille.
Voyons d'abord les cpîtresi. Mendoza était resté quatre ans
(a cabo de quatro anos de parlido) sans donner de ses nouvelles
à Marina et à sa suivante. Ces quatre ans doivent se compter
probablement à partir de lôSy; vers la fin de cette année, en
effet, il quitta la Catalogne et Barcelone pour se rendre en
Angleterre où il avait charge de représenter l'Empereur auprès
d'Henri VIII, a^ec Eustache Cliapuisa. Dans une lettre à
D. Francisco de Los Cobos, datée de Londres le 28 février i538,
il rappelle la bonne vie de Barcelone et exprime ses regrets
d'avoir dû y renoncer 3, ce qu'il marque aussi dans la première
épître :
Porque como descrece Barcelona
Y huye aquella playa gloriosa,
Asi va enflaqueciendo la persona.
Son séjour en Angleterre ne dura que quelques mois; en
août, Charles-Quint l'envoya aux Pays-Bas, et nous avons de
lui des lettres datées de Bréda du i4 septembre i538i. Puis
il reçoit la mission de remplacer à Venise l'ambassadeur
D. Lope de Soria; les instructions qu'on lui adresse sont du
19 avril 1539 5. Il remplit ces nouvelles fonctions auprès de la
Seigneurie au moins depuis le mois d'octobre de cette année tî,
et son ambassade, souvent interrompue par des missions
1. Çà et là, dans mes citations de Mendoza, je rectifle le texte défectueux de l'édi-
tion de W. I. Knapp (Obras poélicas de D. Dieijo Hurtado de Mendoza, dans la Coleccion
de libros espanolcs raros o curiosos, t. XI, Madrid, 1877), à l'aide des manuscrits de la
Bibliothèque nationale de Paris, Esp. 268 et Esp. 3n : ce dernier, on le sait, contient
des corrections autographes du poète.
2. Calendar of Slate Papers. Spain, Londres, 1888, vol. V, part 2, p. iG5, 33(3 et iaf).
3. Parlant d'un banquet auquel il avait assisté à Hampton Court, Mendoza écrit :
« Yo querria passar estas xiras con el gran Mos. Çaragoça tante como aqui, que aun-
quc esta es buena vida para quien eslâ mostrado (acostumbrado?) â ella, yo tuvicra
por mejor la de Barcelona » (Calendar, vol. V, part 3, p. 439).
4. Calendar, Londres, 1890, vol. VI, part i, p. 39. Il est question du séjour de
D. Diego en Angleterre et de son voyage aux Pays-Bas dans l'épîtrc qu'il adressa à
Gonzalo Ferez (éd. Knapp, p. 4G7).
5. Calendar, vol. VI, part i, p. i4C.
0. Sa présence à Venise est signalée dans une lettre du marquis d'Aguilar, Rome,
le ."«g octobre iSSg {Calendar, vol. VI, part 1, p. 199).
1^8 SOMMAIRE DES REVUES
spéciales à Trente, à Sienne ou ailleurs, se continua jusqu'en
i547'. Ce serait donc en i54i ou environ qu'il aurait rimé la
première et peut-être aussi la seconde épître à Maria de Pefia.
Dans la première, intitulée : « A Maria de Pefia, criada de doua
Marina de Aragon, en loor de la fealdad, » Mendoza, après
s'être disculpé en invoquant les fatigues du voyage et les
devoirs de sa charge, reproche à son tour à Marina d'oublier
ses amis : «Heureux celui qui réussit à ne plus l'aimer... En
coûte t-il tant d'écrire quelques lignes à un Vénitien? Et après
l'on me traitera de mal appris! »
ç Que le cuesta escribir a un Veneciano
Una letra, un borron o una cruceta?
i Y despues que me traie de villano !
« Je me vengerai; je demanderai au dieu que nous adorons,
non pas qu'elle perde sa beauté, — c'est un mal qui vient sans
qu'on l'appelle et elle perdrait ce dont elle a le moins de souci,
— mais je lui demanderai, à ce dieu, de la tourmenter en la
persuadant qu'un jour naîtra une autre D"" Marina semblable
à elle, et qu'elle sera contrainte de voir celte rivale grandir et
prospérer sous ses yeux. »
Querria que le entrasse una mohina
Creyendo que algun dia ha de nacer
En este mundo otra dona Marina ;
Y que ella misma viesse en el crecer
En gracia y en valor y en discrecion
Una que le pudiesse parecer.
(( Dites-lui donc, amie Pena, de ne point se montrer si con-
fiante, si présomptueuse ; il est parfois dangereux de vouloir
marcher sur le fil de l'épée. »
No sea tan bizarra y confiada ;
Que no es siempre seguro el caminar
Por encima del filo de la espada.
Mendoza entame ensuite le sujet de son épître bernesque,
« l'éloge de la laideur, » qu'il traite avec quelque gaucherie,
I. vida de Don Diego Hurlado de Mendoza, clans l'étlition de Valence, 1776, de la
Guerra de Granada, p. xsxv.
U' MARINA DE ARAGON l49
et la transition qui nous ramène à Marina manque de cette
désinvolture bouffonne qui seule rend ces paradoxes suppor-
tables chez les meilleurs Italiens. « J'ai voulu vous dire tout
cela, dame Pena, afin que vous puissiez engager votre maî-
tresse à nous traiter avec moins de hauteur. La fraîcheur, la
jeunesse passeront; je sais, au surplus, qu'elle n'y attache
aucun prix, possédant ce qui seul a de la durée. »
He querido deziros este todo
Porque podais a vuestra ama aconsejar
Que no nos ponga a todos tan del lado.
Mire que cl verdegay se ha de acabar,
Dado que ella le estima harto poco,
Pues tienc lo que siempre ha de durar.
Au bord d'une onde limpide et fraîche, Mendoza construira
à Marina un temple, oîi, vêtu de pourpre, il accomplira les
rites en lui sacrifiant des cœurs humains, des désirs mêlés à
des soucis. Puis, après une allusion «aux rois ses ayeux»,
le poète évoque quelques idées tristes : la haine, les destins
contraires, l'animosité des méchantes langues (el rencor de las
lenguas maliciosas), qui semblent indiquer que Marina, plusieurs
années avant sa maladie et sa mort, avait eu à souffrir
douloureusement dans ses affections, n'avait point vu se
réaliser ses rêves de jeune fille.
L'autre épître, dont le sujet est « la fondation de Venise »,
débute très agréablement. Mendoza trouve un moyen gracieux
d'expliquer pourquoi il s'adresse à Pena et non directement
à sa maîtresse ; il se compare au pauvre pèlerin de Rome ou
de Compostelle, qui, uniquement préoccupé d'atteindre le
terme de son pénible voyage, n'a d'yeux que pour le sanctuaire
dont l'édifice se détache comme un point lumineux au milieu
de la ville; il s'approche, mais, saisi de confusion et de honte,
il n'ose chercher la grande image ; il s'arrête devant une
moindre, la première qui s'offre à ses regards, et il adore
de loin les autels. « Tel moi, » dit Mendoza, « pénétré de la valeur
de votre maîtresse, je me contente, dame Pena, d'être entendu
de vous. » Ces quelques tercets, inspirés par un sentiment vrai,
Bull, hispan. n
lOO BULLETIN HISPANIQUE
disent bien ce qu'ils veulent dire et font image; ils comptent
parmi les meilleurs qu'ait jamais écrits ce fin lettré :
El pobre peregrino, quando viene
A Roma o a Santiago en romeria
Por voto esprcsso o devocion que tiene,
Va entre si discurriendo por la via
La gloria, religion y pïedad
Del proposito santo que le guia.
No le mueve grandeza de ciudad;
Las casas o dineros o manjares
No le hazen mudar de voluntad.
Llegando, se présenta a los lugares
Sagrados y de mas veneracion,
Dende lexos adora los altares ;
Porque siendo de humilde condicion,
Ni se atreue ni puede, va que quiera,
OfTrecer mas de cerca su oracion.
Escoge en las imagenes de fuera
Lna para rezar lo que le plaze,
Indigno de tocar a la primera...
Pues yo, sefiora Pefia, etc.
Le reste n'a plus rien de commun avec Marina : D. Diego ne
pense qu'à amuser ses deux lectrices par un tableau assez
fantaisiste de l'histoire de la fameuse république, où les inci-
dents célèbres, tels que le sposalizio du Doge avec la mer et
les détails piquants de la festa délia Sensa, comme on disait
à Venise, tiennent une grande place.
Quand Mendoza écrivit-il son In memoriam? L'élégie » en la
muerle de D" Marina de Aragon » ne contient rien qui permette
de la dater avec quelque précision; il est probable qu'elle est
du même temps que le sonnet de Gonzalo Ferez. Outre le mérite
de la forme, qui, comme il a été dit, est réel au moins dans quel-
ques parties, cette pièce en a d'autres; elle est la seule qui
nous initie à la vie intérieure de Marina, qui analyse ses sen-
timents, qui précise les traits de son caractère, qui éclaire un
peu, quoique trop faiblement encore, les causes de ses peines
et de ses maux. Surprise par la mort au moment de son
complet épanouissement, dans la fleur de sa beauté,
En el colmo, en la flor de hermosura
De arrebalada muerte salteada,
D" MARINA DE ARAGON IDI
Marina a été aussi pleurée qu'elle avait été adulée pendant
le peu d'années qu'il lui fut donné de vivre :
Fuiste, doiîa Marina, tan llorada
Quanlo cl poco que en esta luz viviste
Tu vida merecio ser alabada.
« Qui fut plus admirée et plus servie, qui le méritait mieux,
qui en fit jamais si peu de cas? » La mort impitoyable fut
soudaine, inattendue :
Te arrebalo delante nuestros ojos
En el tiempo que menos lo pensaste.
Et cette vie de peu de jours, si cruellement interrompue et
brisée, suggère à Mendoza la comparaison maintenant rebattue
— qu'un poète de nos jours éviterait ou qu'il chercherait
au moins à renouveler par quelque trouvaille d'expression —
de l'épi moissonné dans sa fleur, de la jeune pousse trop tôt
coupée par une main imprudente, mais qui, au temps de
Mendoza, caressait loreille novice des Espagnols non encore
rassasiés des adaptations italiennes ou de l'imitation de la
poésie classique :
Si el trigo no es maduro en el arista,
No corta el segador la mies en berza
Antes de la sazon venida y vista.
No pone en verde rama, aunque se tuerza,
La hoz antes de tiempo el hortelano,
Hasta que se endurece y toma fuerza.
Dans les tercets suivants, il s'applique à décrire les grâces
captivantes de la jeune fille, à peindre les nuances délicates
de sentiment qui apparaissaient dans sa conversaciôn. Elle
a une façon douce de décourager (manso desengano) les trop
entreprenants qui les oblige à l'aimer, malgré qu'ils aient
perdu tout espoir de l'attendrir; elle sait guérir les blessures
que son simple aspect a causées. L'âme, l'allure et les pensées
restent dignes du grand lignage dont elle descend. Mais à quoi
bon invoquer l'histoire et rappeler lo souvenir de tant de rois?
Ce serait faire tort à ses mérites propres. « Quel abandon dans
l53 BULLETIN HISPANIQUE
sa parole et quel à-propos! Quelle clairvoyance, quelle sagesse,
quelle simplicité! On eût dit qu'elle montrait son cœur
ouvert. »
[Que descuido en la habla, que concierto;
Que aviso, que prudencia, que Uaneza!
Parecia mostrar el pecho abierto.
« J'ai quitté mon pays, » dit Mendoza, <( le cœur triste, pour
chercher au loin plus de gloire, plus dautorité; mais le destin
a tellement coupé les ailes de mon ambition que je me sens
vaincu. J'aurais mieux fait de suivre tes traces, de me conten-
ter d'une plus modeste existence, de ne pas te considérer
comme le couronnement suprême d'autres efforts, mais de
réaliser en toi seule mon bonheur. »
Sali triste de mi naturaleza
A buscar en provincias apartadas
Mayor reputacion, mayor grandeza.
Tienenme ahora los hados tan cortadas
De la gloria las alas que me canso ;
Mejor fuera parar en tus pisadas,
Correr con la fortuna bajo y manso
Y no tomari por fin merecer verte,
Mas en verte poner fin y descanso.
A les prendre à la lettre, ces tercets signifient que Mendoza
avait vraiment aimé Marina et avait pensé l'épouser. « Heu-
reux ceux qui, groupés autour de toi, t'ont aidée à franchir le
terrible pas!.,. Heureux celui dont tu pris congé, qui entendit
les paroles que tu prononças et à qui en mourant tu dis adieu !
Tu as souffert des peines sans fin, tu n'as vécu que peu d'années
de vie, tu as lutté incessamment contre ta destinée, rien de ce
que tu désirais ne t'a réussi. »
Infinitos trabajos, pocos dias,
Contino contrastar con la fortuna
Y salirte al rêves quanto querias.
« Née sous un astre favorable, les gens t'adoraient comme
une déesse, fortune à toi seule réservée. Les autres femmes
I. Le texte de Knapp, au lieu de tomar, a temer, qui ne donne aucun sens.
D' MVRIW l)i: \H\G(')\ 153
qui t'observaient s'efforçaient de te ressembler, mais sentaient
bientôt l'inutilité de leurs efforts et s'en étonnaient... L'Espagne
entière a pris le deuil en apprenant ta mort, et jamais l'Èbrc
n'a tant crû par les pluies et neiges que lui envoient ses
montagnes que par les larmes que nous y avons versées. »
Mendoza souhaiterait que l'art pût reproduire l'image de
Marina et la fît en quelque manière revivre. Espoir vain :
qui y réussirait? Ni couleur, ni pierre, ni métal, ni génie ne
pourrait atteindre ce degré de perfection; et, d'ailleurs, «bien
fou celui qui prétendrait rendre la vie dans ce monde terrestre
à celle qui dans l'autre jouit de la vie éternelle! »
; 0 cuidado de loco perenal,
Querer en este siglo dar la vida
A quien vive en el otro va inmortal !
L'élégie se termine en fait ici ; il eût mieux valu que Mendoza
ne l'amplifiât pas de cette digression oiseuse sur Orphée qui
affaiblit l'impression du morceau et éteint le lyrisme de bon
aloi qui jusqu'alors avait soutenu le poète et lui avait inspiré
des accents dont on ne saurait nier la sincérité ni l'éloquence.
Savoir finir est un art qui n'est pas commun chez les poètes
espagnols; on peut leur appliquer en général ce que disait
Gracian : « Todo se les va a algunos en començar y nada
acaban; inventan, pero no prosiguen... impaciencia de ânimo,
tacha de Espar.oles. »
Que conclure de tout ceci? Certaines expressions de l'élégie,
je l'ai remarqué déjà, accusent de la part de Mendoza une
affection plus que respectueuse, un attachement très réel et
des regrets cuisants de s'être, à un moment de sa vie, éloigné
de la jeune fille, d'avoir sacrifié à ses rêves ambitieux les
années qu'il aurait dû consacrer à l'aimer et à la servir. C'est
ce qu'on peut croire ; mais il faut aussi se méfier du style poé-
tique de l'époque, il faut éviter d'être dupe d'un langage con-
ventionnel qui n'a que trop sévi depuis Pétrarque dans la
poésie italienne et, à son exemple, dans la poésie espagnole.
En l'absence d'autres témoignages plus probants, laissons donc
dans la pénombre, dans un vague mvstérieux, les relations de
l54 BULLETIN HISPANIQUE
D. Diego et de D* Marina, l^e s'agirait-il que d'un amour de tête,
d'un culte purement spirituel? Ce genre d'érotisme ne convien-
drait pas mal au dilettante affiné par la lecture des Grecs, par
un commerce assidu avec les maîtres du platonisme et du
pétrarquisme italien. Quoi qu'il en soit, l'amour de Mendoza,
platonique ou non, lui a dicté quelques vers heureux, quelques
pensées touchantes : n'en demandons pas plus. Sur d'autres
points, l'élégie semble, au premier abord, assez explicite; mais,
à y regarder de près, le sens exact des mots qui semblaient
le plus révélateurs nous échappe. Mendoza insiste sur les nom-
breux mécomptes de Marina, sur la longue lutte qu'elle sou-
tint contre sa destinée: rien, dit-il, ne lui a réussi. Dans le
concert d'hommages adressés à la fille d'honneur, il y en eut,
sans doute, qui touchèrent son cœur un peu plus que d'autres,
et au jeu des gakmteos de palacio peut-être donna-t-elle des
gages qui enchaînèrent sa liberté et lui valurent ensuite de
graves déceptions. Beaucoup de conjectures sont permises,
mais il serait impertinent de les formuler. Contentons-nous de
savoir qu'à partir au moins d'un certain moment la jeune fille
ne fut pas heureuse ; rien ne lui réussit plus : saliôte al rêves
quanto querias!
Et cependant sa vie eut aussi ses rayons de soleil, ses
moments d'expansion, de gaîté franche et même d'espièglerie.
La note attristée, presque lugubre par instants, de l'élégie de
Mendoza ne nous rend pas du tout la Marina telle qu'elle se
révéla à d'autres contemporains, et notamment à certain
aventurier quelque peu picaresque, du nom de D. Alonso Enrî-
quez de Guzmân, et qui se donnait à lui-même le sobriquet
significatif de « gentilhomme déconfit » (caballero noble desba-
ratado)^. Le personnage en question, se trouvant à Madrid en
i5/i3, alla rendre visite à D'' Maria de Ulloa, retirée, en sa qua-
lité de veuve, à Santo Domingo el Real et qui avait auprès
d'elle trois de ses petites-filles, dont notre Marina. Dès que
D. Alonso fut entré, la jeune fille, s'adressant à lui, dit à brûle-
I. «Libro de la vida y costunabres de Don Alonso Enriquez, caballero noble desba-
ratado, » dans la Coleccion de documentos inéd. para la hist. de Espana, t. LXXXV,
p. 4o6.
D" MARINA l>r: AHAGO.N I ,)0
pourpoint : « Connaissez-vous les aulcls que D^ Maria de Llloa a
édifiés dans sa demeure? — Non, » répondit l'autre. — « Et vou
lez-vous les voir? — A votre disposition, » dit Alonso, pensant
que ce serait pour un autre jour. Mais Marina, ordonnant à un
page de prendre un flambeau et de les accompagner, conduisit
D. Alonso de chambre en chambre, de corridor en corridor,
jusqu'à l'autre bout de la maison. Un grand vent soufllait dans
ces parages et menaçait d'éteindre la lumière. Alonso, de son
naturel assez avantageux, se posa cette question : « Si cette
lumière s'éteint, de deux choses l'une, ou bien je me tiendrai
à distance et passerai pour un imbécile, ou bien je m'appro-
cherai d'elle et, en ce cas, je lui manque de respect. » Et, inter-
pellant le page, il lui recommanda de ne pas laisser la lumière
s'éteindre. Marina dit alors : « Gela n'a aucune importance. »
D. Alonso, de plus en plus ému, s'écria : « Pecadorde mi, qu'est-ce
que cela veut dire? » Puis, arrivant aux autels, D. Alonso se
jeta aux pieds de celui du milieu « qui invitait le mieux à la
dévotion », et, après avoir récité un Ave, il adressa à la Mère
de Dieu cette prière : « Par la joie que tu ressentis lorsque
l'ange t'annonça que le Seigneur était en toi, secours-moi
dans cette détresse et réconforte-moi. » Soudain apparut une
duègne comme descendue du ciel, car D. Alonso n'avait pas
souvenir de l'avoir vue parmi celles qui étaient au service de
D' Maria. « Soyez la bien-venue, Madame, » lui dit-il ; « par ma
foi, sans vous nous étions fort seuls, et comme le diable ne
dort pas... » A ces mots, la malicieuse Marina, qui s'était par-
faitement rendu compte des sentiments de son compagnon,
riposta : « Écoutez-moi, Don Alonso, et sachez bien qu'on n'a
jamais rien fait de mal qu'à l'aide d'une duègne. » Le pauvre
Alonso se retira assez penaud, et d'autant plus qu'ayant rendu
compte de l'incident aux parents de Marina, la friponne, pour
mieux narguer le cavalier, déclara qu'elle recommencerait une
fois et cent fois la promenade seule avec lui et même plus
seule encore : « Ce dont Dieu me garde! » dit en finissant Don
Alonso, non sans dépit : ce coureur d'aventures et de bonnes
fortunes venait de recevoir une leçon supérieurement admi-
nistrée et dont il dut se souvenir longtemps.
l5G BULLETI» HISPA^'1QL1E
Voici en son jargon informe le récit du « gentilliomme
déconfit )) :
Lo que me pasô con una dama en Madrid en el ano de 15U3, mes de mayo ; y
porque es caso de admiracion y endiscrecion, y esta prohibido contarlo à los
vivos, doy por testigo à la ilustrisima seiîora doiïa Maria de Mendoza y à la
ilastre senora dona Francisca Sarmiento, su hermana, y al seîïor don Alvaro de
Mendoza.
Tiene atencion el caso de admiracion, porque représenta ndolo el auctor,
que es al mismo que le acaecio, le tiemblan las carnes. Habeis de saber que
en el dicho lugar esta una senora de gran linaje y no ménos fama de hon-
rada y cristianisima, que se Uama D" Maria de UUoa, viuda, madré del
S"" Conde de Satinas, la cual tiene en su casa très nietas muy honradas y
hermosas, de tierna edad, aunque no tan ninas que no se podrian ya casar. La
una es hija del Conde de Ribagorza, en Aragon; llâmase D" Marina de Ara-
gon. Es una dama que fué de la Emperatriz, nuestra Seùora, que esta en
gloria, tan hermosa, tan discreta y valerosa que en verdad yo no hallo â
que la pueda comparar, sino es â la lima D^ Maria de Mendoza. Yendo yo
â ver à su abucla y a estas seiloras en Santo Domingo el Real, do real y san-
tamente tiene hecha su casa y morada, que era noche, y me dijo esta
D' Marina, ângel o diable, 6 quien que es : « S"^ D. Alonso, ^ habeis visto los
altares de mi S'" D' Maria de UUoa en esta su casa?» Yo le dije : « ISo
senora.» Respondiôme : « Quereis que os los muestre.^» Yo le dije:
u Guando Vmd. fuere servida, » creyendo fuera otra dia.
Luégo se levantô ligera y esparcida, y dijo a un paje : « Toma ese cande-
lero. » Y mandole pasar adelante, y luégo â mi, y ella, y no mas, y pasainos
por muchas câmaras y recâmaras y muchos corredores y ventanas por muy
gran rato, andando cabe la lumbre muy gran viento, y en mi pensamiento
tormento, y la casa como encantada, sola y grande, considerando ; pecador
de mi! que es esto 6 que ha de ser si la vêla se apaga, porque si me desvio
délia, déjola sola y quedo necio y apocado; si me llego â ella, desacdtome y
desverguénzome. Yo decia al paje : « Mira no se te mate la vêla. » Ella res-
pondiô: «No va nada en ello, S"^ D. Alonso. » Yo entre mi : « [Oh, pecador
de mi'! ,; que es esto?» Y ansi como llegamos 6 los altares, que son très,
fuime al de medio, que me pareciô mâs devoto, y recé un Ave Maria, como
oracion mâs brève, y dije a una imâgen de la Madré de Dios : « Senora, por
aquel gozo que sentisle cuando el Angel te trajo la nueva cômo el Seiîor era
contigo, que me socorras en este trabajo, y me des gozo y alegn'a. » Entonces
pareciô una dueùa, que juro por Dios que me pareciô que bajaba del cielo,
y que no lo dejo de créer ansi, porque he mirado por todas las duenas de la
gra £)a Maria de Ulloa, y no vi aquella otro dia que fui con mi S'" D" Maria â
corner alla, y estuve todo el dia con ellas. Entonces dije: « j Oh, senora,
seais muy bien venida, que â fé que estabamos muy solos sin vos, y como el
diablo no duerme!... » Respondiô la S" D" Marina, que como discreta cono-
ciô mi temor, y como valerosa y generosa quiso gustar dél : « Mira, S' Don
Alonso, hâgoos saber que nunca se hizo mal recado sino con dueiïa. »
Contempla, hombres humanos de carne y de hueso, que tormento tan
extrano, que miedo tan grande, que verguenza, que corrimiento pasô por el
pobre hombre; y luégo df mucha priesa para volverme do estaba su agùela
D* MAUINA DE AUAGON 1 57
y primas, y el S' D. Alvaro de Mendoza; e no fué menester poca priesa, segun
era léjos, y yo eslaba penado y congojado, de lo cual dimos luégo cuenta â
losdichos; y despues olro dia [â] mi S" D^ Maria e la S'^D^Francisca, tornan-
dole[s] ;i decir esta inalvada esfazarda que entraria otra vez y otras ciento
conniigo tan sola y mâs, de lo cual me guarde Dios. Amen, amen.
Ce passage des Mémoires du Desbaratado a, en tout cas, le
mérite de dissiper l'impression mélancolique que nous avait
laissée l'élégie de Mendoza. On aime à penser que la jeune
fille, dont les dernières années ont été obscurcies par des tris-
tesses el des souffrances, a ri aussi, a plaisanté, a vécu des
moments de vie joyeuse et folâtre; il y a donc eu pour elle des
jours heureux comme il y a eu des jours sombres : destinée
commune à beaucoup d'autres. C'est tout ce qu'il est permis
de dire, et l'on commettrait une imprudence si l'on prétendait
deviner davantage; mais sachons gré au moins à son fervent
adorateur D. Diego et à d'autres témoins d'avoir levé pour
nous quelques coins du voile et de nous avoir montré, sous
des aspects divers, la gentille âme espagnole de D^ Marina
de Aragon.
Alfred MOREL-FATIO.
p. CORNEILLE JU&E PAR UN HONGROIS
Dans le premier chapitre de son livre sur P. Corneille et le
théâtre espagnol^, M. Huszar me fait l'honneur dangereux de
m'opposer à tous ceux qui, avant moi, se sont occupés du
sujet qu'il traite 3, et il me déclare à peu près le seul à avoir
envisagé cette question du point de vue véritable qui est, bien
entendu, le sien. Malheureusement, j'ai le désavantage d'être
Français, et, par suite, incapable de parler de Corneille avec
l'indépendance d'esprit nécessaire. M. Huszar est dans une
situation autrement privilégiée, puisque la nature lui a donné,
pour regarder la France et l'Espagne, des yeux hongrois, lumi-
neusement impartiaux. Il se propose donc de compléter, de
préciser et de rectifier mes conclusions. Gomment ? C'est ce
que je vais essayer d'indiquer le plus rapidement possible.
J'avoue que des scrupules se sont d'abord présentés à mon
esprit; mais je me suis souvenu des raisons supérieures qu'in-
voquait M. Faguet dans un délicieux article des Débats sur le
poète norvégien de Au delà des forces humaines. Comme
d'aucune manière je ne puis m'empêcher de penser avec un
cerveau français, la certitude de mon inévitable partialité me
rassure. Je serais autrement inquiet si j'avais à juger la supé-
riorité d'un original sanscrit sur une adaptation arabe ou
pehlvie.
Il n'est qu'un point sur lequel M. Huszar se déclare réduit à
ses propres recherches; mais ce point a son importance, qui
est grande. Il s'agit, en effet, de savoir si, oui ou non, la Comedia
a exercé son influence sur les premières comédies de Corneille.
Si la réponse est oui, n'en pourra-t-on pas conclure que, dans
son essence même, le génie cornélien dérive de l'Espagne? Si,
I. Paris, Emile Bouillon, igoS.
a. P. ag et 3o.
1>. COUNEILLE JLGÉ PAK UN HONGROIS IO9
au contraire, la réponse est non, il sera légitime de prétendre
que la Comedia a surtout permis au plus glorieux fondateur de
notre théâtre classique de prendre conscience de lui-même et
de se dégager des ornières où s'enlisaient ses contemporains.
M. Huszâr soutient, bien entendu, la première de ces deux
opinions. Mais quelles preuves apporte- t-il!* Il faut d'abord
constater qu'il ne nous indique aucun texte espagnol à rappro-
cher d'un passage de Corneille plus ou moins vaguement ana-
logue. Au lieu de bonnes raisons, il ne nous présente guère
que des hypothèses toujours fantaisistes et parfois étonnantes.
Je ne m'arrêterai pas longtemps sur les expressions qui lui
paraissent venir de la Comedia. Corneille n'avait pas besoin de
lire Lope ou Calderon pour faire dire à ses héros « ma chère
âme» ou «quatre mots à quartier». Quant aux hyperboles
antithétiques comme « adorable cruelle » ou « monstre de la
nature», elles étaient courantes dans le roman contemporain.
II n'y a qu'un mot qui semble avoir une origine directement
espagnole, c'est celui de « veillaque », et ce mot n'apparaît que
dans V Illusion comique à partir de laquelle, en effet, l'influence de
l'Espagne commence à s'exercer sur Corneille. M. Huszâr, lui,
rencontre cette influence jusque « dans les moindres bagatelles » .
C'est ainsi qu'il nous apprendra que la formule : « C'est beau
comme le Cid » n'est qu'une adaptation de l'expression fameuse
« c'est du Lope ». II n'est d'ailleurs pas embarrassé pour prêter à
Toccasion aux premiers héros de Corneille des termes espagnols.
Ne nous dit- il pas, à propos de la Galerie du Palais, qu'Aronte
conseille à Lysandre d'user des « celos » dans l'intérêt de son
amour? Il appert nettement de ce passage' que M. Huszâr sait
traduire «jalousie» en espagnol, mais il ne nous est nulle-
ment prouvé qu'Aronte en sût faire autant 2.
Je ne suis pas davantage convaincu que Corneille ait
I. P. î3i.
3. M. Huszâr semble connaître l'espagnol. Aussi suis-je surpris de rencontrer dans
son livre les formes suivantes: antiquo (p. 121); representacions (p. iS.'t); galans
(p. 161) ; un auto sacramentale (p. 181)), etc. Je ne crois pas non plus que M. Huszâr se
fasse une idée bien juste de l'origine du nom des comédies de cape et d'épée quand il
écrit: « La plupart des pièces retentissent du cliquetis des épées; il n'en est pas où il
n'y ait quelques duels, aussi leur nom de comedias de capa y espada en indique- 1- il
assez le caractère » (p. i5C).
l6o BULLETIN HISPANIQUE
emprunté à la Comedia les considérations sur l'amour ou les
dissertations sur l'honneur dont parle M. Huszâr. M. Huszâr les
trouvera quand il voudra dans les romans et surtout dans les
tragi-comédies qui parurent en France avant le CidK Mais je
doute fort qu'il le veuille jamais. Il préfère, en effet, nous faire
sentir partout l'arôme de la Comedia, et surtout là oii serait en
défaut un odorat ordinaire. Constatant, par exemple, que
Corneille évite les aparté, « il n'est pas impossible », écrit-il %
« qu'il ait songé au drame espagnol qui en abuse. » En présence
d'arguments de ce genre, je serais curieux de voir comment on
pourrait méconnaître que Corneille est un simple copiste de la
Comedia. Les autres découvertes de M. Huszâr ont à peu près
la même valeur. Vous croyez peut-être que le fameux « moi » de
Médée n'est qu'une ingénieuse traduction du uMedea superest»
de Sénèque? Point du tout. Bien qu'il fût de Cordoue^ Sénèque
n'est pas assez Espagnol. Ce moi « pour lequel les critiques
français semblent avoir épuisé toutes les louanges «3, Corneille
l'a tiré de YEn esta vida de Calderon, à moins que ce ne soit de
la pièce de Lope intitulée: Querer la propia desdicha. On vous
avait jadis enseigné que la u nourrice « était un personnage de
l'ancien théâtre français que Corneille put remplacer par la
suivante grâce à l'importance grandissante et au nombre nou-
veau des actrices. Sachez donc que la présence de ce personnage
doit nous faire songer à un « gracioso en jupon », et que sa
disparition ne s'explique bien que par l'invasion de la « criada »
espagnole. Apprenez encore qu'il n'y eut pas sous Richelieu
assez de duels pour expliquer ceux qu'on rencontre dans les
comédies de Corneille, et gardez -vous d'imaginer pour Méliie
et Clitandre cette explication vraiment trop simpliste que leur
auteur connaissait V Hypocondriaque de Rotrou ainsi que Cléa-
génor et Doristée. Vous en arriveriez peut-être à supposer que
la Veuve ou la Galerie du Palais ont jailli des mêmes sources
que la Céliane ou la Célimène. Et vous paraîtriez alors ignorer
1. C'est ce que j'ai, en partie, indiqué déjà dans les chapitres II et III de mon
étude sur La Comedia espagnole en France de Hardy à Racine. Paris, Hachette, 1900.
2. P. 2 3o.
3. Cf. le livre de M. Huszâr, p. siS.
p. CORNEILLE Jl GÉ 'F'AU IN HONGROIS l6t
qu'en i63o a été publié un volume de coinedias de Lope dans
lequel se rencontrent la Verdad sospechosa et Aniar sin saber ci
quien. Osez me dire maintenant que si, dès i63o, Corneille a
connu ce recueil, il est étrange quil n'en ait pas davantage
profité. Je vous répondrai que, si vous aviez le flair castillan
de M. Huszàr, vous retrouveriez dans ses premières comédies
des peintures de la jalousie et du dédain qui vous rappelle-
raient la manière du « phénix, des génies » i. Laissez -moi enfin
vous avertir que les décors de la Galerie du Palais ou de la
Place Royale ne sont pas aussi parisiens que, dans la candeur de
votre âme, vous seriez tenté de le supposer. 11 n'a pas suffi à
Corneille de jeter les yeux autour de lui. 11 a dû surtout se rap-
peler que chez Lope et ses disciples « une partie tout au moins
de l'action se déroulait sur des places publiques de Madrid : le
Prado, la Calle Mayor, etc. n^.
Avec de pareils arguments, on n'aurait pas de peine à établir
que la littérature française tout entière n'est qu'un décalque
maladroit de la littérature espagnole. Si c'est là ce que M. Huszâr
entend par une méthode « scientifique », nous ne donnons
pas à ce mot le même sens. Nous ne nous entendrions pas
davantage sur la définition du mot « honor ». M. Huszâr, pour les
besoins de sa thèse, l'explique ainsi : « les mérites appréciés par
la raison 3. » C'est bien là la conception que se font de l'amour
les héros des premières comédies de Corneille ; ce n'est pas
celle qu'ont de l'honneur les héros de Lope et de Calderon.
Celle-là, on peut en trouver le germe dans ce culte farouche de
l'indépendance individuelle qu'affiche l'Alidor de la Place
Royale. Mais Alidor ne doit rien ni au Sancho de la Hermo-
sura aborrecida de Lope ni au Gomez Arias de Calderon. Il est
le fils de l'imagination cornélienne que l'ardente imagination
des dramaturges espagnols n'échauffera si bien que parce
qu'elle l'entraînera où la poussaient déjà ses propres impul-
sions. C'est, d'ailleurs, une constatation qu'une étude plus
t. Ai-jc besoin de préciser que pareille épithcte ne saurait convenir qu'à Lope de
Vega ?
3. P. a34.
3. P. a36.
l62 BLLLETO HISPAMQUE
approfondie des littératures de l'Europe nous conduirait plus
d'une fois à faire; une œuvre littéraire ne dépasse les frontières
natales et n'exerce au dehors une véritable influence qu'à la
condition de rencontrer un milieu où elle ne paraisse pas
dépaysée. On ne l'imite qu'autant qu'on se retrouve en elle.
L'auteur de la Place Royale n'aurait pas tressailli à la lecture
des Prouesses du Cid s'il n'avait pas eu l'imagination espagnole.
Il ne les aurait pas profondément transformées s'il n'avait pas
eu l'esprit et le bon sens français. Il n'en aurait pas tiré un
chef-d'œuvre, s'il n'avait pas eu le génie de Pierre Corneille.
Voilà des vérités banales que ne ruine pas l'argumentation
deM. Huszar. Elle ne nous offre, d'ailleurs, aucune considération
nouvelle. Elle reprend les jugements de ces critiques « man-
geurs de Français » parmi lesquels M. Huszar ne veut point qu'on
le range. Je crois bien, pour ma part, qu'il ne faut pas, en
effet, le mettre dans cette catégorie. Mais, en vérité, les raisons
supérieurement impartiales qu'il invoque ne sont trop souvent
que des affirmations gratuites et dont nous n'avons jamais à nous
féliciter. M. Huszar est-il amené à parler du loyalisme espa-
gnol? Il imagine que notre Roi -Soleil était une sorte de
despote oriental, tandis qu'au contraire, le culte du monarque
en Espagne n'était pas servile puisqu'on voyait en lui le repré-
sentant temporel de Dieu'. Il oublie sans doute que Bossuet
a dit plus d'une fois en français « que son retratos los reyes de
Dios ». Et n'oublie-t-il pas le théâtre d'un certain Racine quand
il refuse à notre xvn^ siècle la connaissance de l'amour impé-
tueux pour ne lui accorder que les jeux d'une fantaisie galante?
Je ne vois pas non plus pourquoi nous reconnaîtrions avec lui
que le drame romantique représente un degré plus avancé de
l'évolution littéraire. On pourrait plus légitimement soutenir
qu'il a réalisé sur notre scène une forme moins pure et aujour-
d'hui même moins vivante que notre tragédie classique. Et la
meilleure explication à donner de ce fait se rencontre précisé-
ment dans un reproche que nous adresse M. Huszar et qui est
pour nous le plus bel éloge. « En France, écrit-il, la raison
dirige, contrôle l'imagination; elle ne tolère aucun écart ni
I. p. 191.
1'. (.(lUMilM.E JIGK l'AK IN HONGROIS l63
aucun excès de sa part. Ce rôle modérateur du bon sens qui a pour
principe ne quid nimis ne peut être que défavorable à la poésie
subjective', n Fort bien. Mais la poésie dramatique se confon-
drait-elle par hasard avec la lyrique? Et ne doit- elle pas être,
au contraire, objective et non point subjective?
M. Huszâr ne me paraît pas plus équitable dans les deux
seules critiques précises qu'il veut bien m'adresser. Relevant les
contradictions où tombe M. de Schack, j'ai noté qu'il fait à la
Comedia un éloge d'avoir espagnolisé la matière antique ou
étrangère, et à nos tragiques un crime de l'avoir francisée.
M. Huszar me reproche cette observation. Pourquoi.^ Parce que
les héros de la Comedia lui ont été fournis par la société de son
temps et de son pays, tandis que chez ceux de Corneille « on »
ne retrouve que le cachet de l'esprit antique et de l'esprit
espagnole Je n'ai rien à répliquer sinon que M. Huszâr a tort de
mettre on où il aurait fallu je. Si M. Huszar ne voit pas dans
l'Emilie de Cinna une française de la Fronde, s'il n'entend pas
dans Polyeucte l'écho des préoccupations religieuses contem-
poraines, c'est qu'il a des yeux et des oreilles d'une nature
toute spéciale. Son légitime désir d'avoir raison l'entraîne
même parfois à manquer non seulement de justesse, mais
encore, et c'est plus grave, de justice. J'avais fait remarquer
que la conception de l'honneur devient dans le théâtre de
Calderon plus rigoureuse et plus inhumaine qu'au temps de
Lope. Et j'ajoutais en parlant de ses héros: a Jamais dans leur
âme une lutte douloureuse, une révolte contre un préjugé qui
offense la nature et la religion. » M. Huszar m'objecte un mono-
logue de Juan de la Roca. Je ne vois pas que ce monologue
aille contre mon observation puisqu'il se contente d'exposer, en
l'acceptant, la doctrine farouche de l'honneur. Je n'en reconnais
pas moins que M. Huszâr a parfaitement le droit d'attacher à ce
discours une plus grande importance que je ne le fais. Mais où
prend-il cet autre droit de me faire dire de tout le répertoire
espagnol ce que j'indique au contraire comme la caractéristique
de la seule école de Calderon ? Quand j'ai eu à parler de la Come-
I. p. 30I.
3. P. 31 I.
l64 BULLETIN HISPANIQUE
dia envisagée d'une manière générale, voici ce que j'ai écrit:
« D'admirables combats pourraient s'engager entre l'idée de
l'honneur et les sentiments les plus forts, amour ou piété filiale,
amitié ou reconnaissance. Mais si la Comedia les indique souvent,
elle ne les développe jamais». Je ne crois pas que M. Huszâr
puisse me signaler beaucoup de pièces espagnoles qu'en par-
lant de la sorte j'aurais injustement appréciées. Je ne crois
même pas d'ailleurs qu'il soit au fond d'un autre avis que moi.
M. Menéndez y Pelayo, qu'il considère non sans raison comme
un modèle de critique objective, lui a appris que les héros des
drames tragiques de Calderon sont des assassins de sang-froid
qui, loin de céder à un élan de passion, obéissent avec une bru-
talité sophistique à une odieuse convention sociale». Et n'a-t-il
pas lui-même écrit : « C'est à peine si dans la Comedia espa-
gnole la voix de l'humanité ou de la charité se fait entendre a. »
M. Huszâr ne m'aurait pas fait un reproche injuste s'il avait
tenu compte de la distinction que je crois nécessaire entre l'âge
de Lope et celui de Calderon, Le malheur est qu'au lieu de pré-
ciser mes conclusions, il lui arrive plus d'une fois de mettre sur
le même plan et d'envelopper dans un même jugement des
œuvres qui appartiennent à des phases très distinctes dans
l'évolution d'un genre ou d'un génie. A lire ses deux derniers
chapitres, on ne se douterait guère que l'auteur d'Héraclius et
de Don Sanche n'a ni les mêmes théories ni la même méthode
d'imitation que le poète du Cid et d'Horace. M. Huszâr ne semble
préoccupé, quand il parcourt le théâtre de Corneille, que d'y
relever tous les passages où il respire l'odeur de la Comedia. C'est
peut-être qu'il se fait de l'invention littéraire une idée assez mes-
quine. On le surprendrait fort sans doute en lui disant qu'il n'y
a pas un seul sujet de fable qui soit sorti de l'imagination de La
Fontaine, et que La Fontaine est cependant un des artistes les plus
originaux. A mesure que l'élude des littératures comparées se
précisera et s'élargira, elle nous fera mieux comprendre que
rien ne naît de rien, et que la matière littéraire est toujours à la
disposition de tous. Le sujet traité n'a qu'une importance secon-
I. Cf. Menéndez y Pelayo. Calderon y su leulro, Madrid, i885, p. aSO et 3oo.
3. P. i63.
p. (JOK.NEILLE JLGÉ PAR L> HO>GROIS l65
daire. Il n'est qu'un prétexte ou une occasion; il ne prend une
valeur propre qu'en s'illuslrant des couleurs d'une nation et d'un
homme de génie. Si la question des rapports du théâtre de
Corneille et du drame espagnol m'avait paru intéressante, c'est
précisément parce que je n'y voyais pas seulement l'élude, en
elle-même assez vaine, des sources de nos pièces classiques.
La Comedia n'a pas été pour nous une simple mine d'intrigues
que nous aurions trouvées tout aussi bien ailleurs. Elle a
donné à notre tragédie la première idée de ses véritables
ressorts. Outre ce service, dont on ne saurait exagérer la gran-
deur, elle lui en a rendu un autre, plus considérable encore.
Elle lui a permis de s'affirmer en s'opposant à elle. Par ce qu'il
supprime et par ce qu'il ajoute comme par ce qu'il emprunte^
P. Corneille nous révèle le plus pur du goût français et le
meilleur de son propre génie.
Que ce goût et ce génie échappent à M. Huszar, il convient,
sans trop s'en inquiéter, de le regretter toutefois. M, Huszar est
un homme qui a beaucoup lu et dont on ne saurait suspecter la
bonne foi. Il est fâcheux que ses préférences, d'ailleurs légiti-
mes, pour la forme libre du drame, l'empêchent de comprendre
l'originalité et la beauté de la tragédie cornélienne. Son livre
réjouira le cœur des étrangers qui nous font encore l'honneur
d'être jaloux de la diffusion en Europe de notre théâtre classi-
que. Il plaira à tous ceux d'entre les Espagnols, et ils sont
nombreux, qui consentent à incliner Lope et Calderon devant
Shakespeare à condition qu'on leur sacrifie Corneille et Racine
et Molière par-dessus le marché. Il nous a valu un article très
pénétrant de M. Brunetière qui conclut une série de critiques
judicieuses par un éloge d'autant plus flatteur pour M. Huszar
qu'il était plus inattendu'. Il a le mérite incontestable d'appeler
notre attention sur l'influence de cette littérature espagnole
que nous sommes loin d'avoir étudiée en raison de son impor-
tance. C'est assez et plus qu'il n'en faut pour nous consoler de
sa hongroise impartialité.
E. MARTINENCIIE.
1. Cf. Revue des Deux Mondes du i" janvier igoo.
Bull, hispaii. la
SILHOUETTES CONTEMPORAINES
M. MENÉNDEZ Y PELAYO'
Les étudiants de l'Universilé de Madrid remarquèrent, il y a
trente ans de cela, un nouveau venu, tout frais déljarqué de sa
province, et qui ne payait guère de mine. Gringalet, lair
maladif, accoutré d'un énorme carrick de forme surannée, il
rappela à tel de ses camarades^ Charles Bovary, avec sa fameuse
casquette, au début du chef-d"œu\re de Flaubert. Mais on sut
bientôt à qui l'on avait affaire : ce garçon malingre, presque un
enfant encore, qui bégayait et paraissait si gauche et si timide,
se révéla comme un sujet hors ligne et conquit l'admiration
générale. Dans les couloirs étroits de l'Université, il refaisait aux
autres étudiants la leçon du maître, ou bien encore leur récitait
des vers en castillan, en latin, en catalan, en italien, avec un
enthousiasme communicatif, qui triomphait souvent de la
paresse de sa langue et faisait oublier son bégaiement. Une
légende se forma bientôt sur son compte. Un jour, paraît-il,
à la Bibliothèque Nationale, il avait émerveillé les érudits les
plus compétents et fait la leçon aux docteurs. Valera était là
avec Hartzenbusch et quelques autres, qui discutaient sur un
manuscrit. Le jeune Menéndez y Pelayo travaillait à une table :
il entend la discussion, se lève, s'approche, demande respec-
tueusement la permission de donner son avis, et résout la
difficulté. Sa réputation franchit bientôt les murs de. l'Univer-
sité ; on parlait de lui partout comme de la plus forte tête de la
jeunesse contemporaine, comme d'un nouveau Pic de la Miran-
dole, qui étonnerait le monde, et l'Espagne entière saluait avec
1. Cette silhouette est la première partie d'une élude complète sur l'œuvre de
AI. Menéndez y Pelayo qui paraîtra dans un volume de la Bibliothèque espagnole, chez
Picard. Elle est publiée, en même temps qu'ici, dans la f{evue philomathique de
Bordeaux.
24 Le regretté Leopoldo Alas,
SILHOUETTES CONTEMPORAINES 167
joie le jeune prodige, sur le front de qui elle vovait rayonner
déjà l'auréole du génie.
Des espérances aussi brillantes auraient pu être déçues : elles
ne le furent pas. Quelques années plus tard, à l'âge de vingt
deux ans, M. Menéndcz y Pelayo obtenait au concours la chaire
d'Histoire critique de la littérature espagnole à l'Université
Centrale, laissée vacante par la mort d'Amador de los Rios.
Une série de publications importantes, où le talent de l'écrivain
faisait valoir la science de l'érudit, ouvrit bientôt après au
jeune professeur les portes de l'Académie Espagnole. Il avait
vingt-cinq ans. On ne cite pas d'exemple d'une telle précocité.
Depuis lors, les honneurs se sont accumulés sur sa tète, mais
son activité littéraire ne s'est pas ralentie. Ses travaux ont en
partie renouvelé l'histoire de la littérature et de la pensée espa-
gnoles. Rien de plus important n'a été écrit sur l'Espagne
depuis un demi-siècle que ses quarante Aolumes de critique
littéraire et philosophique. L'homme a largement tenu — on
le voit — les promesses de l'étudiant.
Ses compatriotes lui en ont su gré, et si la médisance espagnole
n'épargne guère le talent qui a fait ses preuves, je dois dire
cependant que je n'ai jamais entendu en Espagne apprécier de
deux façons l'œuvre de M. Menéndez y Pelayo. Ceux qui ne
partagent pas ses idées sont d'accord avec ses amis pour recon-
naître son mérite. On le considère un peu comme une gloire
nationale, que tout le monde a intérêt à respecter et à défendre.
Interrogez un Espagnol cultivé : il vous dira, avec cette familia-
rité charmante qui traite toujours les hommes célèbres en amis
intimes, que Marcelino est un cerveau extraordinaire, que
Cervantes l'eût volontiers nommé, comme Lope de Vega, un
mônstruo de la nataraleza, qu'il sait tout (jtodo lo sabe!), qu'il est
le dernier des grands humanistes, qu'il joint à une sensibilité
de poète la capacité de travail d'un bénédictin, les qualités
d'un Scaliger à celles d'un Leopardi ; — et il se plaindra sans
doute à vous qu'un écrivain de cette valeur soit à peine connu
en France de quelques spécialistes, et que son nom ne soit
même pas arrivé encore, comme celui de Georges Brandes par
exemple, aux oreilles de notre grand public.
l68 BULLET1>' HISPANIQUE
On serait tenté de se méfier un peu de ces magnifiques
éloges et de les mettre sur le compte de l'hyperbole castil-
lane. Eh bien, pour une fois, la méfiance serait ici mauvaise
conseillère. M. Menéndez y Pelayo est, en effet, une des person-
nalités littéraires les plus originales et les plus curieuses de
ce temps, et je ne crois pas qu'il y ait aujourd'hui en France
— ni même en Danemark — un critique joignant à l'érudition
la mieux informée sur tout ce qui touche à la littérature et à
l'histoire de son pays un goût plus délicat et plus compré-
hensif, une culture plus vaste et plus vraiment européenne.
J'ai entendu M. Menéndez y Pelayo professer à Madrid dans
une petite salle de l'Université, devant une douzaine d'audi-
teurs, au temps où on l'aurait pris pour le plus jeune de ses
élèves; combien j'enviai alors ceux qui avaient l'heureuse
fortune d'étudier sous un maître dont l'enseignement, d'une
chaleur communicative, devait être si excitateur de pensée et
de recherches ! Les années ont passé depuis (pour nous deux,
hélas!), mais dans l'homme mûr d'aujourd'hui, un peu
épaissi par le travail sédentaire, la barbe légèrement argentée,
on retrouve toujours, dès qu'il s'anime un peu, le même
entrain et la même jeunesse. Les yeux bleus ont gardé de
leur expression si vive et si mobile. Le geste est aussi nerveux
et impatient. L'enthousiasme n'a rien perdu de sa flamme. Je
le vois encore me recevant dans sa bibliothèque de Santander,
une bibliothèque immense, digne d'un érudit de la Renais-
sance, dans un corps de logis à part, avec trois vastes salles,
garnies de livres jusqu'au plafond. Incapable de tenir en place,
il arpente la pièce d'un pas saccadé tandis que, dans une cau-
serie étonnante de verve, il répand pour moi les trésors de son
érudition, m'oriente un peu dans ce labyrinthe de la littérature
espagnole, s'exalte sur un nom, sur une œuvre, s'interrompt
pour me citer une tirade de vers, ou bien, tout d'un coup,
monte à une échelle pour atteindre le livre rare, le manuscrit
précieux qu'il me fait valoir avec la ferveur du bibliophile. Et
pendant que je l'écoute charmé, que je l'observe, je comprends
SILHOUETTES COMEMPORAINES 169
mieux l'œuvre de l'écrivain en saisissant sur le vif le tempé-
rament de l'homme.
M. Menéndez y Pelayo est, avant tout, un cérébral. Je ne crois
pas qu'on puisse imaginer un cas d'intellectualisme plus
aigu. Il est si absorbé que le monde extérieur, la vie pratique,
les détails matériels existent à peine pour lui : on sourit par-
fois d'une négligence dans sa mise, on conte ses distractions de
savant ou de poète. Depuis l'enfance, il a vécu plongé dans les
bouquins : c'est un rat de bibliothèque. Rien ne pouvait satis-
faire sa curiosité universelle : on songe à ce que nous dit Rabelais
de son Pantagruel, que « tel était son esprit entre les livres,
comme le feu parmi les brandes, tant il l'avait infatiguable et
strident». Pas d'ouvrage si aride, si indigeste, qu'il n'ait le
courage de dévorer jusqu'au bout. Il a tout lu, tout retenu :
son cerveau, merveilleusement organisé, classe et emmagasine
sans fatigue. Mais la culture livresque n'a pas chez lui desséché
la sensibilité ni tari les sources de l'énergie. Il a une âme
passionnée, un tempérament de feu; à la nervosité si tendue de
tout son être, à la chaleur et à l'âpreté mordante de son verbe,
on ne peut douter que cet érudit eût pu faire au besoin un
apôtre, un homme d'action. La volonté ne lui eût pas manqué
à coup sûr, ni l'audace. L'homme qui, par un effort opiniâtre,
s'est corrigé du bégaiement — tout comme Démosthène —
pour devenir un maître de la parole, sait remporter une
victoire sur lui-même. Et rappellerai-je la belle crânerie avec
laquelle, le jour où il concourait pour sa chaire de professeur,
il fit, avant de commencer sa leçon publique, un grand signe
de croix, pour affirmer devant tous ses convictions de chrétien?
Voilà des traits qui caractérisent l'homme. Il est bien de sa
race, d'une race combative et exaltée d'aventuriers, de soldats,
de moines.
A la fougue de ce tempérament, à cette ardeur insatiable de
savoir, à cette merveilleuse puissance de travail, nous devons
une œuvre bien vivante, qui n'est pas celle d'un pur érudit,
absorbé à éplucher des textes, ou d'un critique dilettante, isolé
dans sa tour d'ivoire. Comme ces grands humanistes du xvi^
siècle auxquels on revient toujours à le comparer, il se lança
T-JO BULLETIN HISPANIQUE
dans les lettres avec l'impétuosité d'un conquistador; mais il con-
serva toujours la fraîcheur de l'émotion et le sens de la poésie.
Pour lui, comme pour eux, les livres ne furent jamais des choses
mortes : il en fit toujours jaillir* la vie ou la beauté. Pas plus
qu'eux enfin il ne boucha de parti pris ses oreilles au bruit
des idées qui s'entrechoquaient autour de lui dans le monde;
il partagea les passions des hommes de son temps et prit part
à leurs luttes. 11 aima les polémiques violentes, où il mania
l'ironie, linvective et les in-oclavos avec autant de vigueur et
d'adresse que d'autres des armes plus meurtrières. Et voilà
pourquoi ses livres vivent d'une vie si intense. Dans ceux
mômes où il y a le plus de bibliographie et de science aride,
on sent, à certains moments, palpiter une âme. Ne vous arrêtez
pas à la surface : cherchez bien au fond, et, selon le mot de
Pascal, sous l'auteur ou l'érudit vous serez étonné et ravi de
trouver l'homme.
Deux passions maîtresses animent tous ses écrits : son
patriotisme traditionaliste et sa foi religieuse; on pourrait
même presque dire que celle-ci est subordonnée à celui-là,
qu'il est Espagnol avant d'être catholique, et catholique
parce qu'Espagnol. Il a mis tout son cœur et tout son talent
au service de cette cause, la réhabilitation de l'Espagne histo-
rique et littéraire et, par suite, du catholicisme espagnol,
auquel est indissolublement liée la gloire de l'ancienne
Espagne.
Réhabiliter l'Espagne, c'est réfuter les attaques injustes dont
elle a été l'objet de la part des encyclopédistes, des historiens
protestants, et aussi des libéraux espagnols, qui font cause
commune sur ce point avec les pires ennemis de leur pays.
C'est prouver qu'elle n'a pas été un facteur négligeable dans
l'œuvre de la civilisation. Et M. Menéndez y Pelayo s'appliquera
surtout à mettre en lumière, par une belle ordonnance de
preuves, le rôle qu'elle a joué dans l'histoire de l'humanité et
l'apport qu'elle a fourni à la science et à la pensée moderne.
Mais réhabiliter l'Espagne, c'est aussi expliquer sa grandeur
passée en montrant qu'elle doit au catholicisme tout ce qu'elle a
produit de meilleur. Elle n'a compté dans le monde que tant
SILUOLKTTES CONTEMPOU VI\ES I7I
qu'elle lui est restée fidèle. A ceux qui le traitaient de néo-
catholique, M. Menéndez y Pelayo répondit jadis par cette
déclaration de fière allure : « Je suis catholique, ni nouveau
ni vieux, mais catholique « mâcha martillo, comme mes parents
et mes aïeux, et comme toute l'Espagne historique, fertile en
saints, en héros et en savants un peu plus que l'Espagne
moderne. » Le catholicisme est pour lui, avant tout, la forme reli-
gieuse adéquate au tempérament espagnol, la discipline intel-
lectuelle et morale dont il ne peut se passer. De là, condam
nation sans réserve de la Révolution, des idées modernes, du
libéralisme, autant de fléaux dont meurt, paraît il. l'Espagne
d'aujourd'hui, renégate do son passé.
On ne saurait dire assez quelle sincérité d'accent, quelle
chaleur d'éloquence, et aussi à l'occasion quelle ironie cin-
glante l'auteur met ici au service de ses convictions. Mais si la
passion est favorable au talent, si elle donne au style coloris
et chaleur, elle peut offusquer le jugement, et l'historien ou
le critique risque gros jeu à se laisser entraîner par elle.
Qu'une chose soit espagnole, c'est déjà pour M. Menéndez y
Pelayo une raison de la louer, qui dispense presque de toute
autre. Même en matière purement littéraire les arrêts de cet
Aristarque ne laissent pas d'être influencés par son espagnolisme
intransigeant. On' lui reprochait naguère par exemple d'avoir
écoulé plus qu'il ne convient sa rancune de patriote en appré-
ciant les poètes de Cuba dans son Anthologie des Poètes hispano-
américains. De même son catholicisme porte vraiment trop la
marque espagnole. Nous ne lui ferons pas un grief sans doute
de n'avoir pas ménagé les traits mordants à la dévotion mon-
daine (( des personnes nommées en France bien pensantes » et
à certaine littérature ecclésiastique française, « due à des cha-
noines ou à des abbés épris de l'architecture ogivale et du
styte fleuri^, ou à des comtes et marquis légitimistes, de lignée
plus ou moins ancienne 3; » il a raison de regretter que cette mode
de religion élégante et cette littérature à l'eau de rose ait franchi
1. Enrique Pifieyro, llombrcs y Gloriax de America. Paris, Garnier, igoS.
2. En français dans le texte.
3. A propos de V Histoire de Christoplie Colomb, par Roselly de Lorgnes (Estudios de
Critica literaria, segunda série, p. aSS).
l'y 2 BULLETIN HISPANIQUE
les Pyrénées' . Mais nous ne pouvons nous empêcher de croire que
son catholicisme, pour s'affirmer bien espagnol, tantôt prend un
air trop farouche, tantôt se montre un peu débonnaire. Certes
M. Menéndez y Pelayo badine agréablement sur ce lieu commun,
qui rend l'Inquisition responsable de tous les maux dont a
souffert l'Espagne'; mais, en dépit de son talent d'avocat,
l'apologie sans réserve de l'Inquisition qu'il veut nous faire
accepter est une gageure perdue d'avance. Et, d'autre part,
s'agit-il de justifier Fray Gabriel Téllez d'avoir écrit de jolies
comédies fort licencieuses, peu dignes de son habit monas-
tique, cet apologiste intolérant trouvera soudain des trésors
d'indulgence; il nous dira (et de quel ton!) que «la dévotion
était, à cette époque, joviale, confiante, espagnole... Personne
ne se scandalisait de ce qu'un moine eût de la bonne humeur
et écrivît des œuvres de passe-temps, en mettant à profit pour
cela les admirables facultés poétiques que Dieu lui avait accordées^»
Décidément, de Torquemada ne tombons-nous pas dans Esco-
bar?
Il ne s'agit pas ici d'apprécier des idées, mais de définir un
tempérament d'écrivain. Si la passion, qui veut avoir raison à
tout prix, entraîne parfois M. Menéndez y Pelayo au paradoxe
et à de trop subtils distinguo, elle fait de lui un maître polémiste.
La polémique est peut-être la forme littéraire qui convient le
mieux à son humeur : elle excite son talent et féconde sa pensée.
La réfutation est pour lui la vraie manière de dogmatiser. Il se
1. « Aujourd'hui que même le catholicisme nous est traduit de Paris, les vrais
Espagnols se trouvent comme des étrangers dans leur pays. » (Id., p. 172.)
2. Voici le passage qui est fort piquant {La Ciencia espahola, tercera ediciôn, I,
102):
<( Ce nom terrorifique d'Inquisition, croquemitaine d'enfants et épouvantait de
sots, est pour beaucoup la solution de tous les problèmes, le Deiis ex machina qui
tombe du ciel dans les situations difficiles. Pourquoi n'y avait-il pas d'industrie en
Espagne? A cause de l'Inquisition. Pourquoi y avait-il de mauvaises mœurs comme
dans tous les pays et dans tous les temps, excepté dans la bienheureuse Arcadie des
poètes bucoliques ? A cause de l'Inquisition. Pourquoi les Espagnols sont-ils paresseux ?
A cause de l'Inquisition. Pourquoi y a-t-il des courses de taui'eaux en Espagne? A
cause de l'Inquisition. Pourquoi les Espagnols dorment-ils la sieste? A cause de
l'Inquisition. Pourquoi y avait-il de mauvaises auberges et de mauvaises routes et de
mauvais dîners en Espagne au temps de M"° d'Aulnoy ? A cause de l'Inquisition, à
cause du fanatisme, à cause de la théocratie. Involontairement on songe à certaine
satire latine du xvn* siècle. Adam et Eve péchèrent conseillés par les Jésuites. Caïn
tua Abel parce que Caïn et Abel se confessaient aux Révérends Pères. »
3. Estudios de Critica, segunda série. Madrid, 1895, p. 171.
SrLIIOLEÏTES CONTEMPORAINES 178
pose en s'opposant. Si vous voulez trouver dans son Histoire
des idées esihéliqiies ce qu'il pense sur le beau, cherchez-le dans
les pages si amusantes où il écrase sous le ridicule la doctrine
d'un jésuite allemand, le Père Jungmann. Il aime la guerre de
plume et sa verve batailleuse n'épargne personne. Ce sont des
polémiques retentissantes contre les écrivains de l'école libé-
rale, comme Revilla, coupables d'avoir exagéré les méfaits de
l'Inquisition et nié l'existence d'une philosophie espagnole,
qui lui valurent ses premiers succès d'écrivain. Mais il n'est pas
homme à laisser le dernier mot de la discussion même à un
dominicain, qui lui fait la leçon sans l'avoir bien lu et suspecte
son orthodoxie : car il est à noter que ce catholique militant
ne fut jamais plus malmené que dans des feuilles catholiques;
on voit de ces choses. Et comme il faut bien donner un spé-
cimen de son talent de pamphlétaire, pourquoi ne citerais-je
pas, de préférence, le début d'une de ses répliques au R. P.
Fonseca, de l'Ordre des Frères Prêcheurs? On y verra que sa
plume est aussi acérée à l'occasion contre un adversaire théo-
logien que contre un disciple des encyclopédistes.
Il y a un peu moins d'un an que tomba entre mes mains un cahier
in-folio qui portait sur sa couverture : Bouquet dédié à saint Thomas
d'Aquin par les Pères Dominicains du collège de Corias. Je le par-
courus avec curiosité, et médiocre ne fut pas ma surprise de constater
que le Bouquet littéraire en l'honneur de saint Thomas n'était autre
chose qu'un Bouquet en défaveur de mon himible personne. En effet,
et laissant de côté d'autres allusions moins importantes, on y trouve
dirigés contre moi, me désignant à chaque page plusieurs fois par
mon nom, pas moins de vingt-deux folios en petits caractères, qui
équivaudraient à cinquante s'ils étaient imprimés dans le même corps
que le reste du Triduum (car le Bouquet porte aussi ce second titre).
D'aucune manière je ne voudrais paraître irrévérencieux envers une
communauté religieuse, que je ne dois pas rendre responsable des
épanchements littéraires d'un de ses individus. Ce qui m'attriste, c'est
de voir, que, lorsqu'il y a en Espagne tant de philosophes ratio-
nalistes, krausistes, positivistes et d'autres espèces sans nombre qu'il
aurait été très opportun de réfuter, d'écraser, de confondre en l'hon-
neur de l'Ange des Écoles et pour la célébration de sa fête, la seule
pensée qui soit venue à l'esprit de ces fds de saint Dominique et de
ces frères de saint Thomas a été de clouer au pilori un écrivain connu
1^4 UULLI:T1> lIISPAiNIQLE
comme catholique et de le passer aux verges pendant trois jours consé-
cutifs (le Triduum), ni plus ni moins que s'il s'agissait de l'ennemi
le plus pernicieux de la philosophie catholique en Espagne i.
Le morceau est joli; n'est-il pas piquant de constater que le
tour a quelque chose de voltairien?
L'âge a calmé la fougue de M. Menéndez y Pelayo et il
n'écrirait plus aujourd'hui avec une vivacité si agressive. Dans
les éditions récentes de ses œuvres de jeunesse, tout en respec-
tant le texte primitif, il corrige parfois en note quelques intem-
pérances de langage et atténue la brutalité de certains jugements,
en particulier sur les contemporains. Avec l'enrichissement
de sa pensée par l'étude et l'expérience, son intelligence est
devenue plus tolérante et plus compréhensive, son dogmatisme
moins tranchant; ses idées ont évolué, mais sans modifier
pourtant sur les points essentiels les convictions qui inspi-
rèrent ses premiers travaux; il nous le déclare avec trop
d'insistance pour que nous ayons le droit d'en douter. Du reste,
depuis quelques années, il délaisse les études philosophiques
et religieuses qui le passionnèrent jadis. Tandis qu'en France
nos meilleurs critiques, unLemaître^ unBrunetière, lassés delà
pure littérature, se sont tournés vers l'action politique ou l'apos-
tolat, l'auteur de la Science espagnole et des Hétérodoxes se repose
de la lutte en se confinant de plus en plus dans les recherches
d'histoire littéraire. Il étudie l'évolution des idées esthétiques
en Espagne et ailleurs, fait une Anthologie des poètes espagnols,
multiplie les éditions et les préfaces, élève un monument gran-
diose à la mémoire de Lope de Vega. Et il continue à travailler
ainsi, avec un labeur aussi opiniâtre que jamais et une foi aussi
ardente, à la noble tâche à laquelle il a consacré sa vie : la
glorification de l'Espagne dans ses écrivains et ses penseurs.
Quand on vient de relire dans son ensemble, comme je l'ai
fait avant d'écrire ces pages, l'œuvre de M. Menéndez y Pelayo,
on est émerveillé tout d'abord de l'aimable aisance, de la spon-
I. La Ciencia espahola, tercera ediciôn, 1888, III, p. 76.
SILHOUETTKS CCJNTEMPOKVINKS I -[)
tanéité de son talent. C'est là une qualité proprement espa-
gnole. Les grands écrivains de l'Espagne ont été, en général,
des improvisateurs et non des polisseurs de phrases. Ils ont
le génie naturel, et quand ils atteignent à la perfection de la
forme, c'est par l'heureuse réussite d'un premier jet. De là, le
charme des poètes espagnols, qui semblent vraiment, lorsqu'ils
sont inspirés, parler sans effort, et comme par un don divin, la
langue des vers.
Une prose du meilleur aloi, facile et limpide, à laquelle ne
manquent, à l'occasion, ni le souffle oratoire ni l'image poé-
tique, mais sans les défauts souvent signalés de la prose cas-
tillane, la verbosité oiseuse, l'abus des clichés et des épithètes
banales; l'art de l'exposition claire et attrayante; une faculté
d'assimilation merveilleuse; une large sympathie pour toutes
les beautés littéraires ; une intelligence ouverte à toutes les
idées, voilà les rares mérites par lesquels M. Menéndez y Pelayo
se place au premier rang des écrivains de son pays et des cri-
tiques de notre temps.
Mettez au fond, et comme support de tout le reste, une très
solide culture classique. M. Menéndez y Pelayo a appris le grec et
le latin, comme on ne les apprend plus enEspagne. Sa familiarité
avec les poètes lalinsetgrecs, qu'il s'estsouvent essayé à traduire
en vers castillans d'excellente facture, lui valut d'acquérir ce
goût délicat que donne seul le commerce assidu de l'antiquité,
le grand goût, comme dit quelque part Sainte-Beuve. Il serait
curieux de savoir exactement comment et sous quelle direction
se fit son initiation aux littératures classiques. Sans doute en
revient-il une part à Mila y Fontanals, son maître à l'Univer-
sité de Barcelone'. Milà n'était pas seulement un médiéviste
émineht, qui l'initia à la rigoureuse méthode de l'érudition
moderne; c'était un véritable lettré, un esthéticien aux vues
générales, et M. Menéndez y Pelayo reçut de lui une em-
preinte. Il lui est sans doute redevable, au moins en partie, de
son humanisme. A cette influence, je joindrais volontiers
I. M. Mcncndcz y Pelayo a rendu un bel hommage k Milâ dans sa réponse au
discours de réception de M. Menéndez Pidal. Discursos leidos ante la lieal Academia
Espanola el 19 de octobre de 190'2. Madrid, 1902, p. 79-81.
176 BULLETIN HISPANIQUE
celle de M. Juan Yalera, le critique raffiné, le délicat poète
épris de l'idéal grec, l'élégant traducteur de Daphnis et Chloé.
Celui qu'il nomme « mon doux Valera», et pour qui il professa
toujours l'admiration la plus tendre, put lui révéler le véri-
table art classique, entendu à la manière de Chénier et de Leo-
pardi, et lui apprendre à le distinguer du classicisme de
collège, qui n'en est qu'une contrefaçon.
L'ardeur de sa nature devait porter M. Menéndez y Pelayo
à des intransigeances en matière de littérature comme en
matière de religion. Dès ses débuts, en homme qui aime à
casser les vitres, il proclama avec éclat son credo littéraire
comme il avait fait son credo théologique. Le R. P. Fonseca et
les partisans, nombreux alors, des idées de l'abbé Gaume en
furent scandalisés. On vit le champion des idées catholiques
arborer l'étendard de l'art païen, traduire YOaristys de Théo-
crite, et, dans un ouvrage d'érudition qui a toute la portée
d'un manifeste littéraire, offrir Horace comme unique et
suprême modèle aux poètes de son pays. On s'étonnera de
cette préférence accordée à Horace sur les poètes grecs ; mais
l'imitation d'Horace est plus dans la tradition espagnole : c'est
de lui que Fray Luis de Léon s'inspira pour écrire ses précieux
chefs-d'œuvre. M. Menéndez y Pelayo glorifie dans Horace
le génie latin, génie clair et joyeux, qu'il oppose à la mélan-
colie nuageuse de la poésie allemande, dont il déplore l'inva-
sion nouvelle en Espagne. Lisez les vers enthousiastes qu'il
adresse à son poète favori :
Heureux temps, celui des Grecs et des Latins!
Calme et sérénité, doux concert
de toutes les forces qui résident dans l'homme;
éternelle jeunesse, vigueur éternelle,
culte sublime de la forme. pure,
évocation sans fin de l'harmonie !
Horace, le croirais-tu? De graves docteurs
affirment que les chants discordants
qui plaisent au Sicambre et au Scythe
ou au Germain opiniâtre et nébuleux
éclipsent tes œuvres immortelles,
polies par la main des Grâces,
comme par un habile ciseau un bloc de marbre de Paros
SILHOUETTES CONTEMPORAINES I77
Loin de moi les brouillai-ds liypcrboréeus!
Qui t'aurait dit que dans un âge futur
la domination des Teutons et des Slaves,
dans la loi, dans l'art et dans la science,
s'imposerait à notre race latine,
et que des noms que tu n'aurais j)u prononcer
parce qu'ils sonneraient mal dans ta belle langue,
etîaceraient ton nom ?
Que le Danube et le Rhin, vaincus autrefois,
roulent là-bas avec orgueil leurs ondes impériales;
je préfère les paisibles courants
du Tibre, du Géphise et de l'Eurolas.
Viens ici, vieux livre; viens, âme d'Horace;
je suis latin et je veux t'adorer'.
Je ne me charge pas d'expliquer comment l'auteur des Hété-
rodoxes concilie ses sentiments chrétiens avec cette adoration
passionnée d'un poète aussi profane qu'Horace et cette exal-
tation de l'idéal païen. Le fait est que M. Menéndez y Pelayo,
pas plus que les hommes de la Renaissance, ne semble voir
de contradiction irréductible entre sa foi relig-ieuse et sa foi
esthétique.
Il ne s'en est pas tenu — est-il besoin de le dire? — à la doc-
trine littéraire de son Iloracio en Espana, doctrine bien étroite
encore. Une admiration trop exclusive d'Horace serait un
mauvais signe ; elle indiquerait qu'on est insensible à des
beautés poétiques supérieures. Dans la suite, on voit son goût
s'enrichir de plus en plus, jusqu'à comprendre des formes d'art
qui lui étaient d'abord antipathiques. Son gros volume sur l'es-
thétique allemande témoigne jusqu'à quel point il est revenu
de ses préventions contre l'esprit allemand. Sa jolie étude sur
Henri Heine poète répare le dédain avec lequel il traita jadis
les siispirillos genndnicos, pour employer une expression célèbre
de Nùnez de Arce. Il reste toujours classique de culture pre-
mière, mais classique dans le sens le plus large du mot, et
sans rien rejeter de ce que l'art moderne et romantique a pro-
duit d'excellent.
Il est permis de regretter que M. Menéndez y Pelayo, par
un excès de scrupule scientifique et par une juste mésestime
t. Odas, epistolas y tragédies. Madrid, i883, p. ai et aa.
178 BLLLEïIN HISPAMQUE
pour « ces travaux faciles et aimables, que l'on décorait, nous
dit-il, dans notre jeunesse du nom de critique littéraire » ',
semble aujourd'hui se méfier un peu trop de son talent comme
d'un privilège dangereux. De cet esprit supérieur, qui a exploré
tout le champ de la littérature nationale et a répandu sans
compter les idées nouvelles (à moins qu'il ne rendit siennes
par une forme lumineuse celles que d'autres n'avaient pas su
exprimer), on attend autre chose que les besognes auxquelles
il laisse envahir de plus en plus une trop grande partie de
son temps. Je ne veux pas médire de l'érudition; je sais que
l'histoire littéraire ne peut s'en passer et les découvertes
fécondes qu'elle doit à la méthode sûre et hardie d'un Menén-
dez Pidal. Je ne songe pas à méconnaître le mérite qu'on peut
avoir à bien copier un manuscrit ou à établir un texte; mais
ce n'est là après tout que le gros œuvre de l'histoire littéraire,
qu'il convient de laisser à des ouvriers consciencieux, spé-
cialisés dans ces travaux méritoires. A coté des recherciies
érudites il restera toujours une place, et la plus haute, pour la
critique de goût, la critique philosophique ; et comment ne pas
reconnaître que M. Menéndez y Pelayo y serait sans rival, s'il
voulait s'y consacrer tout entier? Je déplore qu'il use ses forces
à des tâches trop modestes, dont d'autres s'acquitteraient aussi
bien, voire même mieux que lui (je le dis sans ombre de
malice). Ne croit-il pas que répandre des idées suggestives,
interpréter avec profondeur et sympathie les chefs-d'œuvre
d'une littérature plus étudiée que comprise, serait pour ses
hautes facultés de penseur et d'artiste un plus digne emploi
que de s'épuiser à des publications érudites, pour lesquelles lui
manquent le temps et peut-être la vocation ? Assez d'hispani-
sants zélés s'occupent de publier des textes, dont bon nombre,
par parenthèse, pourraient aussi bien rester inédits. Ce qui
peut-être nous manque le plus sur l'Espagne, ce sont des
livres vivants, des livres d'idées, des études un peu fouillées sur
les grands écrivains, des travaux de vraie critique. De qui les
espérer désormais, si M. Menéndez y Pelayo est absorbé par
I. Réponse à M. Menéndez Pidal, p. O9 de la brochure citée plus haut.
SlLtlOLETtES CO.NtEMPOnAlNES Î79
son édition de Lope de Vega, entreprise qui aurait suffi à rem-
plir une existence humaine?
M. Menéndez y Pelayo, dans une de ses dernières préfaces,
se plaint, non sans quelque amertume, de ce qu'en Espagne
quiconque s'occupe de critique se heurte à l'indiflerence géné-
rale et doit se résigner à un monologue perpétuel. Voilà qui
explique bien des choses. J'essaye de m'imaginer ce qu'aurait
pu être l'œuvre de M. Menéndez y Pelayo s'il avait vécu en
France, au milieu de circonstances plus favorables, qui l'au-
raient stimulé à remplir tout son mérite. 11 aurait pu compter
sur un public fidèle de lecteurs, mais qui exige de ses écrivains
qu'ils prennent la peine de se faire lire. Respectant ce prin-
cipe de la division du travail, qui s'impose dans tout milieu
organisé, il aurait laissé à d'autres la bibliographie et la revi-
sion des textes pour se limiter à la critique, à la manière de
Sainte-Beuve ou de ïaine, pour ne parler que des morts. S'il
avait touché à l'érudition, ce n'aurait été que pour assurer
une base solide à ses jugements littéraires. Il aurait publié
alors plus de livres comme son élégante étude sur Caldcron,
comme ses Essais littéraires ou philosophiques, petits chefs-
d'œuvre où il nous montre comment il sait, quand il lui plaît,
unir la solidité du fond à l'agrément de la forme. S'il avait
abordé des sujets plus vastes et entrepris une histoire des idées
esthétiques ou du lyrisme espagnol, sans rien sacrifier de
l'abondance de ses documents ni de la richesse de ses aperçus,
il n'aurait pas négligé l'art de la composition (cet art si latin!)
et il nous aurait donné des ouvrages clairs et vigoureux,
écrits à la française, au lieu de cette suite de volumes trop
touffus et sans air, à l'allemande, où abondent les pages supé-
rieures de haute critique, mais d'où rien ne se dégage en
pleine lumière, ni aux yeux ni à l'esprit. Surtout, enfin, si
la maison Hachette avait songé à publier, dans sa Collection
des Classiques, une édition de Lope de Vega, elle lui aurait
épargné le labeur de la diriger; elle aurait choisi un spécialiste,
mieux désigné que lui pour ce long et minutieux travail.
Et M. Menéndez y Pelayo aurait eu le loisir de nous donner,
dans la vigueur de son âge, le livre nécessaire sur Lope,
l8o BLLLETl.N HISPAMQLE
une biographie vivante de cet homme extraordinaire dont
la vie fut le plus prodigieux des romans, une étude complète
de son œuvre, faisant le départ de ce qui n'est que pur fatras
pour imposer à l'admiration de tous ce qui mérite vraiment de
survivre.
Laissons ce badinage. Le livre sur Lope de Vega, dont il a
réuni tous les matériaux et que de doctes introductions aux
poésies du poète ne suffiraient pas à remplacer, M. Menéndez
y Pelayo nous doit et se doit à lui-même de l'écrire. On lui
en attribue le dessein; espérons qu'il ne nous fera pas trop
longtemps attendre, jusqu'après l'achèvement de son édition,
ce qui serait presque nous renvoyer aux calendes grecques.
Qu'il se décharge, s'il le faut, sur des collaborateurs bien
choisis, d'une partie de sa tache matérielle; d'autres pourraient,
à son défaut, éditer l'œuvre de Lope; je ne vois pas qui pourrait
comme lui nous apprendre à la bien lire et à la goûter, en
faisant revivre l'homme dans son milieu. Voilà pour lui le
meilleur moyen de mériter la gratitude des lettrés de tous les
pays, et de servir utilement la mémoire du grand dramaturge
longtemps méconnu, qu'il se propose de remettre à sa vraie
place, c'est-à-dire au premier rang parmi les poètes modernes.
Buius DE TAXNENBEUG.
EXTRAIT DU RAPPORT
SUR LE
CONCOURS DE L'AGRÉGATION D'ESPAGNOL ET D'ITALIEN
en 1902
Monsieur le Ministue,
En 1902, le nombre des candidats inscrits a été le même pour
l'espagnol et pour l'italien : treize, dont une candidate femme pour
chacune de ces langues.
Douze candidats espagnols ont affronté le concours et dix seulement
ont subi toutes les épreuves préparatoires; tandis que les treize candi-
dats italiens ont tous traité les sujets de l'écrit. Le jury a déclaré
admissibles aux épreuves orales quatre candidats pour l'espagnol et
cinq pour l'italien.
Thème esp.\g>'Ol. — Le texte choisi était une page de Michelet (Le
soldat espagnol et le soldat français à Rocroy) qui ne contient aucune
difficulté de vocabulaire, mais dont le ton particulièrement vif et bref
ne peut passer le plus souvent dans la traduction qu'en donnant à
celle-ci une couleur et une allure plus françaises qu'espagnoles. Bien
peu de candidats ont senti ce danger et su tourner cette difficulté ; la
plupart ont traduit littéralement, sans se préoccuper du caractère
différent de la construction et du génie des deux langues. Un seul
paraît manifestement s'être efforcé d'éviter l'écueil d'une traduction
trop servile: la plupart ont prodigué le gallicisme. L'incorrection
matérielle dépare un trop grand nombre de thèmes; elle devient
vraiment choquante dans la deuxième moitié de la liste. Les dernières
copies accusent une ignorance de la grammaire et du vocabulaire que
l'on ne saurait qualifier trop sévèrement; il est très regrettable que
certains candidats abordent ce concours avec une préparation si
évidemment insuffisante.
Yersiox espagnole. — Cette version était un fragment du discours
sur la langue et la littérature espagnoles de Francisco de Mcdina qui
sert de prologue à l'édition des poésies de Garcilaso de la Vega, com-
mentées par Fernando de Ilerrera (Séville, i58o). Le ton assez éloquent
et remonté de ce manifeste qui rappelle par moments celui de notre
Du Bellay, la structure étudiée des périodes et la recherche de certaines
Bull, hispan. i5
l83 BLLLET1> lUSPAMQL E
expressions créaient des difficultés qui n'ont été ni senties ni surmon-
tées par la plupart des candidats. Plusieurs mots, même d'un usage
encore courant, n'ont pas été compris. Presque tous les candidats ont
mal interprété grangeria dans la phrase « no se abaten al servicio y
grangerias del vulgo », d'autres ont traduit hollado par u parcouru»,
sabio par «sage» (gros contresens), yornada^ par «journées», pere-
grinas par «recherchées», fautes qui attestent une pratique très
insuffisante de la langue la plus usuelle. En somme, cette épreuve a
été jugée médiocre dans l'ensemble; deux copies seulement ont obtenu
une note dépassant la moyenne...
Les candidats espagnols ont eu à disserter en fraxç.us sur la
question suivante : « Exposer les idées de Juan del Encina sur les
origines et les formes de la versification castillane. » Il est surprenant
que deux candidats aient renoncé à traiter un sujet dont on peut dire
qu'il n'était que Panalyse sommaire d'un texte du programme. Deux
dissertations seulement ont mérité des notes au-dessus de la moyenne,
et dans l'une d'elles les correcteurs ont apprécié une connaissance
précise des Leys d'amors, la poétique provençale dont l'influence a été
grande au delà des Pyrénées, en Catalogne et en Caslille. Les autres
ont été jugées médiocres ou tout à fait mauvaises : il est évident que la
plupart des candidats n'avaient examiné que très superficiellement le
petit traité d'Encina et n'avaient étudié aucune des questions qui y
sont soulevées ; l'un a confondu l'alexandrin (dont Encina ne parle pas)
avec le vers A'arle mayor; un autre n'a rien compris à la valeur donnée
par l'auteur aux mots pié et verso , un troisième qui n'avait sans doute
pas lu VArle delrobar, a attribué à Encina les idées sur la versification
qui se trouvent dans la lettre du marquis de Santillane au connétable
de Portugal; un quatrième, enfin, s'est égaré dans des considérations
générales sur la poésie arabe tout à fait étrangères au sujet et d'ailleurs
sans valeur ni portée. Pour le style, on a noté quelques fâcheuses
incorrections, des tournures ou trop familières ou trop cherchées, et,
ce qui est plus surprenant, des hispanismes, tels que: «le moyen âge
informait encore la pensée des sages à ce tournant fameux de l'his-
toire », ou « la première tentative de révolution hasardée par Santillana
avait échoué, pour être prématurée »...
Dissertatiox ex langue espagnole. — On avait demandé aux candi-
dats une étude comparée de l'Histoire du soulèvement de la Catalogne
en i64o de Melo, de la Guerre de Grenade de Mendoza et de V Expédition
des Catalans en Grèce de Moncada. Les candidats étaient invités à
insister de préférence sur le premier de ces ouvrages qui était inscrit
au programme : les deux autres pouvaient leur donner l'occasion de
montrer l'étendue de leurs lectures. Quelques copies témoignent d'une
étude suffisante de ce chapitre d'histoire littéraire : l'une d'elles prouve
que l'auteur a voulu se faire sur le sujet, et sur Melo en particulier,
CO.NCULRS DE L AGRKGATION D ESrAG.NoL ET U ITALIEN ibo
une opinion personnelle, et qu'il ne s'en est pas tenu aux jugements
sommaires et souvent superficiels des manuels. Mais le plus grand
nombre révèle une connaissance trop incomplète de la matière, que
l'on remplace par des banalités et des développements vagues. Il est
certain que plusieurs candidats ont souffert du manque de livres et de
secours dont ils se plaignent non sans raison ; cependant ils auraient
pu tirer de la seule lecture des textes beaucoup plus et beaucoup mieux
qu'ils n'ont fait, s'ils avaient à un plus haut degré l'habitude de la
réflexion et de la composition. Cette dernière laisse beaucoup à désirer,
à peu près dans toutes les copies. On ne paraît avoir nul souci d'une
juste et habile disposition des diverses parties qui forment un tout ni
de leur importance relative. L'art de tracer un plan avec logique et
exactitude se perd de plus en plus, et à côté de celte lacune s'en
révèle une autre chez trop de candidats : l'insuffisance des lectures et
le peu de richesse de l'information littéraire qui donnent souvent au
développement une maigreur et une sécheresse fâcheuses...
A l'oral, le jury a constaté avec quelque regret que les conseils qu'il
avait adressés l'an dernier aux candidats n'ont pas produit tout l'efi'et
qu'il en attendait. La préparation des auteurs, surtout des auteurs
difficiles que le jury choisit à dessein, et dont il ne met au programme
que des morceaux assez courts, n'a pas été prise suffisamment au
sérieux. Dans l'interprétation de deux passages du Coloquio de los
perros de Cervantes, l'un des candidats a commis le contresens qu'il
fallait éviter en traduisant par « naturel distinct » ce qui signifie
(( instinct naturel » ; un autre n'a pas su expliquer comme il convenait
les allusions de Cervantes à la poésie pastorale de son temps. La
version aussi de la scène de l'hidalgo campagnard dans l'Alcade de
Zalaniea, qui est célèbre, a montré qu'on ne s'était pas appliqué à en
résoudre les difficultés consistant en jeux de mots que seule la con-
naissance de certains usages ou institutions de l'époque permet de
bien saisir.
En conséquence, le jury ne peut que répéter ce qu'il a déjà dit. Il
faut que tous les auteurs du programme soient lus attentivement, il
faut que les aspirants au concours les étudient et s'exercent à mettre
en français surtout les passages les plus difficiles qu'il est impossible
de traduire sans préparation d'une façon simplement satisfaisante.
Les leçons de grammaire ont été meilleures pour l'espagnol que
pour l'italien. Le jury a écouté avec plaisir une leçon pleine et bien
dite sur les principaux suffixes diminutifs espagnols, leur origine et
leur emploi, et une autre leçon sur le comparatif et le superlatif des
adjectifs espagnols, formation et syntaxe, où le candidat a fait preuve
d'érudition et aussi d'une réelle aptitude à saisir les procédés et les
tendances du langage populaire. Les leçons des deux meilleurs concur-
rents italiens sur le participe passé et sur la conjugaison d'essere
l84 BULLETIN HISPANIQUE
comparée avec celle du français être, qui contenaient de bonnes par-
ties, prêtaient plus à la critique et n'ont pas dépassé de beaucoup la
moyenne. Les autres leçons, tant peur l'espagnol, que pour l'italien,
sont restées au-dessous de ce qu'il convient d'exiger de futurs profes-
seurs de grammaire.
L'épreuve du thème suggère des remarques analogues à celles qui
ont été présentées à propos de la version. Là aussi, la préparation
faisait défaut : certains auteurs, inscrits au programme et dont le
vocabulaire ofTre des mots rares, ou des expressions difficiles à rendre,
auraient dû être lus avec plus de soin et les candidats auraient dû
consacrer plus de temps à des exercices répétés de traduction.
Les deux meilleures leçons de littérature dans la langue étrangère,
ont été, pour l'espagnol, une leçon sur le poème de Fernand Gonzalez,
et, pour l'italien, une leçon sur les Odi barbare de Carducci. D'autres
leçons n'ont été qu'estimables, et plusieurs ont péché par une regret-
table pauvreté de fond et de trop nombreuses négligences de compo-
sition et de diction. Le jury a été frappé de la brièveté de certaines de
ces leçons. S'il n'ajoute pas grande importance à ce que les candidats
remplissent strictement les trois quarts d'heure qui leur sont alloués,
encore faut-il qu'ils parlent pendant le temps qui est nécessaire au
complet développement d'un sujet.
Une innovation du concours de '1902, la note avec coefficient a
donnée à la prononciation, semble avoir produit d'assez bons résultats.
Les candidats ont certainement apporté plus de soin cette année à pro-
noncer correctement, et l'importance que le jury attache à cette partie
de l'examen les a convaincus de l'utilité qu'il y a pour eux à séjourner
le plus longtemps possible à l'étranger et à se familiariser, par une
pratique journalière, en parlant et en entendant parler, avec la phoné-
tique et le vocabulaire de l'idiome qu'ils se proposent d'enseigner.
Le programme du prochain concours de igoS répond assez exacte-
ment au précédent. Pour l'espagnol, il contient un auteur de plus : il
a paru, en effet, à propos d'accorder une place à la littérature du
xviii' siècle, sans diminuer celle des autres périodes, et le choix du
jury s'est porté sur les Salnetes de Ramôn de la Gruz, qui offrent un
excellent spécimen du langage familier de l'époque en même temps
qu'un tableau fort exact de la société madrilègne au déclin de l'ancien
régime. Le jury espère que les futurs concurrents étudieront avec une
attention soutenue tous ces auteurs, tant au point de vue de l'intelli-
gence exacte des textes que des questions littéraires qu'ils soulèvent ;
il espère aussi qu'ils profiteront mieux de la préparation organisée
pour eux dans plusieurs facultés des lettres, qu'ils se feront régulière-
ment corriger des devoirs et ne compteront plus, comme cela est arrivé
à plusieurs, sur une heureuse inspiration le jour de l'examen. L'expé-
rience a démontré ce que ce calcul avait d'imprudent. La préparation
CONCOURS DE l'aGRÉGATION d'eSPAGNOL ET d'iTALIEN 1 85
à l'agrégation d'espagnol et d'italien n'est pas, il est vrai, organisée
dans un aussi grand nombre de centres universitaires qu'il serait dési-
rable, mais enfin elle existe, et les candidats le savent, puisque, pour
la plupart, ils se font inscrire. Se faire inscrire est bien; s'exercer et
demander des conseils serait mieux encore.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de mes sentiments
les plus respectueux.
Le Président du jury d'agrégation d'espagnol et d'italien.
A. Morel-Fatio.
VARIÉTÉS
Coche Simon.
M. Rosiès, professeur d'espagnol au lycée d'Agen,a bien voulu nous
indiquer un passage du livre de E. Rodriguez-Solis, Majas, manolas
y chulas, Madrid, 1886, p. i3, où il est question de la voilure appelée
simôn. Voici ce que dit cet auteur : « No existian (vers le milieu du
xviii' siècle à Madrid) mas que seis coches simones, asi llamados por-
que el primero que tuvo este trâfico fué un tal Simôn Gonzalez, al
que Fernando VI, porlos servicios que le habia prestado en las jorna-
das â los Sitios Reaies, le concediô el privilegio de que solo él pudiera
tener seis coches de /îec/iera;, para alquilar al pùblico, permitiéndole
tener otro mas de réserva por si se le estropeaba alguno. » Rodriguez-
Solis ne cite pas son autorité, mais il ne peut avoir inventé ce qu'il dit.
D'où l'on doit conclure que le français Simon Garrou signalé ici même
(Bulletin hispanique, t. IV, p. 36o) comme ayant donné son nom au
fiacre espagnol n'a pas eu cet honneur, qui reviendrait à un confrère
espagnol antérieur d'une vingtaine d'années.
A. M.-F.
Simôn y ayuda
(Moreto, El Desdén con el desdén, acte 1", se. 4)
Lorsque Carlos dit à Polilla qu'il a imaginé un stratagème pour
triompher du dédain de Diana et lui demande son concours (tu me
has de ayudar), Polilla répond :
Seré Simôn y ayuda.
Que signifie cette réplique? Il semble tout d'abord que le valet
plaisant contrefasse la locution connue Dios y ayuda i, qui se dit, selon
Govarruvias, « de la cosa que es dificultosa, y es menester poner
diligencia en ella, y juntamente encomendarlo â Dios. » Mais pour-
quoi Simôn? Remarquons qu'il y a ici une variante. Le texte d'une
édition ancienne que je possède et qui paraît être une suelta du
xvii° siècle porte :
Seré Sinon y ayuda.
I. Inutile d'insister sur le sens accessoire d'ajuda, qu'une certaine intonation de
l'acteur devait recommander au gros rire des mosqueteros.
\AUIÉTÉS 1H7
Si cette leçon était admise (et elle répondrait assez I/ien à l'invitation
de Carlos : alla has de cntrar), il fiiudrait comprendre : « Je serai le
Grec Sinon et saurai pénétrer dans la forteresse que tu veux attaquer
comme l'autre dans Troie. » Les allusions à Sinon sont fréquentes
dans la littérature dramatique du wn" siècle; je ne rappellerai que le
Redondo qui, dans Madarse por mejorarse, d'Alarcôn (acte II, se. 8),
dit à son maître :
jEstremado pensamientol
Manos à la ejecucion;
Que hoy seré Griego Sinon.
Mais peut-être n'y a-t-il pas lieu de substituer Sinon à Simon. Dans
un romance de Quevedo (n» ôaG de léd. Janer), que Gonzalez de Salas
a intitulé « Fiesta de toros literal y alegorica », le poète se peint arrivant
au Palais, à l'appartement du Comte-Duc, et il continue :
Topé il Simon, â quien diccn
Mago, los que no le hallan,
Ayuda, los que entran luego,
Leproso, los que no hablan.
A propos de Simon, Gonzâles de Salas, l'éditeur des six premières
Muses de Quevedo, met en note : « Un portero del Conde Duque, » et
renvoie, pour les épithètes infligées à ce portier par les solliciteurs,
aux passages de l'Évangile où il est question des trois Simon : Simon
le Mage, Simon qu'on chargea de porter la croix du Christ, Simon le
Lépreux. Le portier Simon occupait-il encore son poste lorsque fut écrit
le Desdén? Moreto débuta au théâtre vers i()4o et le Simon du Comte-
Duc était déjà en fonctions en iGaô, l'année de la reddition de Bréda,
comme en témoigne ce romance de Don Antonio de Mendoza intitulé :
(( Loa que représenté Pedro de Villegas en la Comedia que se hizo en
Palacio por las nuevas de Bredâ » et dont voici les premiers vers :
He de entrar, Senor Granados?
De quando acà porteria?
Que el Conde no tiene puerta
Serrada como la Villa.
A un soldado como yo
Empellon y baçuquinhal
Sabràlo el Conde, que a nadie
Negô la oreja y la silla.
Tengase, entre, ô buen Simon,
Que sin hazer simonia
De par en par te hallan siempre
Puerta abajo y puerta arriba'.
I. El Fenix castellano, D. Antonio de Mendoça, éd. de Lisbonne, 1690, p. 78.
i88
BULLETIN HISPANIQUE
Toutefois, s'il était démontré que Moreto n'a pas pu connaître le
Simon du Comte-Duc et n'a pas pensé à lui, il n'en résulterait pas
qu'on dût renoncer à ce nom dans le passage du Desdén. Le romance
de Quevedo indique que le peuple donnait au Simon porteur de la
croix le sobriquet à'ayiida, sobriquet qui doit venir des anciennes
représentations de la Passion oii (nous le savons par les Mystères
français) le Gyrénéen était vigoureusement interpellé et houspillé.
j Simon, ayuda! lui criait-on sans doute dans le pas o où il figurait, et
c'est de cet incident que pourrait s'être souvenu le Polilla de Moreto,
Concluons donc que Gh. Habeneck « a probablement bien rendu la
pensée de Polilla en traduisant: «Je serai ton Simon de Cyrène, je
t'aiderai, »
A. M. -F.
Literatura popular. Màs cantares populares toledanos
III. Cantares de Quintos
; Adiôs Impérial Toledo
que te quedas sin bandera ;
nos llevan â sortear
al corral de Talavera !
Toledo ya no es Toledo
pues si hoy lo que ha sido fuera
el sorteo de este aiïo
no se haria en Talavera ' .
Mi novia me dijo anoche
al estar en la ventana ;
Si te vas a ser soldado
me voy contigo â la Habana.
Mi novia me dijo ayer
paseando en las Vistillas:
Si te vas a ser soldado
me voy contigo a Manila,
Adiôs padre y adios madré,
Adiôs virgen del Sagrario,
que nos llevan â Melilla
a ver a nuestros hermanos,
A la voz de ] Viva Espana !
Nos marchamos â Melilla
â vengar nuestros hermanos
y castigar las kâbilas.
Quintos del noventa y très,
preparar arma y mochila,
para ir â pelear
a los campos de Melilla.
A Melilla me voy,
te lo vengo â decir,
que me voy â embarcar
con la guardia civil.
Salir, toledanas,
salir al balcon,
y oiréis â los quintos
el liltimo adiôs.
I. Chefs-d'œuvre du théâtre espagnol traduits pour la première fois et annotés,
Paris, [1862,] p. 126.
a. Aludcn los dos al acto de celebrar el sorleo de quintos en Talavera hace unos
aïïos. Al présente, es en Toledo.
VAniETES
189
IV. ViLLANCICOS
ESTRIBILLO
Poslores, venid,
Pastores, llegad
A adorar al Ai/To
Que ha nacido ya
Esta noche es Noche buena
y no es noche de dormir,
que esta la Virgen de parto,
y a las doce ha de parir.
Ha de parir un ninito,
rubio, blanco y Colorado,
que ha de scr un pastorcito
para cuidar su ganado.
Esta noche ha de nacer,
Manolito, el buen Jésus;
esta noche ha de nacer
para morir en la cruz.
Esta noche ha de nacer,
Manolito, el buen Jésus;
para niorir por el honibre
enclavado en una cruz.
La Virgen esta de parto ;
la diô el parto en el camino :
entre la mula y el buey
nacio el Gordero divine.
San José se fue por lena,
y era tarde y no venfa ;
cuando volviô san José
ya habfa parido Maria.
En Belén tocan a fuego;
del portai salen las Hamas;
es que en Belén ha nacido
el Redentor de las aimas.
En el portai de Belén
hay una piedra redonda
donde puso Dios los pies
para subir d la gloria.
En el portai de Belén
hay estrclla, sol y luna;
la Virgen y san José
y el Mno que esta en la cuna.
En el portai de Belén
ha nacido Manolito
siete veces mas bonito
que Juanito el de Isabel.
Un pastor, haciendo sopas,
en el aire divisô
un ângel que le decia :
« Ya ha nacido el Redentor. »
Los pastores que supieron
que Jesiîs nacio en Belén,
con panderas y zambombas
todos le fueron a ver.
Los pastores no son hombres,
que son ângeles del cielo ;
en el portai de Belén
ellos fueron los primeros.
Los pastores de Belén
todos juntos van por lena,
para calentar al _\ino
que naciô la Noche buena.
Todos le llevan al INiiïo,
yo no tengo que llevarle :
las alas del corazôn
le llevaré por panales.
Todos le llevan al Ni no,
yo no tengo que llevarle ;
le llevaré una camisa
que se la ponga su madré.
En el portai de Belén
pastorcitos han enlrado,
y al Nino recién nacido
lèche y tortas le han llevado.
190
BULLETI.N HISPANIQUE
Los magos y los paslores
en el portai han entrado,
y al Nino recién nacido
reunidos han adorado.
La Virgen quiso sentarse
é la sombra de un olivo,
y las hojas se volvieron.
por ver al recién nacido.
La Virgen se fué a lavar
sus blancas manos al ri'o;
el sol se quedô parado
y la mar perdiô su ruido.
La Virgen y san José
caminan para el Egipto,
y Uevan entre los dos
al hermoso Jesucristo.
San José era carpintero
y la Virgen costurera,
y al Niùito pequenito
le enviaban a la escuela.
cQuieres que juguemos, Nino,
al juego del esconder ?...
escôndele Tû en mi pecho
y yo en Ti me esconderé.
Tû mi amor me pides, Nino :
sin corazôn no ama nadie ;
Si ïû me bas robado el mio,
( cômo quieres que te ame?...
OTRO ESTRIBILLO
Dame el aguinaldo
Si me le has de dar,
que la noche es corta
y hay mucho que andar.
Nos ha nacido un Niilo
que es gloria de Israël,
mas blanco que el armiilo.
mas dulce que la miel.
ç_ Sabes tû. zagalito,
sabes tû donde esta.'...
— Lo se : en el portai ito,
de Belén de Judâ.
Pues vamos, pastorcitos.
corramos â Belén.
veamos â ese Nino
loémosle también.
En unas pobres pajas
se encuentra reclinado ;
esas son las alhajas
de este Dios humanado.
t Sabéis porqué tan pobre
alli quiso nacer?...
por el amor al hombre :
le quiere enriquecer.
El nos harâ dichosos
con dicha sin igual,
si puros, fervorosos
llegamos al portai.
Enséname el camino
por donde a él se va
j Ay! es muy peregrino;
es el de la humildad ' .
Juan Moraleda Esteba^.
I. Villancicos que cantan las religiosas capuchinas de Toledo.
BIBLIOGRAPHIE
Joseph Gudiol y Cunill, Nocions de arqueologia sagrada catalana.
Vich, 1902; I vol. in-S" de 6^7 pages.
Le Musée épiscopal de Vich, fondé par un éminent prélat, D. Joseph
Morgades y Gill, est sans doute, à l'heure qu'il est, le plus riche et le
plus intéressant de l'Espagne si l'on excepte les musées de Madrid, et à
coup sur le premier de la Catalogne. 11 a cette originalité qu'il est
constitué presque uniquement par des objets recueillis dans la région,
et permet d'étudier dans tout leur développement séculaire l'art et
l'industrie catalans; de plus, comme il est naturel puisqu'il est de
création épiscopale, tout ce qui se rapporte à la religion et au culte
y est particulièrement en honneur. Enfin, il a la bonne fortune d'être
actuellement conservé par un jeune prêtre associé de bonne heure aux
reclierches et aux efforts de l'illustre Morgades, amoureux de ses
collections, ardent à l'étude et formé d'ailleurs par la meilleure disci-
pline, celle qui consiste à regarder chaque jour et à chaque heure, à
interroger en les maniant tous les objets^précieux d'un musée.
M. Joseph Gudiol, que notre Société hispanique s'honore d'avoir pour
correspondant, a eu l'heureuse idée de mettre à profit son érudition si
solidement établie pour écrire des Notions cVarchéologie catalane.
Ce titre est trop modeste ; sans doute, l'objet principal du livre est
d'apprendre au public ce qu'il est à même de connaître actuellement
de l'art en Catalogne, et de rendre dorénavant plus faciles et produc-
tives les recherches dans ce domaine très peu exploré jusqu'à pré-
sent, bien qu'il soit d'une richesse si abondante. Mais le livre donne plus
encore ; c'est sans doute un manuel d'archéologie catalane, c'est aussi
un traité d'archéologie générale. En effet, l'auteur prépare ses lecteurs
à l'étude des antiquités de sa province par l'étude de toutes les anti-
quités des pays classiques, depuis les âges les plus reculés de la préhis-
toire; par exemple, les chapitres 111 et IV sont consacrés aux anti-
quités grecques en général, sans application directe à la Catalogne.
Il y aurait là, peut-être, un défaut assez grave de composition et de
méthode, si M. Gudiol n'avait en vue d'initier tout un public très
novice encore à une science fort peu cultivée en Espagne. Sans doute
il a songé sans cesse à instruire les séminaristes catalans, si l'on en
juge par ces lignes de la lettre probatoire du chanoine Jaume CoUell
192 BLLLETIN HISPANIQUE
mise en tête du volume : « Pour les séminaristes surtout, cette œuvre
sera très utile, car elle a l'avantage d'être abondamment illustrée ', et,
après l'avoir lue, les révérends prêtres comprendront pourquoi l'Église
donne aujourd'hui tant d'importance à l'archéologie, par laquelle,
ainsi que Ta dit le pape Léon XIII félicitant le savant maître de l'archéo-
logie chrétienne Jean B. de Rossi, se forgent de nouvelles armes pour
défendre la vérité catholique... » M. CoUell, ami et quelque peu colla-
borateur de M. Gudiol, est bien placé pour connaître ses plus intimes
intentions.
Pour moi, j'aurais préféré voir le livre allégé de toute cette sorte
d'introduction accessoire, et j'aurais loué sans restriction tous les cha-
pitres où il est question des monuments propres à la Catalogne, depuis
l'époque grecque et l'époque romaine jusqu'à nos jours. Il y est tour à
tour question des antiquités romaines, romanes, romano-chrétiennes,
wisigothiques, gothiques et de la Renaissance, et par antiquités il faut
entendre tous les arts de l'architecture, de la ferronnerie, de la céra-
mique, de l'orfèvrerie, du vêtement, du mobilier, ainsi que l'épigra-
phie, la sigillographie, la diplomatique. Et sur chacun de ces sujets
les renseignements sont nombreux, précis, bien classés et datés; les
exemples, empruntés aussi souvent qu'il est possible au musée de
Vich, sont bien choisis et typiques.
Joignez à cela le charme de la langue catalane, qui sonne si agréa-
blement à nos oreilles françaises, et l'on applaudira au jugement du
jury barcelonais, qui a distingué ce bel ouvrage au concours Martorell
de 1902, à la libéralité de la capitale catalane, qui a fait spécialement
pour lui les fonds d'un très honorable accessit.
Pierre PARIS.
Louis XI, Jean II et la Révolution catalane (i/iôi-i/iyS). Thèse
pour le doctorat présentée à la Faculté des lettres de l'Uni-
versité de Paris par Joseph Calmette. Toulouse, Privât, 1902;
6i4 pages in-8°.
Cette thèse, présentée sous sa première forme à l'École des Chartes
en 1900 pour l'obtention du diplôme d'archiviste-paléographe, avait
été très remarquée et avait valu à son auteur d'être classé le premier
de sa promotion : M. Calmette y montrait non seulement une érudi-
tion solide et étendue, mais une maturité d'esprit et une sûreté de
jugement bien rares chez un débutant. Sous sa nouvelle forme encore
élargie et plus poussée dans le détail, ce chapitre de l'histoire de la
Catalogne au xv« siècle, des longs démêlés des Catalans avec leur
souverain légitime Jean II et des tentatives qu'ils firent pour se sous-
1 . On voudrait cette illustration plus abondante encore et plus artistique.
BIBLIOGKAPUIE igS
traire à son autorité en s'appuyant tantôt sur l'un, tantôt sur l'autre,
est devenu tout à fait excellent. Comme l'indique le titre de son livre,
M. Calmelte a cherché avant tout à expliquer les diverses phases de
l'intervention de Louis XI dans les afTaires de la Catalogne, mais il n'a
pas négligé les autres côtés du sujet, qui réclamait une connaissance
approfondie des faits en même temps que des institutions du pays oii
eut lieu cette lutte acharnée de douze années. Ses conclusions sont
fort sévères pour Louis XI, mais il faut convenir en effet que l'incohé-
rence de la politique du roi de France grandit singulièrement la
figure de son compétiteur Jean II, qui mérita son triomphe par sa
ténacité méthodique et la netteté de ses vues. On appréciera chez
M. Calmette, outre l'exposé fort habilement décrit des détails des
négociations et des faits de guerre, un chapitre précieux sur l'organi-
sation du gouvernement de la Catalogne au \\' siècle dont le méca-
nisme assez compliqué est indispensable à connaître, si l'on veut se
Tendre un compte exact de beaucoup d'incidents du litige. Nous
souhaitons vivement que M. Calmette continue ses études dans le
domaine de l'histoire des pays catalans dont il vient de relater un
épisode avec non moins de talent que de savoir.
A. M.-F.
La Perfecta casada, por el Maestro F. Luys de Léon, texte del
siglo XVI. Reimpresion de la lercera ediciôn, con variantes
de la primera, y un prôlogo por Elizabeth Wallace, miem-
bro del cuerpo de profesores de Icnguas romances de la
Universidad de Chicago. Chicago, The University of Chicago
Press, 1908; XXVII et 119 pages in-S".
M"' Wallace s'est proposé de nous restituer le texte du célèbre
traité de Fr. Luis de Leôn tel qu'il a été définitivement établi par l'au-
teur dans la dernière édition publiée de son vivant, celle de Sala-
manque, 1587; et pour permettre de se rendre compte des change-
ments introduits par Fr. Luis dans le texte primitif, elle a relevé les
variantes de la première édition de i583. L'étude de la Perfecta
casada ainsi restaurée nous permet d'apprécier l'œuvre néfaste accom-
plie par les éditeurs modernes et prouve une fois de plus combien il
faut se défier de ce qu'ils nous offrent. Dans l'espèce, même le meil-
leur éditeur et le plus consciencieux, j'entends le P. Merino, n'a res-
pecté ni l'orthographe ni la ponctuation de l'original; quant à la
réimpression du Merino, devenu assez rare, qui a été faite à Madrid
en i885, on ne saurait la qualifier assez sévèrement afin de mettre en
garde ceux qui pourraient avoir à s'en servir. M"' Wallace montre que
igi BULLETIN HISPAMQUE
l'éditeur a changé de son autorité (1) privée une quantité de passages.
Le texte de la Biblioleca Rwadeneyra compte, comme bien l'on pense,
parmi les plus mauvais.
Après une bibliographie des éditions importantes de la Perfecta
casadà, M"' Wallace nous donne un aperçu très intéressant des
variantes entre les éditions de i583 et 1087, et elle cherche à déterminer
les motifs qui ont guidé l'auteur dans ses corrections. Les change-
ments apportés dans l'ordre des mots l'ont conduite à étudier le
rythme de la prose de Fr. Luis. S'appuyant sur l'observation de
Nebrija : « No se espante ninguno porque dixe que la prosa tiene su
medida, porque es cierto que la tiene, e aun por aventura muy mas
estrecha que la del verso, » M"' Wallace signale chez son auteur des
traces d'une sorte de cursus qui ne saurait être dû au hasard, car
Fr. Luis a certainement modifié la contexture de bien des phrases
pour leur donner un mouvement rythmique qu'elles n'avaient pas
dans la première édition. La question mériterait d'être examinée de
près, et il faut au moins savoir gré à M"" Wallace de l'avoir posée et
exactement définie.
Cette nouvelle édition de la Perfecla casada, si bien conçue, paraît
avoir été exécutée avec infiniment de soin et de conscience; elle fait
beaucoup d'honneur à l'éditrice et à l'Université de Chicago qui l'a
accueillie dans ses Decennial Publications.
A. M. -F.
Geschichte des neueren Bramas von Wilhelm Creizenach. Dritter
Band. Renaissance and Reformation. Zweiter Theil. Halle a.
S., Max Niemeyer, igoS; xii-596 pages in-8".
Cette histoire du drame moderne est un des plus beaux travaux
d'érudition de notre temps, et fait autant d'honneur à la science qu'au
talent d'exposition de son auteur. Le tome 111 que nous annonçons
complète la période de la Renaissance et de la Réforme : M. Creize-
nach y a consacré plus de cent pages à la littérature dramatique de
l'Espagne et du Portugal, depuis Juan del Encina jusqu'à Antonio
Ferreira, et ces pages non moins remarquables par l'information pré-
cise que par les vues ingénieuses ou pénétrantes annulent le premier
volume tout à fait arriéré de Schack et feront oublier le barbouillage
de Klein. Fort heureusement, M. Creizenach a pu tirer parti, pour le
théâtre religieux, de la si importante et si méritoire publication de
M. Léo Rouanet : Colecciôn de autos, farsas y coloquios del siglo xvi,
qui a mis à notre portée une masse de textes inaccessibles, dont
l'étude sera, à bien des égards, des plus profitables.
A. M. -F.
BIBLIOGRAPHIE ] (JO
Lope de Vega and Ihe Spanish Drama, being the Taylorian Lecture
(1902), by James Fitzmaurice- Kelly. Glasgow, Gowans and
Gray, 1902 ; 63 pages in-8".
Conférence fort agréable et très nourrie, telle qu'on pouvait
l'attendre de l'hislorien anglais de la littérature espagnole. On constate
avec plaisir que la ïaylor Institution d'Oxford ne néglige pas l'Es-
pagne, et certes les auditeurs de M. Fitzmaurice -Kelly ont dû être
satisfaits de leur leclurer qui leur a appris bien des choses dont ils
auraient eu de la peine à s'instruire ailleurs.
A. M.-F.
Corneille and the spanish Drama, by 3. B. Segall. New- York,
Golumbia University Press, 1902; in- 12, i/jy p.
Cet ouvrage de vulgarisation, composé à peu près en même temps
que celui de M. E. Martincnche (La Comédie espagnole en France),
n'apporte rien de bien nouveau sur cette question, souvent traitée
déjà, il est vrai, mais sur laquelle il y avait encore à dire, ainsi que
l'ont démontré M. Martinenche d'abord, et depuis M, Husziir, dans
son livre : P. Corneille et le théâtre espagnol. [Cf. Brunetière, Rev. des
Deux-Mondes, 1" janvier 1903.] Il y a deux façons d'étudier un pareil
sujet, dont la première, il est vrai, n'est qu'une préparation à la
seconde. On peut signaler par le menu tous les emprunts faits aux
modèles, et c'est une recherche qui a évidemment son utilité, puisque
toute conclusion doit s'appuyer sur ces données; on peut ensuite
étudier comment l'imitateur a utilisé, transformé, perfectionné ou
gâté son modèle, essayer enfin de juger les mérites de l'un et de
l'autre. M. Segall s'en est tenu de préférence à la première partie de
sa lâche. Après quelques pages manifestement trop incomplètes (i-5)
sur l'influence de la littérature espagnole sur la française, il passe en
revue les pièces de Corneille 011 il voit des imitations de drames
espagnols (Les premières comédies, Clitandre, L'illusion comique.
Le Cid, le Menteur, la Suite du Menteur, Héraclius, D. Sanche.) L'ou-
vrage se termine brusquement par trois pages sur cette dernière
tragédie, sans aucune réflexion d'ensemble, sans aucune conclusion.
C'est une simple suite de notes où l'analyse des pièces occupe la plus
grande partie du livre, et ne contribue que médiocrement à en
augmenter l'intérêt : la doctrine y manque autant d'ampleur que
d'originalité. D'autre part, on pourrait croire, à l'absence de toute
référence et citation bibliographique, que ce sujet est étudié pour la
première fois, ou que, de propos délibéré, l'auteur a écarté comme
oiseuse l'abondante littérature où il aurait pu puiser. Ce petit livre est
d'ailleurs édité avec tout le soin et l'élégance auxquels nous a habitués
l'Université Columbia. ^ lyj
ig6 BULLETIN HISPANIQUE
Isidoro Maiquez y el teatro de su tiempo, por Don Emilio Cotarelo
y Mori. Madrid, imprenta de José Perales y Martinez, 1902;
856 pages in-8°.
Ce livre est bien plus qu'une biographie du célèbre acteur Isidoro
Maiquez, c'est une histoire du théâtre et de la littérature dramatique
espagnole depuis les dernières années du xvm" siècle jusqu'au
premier quart environ du xix« siècle (Maiquez est mort en iSao), qui
continue les deux écrits publiés par M. Cotarelo, en 1896 et 1897,
sur Maria Ladvenant et sur la Tirana. La documentation sûre et
d'une extraordinaire richesse donne une valeur solide à cette étude,
un peu difficile à lire, mais qui devra être sans cesse consultée par
quiconque s'occupera désormais d'une époque du théâtre espagnol,
malheureusement bien pauvre et bien indigne, à coup sûr, du génie
de Maiquez. Deux appendices comprenant l'état des compagnies des
théâtres de Madrid de 1794 à 1819, et un catalogue des œuvres repré-
sentées sur ces théâtres dans la même période, constituent un réper-
toire de renseignements dont il est aisé d'apprécier l'utilité.
A. M. -F.
Discursos leidos ante la Real Academia Espanola en la recepciôn
pdblica de D. Ramon Menéndez Pidal el i9 de octubre de 1902.
Madrid, Tello, 1902; 96 pages in-8\
Le thème du discours d'entrée à l'Académie Espagnole lu par D. Ra-
mon Menéndez Pidal est une élude des plus savantes sur les origines
et la signification du Condenado por desconfiado . L'éminent érudit a
montré que l'idée de la pièce est empruntée à deux contes fort anciens
d'origine orientale dont l'un n'a été retrouvé jusqu'ici que dans des
versions médiévales; il n'a pas réussi, il est vrai, à découvrir la source
immédiate du drame, et là 011 il a échoué, il n'est pas vraisemblable
que d'autres réussissent. Aux données des deux contes se sont mêlées,
dans ce drame, comme il est arrivé souvent au xvii" siècle, des idées
théologiques, et M. Pidal signale justement et avec beaucoup de finesse
chez l'auteur du Condenado un écho des disputes sur la grâce entre les
partisans de Molina et ceux de Banez. On s'étonne un peu que M. Pidal
n'ait pas discuté l'attribution de la pièce à Tirso de Molina, qui a été
contestée. Il admet, lui, qu'elle est bien du fameux mercenaire, mais
on voudrait connaître ses raisons.
Dans sa réponse au récipiendaire, D. Marcelino Menéndez y Pe-
layo, après avoir retracé l'histoire des études relatives à la poésie épi-
que castillane, qui sont le domaine où M. Pidal règne maintenant en
maître incontesté, a prononcé un éloge senti et admirablement juste
de son nouveau confrère, auquel s'associeront tous ceux qui connais-
BIBLIOGRAPHIE I97
sent les rares qualités du jeune savant dont les brillants débuts mar-
queront une date dans l'histoire littéraire de l'Espagne. Que de beaux
travaux n'avons-nous pas à attendre de celui qui, en quelques années,
a déjà renouvelé avec une science profonde et une méthode parfaite tant
de sujets de la plus ancienne littérature de son pays !
A. M. -F.
Enrique Pineyro, Nombres y cjlovias de America. Garnier,
Paris, 1908; I vol. in -12, 356 p.
Nous ne pouvons que recommander brièvement ici ce nouveau
livre de M. Piiïeyro, si honorablement connu par ses publications
antérieures. Il se compose de neuf articles, de longueur fort diverse,
mais qui tous (et c'est ce qui fait l'unité de l'œuvre) se rapportent
à l'histoire ou à la littérature de l'Amérique. Le plus important de ces
Essais est le premier : Le conflit entre l'esclavage et la liberté aux
États-Unis de 1850 à 1861. On y trouvera des pages intéressantes sur
« la Cabane de l'Oncle Tom » et son influence sur la politique du
temps, les premiers projets d'annexion de Cuba, l'histoire de l'auda-
cieuse entreprise de John BroAvn ; on sera heureux surtout d'y sentir
le généreux souffle libéral qui animait les pages du « Quintana » du
même auteur. La biographie du grand pédagogue et philosophe
cubain José de la Luz y Caballero, se lira avec profit, même (et je
serais presque tenté de dire surtout) après celles qu'ont rédigées
J.-L Rodriguez et Manuel Sanguily. Signalons encore parmi les cha-
pitres de ce livre, très plein de choses, celui consacré à la vie de San
Martin par le général Barlolomé Mitre, et plusieurs articles critiques
sur la littérature ancienne ou moderne, relatifs à Andrés Bello,
à Pedro Mârtir de Angleria [Un reporter de casas de America en et
siglo XV], et à José Maria Heredia, le célèbre lyrique cubain, où
l'auteur proteste, avec une vivacité toute patriotique, contre certains
jugements des critiques espagnols contemporains. Un index très
complet termine l'ouvrage.
E. M.
Miguel de Unamuno, Paisajes. Salamanca, coleccion Galon,
1902; 69 p.
Cette élégante collection salmantine vient de s'enrichir d'une jolie
plaquette, où l'éminent recteur de la vieille Université a réuni quel-
ques pages pittoresques et humoristiques, dans lesquelles ses amis
retrouveront avec plaisir le poète qu'ils connaissent bien. La des-
cription de la Flécha, la ferme des bords du Tonnes où Fr. Luis de
Leôn composa quelques-unes de ses œuvres, lui inspire un commen-
taire ingénieux et éloquent du grand poète mystique. Le (( Coucher du
Bull, hispaii. i4
IqS BI LI.KTIN IIISI'AMQLE
Soleil » à Salamanque nous a rappelé quelques moments charmants
passés avec l'auteur sur le chemin de la Flécha, alors que les mille
clochers de la ville se découpaient magnifiquement dans l'or et dans
la pourpre du couchant.
E. M.
Miguel de Unamuno. — En lorno al casticismo (Biblioteca de
Ciencias sociales). Madrid, Fernando Fé, 1902; 212 pages
in-8°, 2 pesetas.
Le recteur de l'Université de Salamanque est l'un des penseurs les
plus originaux, l'un des écrivains les plus alertes, et peut-être le litté-
rateur universitaire le plus goûté en Espagne depuis que Clarin n'est
plus. Je me demandais avec inquiétude, en ouvrant ce volume, s'il
y était brandi des anathèmes contre tout ce qui tend à polluer le casli-
cismo national. Crainte mal fondée. L'aimable recteur n'est pas un
pontife; il ne distribue que des idées, toutes larges et productives.
Une phrase de sa conclusion donne la ligne de sa pensée : « Con el
aire de fuera regenero mi sangre, y no respirando el que exhalo. »
M. Unamuno pense d'ordinaire par images ; or, image juste, idée
juste.
De mi pals, misceldnea histôrica y literaria, por D. Carmelo de
Echegaray. San Sébastian, F. Jornet, 1901; i vol. petit in-S"
de vn-342 pages. 3 pis.
D. Carmelo de Echegaray est un croyant et un lettré. 11 ne connaît
pas seulement les auteurs espagnols. Les grands écrivains italiens et
français lui sont également familiers. Mais s'il les possède et les aime,
ce n'est pas à eux cependant que vont les intimes préférences de son
cœur. L'historiographe du Guipuzcoa, le « cronista de las Provincias
vascongadas », comme il se qualifie lui-même, habite Guernica,
près de cet u arbre du serment » que célèbre un chant fameux, à
l'ombre de cette sorte d'enceinte sacrée qui rappelle celle des Mouradié
de Brousse et qui fait qu'on éprouve, dans l'antique petite ville
biscayenne, le même frisson poétique et religieux que dans la vieille
capitale des Osmanlis. Basque de nom et d'origine, D. Carmelo de
Echegaray a le culte de son pays et de sa race. Rien de ce qui intéresse
l'Euskal-erria ne lui est étranger. Ce qu'il s'efforce de montrer, au
cours du volume que nous analysons, c'est que « la race euskarienne,
dont nul n'ose révoquer en doute la grandeur dans le champ de
l'action et de la volonté, sait aussi produire des poètes, qu'ins-
pirent, fortifient et ennoblissent le saint amour de Dieu et le saint
amour de la patrie » (p. 85). La patrie dont il s'agit ici, ce n'est pas
BIBLIOGRAPHIE îgg
la grande patrie espagnole, c'est la petite patrie basque. M. Echegaray
est un fervent régionalisle. De tous les articles dont il a composé sa
gerbe, le meilleur, à mon sens, est celui qui porte le titre de « Bein da
beliko ». C'est une éloquente protestation contre les excès de la manie
centralisatrice, qui sévit au delà comme en deçà des Pyrénées, un
chaleureux plaidoyer en faveur de la « lengua de Aitor », toute « saturée
d'arômes silvestres », un manifeste vibrant de foi contre la tyrannie
des idiomes nobles qui étouffent l'originale franchise des parlers
locaux. Pourquoi n'y aurait-il pas une renaissance littéraire basque,
comme il y en a une catalane? Ceux qui ont horreur de l'artificiel et
du convenu, ceux qui estiment qu'une œuvre n'est viable que dans
la mesure où elle se rapproche de la nature, ceux qui gardent le sens
des beautés de création spontanée et populaire applaudiront à ce bon
combat contre la plaie des civilisations modernes : l'uniformité. Les
pages que dicte à M. Echegaray sa passion du sol natal sont excel-
lentes, nourries d'idées saines et d'aperçus heureux, embrasées par
un souffle généreux qui charme et entraîne. Nos romanciers à la
mode, confinés dans l'éternelle et banale peinture de l'adultère parisien,
trouveraient du profit à les lire. Elles valent pour toutes les sociétés,
d'organisme appauvri, qui se stérilisent dans la servile reproduction
des poncifs ; elles intéressent la littérature comparée, et, à ce titre, elles
méritaient d'être signalées ici.
G. RADET.
A. R. Gonçalves Vianna. As orthographias portuguesas. Lisboa,
Typographia da Academia, 1902; xxvi-iSGpp. in-8°.
L'orthographe du portugais est loin d'atteindre à la perfection de
l'orthographe espagnole ou italienne. Comme en français, on a con-
servé en portugais des graphies étymologiques telles que theatro,
Christo, phrase, rhetorica, catarrho, syllaba. (Cp. l'espagnol teatro,
Cristo,Jrase, retôrlca, catarro, silaba.) On écrit applaudir, attençào,
accomodar, abbade, addiçào, aggrava, illudir, aniinoniaco, anno,
a/fins^, bien qu'on ait toujours prononcé aplaudir, atençào, acomodar,
abade, adiçào, agrava, iludir, amoniaco, ano, afins. Le double ss 'de
fosso, riisso, se prononce comme le ç de caça, preço, c.-à-d. comme l's
sourd du français; 1*5 de coser ne diffère pas du z de cozer : tous deux
ont la valeur du z français. Le ch de bicho, qui est une variété de ch
français, équivaut à ïx que nous trouvons dans lixo; c'est encore un
son ch, quelque peu atténué, que représente 5 à la fin d'une syllabe,
I. Ces exemples sont tirés de l'admirable petite grammaire que M. F. Adolpho
Coelho a écrite pour les élèves des écoles primaires : Noçûes elementares de grammalica
portugucza, Porto, 1891 ; in-8°, voy. le chapitre : Da representaçûo varia dos sons, pp. 28
et ss.
200 BULLETIN HISPAMQLE
devant une consonne sourde : caspa, /esta se prononcent caspa,Jesta;
devant une consonne sonore, ïs prend le son du j français (atténué) :
desdem, Lisboade\\ennentdezdem, Lizboa. Il s'en faut donc de beaucoup
que la même lettre soit toujours prononcée de la même manière ; com-
parez encore les différentes valeurs données à \'x dans fixo (ficso), pro-
ximo (pro-simo),calix (caUs),expor (eispor), exame (elzame). La repré-
sentation des voyelles et des diphtongues, surtout la représentation
des voyelles et des diphtongues nasales, dont le portugais possède
une si riche collection, établit, elle aussi, un très grand désaccord entre
l'écriture et la prononciation : \'i atone de vizinho, ministro se pro-
nonce comme \'e sourd de dedal, verào; l'o et Ye atones s'affaiblissent
d'ordinaire en u et en i : lado, portào, roer se prononcent ladu, piirtâo,
rue?' et erguer, egreja, cear aboutissent à irgiier, igreja, ciar. Cet
affaiblissement de l'e et de l'o se retrouve dans les diphtongues orales
ou nasales : pao (esp. palo), mao (esp. malo), sae (esp. sale), moe
(*mole) sont prononcés pau, maii, sai, moi; comparez encore pôe (esp.
pone), sermôes (esp. scrmones) qui deviennent jdô/, serinais i. Quant
aux groupes de sons au et ai, ils sont représentés dans l'écriture soit
par ào, àe, soit par ain, em. Ainsi mâo, innào, erain, forain, màe, hem,
sem, ameni doivent être prononcés mâa, irniâu, erâu, Joràu, mai, bai,
sài, amài^. Un pareil état de choses appelait une réforme. Au xvi° siècle,
on songeait déjà à la faire, et il semble bien que, de nos jours, elle soit
sur le point d'aboutir. M. Ernesto-Carlos Kosa donnait récemment un
aperçu du mouvement réformiste en Portugal^ : on est étonné qu'il ne
fasse pas mention de l'important ouvrage de M. Vianna que nous
allons maintenant examiner.
M. Vianna, dont tous les romanistes connaissent les belles études
sur les sons et l'orthographe du portugais^, est, sans contredit, l'un
des hommes les mieux qualifiés pour discuter les problèmes que sou-
lève la question orthographique. Dès i885, il publiait des Bases de
1. Sans parler de la nasalisation de l'élément faible de la diphtongue: pour être
exact, il faudrait écrire pôî, serniôïs.
2. Les poètes du centre du Portugal font rimer mue avec bem. Autrefois, ce dernier
mot était prononcé bëi. La confusion des diphtongues ai et êi est assez récente; on les
distingue encore au Brésil, dans l'Alentejo et dans l'Algarve (voy. Vianna, p. CG).
3. Le Réformiste, publié à Paris, en orthographe simplifiée, par M. Jean Barès. Voir
dans le numéro de décembre 1902 : a La simplificacion ortografique du Portugais. »
Voir aussi, dans le Bolelim da Direccâo Gérai de Jnslruccûo publica, 1902, fasc. l.-V,
pp. 287 et ss., le compte rendu d"une délibération du Conseil supérieur de l'Instruc-
tion publique sur l'orthographe portugaise.
!*. Bornons-nous à citer : Essai de phonétique et de phonologie de la langue portugaise
d'après le dialecte actuel de Lisbonne', dans le tome Xll de la Romania (i883). (Ce travail
a été remanié en portugais sous le titre de : Exposiçâo da pronuncia normal portuguesa,
Lisboa, 1892.) Proposta para a fixaçâo da acentuaçûo grdjica portuguesa, l.isboa, 1894.
Bases da transcripçâo portuguesa de nomes estrangeiros, Lisboa, 1900. Et plusieurs articles
dans la Revista de Educaçâo e Ensino (i9>SG-iSç)0), la Revisla Lusitana (1887-1892), la Revue
Hispanique (1899).
niRUOGRAPHIE 20I
l'orthographe portugaise en collaboration avec le savant orientaliste
M. G. de Vasconcellos Abreu». Puis, les deux auteurs faisaient éditer
à Paris, chacun un livre où ils employaient l'orthographe préconisée
dans leur opuscule 2.
,M. de Vasconcellos et M. Vianna sont membres correspondants
dé l'Académie royale des Sciences de Lisbonne. Sur leur initiative,
l'illustre compagnie fit imprimer un questionnaire de cent quinze
articles, rédigé par M. Vianna avec beaucoup d'habileté. Sans émettre
d'opinion personnelle, il y montrait les incertitudes et les contradictions
de l'orthographe portugaise et demandait par quels moyens il serait
possible d'y remédier. Chaque académicien reçut de ce travail un
exemplaire où avaient été réservés de larges espaces pour les réponses.
On allait enfin pouvoir établir un système orthographique uniforme:
les diverses solutions proposées seraient discutées et mises aux voix;
celles qui en réuniraient le plus grand nombre seraient adoptées et
imposées au public... M. Vianna se plaça sous l'orme et attendit du
10 mai 1900 au a/j janvier 1901. A cette date, l'Académie n'avait
encore rien reçu: M. Vianna et le secrétaire de la section-^ devaient
être les seuls à répondre aux questions proposées, L'Académie récom-
pensa leur zèle en décidant l'impression de leurs réponses, et celles
de M. Vianna ont été réunies sous le titre de : As orthographias
portuguesas,
M. Vianna est un adversaire résolu de l'orthographe étymologique,
il supprimera donc Vh d'un mot comme thealro, il écrira mirlo au
lieu de myrtok et n'admettra plus l'emploi de lettres redoublées :
atlençào, anno, seront remplacés par alençào, ano. Cependant,
M. Vianna ne songe pas, comme l'a fait un peu aventureusement
M. Araujo en Espagne 5, à remplacer l'orthographe traditionnelle par
une orthographe rigoureusement phonétique où chaque son de la
langue serait invariablement représenté par la même lettre; il juge
qu'on n'a pas le droit de défigurer une langue littéraire et veut, en
1. Basex da ortografia portuguesa, Lisboa, i885.
2. A lileratura e a relijiâo dos Arias na India (Vasconcellos Abrcu). Mâgoas de Wer-
ther (Vianna). Chez Guillard, Aillaud et C".
3. L'Académie royale des Sciences de Lisbonne est divisée en deux classes ou
sections; la deuxième est celle des Sciences morales et politiques et des Belles-Lettres.
4. L'article où il est traité de la suppression des lettres étymologiques est un des
plus intéressants du recueil. La question est ainsi posée (p. i3) : (cConvirâ expungir
o h dos grupos ch = c, th = t, e substituir ch por qu, rh por r, ph por/, y por i:^ No
caso contrario, que leis e* regras sem excepçào determinarào o emprègo dèsses
vestigios etymologicos, inuteis para a leitura » ? M. Vianna conserve provisoirement un
h initial justifié par l'étymologie, il supprime, au contraire, l'/imédial; il ne soccupe
pas de mots comme anhelar, Alhambra qu'on écrira sans doute anelar, Alambra
à cause de la valeur particulière donnée en portugais aux groupes nh et Ui (banho,
batalha). Cp. encore inhalar, inhabil, inhumano, anhydro, etc. = inalar, inâbil, inumano,
anidro.
5. Voir Romania, tome XXIV (1896), pp. 398 et sqcj.
302 BILLEÏIN IIISI'AMQUE
conséquence, respecter la tradition orthographique; son unique but
sera de régulariser cette tradition et de la ramener à des principes
bien déterminés. C'est ainsi qu'il conserve le double ss à l'intérieur
des mots, entre deux voyelles, parce que c'est là une façon commode
de distinguer 1'^ sourd defosso, rasso (cp. l'espagnol /o5o, riiso) de
Vs sonore de casa^ preso, mais il exige que prosegiiir (pro-seguirj,
presentir (pre-sentir) soient remplacés par prosseguir, pressentira
A côté de passo (esp. paso), il laissera subsister braço (anc. esp.
braço), bien que la valeur du ç soit actuellement en portugais exac-
tement la même que celle de Vs sourd; dans l'ancienne langue, en
effet, le ç était soigneusement distingué de Vs, comme en espagnol, et
cette distinction subsiste encore aujourd'hui dans les provinces du
Nord du Portugal 2. Pour des raisons analogues, gozar sera main-
tenu à côté de ousar. Par contre, des graphies actuellement usitées,
comme assucar, socegar devront être remplacées par açucar, sos-
segar'^. Cp. encore mez, portuguez qui devront céder la place à mes
(mensem), portugues (portagalensem) et simples, ourives qu'on écrira
plus correctement simplez (simplicem), ourivez (aarificem). Malgré les
prononciations irguer, purtâo, M. Vianna continuera à écrire ergiier,
portào parce que l'affaiblissement de la voyelle dans les mots de ce
genre n'a probablement pas toujours existé en portugais, et qu'on ne
le trouve pas dans le portugais du Brésil i. M. Vianna condamne
même irmào, inteiro, inveja et isençào qui sont d'un usage courant
et donne la préférence à ermào (esp. hermano), enteiro (esp. entero),
enveja (galicien envexa) et esençào.
On voit par ces derniers exemples que l'orthographe usuelle a
parfois transcrit exactement les voyelles affaiblies dans une syllabe
atone : les anciens batees, cascavees, anees sont maintenant devenus
bateis, cascaveis, aneis; à côté de pao, mao, on peut écrire pau, mau,
et à côté de màe, on trouve aussi mai. M. Vianna propose qu'on écrive
ceu au lieu de ceo et sai, moi, carocois au lieu de sae, moe, carocoes.
Il semble qu'on n'aurait pas eu trop de peine à faire également
accepter razàu (razôis), pàu (pais) au lieu de razào (razôesj, pào
(pàes), mais des mots comme cào (càes), sazào (sazôes) naçào (naçôesj,
1. Que faire d'un mot comme dessoldar? Il faudra, sans doute, pour éviter une
prononciation erronée, séparer le préfixe du verbe et écrire dessoldar (pr. des -solder).
2. Dans toute la province de Trâs-os-Montes (Vianna, p. 48) et dans une partie de
la Beira et du Minho (p. 66). La confusion des deux sons remonte probablement au
xvn* siècle. Au xvi* siècle, dans les Lusiades, il y a déjà, à' la rime, des exemples de
confusion entre les sonores médianes : tristeza rimant avec empresa, mais — eça ne
rimerait pas avec — essa.
3. Açucar: le grec ffxxy apov a été transmis auxEspagnols et aux Portugais par
les Arabes, d'où la présence du ç. Sossegar, à côté de l'ancien sessegar, vient plutôt
de scssicare (Garolina Michaëlis) que de subsedicare (Storm). Voir Vianna, p. 72.
Ix. De plus, en écrivant irguer, purtâo, on mettrait ces formes en désaccord avec
celles 011 la voyelle est accentuée et ne s'est pas affaiblie : érgo et porta.
BIBLIOGHVl'HIE ÎOO
coraçâo (coraçôes), etc. sont nombreux dans la langue et l'on n'a pas
voulu songer à altérer leur physionomie en les écrivant conformément
à leur prononciation.
Il est une solution proposée par M. Vianna qui n'ira pas, je crois,
sans soulever d'objection : la diphtongue au que l'on entend à la finale
des troisièmes personnes du pluriel est transcrite par âo dans une
syllabe tonique, par am dans une syllabe atone. On écrit sào (son),
estào (estcin), dào (dan), vâo (van); on écrit au futur ^erào (serdn),
darào Ulardn), cantarào (cantardn) et, partout ailleurs, eram (eran),
davam (dahan), canlaram 'canlaron , disserani (dijeron;. Cependant
l'habitude s'était peu à peu introduite d'écrire aussi erào, cantarào,
disserào. On devait, semble- t-il, être heureux de voir s'uniformiser
la représentation de la diphtongue, et, dans une réforme de l'ortho-
graphe, la suppression des graphies eram, disseram pouvait être har-
diment proposée i. Néanmoins, M. Vianna les conserve : il trouve qu'il
est d'une nécessité absolue de distinguer dans l'écriture des formes
telles que canlaram (cantdveranti et cantarào (cantardn) et de réserver,
en conséquence, la diphtongue ào pour les finales accentuées 2.
M. Vianna a même songé un instant à faire revivre l'ancienne graphie
ec qui représentait autrefois la diphtongue èi, laquelle est aujourd'hui
uniformément représentée par em. On écrit desdem, armazem, viagem,
margem, virgem, contem, sostem, fazeni, dizem^. Pour les substantifs,
M. Vianna ne ferait aucune distinction entre la syllabe tonique et la
syllabe atone, il écrirait desdce, armazèe, vidgèe, mdrgèe, vîrgèe,
comme il écrit razào, ôrgào (ôrgano), sôtào (sôtano), Rôdào (Rôdano).
Dans les verbes, au contraire, la syllabe atone se distinguerait de la
syllabe tonique ; à côté de estào, on aurait contée, sostèe, mais en
regard de amam, cantam, on mettrait vendem, fazem, dizem,
podem, etc. ; la symétrie serait parfaite : cependant, il n'est pas à
souhaiter qu'on suive M. Vianna dans cette réforme.
Il nous reste maintenant à examiner la question intéressante de
l'accent écrit. Le portugais avait autrefois un accent grave qu'il serait
peut-être avantageux de remettre en usage. Il lui reste un accent aigu
et un accent circonflexe ; ce dernier indique que la voyelle sur laquelle
il est placé est une voyelle fermée : crê (crédit j, le (lêgit), vê (indetj.
L'accent aigu dislingue, au contraire, les voyelles ouvertes : si l'on
voulait indiquer que \'e de seca (secca dans l'orthographe courante)
a la même valeur que celui du français sèche, on écrirait séca. Les
accents portugais modifient donc, comme en français, la valeur de la
I. C'est ce qui a été fait par MM. Lcite de Vasconccllos, Julio Morcira et Eiiiphanio
Dias; cp. Vianna, p. 69.
a. Pourquoi ne pas écrire d'une part serûo, darûo, cantni-âo et érâo, dâvâo, cantarào,
dissérâo, d'autre part?
3. Rappelons que desdem (desdri), fa:em (fazêi), dizem (dizêi) se prononcent desdâi,
fazâi, dizni dans le dialecte de Lisbonne. Voir plus haut.
204 BI LLETIN HISPAMOIJE
voyelle, mais, de plus, ils indiquent aussi, parfois, la place de l'accent
tonique. Cependant, cette place de l'accent tonique n'est pas indiquée
d'une façon bien rigoureuse et il faut louer M. Vianna de vouloir intro-
duire en Portugal le système d'accentuation qu'ont adopté les Espa-
gnols, lequel est bien près d'être parfait. La chose ne va pas sans quel-
ques difficultés. En écrivant, par exemple, cômodo, cônego, académico ,
fénico, on entend marquer, par l'accent aigu, la syllabe tonique; mais
ne pourrait-on croire aussi que cet accent aigu indique une voyelle
ouverte? Or, il se trouve que dans certaines régions, cette voyelle est
précisément une voyelle fermée. On supprimerait peut-être la difficulté
en notant les voyelles ouvertes par un accent grave, comme en français,
et en ne laissant à l'accent aigu qu'une fonction, celle d'indiquer la
voyelle tonique '.
Il y a en portugais nombre de mots qui ne diffèrent l'un de l'autre
que par la qualité de la voyelle. Tel est seda qui, avec une voyelle
ouverte, a le sens de siège, avec une voyelle fermée, celui de soie. On
comprend qu'il y ait intérêt à indiquer par un accent si la voyelle est
ouverte ou fermée, aussi M. Vianna écrit-il sêda et séda. Comparez
encore côr (côr), avô (avô), tôrre (tôrre), espôso (espôso), colhêr
(colhérj, estrêla (eslréla), destêrro {deslérro). Je proposerais plutôt
cor, avb, torre, espôso, colhèr, eslrhla, destêrro. M. Vianna distingue
par un accent grave les voyelles ouvertes atones, pourquoi n'emploie-
rions-nous pas le même signe pour les voyelles ouvertes toniques,
lorsque c'est la qualité de ces voyelles qui nous préoccupe particu-
lièrement 2?
Versailles, janvier igoS.
J. SAROÏHANDY.
I. L'o et l'e toniques de comodo, conego, académico, fenico sont ouverts à Lisbonne,
fermés dans la Beira. Au contraire, l'a tonique de candido, ansia est fermé à Lisbonne,
ouvert dans le Minho et une partie du Douro (Vianna, p. 88). Pour être exact, on
devra écrire cômodo, cânego, académico, fénico à Lisbonne, cômodo, cônego, académico,
fénico dans la Beira et inversement on écrira cândido, dnsia à Lisbonne, cdndido, dnsia
dans le Minho et le Douro. Dans ces mots, ce que l'on veut marquer, ce n'est pas la
qualité de la voyelle, mais la place de l'accent tonique, et il serait avantageux d'avoir
un signe spécialement affecté à cet usage; si l'on adoptait l'accent aigu, comme en
espagnol, cômodo, cônego, académico, fénico, cdndido, ânsia ne présenteraient d'incon-
vénient en aucune partie du pays. Au lieu d'écrire cortêsmente, comme le fait
M. Vianna (p. g/i), on écrira, à la façon espagnole, cortêsmente.
2. M. Vianna écrit mdlhinha, dàninho, prhgar, pègada (p. gB), pour indiquer que la
voyelle de ces mots n'est pas une voyelle sourde, mais une voyelle ouverte. M"° Caro-
line Michaëlis avait déjà écrit elle aussi prègador à la page 35 de sa biographie de
l'infante D* Maria de Portugal, vèdores à la page ii/i (Vianna, p. 120). Cp. encore
l'usage que fait M. Vianna de l'accent grave dans cette phrase : « a pronuncia que no
abecedario se dâ as letras e, 0, é com e, 0 abertos » (p. 8.^). A en juger par ces exemples,
l'usage français de l'accent grave pourrait être introduit sans grande opposition dans
l'orthographe portugaise. D'ailleurs, n'est-il pas arrivé que des particularités ortho-
graphiques du français n'aient que trop bien réussi à s'acclimater en Portugal?
Cependant, après avoir réservé l'accent aigu pour marquer la place de l'accent
BIBLIOGIIAPHIE 20;>
tonique, l'accent grave et l'accent circonflexe pour indiquer la qualité des voyelles
ouvertes ou fermées, si, dans un mot donné, la place de l'accent et la qualité de la
voyelle tonique pouvaient à la fois donner lieu à une hésitation, on n'aurait plus le
moyen de lever le double doute qui se présenterait à l'esprit du lecteur. Ce n'est, je
dois le dire, le cas pour aucun dos mois apportés dans la discussion par M. Vianna.
Ce n'est pas le cas pour ceii, mnnteu, pour reis, manleis, pour sois {p. g'i), faroisip. 50),
pour joia, comboio dont M. V'ianna propose de noter par un accent aigu la voyelle
ouverte et qui peuvent être écrits tout aussi bien : chu, manleu, rhis, batèis, farùis,
sois, jôia, combùio
M. Vianna songe encore à utiliser l'accent grave pour distinguer Vu qui se pro-
nonce dans les groupes gue (gui) : arghir, à côté de seguir; l'espagnol distingue cet u
par un tréma : argiiir, anligiiedad. Écrivant argiiir, agîientar, M. Vianna se croit tenu,
à cause de la symétrie, d'écrire aussi delinqiiir, eqiiestre, fréquente, eloqhencia. Il con-
serverait gua^, quatro, quaresma; mais an lieu àe quatorze, quota dont Vu ne se pronooce
pas, il propose, sans hésitation, catorze, cota. La véritable solution serait d'adopter
pour tous les mots cités l'orthographe espagnole et d'écrire ecuestre, frecuente, elo-
cucncia, cual, cuatro, cuaresrna, aussi bien que catorze, cota. Le son k serait, dans ces
mots, uniformément représenté par c, ce qui est bien quelque chose, et, de plus,
le principe de symétrie, auquel M. Vianna semble décidé à tout sacrifier, ne rece-
vrait pas, de ce fait, une très grave atteinte. Nous écririons ga (ca), go (co), gu (eu),
gue (eue), gui (cuij d'une part; gue (que), gui (qui) d'autre part. Devant e (i) les sons
k (g) seraient représentés par les groupes qu (gu), partout ailleurs par c (g) : peut-on
désirer une symétrie plus parfaite dans la représentation des deux sons? Sans doute,
en regard de argliir, aguentar, il faudrait, en toute rigueur, écrire delinciiir, frcciiente,
mais il n'est pas douteux qu'il ne soit permis d'omettre un diacritique lorsque son
emploi ne présente aucune utililc.
SOMMAIRES DES REVUES
GOJJSACRÉES AUX PAYS
DE LANGUE CASTILLANE, CATALANE OU PORTUGAISE
Boletin de la R. Academia de la Historia.
Janvier 1902. — R. Ramîrez de Arellano : Un documento nuevo
de Beatriz Enriquez de Arana. [Contrat de louage qui tend à prouver
que Béatriz ne fut jamais mariée avec Christophe Colomb. i5i6]. —
Fidel Fit a. Patrologia latina. Renallo gramâtico y la conquista de
Mallorca. [Complète, par des documents biographiques et bibliogra-
phiques, ce que Migne nous a laissé sur l'un des plus savants écri-
vains de l'école de Barcelone dans la première moitié du xii" siècle.] —
Variétés et nouvelles.
Février. — M. Danvila : Très documentos inédites referentes al
matrimonio de los Reyes Catôlicos. i468, 69, 70. — Fidel Fixa :
Inscripciones romanas de la Puebla de Montalban, Escalonilla y
Méntrida. — Documents divers.
Mars. — F. R. de Uhagôn : Desafio entre Rodrigo de Benavides
y Ricardo de Merode. [Publie, d'après un ms. de la Bibl. nat. de
Madrid, une relation inédite de ce duel fameux, qui eut lieu en 1 556.] —
Documents divers. VI. F. Fita : El principado de Cataluiîa; razôn de
este nombre.
Avril. — CoNDE de Cedillo : Rapport sur le Libro primero de
Cabildos de Lima [publié en 1900 par la municipalité de cette ville]. —
Fidel Fita : D. Pedro de Albalat, arzobispo de Tarragona, y D. Ferrer
Pallarés, obispo de Valencia. Cuestiones cronolôgicas. — Parmi les
Nolicias, renseignements curieux sur les cap-marks ou écuelles (cazo-
letas ou cazuelas) de certains monuments préhistoriques espagnols.
Mai. — Mariano Parro : Signos lapidarios del Castillo de Monzon
(Huesca) y de la catedral de Toledo. [Nombreux fac-similés de ces
marques de tailleurs de pierre.] — Rivett-Carnag : La piedra de la
coronacion en la abadia de Westminster y su conexiôn legendaria con
Santiago de Compostela. — Macineira Pakdo : Ejemplares gallegos
y portugueses de la escritura hemisférica. [Détails curieux sur les
écritures préhistoriques.] — F. Fita : Concilies tarraconenses en
1248, 49, 5o.
Juin. — Manuel de Ossuna : Estudios histôricos y psicolôgicos
acerca de las islas Canarias. — Documents. Valverde Perales : Anti-
gûedades romanas y visigôticas de Baena. — Alfredo Chavero :
Colegio de ïlatelolco. [Documents nouveaux sur la date de fondation
SOMMAlUb; DES UEVLES 207
et l'organisation de ce célèbre collège mexicain.] — F. Fit.v : Article
critique sur le Cours de Littérature celtique de H. d'Arbois de Jubain-
ville. — M'' DE MoNSALUD : Nuevas inscripciones romanas de Extre-
madura. [Mérida, Ibahernando.J — Le Préteur L. Cornélius Pusio.
[Reproduction de l'art, de H. Dessau dans le Bulletin hispanique.] —
Discours (du M'" de la Vega de Armijo et de Menéndez Pelayo) pro-
noncés le 24 mai, au Palais des Bibliothèques et Musées, à propos de
la majorité du Roi.
Juillet- Septembre. — M. Serrano y Satvz : Francisco Hernândez y
el Bachiller Antonio de Medrano, Sus procesos por la Inquisiciôn
(lôig à i533). [Documents intéressants relatifs à ces deux célèbres
procès, publiés d'après les papiers de l'Inquisition de Tolède.] —
Francisco Codera : Deux inscriptions arabes. — José G. de Arteche :
I Rapport sur différents ouvrages relatifs aux guerres de Napoléon.]
— FoROJiDO : El tumbo de Valdeiglesias y D. Alvaro de Luna. [Récit
contemporain de l'exécution du Connétable.] — Fernândez de Velasco :
Pedro Merino en San Quintin. [Documents relatifs à ce personnage qui
s'empara du connétable de Montmorency à Saint -Quentin, et que l'on
avait appelé jusqu'ici Sedano.] — F. Fita : Concilio inédito de San
Celoni en 1168. Bulas inéditas de Alejandro III y Benedicto YIII.
Octobre. — R. Ramîrez de Auellano : Estudios biogràficos. [Deux
études très documentées, la première sur Pero Tafur, l'auteur des
Andanças e viajes, où sa biographie est rectifiée et enrichie, la seconde
sur un Gonzalo de Ayora, veinticuatro de Cordoue qui est peut-être le
même que le chroniqueur de ce nom.] — F. Fita : Sébastian, obispo
de Arcâvica y de Orense. Su crônica y la del rey Alfonso III. [La chroni-
que dite de Albelda serait due à Sébastian, évêque d'Orense, et la chro-
nique attribuée à Sébastian serait l'œuvre du roi Alfonso III elMagno.]
Novembre. — Fidel Fixa : Patrologia latina. Apringio, obispo de
Beja. [Article critique très étudié sur le livre de D. Marins Férotin,
Apringius de Beja. Son commentaire ■ de l'Apocalypse, Paris, 1900.
Discussion des sources. Étude des manuscrits, particulièrement de
celui de Barcelone.] — A. Rodrîguez Villa : Francisco de Lisola.
[Compte rendu du livre de M. Longin sur le diplomate Franc-
Comtois, 1613-74, et publication de lettres inédites en espagnol.] —
Cesâreo Feunâîsdez Duro : La mujer espanola en Indias.
Décembre. — Fernandez Duro : Nuevos autôgrafos de Cristobal
Colon y relaciones de ultramar. [A propos de la publication de la
duchesse de Berw^ick et d'Albe.] — Francisco R. de Uhagôn : Libros
publicados por el Sr. Archer M. Iluntington. — F. Fixa : Inscripciones
visigôticas y suévicas. [Duenas, Bafios de Cerrato, S. Salvador de
Vairâour, S. Juan de Banos de Bande, S. Pedro de Rocas.] — Arteche :
Lusitania y su primer coronel. [Compte rendu critique du livre de
M. Ibânez Marin sur le Régiment de Lusitanie.] E. M.
208 BULLETIN HlSPAMQl E
Bolelin de la Societad Arqueolôgica Luliana.
Août 1901. — Bartolomé Ferra: ïechos arlisticos... (Apuntes de
mi cartera) (suite). — E. Aguilô : Actes de la elecciô de Sindichs...
Cfin). [Documents latins,] — Alf. Damiâns y Mante : Revoluciô
dels pagesos mallorquins en lo segle xv. [Documents des Archives
municipales de Barcelone. Suite dans les n"' de sept.-décemb. 1901,
mai-juin 1902.] — Db. Gabriel Mesquida : Vida de Sor Anna Maria...
(suite). [Suite dans les n°' 208, 209, 262, 267.]
Septembre. — B. Ferra : Moneslir de la Real. Ordinacions pera el
regimen interior... [Statuts établis par l'abbé Don Fr. Père Mayans.
XVII' siècle. Suite dans les trois n"' suivants.] — M. P. Pre : Calviâ.
Apuntacions historiques. [Livres d'Actes du Conseil de Calviâ,
XVI' siècle et suivants. Suite dans les deux n"' suivants et mai 1902.]
— E. Aguilô: Notes dels Llibres de Dades... Any iSSa.
Octobre. — P. Sampol y Ripoll : Anuario bibliogrâfîco de Mallor-
ca, 1900. [Suite dans les deux n" suivants.] — Planche : Saint-Elie
(in basilica vaticana).
Novembre. — E. Aguilô : Acte de pau d'un dels bandos de
Petra (i368). [Document latin.]
Décembre. — Antoi M' Algover : Folk-Lore Balear. [Traditions
populaires de Majorque. Suite dans le n° suivant.] — E. Aguilô :
Documents curiosos del sigle xiv. Testament de Sayt Mili, juhéu...
[16 août 1377. Document latin.]
Janvier -Février -Mars 4902. — E. Aguilô: Transacciô sobre la
successiô del règne de Mallorca... [VIII kalendas octobris anno
Domini millesimo CGC XX" quinto. Zaragoza. Document latin.] —
Miguel Bonet : Sobre reparto de fincas a los Tortosines... (1281).
[Deux documents latins.] — Gabriel Llabrés : Asalto de la Ciudad de
Mallorca en 1239.
Avril. — Gabriel Llabrés : Guillermo de Torrella, poeta mellor-
quin del siglo xiv. [Étude biographique et bibliographique avec
deux documents latins : le testament et le codicille du poète, une
analyse et un extrait de la Faula.] — E. Aguilô : Cartas curiosas del
siglo XIV. [Document latin : Le roi Hugo de Chypre annonce à la
reine Jeanne de Naplcs une victoire sur les Turcs due à l'intervention
de saint Jean-Baptiste.] — E. Aguilô : Donatius reyals a Fr. Joan de
Fornells... [Document latin.]
Mai. — P. A. Sanxo: Sobre l'oficideCorredorReal. [Trois documents
catalans : ordonnances el privilèges du dit office ; opposition et réplique.]
Juin. — E. Aguilô : Requesta de mestre Bartomeu Caldentey
y Altres... [pour prohiber au médecin juif Isaac l'exercice de la
médecine. i488]. — E. Aguilô : Jaume II d'Aragô eximeix al rey en
Sanxo de Mallorca... (i3ai). T.
SOMMAIHE DES HEVLE5
209
Butlletl del Centre exciirsionista de Calalunya.
Juillet 1909. — Ceferi Rocafort. Excursio als estanys y vull de
Capdella. — Chronique. — Conférences et lectures. [Compte rendu de
la lecture d'une trilogie grecque traduite en catalan.].
Août. — Llui's Coll y Espadalet. Excursio a la Montanya de Sant
Gregori fins a Gerona. — Cels Gomis. La luna segons el poble.
Septembre. — N. Fo>t y Sagué. Sota-terra. [Excursion souterraine
au Priorat, etc.] — C. Gomis. La luna segons el poble (rin).
Octobre. — J. Masso- Torrents. Excursio a Ribes, Montgrony, La
Tobla de Lillet, Berya, La Portella, etc. — N. Fo:<t y Sagué. Sota-
terra (fin).
Novembre. — Pau ïeixidor. Yespella. — Rose.ndo Serra. La con-
servaciô de les belleses naturals de les montanyes.
Décembre. — Chronique. [Excursion au Masnou, pour visiter des
mosaïques, peintures, sculptures, etc. Visite à la bibliothèque pro-
vinciale, laquelle possède i5o,ooo volumes.]
Janvier 1901. — Cels Gomis. Literatura oral catalana [Dictons].
— Chronique. [Compte rendu d'une conférence sur une excursion au
Val d'Aran et au Canigou.]
Février. — N. Font y Sagué, El castell de Requesens. — C. Gomis.
Literatura oral catalana isuile}. — Chronique. [Compte rendu d'une
lecture par M. J. Masso Torrents des œuvres de Georges de Sanl-
Jordi, poète du xv' siècle, et d'une visite au musée géologique du
séminaire Conciliai- de Barcelone.]
Mars. — Séance publique: discours du secrétaire; discours du
président, M. Raimond Picô y Campanar, sur Rutilius ^'umatianus. —
Liste des membres. — Chronique. [Compte rendu d'une conférence de
M. Joseph Bernard y Durand sur la littérature catalane au \vC siècle,
et d'une conférence sur la découverte au Masnou des restes d'une
construction présumée visigothique.]
Avril. — BoNAVENTURA CoNYLL. El temple de la Sagrada Familia
[église en construction]. — N. Font y Sagué. Per que sant Jordi es
patrô de Catalunya. — Chronique. [Comptes rendus de la séance
d'inauguration de l'exposition des documents figurés sur les curiosités
de Barcelone disparues au cours du xix' siècle, et de plusieurs confé-
rences : sur l'art dans les églises de Barcelone au xix" siècle, sur la
littérature catalane au xix' siècle, etc. Compte rendu d'une visite aux
Archives de la couronne d'Aragon.]
Mai. — JoAQUiM DE GisPERT. Dc la Junquera a la Masia de Riu-
mayor. — C. Gomis. Literatura oral catalana (suite). — Ramon Arabia
Y SoLANAs. — A la bona memoria de n'Artur Osona. Chronique.
[Comptes rendus dc l'exposition sur les curiosités de Barcelone et des
3IO BILLETI.N HISPANIQUE
conférences sur la littérature catalane au xix' siècle, sur M*' Mor-
gades, créateur du magnifique musée de Vich, décédé évêque de
Barcelone; de M. Martel, sur la science spéléologique, et de diverses
excursions.]
Juin. — Père Pages y Rueda. Artur Osona. [Article nécrologique
sur ce pyrénéiste infatigable dont toutes les terres catalanes connais-
saient l'originale personnalité.] — Victor Balaguer. [Brève notice sur
cet illustre barcelonais.] — C. Gomis. Literatura oral catalana (suite).
— Chronique. [Comptes rendus de conférences sur les classiques
catalans, par M. J. Massô-Torrents, sur la formation et le caractère de
la langue catalane, par M. Rosendo Sorra, etc.]
Les numéros de juillet 1900 à juin 1901 inclus contiennent, en
outre, la fin de l'Art religiôs en et Rossellà. Phototypies : Ciboires
d'Argelès et de Prunet; Reliquaire de Serdinya ; Croix de Collioure;.
Pierre sépulcrale d'un évêque d'Elne; Chasuble et chape de Catelar;
Porte du logis abbatial de saint Michel de Cuxa et de l'église de
Villefranche de Confient; Porte de l'église de Corneilla de Confient;
Vantaux de la porte de l'église de Marcevol; Face sud de l'église
Saint-Jean de Perpignan [A rapprocher du parti de cette église
gothique certains édifices romains]; Choix de colonnettes du cloître
d'Elne; Fonts de la Real de Perpignan; Croix et custode de Rigardâ.
[On me permettra d'adresser par la voie du Bulletin hispanique un
public et cordial merci au Butlleti, qui a bien voulu publier cette
belle réédition de mon livre sur l'Art religieux en Boussillon. Ma
reconnaissance va surtout à mon ami Masso- Torrents, qui a été
l'instigateur de cette entreprise et qui a fait preuve, dans la difficile
besogne de la traduction, d'autant de zèle que de talent.]
J.-A. B.
Rtvisla de la Asociaciôn artîstico-argueolôgica barcelonesa.
Janvier -Février 1902. — M. de Berlaxga : Estudios epigrâficos.
Alhaurin tlluro? [arrive sur cette question à des résultats purement
négatifs, mais redresse certaines erreurs historiques]. — Joseph Mas :
Taula del Cartulari de S. Cugat del Vallès. [Suite. Se continue dans
les trois numéros suivants.] — Joaiv Pié : Anals inédits de la Vila de
■la Selva del Camp de Tarragona. [Suite de cette intéressante publi-
cation, qui se continue dans les numéros suivants.] — Emilio Grahit :
La junta de Gerona en sus relaciones con la de Cataluna en 1808 y
1809. [Suite. Continuation aux numéros suivants.]
Mars-Avril. — Jlst Cassador: Una questiô iconolôgica. [Étude, en
catalan, sur la vieille coutume de vêtir les statues des saints et de la
Vierge en Catalogne.]
Mai- Juin. — Joan Segura : Bandolerisme en los sigles xvi y xvii.
SOMMAIUL DES REVUES 311
[En catalan. Bien documenté. Suite en sept.-oct.j — Joaquim de
GisPERT : La Magestat de Sant Româ de Clusa. [Étude en catalan sur
un crucifix d'une église du nord de la Catalogne.]
Juillet-Août. — M. de Berlanga : Estudios numismâticos. De
algunos manuales de numismâtica clâsica. [Suite dans le numéro sui-
vant.] — F. Her>â>dez Sanz : Los naus 6 novctas de Menorca. [Élude
sur les monuments mégalithiques, en forme de bateau renversé, qu'on
rencontre dans l'ile de Minorque.]
Septembre -Octobre. — Câ>dido Gômez : Invençôes e dcscobri-
-mentos dos Portuguezes. [Étude en portugais sur les principales
inventions scientifiques ou industrielles et les découvertes géogra-
phiques des Portugais depuis i335.]
A.
ARTICLES DES REVUES FRANÇAISES OU ETRANGERES
coceris'ant les pays
DE LANGUE CASTILLANE, CATALANE OU PORTUGAISE
Revue celtique, janvier 1902: J. de Leite de Vascongellos, Les
Celtes de la Lusitanie portugaise (traduit du tome II des Religiôes da
Lusitanid).
Revue critique, a/i février 1902 : A. Thomas, Compte rendu de
Estudos de philologia mirandesa et de Esquisse d'une dialectologie por-
tugaise de J. Leite de Yasconcellos ; — 3i mars: C. So>>eck., Compte
rendu de Ibn-el-Athir et de Al Bayanôl-Moghrih, traduits par E. Fa-
gnan; — Ch. Dejob, Compte rendu de // sacco di Rama del MDXXVII ,
de D. Orano; — 7 avril: R. D., C. r. de 0 santo maiiyr Barlaam, de
Fr. M. Esteves Pereira ; — Fr. Picavet, C. r. de Die Psychologie des
Juan Luis Vives, de G. Hoppe; — H. Léo:«ardo>, C. r. de Sainte
Thérèse, de H. Joly ; — 12 mai: A. Thomas, C. r. de Cronica Troyana,
éditée par A. Martinez Salazar et M. R. Rodriguez.
Revue de Géographie, septembre 1902 : Commandant R. Bourgeois,
La République de l'Equateur.
Revue historique, janvier-avril 1902 : H. Léo>ardo>-, C. r. de Spain,
ils greatness and decay (l-^t79-17S8), de M, A. S. Hume; — Em. Bour-
geois, C. r. de Prim de H. Léonardon; — J. Calmette, C. r. de Los
Vescontes de Bas en la illa de Sardenya, de J. Mirct ; — mai-aoùt 1902 :
G. Desdevises du Dézert, Le Conseil de Castille au xviu' siècle; C. r.
2 12 BULLETIN IIISPA.MQLE
de Origenes histôricos de Cataluna; — septembre - décembre : H. Léo-
NARDON, C. r. de Diplomdlicos espaîioles: Don Cristôbal de Moura; —
.T. Calmette. C. r. de Investigaciôn hislôrica sobre el vizcondado de
Caslellbô.
Revue des Pyrénées, mars-avril 1901 : Pu. Torreilles, De Barce-
lone à Valence en 1819; — J. Fontes, Quelques mathématiciens espa-
gnols au xvr siècle; — mai-juin: Orotava, Un drame sensationnel
en Espagne : Electra.
Revue des Questions historiques, janvier 1901 : L'abbé Torreilles,
Le rôle politique de Marca et de Serroni pendant les guerres de Cata-
logne, 1 644-1660; — G. de Grandmaison, M. de Norvins et les princes
d'Espagne à Rome, i8ii-i8i3; — R. P. Bliard, Dubois et Saint-
Simon. Une ambassade extraordinaire à Madrid (1721-1723); —
1"' octobre 1902: Fr. Rousseau, La participation de l'Espagne à la
guerre d'Amérique; — G. de Grandmaison, Napoléon en Russie, 1812,
d'après les documents inédits des archives espagnoles.
Romania, janvier 1901 : A. Mohel-Fatio, Le débat entre Anton de
Moros et Gonzalo Davila; R. J. Guervo, Canoa; Sabana; — avril-
juillet : R. Menéndez Pidal, compte rendu de Juan Riiiz, Libro de
Buen Amor, par J. Ducamin; A. Dauzat, compte rendu de Estudos
de philologia mirandesa, par J. Leite de Vasconcellos ; — octobre:
0. Klob, a Vida de sancto Amaro, texte portugais du xiv" siècle;
H. SucHiER, La fille sans mains, texte catalan du xiv° siècle.
Zeitschrift fur Romanische Philologie, 1901, i : P. de Mugica,
compte rendu de Voces usadas en Chile, par A. Echeverria, et du
Diccionario de la lengua castellana de la R. Acadcmia espanola; —
2, 3, 5, 6 : C. MiCHAELis de Vasconcellos, Randglossen Zum allpor-
tugiesischen Liederbuch; — 4 : Hugo Albert Rennert, Ueber Lope de
Vega's El castigo sin venganza; — H. Schuchardt, Span. cazarete,
port, caçarete; — 6: E. Herzog, Zusammenfassendes lo im Spanis-
chen; — G. C. Keidel, Notes on /Esopsic Fable Literature in Spain
and Portugal during the Middle Ages; — A. Horning, Span. lelo,
emperador; span. pg. rozar; span. marica. G. C.
31 mai 1903.
LA RÉDACTION : E. MÉRIMÉE, A. MOREL-FATIO, P. PARIS,
G. CIROT, secrétaire; G. RADET, directeur-gérant.
Bordeaux. - Imprimorje G, QOCKOUILHOU, rue Ouiraude, II,
Vol. V. Jiùllet- Septembre 1903 N' 3.
TUES OBJETOS MALACITANOS 1)E EPOCA INCIEIITA
Al terminar el siglo décimo quinto espira la edad média y
surge el renacimiento venido del Oriente de donde habia
también venido nuestra primitiva civilizacion con las pri-
meras factorîas mercantiles de los fenicios, como vino doce
siglos mas tarde la religion purisima del Grucificado. Con la
sociedad hazanosa y caballeresca del décimo seslo concurre a
avalorar nuestras glorias olra de sabios insignes, que delei-
tândose en el estudio de los clasicos, recorre nuestros despo-
blados en busca de ruinas venerandas, copiando los mârmoles
escritos que a su paso encuentra y recogiendo cuanlas monedas
viejas descubre al hacer remover el suelo de los olvidados
villares. De esta manera es como el cardenal Gaspar de Castro,
el arzobispo Antonio Agustîn y el profesor complutense
Ambrosio de Morales con otros eruditos hispanos echaron por
aquel tiempo los cimientos de la epigrafia, de la numismâtica
y de la arqueologia hispana, cuyas ciencias generalizadas muy
pronto en el resto de la Europa produjeron en el décimo
octavo maestros tan ilustres como Muratori, Eckhel y Wic-
kelman, precursores ilustres de Bartolomé Borghesi, Teodoro
Mommsen y Emilio Hûbner, ante los que no lenemos hoy que
citar por desgracia nuestra nombre alguno espanol de lanla
monta.
Los que en aquellos siglos ya lejanos mostraron entre
nosotros mas amor para esos timbres de nuestras pasadas
grandezas se complacieron en sacar del olvido con singular
entusiasmo los reconditos anales de poblaciones del todo desa-
parecidas 6 bien trasformados no mas por el inquieto desa-
sosiego de los musulmanes, escribiendo largos pancgiricos
henchidos de exagerados elogios, que no era dable hermanar
con la severa imparcialidad hislorica, pagando de este modo
AFB. — Bull, hispan., V, igoS, 3. i5
2l4 BULLETIN HISPAMQLE
un tributo de respeto a la tradicion pagana, que habîa infil-
trado en sus espiritus el renacimiento clàsico. Si los mas
graves escritores de la edad de oro de las letras latinas no
titubearon al afirmar que las murallas de la Roma quadrata
habîan sido levantadas por dos principes de la sangre real del
Lacio, hijos de un dios, amamantados por una loba, y que el
fundador del imperio descendîa en linea recta de la mas
bella de las divinidades olîmpicas ; no es dable estranar que
nuestros historiadores posteriores à la reconquista persistan
en hacer venir a Tubal a poblar la Espana, a INabucodonosor
a civilizarla con sus soldados, a Santiago a evangelizarla, por-
que escribiendo taies cosas seguian las huellas tradicionales de
un pasado aun persistente en la memoria de todas las clases
allas y bajas y mas vivo en la de mayor cultura. Lo verdade-
ramente estrano, lo que no se comprende es que con el rodar
de los siglos y el progresar de la serena critica taies impre-
siones no solo no se hayan borrado, sino se encuentren enri-
quecidas con la pretendida llegada de los progenitores de
Salomon con los ojos diagonales, la piel pajiza, los pomulos
salientes, sumida la barba, y achatada la frente, que arriban
con la mision providencial, al decir de sus admiradores de
estos tiempos, de dar a nuestros mas remotos antepasados
sus heUisimos signos grâficos, su exquisiio gusto artîstico y su
deliciosa indumentaria, con otros encantos que no son para
revelados y de los que por fortuna no queda ni el menor
rastro.
En vano ha sido que la escuela historica contemporânea,
que prescindiendo de rancios filosofismos como de estraviados
fanatismos y agena al amanerado convencionalismo de secta,
se apoya no mas que en fuentes indubitadas, depuradas por la
critica, se haya esforzado en inculcar por la voz elocuente de
ilustres profesores alemanes en el ânimo de los que entre
nosotros sienten aficion a este género de esludios las sencillas
reglas a que deben sugetar sus trabajos, huyendo de la pomposa
vocingleria de los analistas musulmanes, como de la mistica
maravillosidad de los de la reconquista. Todos estos esfuerzos
ban venido a resultar estériles por que nadie ha querido resi-
THES UUJETOS MALACITANOS DE EPOCA INCIEKTA 2 10
gnaise a escoger por tcma de sus invcstigaciones la vida de un
pueblo 6 de un personage, cuyos orîgenes no sean deslum-
bradorcs, tanto mas cuanto seinejante parsimonîa coarta tirâ-
nicamente la libre facultad del aulor para engalanarlos a su
placer dcrrochando en obsequio del favorecido los tesoros de
su mas brillante fantasia. Cuando hice estampar los Monu-
menlos del mnnicipio JJavio malacKaito, intenté sin embargo
demostrar practicamente de que manera exigîa la escuela
critica independiente que se trataran semcjantes argumentos.
Lleno del mas ardiente deseo de propagar taies canones his-
toricos y de dar a conocer los importantes documentos que la
suerte me habia proporcionado el ser el primero en traducir
y esponer en castellano, puse con verdadero entusiasmo mi
libro a la venta haciendo Uegar antes algunos ejemplares a
Académicos y Profesores de los mas caracterizados. Con
cândida impaciencia esperaba conocer el juicio que confiaba
hiciese al menos la prensa profesional de mi trabajo, llegando
a su colmo mi desencanto al notar su persistente silencio y al
ver que los que habîa creido obsequiar hacicndoles conocer
tan celebrados monumentos, ni aun se habian dignado, en
Espana tan solo por supuesto, acusarme su recibo con
rarisimas excepciones, entre las que recuerdo un literato
de gran renombre, que se liabîa arrogado las funciones de
consejero y amparador de mi incxperiencia, quien entre frases
de ponderado afecto y de inestimable franqueza calificaba mi
trabajo de un arido inventarlo de documentos sin hilaciôn alguna
entre si. Cuando cran va pasados diez anos, el librcro a quien
habîa enlregado la cdicion, esperando le dièse salida, me la
devolvio intégra, sin haber logrado vender en tanto tiempo
nuis que cinco ejemplares a otros tantos ingleses, que desco-
nocîan el castellano. Entonces formulé el voto que no he que-
brantado de regalar esta y cuantas obras tornase a publicar
antes de esponcrme de nuevo a otra vergiienza analoga, que
va hubiera sido en mî imperdonable. Tan triste desengafio
parece que debiera haberme decidido a formar el proposito de
no volver a ocuparme de un argumento que me habîa sido
tan ingrato; pero circunstancias imprcvistas se impusieron
2l6 BULLETIN HISPANIQUE
â mi voluiitad. El profesor Hûbner me hizo ver que habiame
dejado engafiar por la supercherîa del que usurpando el
nombre de Mediiia Conde, que no era el suyo, habîa inventado
â su capricho epigrafes que con suma candidez habîa yo acep-
tado como genuinos. Entonces crei un deber mio ineludible el
hacer patente el error cometido en la primera ocasiôn propicia
rindiendo â la verdad historica el debido tributo de respetoi.
Habiendo descubierto mas tarde en el archivo de la estin-
guida casa de Valdeflores los primeros pliegos impresos de la
coleccion de textes griegos y latinos referentes â la Hispania,
que reunio dicho marqués con ânimo de publicarlos, habién-
dole sorprendido la muer te antes de realizarlo, y no esperando
que ya hoy manuscrite de tanta importancia vieralaluzpùblica,
formé el proposito de realizar por mi mismo trabajo de suyo
tan penoso, pero de importancia suma para los estudios
historicos de la peninsula ibérica. Gomencé a realizarlo con el
mayor entusiasmo y al estractar las decadas de Tito Livio
tropezé con un pasage en el que antes no habîa fijado la aten-
ciôn y decîa de esta maneraa : « ingens in Hispania ulteriore
» coartum est bellum : M. Helvius eam provinciam obtinebat :
» is litteris senatum certiorem fecit Gulcham et Luxinium
» regulos in armis esse; cum Culcha decem et septem oppida,
» cum Luxinio validas urbes Carmonem et Baldonem, in
1. Siempre lie adniirado la frescura y cl desenfado de este singular personage;
condenado como falsificador por el Arzobispo de Granada y el Présidente de la
Audiencia, confirmada con algiina agravaciôn la sentencia por el Rey, suspcndidopor
su mismo delito del cargo dislinguido que ejercia y privado de publicar libro alguno,
parccia que debiera haberse curado de su monomani'a de inventar antigûedades
modernas; pero muy al contrario sus facultades para el fraude tornaron â su pasada
actividad desde el momento en que comienzan â salir de las zanjas, que se abrian para
los cimientos del edificio que se empezaba A construir de la Real Fâbrica de Tabacos,
hoy transformada en Aduana, estatuas y pedestales con leyendas latinas que se
apresurô â dar à conocer apendizando estas ùllimas con algunas de su invenciôn
particular, en hqjas impresas que periôdicamenfe publicaba bajo cl nombre de su
sobrino Cecilio Garci'a de la Lena. Estas hojas formaron una obra plagada de errores
cuyo primer voliimen ha tenido los honores de la reimprcsiôn. Los capitulares, los
regidores, los vcinte y quatro, los mayorazgos desocupados y los estrangeros que
afiuian al puerto debieron ir, llevados por su misma curiosidad, â visitar las obras del
nuevo edificio en construcciôn, y sorprende el considerar que no hubiera quien
confrontase lo encontrado con lo que se iba publicando descubriendo de contado la
supercherîa. El falsario debîa conocer la desidia 6 lo torpeza de los mâs ilustrados
moradores de la ciudad cuando tan descaradamente abusaba de su credulidad fin-
giendo hasta cuatro epigrafes de su invenciôn : CIL. II, 17/1*, 175*, 176*, 177*.
2. Lib. XXXIII. 21-6 â 8 ann. V. G. 557. A. G. 197.
TUES OBJETOS MAr-ACITANOS DE ÉPOCA INCIEllTA 217
» maritima ora Malaciiios, Sexelanosque et Baeturiam et qiiae
» nondum animos mutaverint ad finitimoium motus consur-
» rectura. »
Sin mucho esfuerzo comprcndî que habia de reslablccerse el
pasage corrigiendo desde luego los très nombres geograficos
Baldonem, Mulacinos y Sexetanos, que eslan errados, restable-
ciendo su verdadera leccion que debiera ser Ursonem, Mala-
citanos y Sexitanos, resultando con ello ser un texto referente
a Malaca entre cuyas fuenles hisloricas debia figurar, no
habiendo sin embargo tenido desde enlonces ocasion de publi-
carlo. Como por aquel tiempo un critico inmorfal al juzgar el
libro que lleva por tîtulo Los Bronces de Lascula, Donanza y
Aljuslrel, tuvo la amabilidad de advertirme que no habia
sabido redactar la porlada, comprendi sin esfuerzo alguno que
era a la sazon completamente inùlil la Copilaciôii de fuenies
histôricas hispanas, que estaba preparando porque iba a llegar
inoportunamente, en razon a lo cual desisti por complète de
mi empenoi.
I. Esta obra debîa componerse de diversas sccciones comprendiendo la primera los
textes intcgros de los escritorcs griegos y ronianos que se ociipan de las Hispanias
ordenados cronolôgicamente con sujcciôn â la fecha en que vivieron sus respectives
autoi'es, arrancando desde los tiempos mâs remotos de que se conservari noticias
hasta que los X'isigodos concluyeron cou la dominaciôn romana en la Penînsula. La
segunda debiera al^razar una traducciôu castellana de todos estos mismos textes,
colocados ya en forma de anales, siguiendo el ôrden regular de los sucesos â que se
refiercn aunque los redactores hubiesen vivido muy posteriormenle â los acontc-
cimientos. El resiimen de estas dos sccciones estaria representado por un Indice en
estremo detallado de nombres y materias con indicaciôn exacta de las fuentes histô-
ricas de que proccdian, lodo ello precedido de una introducciôn crilica en la que se
diera cuenta de la importancia de cada autor estraclado, de dôude tome sus iiifor-
maciones y dcl crédito que debiera darse â sus alirmaciones. La segunda parte de
esta obi-a habia de abrazar ante todo los fotograbados nids exactes de las variantes
cpigrâficas de las moncdas griegas, pûnicas, ibéricas, obulconenses y tartcsias
acuiïadas en las Hispanias ademâs de las inscripciônes îberas, cuyes originales se
conservan, adicionados con les Iraslados mâs fieles de las que de ellas hubiesen desa-
parecido. Como corolario indispensable de toda esta série de tan importantes como
anliquisimos documentes hispanos se hacia indispensable una nueva seccién desti-
nada al estudio detenido de los diverses alfabelos no romanos usados en la penînsula
antes que terminara la segunda guerra pûnica coinparândolos con los mâs arcâicos,
fenicios, helenes é italiota, tratando sin la mener violencia de haccr la concordancia
mâs racional de estos ûltimos con los ibères, obulconenses y tartesios. Sirviendo de
introducciôn â materia tan abstrusa fuera de todo punto imprcscindible hacer pré-
céder esta segunda parte de un prefacio en el que se espusiera la marcha que habia
seguido la histeria en orden â la manera de redactarla por escribas y cronistas desde
que se comenzaron âgrabar en les mures de los temples egii^cios les primeros anales
faraônicos hasta que Mariana hace imprimir su historia neo-latina de Espana,
seguido todo ello de una esposicién abrazando el desarrollo que entre nosolros ha
2l8 BULLETIN HISPANIQUE
No por ello quiso sin embargo la suerte que dejase de
ocuparme de las cosas antiguas referentes a Malaca, ya respon-
diendo a dudas suscitadas por la interpretacion del célèbre
pasage de Avieno sobre la supuesta Isla, la laguna y el puerto
seguro, que afirma el autor del periplo del siglo vi antes de
J. C. traducido por Avieno cerca de nueve mas tarde, que se
encontraba en frente de dicha ciudad bastulopena, ya con el
intento de reunir en pocas paginas la nota detallada de los
descubrimientos arqueologicos realizados en su recinto 6 en
algunos puntos de la misma provincia, sin que ninguno de
estos trabajos destinados al estrangero debiera imprimirse
dentro sino fuera de Espana. Pero entre todos los hallazgos
inéditos realizados en esta poblacion ùltimamente, hay espe-
cialmente très por demâs curiosos sobre los cuales no me he
atrevido 6 no he podido formar un juicio cabal que me con-
dujera a una exacta clasificacion^ si bien he creido de algun
interés Ôonsignar sus especiales circunstancias haciéndolos a
la vez del dominio pùblico, para evitar que pasen con mi
silencio al inmenso espoliario del olvido, donde van à perecer
tantas grandezas humanas.
I
El viejo castillo de Gibralfaro dominaba en el siglo xv,
cuando tuvo lugar la reconquista de la Mâlaga arabe, el
antiguo puerto de mar, boy completamente cegado, que se
estendîa desde el sitio en que comienza el camino actual de la
Farola terminando en las inmediaciones de la desembocadura
lenido la ciencia numismalica desde Antonio Agustîn hasta Celeslino Pujols y Camps
y en el estrangero desde Eneas Vico â Spanhein y de Bartholomé Borghesi â
Mommsen. El complemento de esta segunda parte habria de ser otro Index rerurn et
verborum de esta segunda parle, distinto é independiente del priniero. No me faltaron
alientos para emprcnder desde luego animoso este vasto Corpus fonlium Idstoricarum
ad Hispaniam speclantium, que conflaba llcvar â termino en un plazo no muy largo, de
pocos aiïos si Dios me los concedi'a de vida y me daba fuerza y perseverancia para
ello. Pero vino à matar mis ilusiones anulando mis energias el ùltimo desengano
sufrido, lan inesperado en tal momenlo, que puso termino por entonces â la série de
tantos otros como habia recibido. Quedaron, pues, sin terminar estos trabajos, si
bien redactados, sino corregidos, los primeros que eran para mi los mâs dificiles, y
po lie de volver ya â emprender los demâs que aun me restan.
TRES OnjETOS MAL.VCITANOS DE ÉPOCA. INCIEUT V 2IQ
del Guadalmedina». Al pie del cerro sobre el cual se asienta la
indicada fortaleza, corrîa, faldeando el monte, el camino, que
de esta ciudad iba a Vêlez. Al lado izquierdo de esta vîa en
direccioii del sol saliente, slguiendo la pendienle de aquella
montaila hasta el lug-ar en que da paso a una canada, se han
enconlrado varios sopulcros, formados algunos de ellos de
ladrillos y tcjas de inuclio mayor grueso y dimensiones que
los usados por los musulmanes en la edad média, y por los
cristianos en la moderna, en este rincon de Andalucîa. Otras
de estas tumbas aparecian construidas con grandes lajas de
pizarra que por allî se encuentran profundamente clavadas en
tierra formando el arca, que habîa de recibir el cuerpo muerto,
que se cubrîa luego con otras losas de piedra sin labrar como
las de los costados. Dentro de estas cavidades se han encon-
trado huesos humanos sin quemar, algunos objetos de cera-
mica como lucernas y unguentarios, varias alhajas como
un par de zarcillos y dos puiseras de plata de forma sencillî-
sima y un anillo de oro en cuya piedra se ve grabado un
lebrel corriendo como el que aparece en los reversos de las
monedas consulares de la familia Postumia 2. Todos estos
objetos han sido vistos por mi y existen hoy en el Museo
Loringiano.
Alla por los aîlos de 1887, al hacer un desmonte por aquellas
alturas se dio con un grupo de tumbas como las ya indicadas
que ofrecieron tambien su contingente de pequenos objetos de
cerâmica ademas de diversas monedas romanas de cobre de
escaso valor, como de gente pobre que no habiendo dejado
bienes con que costear los crecidos gastos de la incineracion
y el columbario, eran soterrados sin quemar, a la manera que
se observa en los enterramientos de los esclavos de las grandes
posesiones de campo descubiertos en nuestra Vega. En uno de
los sepulcros de las faldas del Gibralfaro de la época que acabo
de indicar, al levantar las losas que lo cubrîan, no pudo menos
de llamar la atencion el verlo completamente relleno de cal
1. Jorge Braum, Civitatcs orbis terranim. Colonia, 1372. Visla en perspecliva de
Malaga.
2. Cohen, Monnaies de la République romaine, page 272, n° S, lab. XXXV, n* 7.
520 BULLETIN! HISPANIQUE
hasta los bordes, cuya cal descompuesta primero por la accion
de las filtraciones del terreno y endurecida después por el
ardiente sol de nuestros veranos, no era posible sacar del
arca funeraria sino rompiéndola, habiendo mostrado al saltar
los primeros pedazos que se habîan estampado en ella los
contornos del cadaver que habia cubierto reproduciendo a la
vez los pliegues del ancho ropage que lo envolvia. Al tener
noticia de este descubrimienlo D" Eduardo J. Navarro fué
inmediatamente a visitar la indicada tumba, examinando los
huesos de la persona allî inhumada y los pequenos objetos de
barro dentro de ella encontrados, sacando la convicciôii por
cuantos detalles observé, que se trataba de una sepultura
romana destinada a persona no muy acomodada. Pero sobre
todo tuvo la satisfaccion de evitar que fuese destruîdo un
trozo de este curiosisimo molde formado por el acaso, que
comprendi'a la cabeza de la persona encerrada alli por tantos
aiios, llevando su amabilidad hasta el estremo de regalarmelo
al volver yo del estrangero, donde me encontraba al veri-
ficarse el hallazgo, del que me dio los cumplidos detalles que
he trascrito. Bastantes afios llevaba de tener en mi poder esta
mascara sin haber encontrado quien me sacara un vaciado sino
a molde perdido, lo cual no queria consentir, cuando en los
primeros meses de 1899 acerto a venir de Granada, a restablecer
su salud, un joven escultor que con pericia suma se ofrecio a
complacerme sacando la reproduccion^ dejando intégra la
estampacion del modelo como lo hizo en los dos ejemplares que
reproducen los dos fotograbados que acompanan à estas lineas.
No puedo espresar con palabras el vivo interés con que seguia
las diestras manipulaciones del entendido artista y la ansiedad
tan grande con que vî salir de entre sus manos el primer
vaciado de aquella cabeza innominada, cuyas muertas facciones
volvia a iluminar el sol después de mas de mil y quinientos
anos de haber estado oculta bajo tierra. No es posible com-
prender la sorpresa que me causé contemplar tan estrana
figura, que parecia representar la exacta cabeza de una mora
tal como las habia visto en el Soco de Tanger con su ancho
manto blanco casi velandole el rostro y ocultàndole por com-
TRES OBJETOS M\I.\CITA.NOS DE KPOC.V INCIEIVT.Y 32 1
pleto el cabello, mientras el grueso cmbozo cruzando de un
hombro a otro por debajo de la nariz, le cubria la boca. Pero
era imposible aceptar semejante conjetura, no siendo dable
suponer que se hubiera exhumado el cadaver de un sepulcro
romano, dejando sin embargo en su interior los objetos de
barro que contenia, para que sirviese de tumba a una maho-
metana que hubiese venido a la Hispania durante la segunda
guerra pûnica 6 Iras las huestes de Tarik a la caîda de la
monarquîa visigolica. Gonfieso que me preocupo largo tiempo
la solucion de esta duda que no acertaba a esplicarme satisfac-
toriamente. Recordaba haber visto estatuas de vestales cubierta
la cabeza con el amictus, que Festo dcnomina suffibiilum, por
que se abrochaba por debajo de la barba con una fibula ', de
emperatrices y de emperadores con el mismo tocado en circuns-
tancias anâlogas; pero no era posible suponer que la sepultada
al pié delGibralfaro hubiese sido una sacerdotisa de Vesta ni una
soberana de Ronia, quienes Imbieran sido quemadas al morir
con toda pompa y recogidas sus cenizas en copas de métal
precioso. Dirigiendo mis investigaciones por 'otro lado traje
también a la memoria esculturas de simples matronas cubiertas
con espeso manto cayendo sobre la frente como una estatua
funeraria de la Farnesina en Roma, otra descubierta en la via
de las tumbas en Pompeya^, y como la ligura de la supuesta
madré de Goriolano que se ve en el pasco de las Thermas de
Tito; pero ninguna de estas cabezas aparecia teniendo por el
lado de la cara la boca tapada. En cambio esta circunstancia
especial concurre precisamente en una preciosa estatuita de
barro del Colegio romano cubierta con la xaAJTrtpa de las jovenes
griegas, que usaban también las italiotas^ y daba entonces a
las que semejante tocado usaban el exactîsimo aspecto que
ofrecen las mauritanas de hoy vestidas con anâloga indumen-
taria. La cabeza de la citada estatuita de barro del aludido
Museo era en efecto exactamente anâloga en la manera como
aparecia cubierta con el manto, que la envolvia, al vaciado
1. Feslus, vo Suffibulum.
2. Reinach, fiépert. de la stat. grecque et rom., II, pag-. 6G8, n. 5; pag. 6G9, n. G.
3. Festus, v" Calyptra.
2 22 BULLETIN HISPANIQUE
también de barro del molde encontrado en el sepulcro romano
de la antigua via de Malaca a Vêlez, cuya mascara pudo ser del
rostro de alguna contuvernal de cualquier esclavo rural, acaso
el actor 6 el villicus de determinado fando subarbanuniK En este
punto parece que no podia caber duda que se trataba de una
esclava 6 de una liberta sin fortuna, acaso agregada esta ùltima
al servicio de la casa de un patrono, y que muerta en la
ciudad 6 extra maros habîa sido enterrada en una modestisima
tumba por los cuidados de sus mas allegados parientes que no
poseîan bienes para permitirse otros dispendios. Desde luego
se colige que no era una muger anciana sino rayaua en los
treinta anos; lo hundido de los ojos y lo saliente de los pômulos
acusan los estragos de la enfermedad que la privé de la vida.
Lo que no es posible fijar en manera alguna es la época en que
hubo de morir, como no sea de una manera conjetural. Como
quiera que Malaca fué una ciudad autonoma, federada de Roma,
que al final del periodo cartaginés acuno moneda pùnica de
cobre y del 82 al 84 de J. G. obluvo por voluntad propia y sin
imposiciôn alguna la categoria de municipio de derecho latino,
recibiendo de Roma un codigo de leyes del que aun se conserva
una tabla conteniendo varias riibricas de tan interesante copi-
lacion juridica, pudiera suponerse que hasta la romanizacion
compléta de la ciudad no hubo de verificarse la inhumacion
de aquella pobre muger. En efecto desde fines del primer siglo,
adoptada la legislacion, las costumbres, el traje y la religion
de la capital del Imperio, comienza la nueva vida de la Malaca
romana a la que ponen término en el siglo v las sucesivas
invasiones visigoticas que concluyeron de una vez con la domi-
nacion romana de la peninsula. En los très siglos que médian
del uno al otro acontecimiento acaso séria sepultado ese cadavcr
cuyas facciones ha reproducido la fotografia quince siglos
después de haber desaparecido del mundo de los vivos.
I. Sabido es que el sudarium entre los romanos equivalia a nuestro panuelo de
bolsillo y que los cadàveres eran vestidos antes de Uevarlos al buslutn, al ustrinum à
al sepulcrum como acostumbraban â cslar en vida.
TRES OBJETOS MALACITANOS DE ÉPOCA INCIERTA 2 23
II
Por los anos de l8c)^ mi excelente amigo D" Domingo de
Orueta, geologo que fué dislinguidisimo, me manifesto que
haria unos veinte las nuevas dragas traidas para limpiar los
fondos del viejo puerto de Malaga, después de algun tiempo
de trabajo en frente de la que fué oficina de sanidad, sitio hoy
por completo terraplenado, sacaron en los gângiles una barra
cuadrada de plomo, que afectaba la forma de un arco de cîrculo
en cuyo centro se encontraban practicadas dos hendiduras en
las que debieron encajar las espigas de un mango. El cua-
drado en que estas dos hendiduras se encontraban era de
7 centimetros de alto, ancho y grueso y el brazo de cada uno
de los lados ténia unalongitud de 21 milimetros por un espesor
en su arranque de unos 35 milimetros reducidos a su final a
unos 18, siendo su largo total de medio métro. El ingeniero
encargado de aquellas obras regalo tan estrano objeto à la
Academia de Ciencias fisicas y naturales de esta ciudad, de
la que en mas de una ocasion habîa sido présidente el indicado
Sr. Orueta, que lo hizo guardar en la pequeîia coleccion de
aquella sociedad, donde lo he examinado con detencion y
hecho fotografiar de frente y de costado. Habîan pasado algunos
anos desde su descubrimiento cuando tuve noticia y examiné
esta barra de plomo, clasificada, no se por quién ni el funda-
mento en que se apoyaba, de Ancla fenicia. Recordaba que
Diodoro Siculo en el siglo que precedio a J. G. dejo escrito que
aquellos négociantes asiâticos, por los objetos de pacotilla de
escaso valor que ofrecîan a los terratenientes de la peninsula
liispana, permutaban la plata que encontraban entre los iberos
en copiosa existencia por desconocer estos su aplicaciôn, con
lo que aquellos alcanzaban grandes beneficios, por lo que,
impulsados del deseo de lograr taies ganancias, viendo que
llenas sus naves del dicho métal precioso, aun quedaba mucho
en tierra por cargar todavia, idearon el suprimir el plomo de
las anclas sustituyéndolo con plata '. Pero apesar de este testi-
I. Diod. Sic, V, XXXV, V
224 BULLETIN HISPANIQUE
monio no encontraba que el trozo de aquel métal sacado del
fondo de la antigua ensenada malacitana hubiese nunca podido
servir de ancla, porque semejante barra con ser de plomo no
ofrecia la bastante resistencia para penetrar en la aiena conte-
niendo al buque sin garrear, si bien su hechura se ajustaba a
alguna de las diversas formas de âncorasantiquisimascomo las
que se ven gravadas en varias monedas de Hatria de los Petru-
cianos y de Tiider de la Umbria*. Preocupado con taies incerti-
dumbres acudi a mi inolvidable amigo el profesor Hûbner,
quien por su parte quiso oir antes el parecer del Sr. W. Assman,
erudito berlines, especialista en nâutica antigua, quien le
aseguro que un pedazo de plomo muy semejante al de Mâlaga
se habîa encontrado en Cyrene de Africa y aparece figurado
en una obra inglesa sobre buques antiguos^. Como las anclas
en gênerai se componen desde los tiempos mas remotos de
très partes 6 séanse de uîîas, que son las que se clavan en el
fondo del mar, de cana, que es la barra de hierro a cuyo
estremo encajan las unas por su centro, y de cepo ô parte
superior, que va sujeto al otro estremo de la cana y con su
peso ayuda a la accion de las unas para hacerlas entrar mas
profundamente en la arena, résulta que el trozo de plomo
encontrado en el que fué puerto de Mâlaga, como en el de
Cyrene, corresponde a la parte del ancla llamada cepo. Y puede
asî afirmarse con tanta mayor seguridad cuanto segûn el mismo
seilor se encontraron también en Cyrene otros dos fragmentos
al parecer de las unas, en uno de los cuales se veîa la inscripcion
griega ZEYC-YriATOCj tal vez el nombre del buque que acaso
se llamaba 6 estuviera consagrado a Jupiter sumo. Elya aludido
Sr. Assman no duda que sea igualmente antiguo el fragmente
malacitano, si bien no estima que baya datos bastantes para
afirmar que sea fenicio, griego. 6 romano; pero si que no es
de la edad média ni posterior a la reconquista, porque los cepos
de estas dos épocas no eran de plomo. Me anade ademâs el
mismo profesor Hûbner que segûn informes recogidos en
el Museo de Berlin puede asegurarme que en Atenas y en
1. Carrucci, Le monete deW Italia antica, tab. LXII, n. 3; tab. LVI, n. 7 y 8.
2. Cecil Torr, Ancient Ships, fîg. 45.
TUES ObJETOS AIALAGITANOS DE EPOCA INCIERTA 2 33
Salamina haii aparecido también olros dos fragmenlos analogos
al de Mâlaea,
III
En el mes de Agosto de i888 al abrir una atargea en la casa
n" i5 de la calle de Andrés Pérez de esta ciudad, como a dos
6 très métros de profundidad de la rasante del suelo actual,
hubo que atravesar las medianerias de la finca contigua que
sale a la calle de Pozos Dulces y esta demarcada con el n° 3i.
Al bacer esta reparacion, entre varios restos de cerâmica
vieja, de que no he podido tener noticia exacta, bubo de
encontrarse, segûn aseguraba el dueno de ambas fmcas, que
no se cuido de fijar los detalles del hallazgo, un busto
diminuto y precioso de barro, que cedio el propletario a
D" Eduardo J. Navarro, quien tuvo la amabilidad de regalar-
melo y conservo en mi poder, Aparece sin deterioro alguno y a
primera visla trae a la memoria otras figuras anâlogas, que
habiendo sido juguetes, crepundia, de alguna nina romana
muerta prematuramente, sus desolados padres las colocaban
en la tumba de su hija como postrer recuerdo de carino. Y en
efecto inducia a bacer semejante conjetura el considerar que,
en la misma calle de Andrés Pérez i, à pocos métros de dis-
tancia de la primera casa citada^, se descubrieron en 1875
monedas y cerâmica romanas, como también a très métros
bajo tierra, un alaud de plomo con restos humanos y algunos
dijes de oro en perfecto estado de conservacion que al présente
se encuentran en el Museo Loringiano^.
Mide el pequenisimo busto de barro, que boy poseo, cuatro
centîmetros de alto descansando en una pcana de cinco mili-
metros. El molde en que fué vaciado debio ser finîsimo y de
una ejecuciôn muy delicada, componiéndose de dos mitades,
la una que comprendia la cara y el pecho, asî como la otra la
mayor parte de la cabeza y la espalda. El artifice que vacio la
t. N°' 6 y 8 de la acera de enfrenle.
a. N' i5.
3. El nuevo Bronce de Ildlica, Apcnd. 2", pag. Sacj.
220 BULLETIX HISPANIQUE
figurilla encontrada, bien por falta de pericia 6 para aligerar
el trabajo que preparaba para el horno, al unir una milad del
buslo cou la otra solo trato de quitarle la rebaba mas saliente
producida por dicha union en los dos lados y por encima de
la cabeza, sin cuidarse de marcar con el buril al redcdor de
dicha zona el pelo, que faltaba, siguiendo sus ondulaciones
que bajan suaves, llevando el cabello hasta los hombros y
sobre la espalda, teniéndolo mu\ correctamente cortado en la
frenle y cayendo suelto, flexible y sin rizos, por detràs sujeto
por una ancha cinta labrada, que le cine la cabeza y figura
anudada en el lado izquierdo con un gran lazo que cae airoso
por aquel mismo sitio. Sobre el pecho de abultadas formas que
por la manera que figura levantado induce a suponer que se
quiso represcntar sujelo por el mamilar, aparece, sino el borde
superior de la tûnica, los gruesos pliegues del manto, que cruza
de un hombro a otro formando en el centro airoso y artistico
seno.
Gomo acabo de decir, el adorno de la cabeza afecta la forma
de una faja estrecha recamada de oro, bordada sobre una cinta
con la que ceilian las mageres la f rente, como en el siglo sexto
describia san Isidro de Sevilla el nimbus^, que Arnobio deno-
mina tinibus^, como Claudiano^. La manera como acabo de
decir que aparece tratado por el artista el cabello de esta
pequena cabeza trae a la memoria desde luego las palabras de
Varron cuando afirma que en lo antiguo no hubo peluqueros en
Roma, como lo muestran las estatuas de los antiguos, cuya mayor
parte tiene el cabello y la barba largas^, habiendo sido segûn
Plinio el viejo el priniero de todos los romanos que eslableciô
el afeitarse diariamente Scipion el Africano très siglos antes de
J. G. 5, y en cuanto a los matronas, el mismo Varron refiere
I. Isid. hispal. Orig. XIX, XXXI, a.
a. Arnob., Adveisus nationes, II. lu: « inmiuuerunt frontes limbis.»
3. Glaud., De Malli Theodos. Cons V. ii8: « continuo frontem limbo velatam
pudicam.» Sobre otros significados de nimbus y de limbus pueden verse Isid. Orig.,
XXIII. X. 3. Serv. in Aen. I. v. 55. Nonius De comp. doct. 54i. Serv. in Aen. II. 6i5. Al
decir faja recamada de oro describiendo el adorno de la pequena escultura, no es por
que aparezca asi propiamente en la figurilla sino por trasladar fielmente la descripciôn
de San Isidro de Sevilla.
4. Var., R. R., u, lo.
5. Plin., H. N., VII, an.
TUES OBJETOS MAI.ACITA.NOS DE EPOGA INCIERTA 337
que las madrés de familia se retorclan el cabello sobre la nuca,
sujeidndolo cori una cinia llamada villa, cuyo cogido se decia
tulalus^. En tiempo de Augusto eran ya vaiios y mas compli-
cados los peinados de las mugeres romanas^ como lo demues-
tran las moiiedas que consenan grabadas las cabczas de las
emperatrices con pelucas y aûadidos en extremo caprichosos
entre las que sobresalîa la moda de las cabelleras confeccio-
nadas con pelo rubio traîdo de Alemania^ cuando no se tenîan
con algun espccîfico' cuyo nombre han conseivado los poetas
satii'icos de la época y son hoy de estremada actualidad. La
suave flexibilidad del cabello de esta graciosa figurita, su
natural posicion, tcndido sobre la espalda sin trenzas y sin
rizos, parece como que acusa una moda anterior a Ovidio y a
Marcial, que alcanzaron esos peinados anliestcticos que vulga-
rizaron las soberanas con su estragado gusto al comenzar el
imperio.
Pero apesar de lodas estas coincidencias y de asegurarse que
tan pequeno busto de muger se encontre entre varios
fragmentos de ceramica antigua, confieso ingenuamente que
para mi estriba toda la dificultad en fijar con probabilidades
de acierto la época en que pudo ser esculpido el original de
que se saco la matriz en que se moldeo esta figurita, no
atrcviéndome à afirmar si lo ejecutaria un artista del periodo
romano, del renacimiento 6 de fecha aun mas moderna. La
cara de estaesculturita siendo preciosano parece de tipo arcaico,
encontrândose perfectamentc conservada para haber estado
quince siglos bajo ticrra, no debiendo olvidarse por otra
parte que en la centuria décima séptima se liallaba esta-
blecido en Mâlaga Juan de Mena, discipulo de Alonso Cano,
que murio en 1693, siendo enterrado en el convento del Gister,
donde profesaron dos de sus hijos.
En resùmen, pues, très son los objetos mas 6 menos anti-
guos, aun inéditos, encontrados, uno de ellos dentro del
recinto de la Malaca romana y los otros dos extra miiros, a
I. Varr., L. L., VII, Uk.
a. Ovid., Ars alnandi, III, vv. i33 â 168.
3. Ovid., Amor. I, i4, 45. Ars ainandi, III, v. iGô.
!i. Mart. XIV. 2G y VIII, 33.
228 BULLETIN HISPAMQUE
cortîsima distancia de las murallas del viejo municipio, en el
puerto de mar y en el castillo. Al darlos a conocer he estado
muy lejos de considerar que haya procedido con acierto al
intentai' clasificarlos, sino tan solo espuesto algunas conjeturas
mas o menos probables y no otra cosa, dejando el formular
apreciaciones concretas a quiencs para ello se consideran
autorizados, puesto que por mi parte solo habré de repetir al
terminar : nos rem in medio relinquinius.
Alhaun'n el Grande, aide Octubre de igoi.
IV
Hacîa tiempo que tenîa redactado el papel précédente y me
disponia a darlo a la imprenta, cuando debi a la amabilidad
de Mr. Pierre Paris el conocer su interesante arliculo publicado
en los Mélanges Perrot, sobre cierto Bijou phénicien trouvé en
Espagne. No tengo mas que elogios que tributar a este estudio;
pero en conciencia me veo obligado à hacer una ligera recti-
ficacion sobre la procedencia de la joya en cuestion. Dice mi
distinguido amigo el autor : C'est une pendeloque de collier ou
bracelet en or trouvé à Mdlaga, y por mas que no me sea posi-
ble dudar que asi se lo hayan afirmado a su actual poseedor,
me considero en el deber ineludible de espresarle que mien-
tras una persona de reconocida formalidad no manifieste donde
y cuando lo vio descubrir, no me es posible dar crédite a
semejante afirmacion, movido, entre otras razones, por mi
larga esperiencia en semejante género de noticias inventadas
espresamente para facilitar con tal aliciente los medios de
venta.
Aqui como en otras capitales de la Penînsula hay corto
numéro de industriales que, ejerciendo el conocido oficio de
ropavejero con el titulo pomposo, que ellos mismos se dan de
anticaarios, no solo se permiten clasificar los objetos que ofre-
cen en venta, sino que también forjan la novela de su hallazgo
con todos los atractivos que a mano encuentran. En mi juven-
tud cuando se desarroUo entre los malaguefios mas acauda-
TRES OBJETOS MALACITANOS DE ÉPOCA IMCIERTA 239
lados la aficion à los cuadros antiguos, se ofrecîan en abun-
dancia por estos corredores intruses supuestos y abundantes
lienzos de Morales y Zurbaran, de Rubens y del Espanoleto,
de Velâzquez y de Murillo. Paso esta moda como tantas otras
y hoy la afluencia de forasteros îi la poblacion, como estacion
invernal, en determinada época del afio, ha provocado cierta
aficion a las antigûedades locales, dando riendas suellas a la
fecunda inventiva de los celebérrimos baralillcios. He visto
ofrecer en venta como encontrado en las faldas del Gibralfaro
un ainuleto egipcio traîdo desde Alejandria a Gibraltar por un
inglés que vivia en dicho Pefi6n,de cuvo objeto se deshicieron
los hijos al quedar huérfanos. He tenido en la mano y exami-
nado con dctencion un pequenisimo Des de métal de esmerada
ejecucion comprado por su dueno a un marinero de los que
navegan en pequenos barcos de cabotage siempre a la vista de
las playaSj'quien lo habia adquirido a su vez en un punto de la
Costa vecina a Adra. El tal dije salio al mercado como descu-
bierto al abrir la gran via que une la Alameda à la Plaza
principal de la poblacion.
Por ùltimo lei en su dîa una estensa relaciôn de persona que
se tiene por muy périta en todo linaje de conocimientos,
dando cuenta a un amigo ausente de como se habian presen-
tado en Mâlaga los primeros cacharros de barro que conside-
raba prehistoricos, que procedian de la celebérrima fabricacion
murciana de la Alfaveria de Totana, asegurando muy serio por
conclusion que el a/iticiiario que los ofrecia en venta, hombre
de estrecha concieiicia, afirmaba que el hallazgo de aquella
ceràmica peregrina se habia verificado cerca de Màlaga en los
llamados Cantales de la costa de levante, donde aseguran Jos
topolatras del pais que esta situada la célèbre cueva que deno-
minan de Craso, de que habia Plutarco en la vida de tan
conocido agitador romanoi. Y aqui me détendre por no acu-
mular mas testimonios innecesarios.
Si el dije fenicio tan eruditamente ilustrado por el Sr.
Paris se hubiera encontrado en Malaga, dado el caracter
esencialmente comunicativo de sus moradores, se hace dificil
I. Plut. Cras. VI.
Bull, hispan. 16
230 BULLETIN HISPANIQUE
comprender que sigilosamente se hubiera Uevado a Madrid para
darle alli salida, sin que antes no hubiese llegado la noticia de
su hallazgo a los oidos de los diferentes sujetos que en esta
ciudad se muestran aficionados a semejante género de adqui-
siciones, entre los que se cuentan personas que me son muy
allegadas, y que tal cosa sucediera sin dejar el menor rastro de
semejante descubrimiento. Por todo ello y aunque no tengo
fundamento alguno para dudar de que baya sido encontrado
en Espafia y hasta si se quiere en Andalucia, me sobran sin
embargo motivos para dudar que hubiese aparecido en Mâlaga,
donde de continuo resido, mientras alguién del pais, que me
merezca crédito, no manifieste claramente la época, el lagar
y la ocasiôn en que hubo de verifîcarse semejante hallazgo k
M.-R. DE BERLÂNGA.
Mâlaga, ai Diciembre de 1902.
1. En el numéro 4 del tomo IV de este Bulletin à las paginas 291 y 292 aparecen en
cinco lugares distintos los signes ibéricos r ASc) en vez de la forma genuina
A r > C- que es como deben corregirse aquellos.
PRUDENCE ET LES BASQUES
Dans mes recherches sur l'histoire des Basques, histoire si
obscure dans la période qui s'étend depuis deux ou trois
siècles avant l'ère chrétienne jusqu'à sept ou huit siècles après,
je ne pouvais négliger ce grand poète chrétien, qui vécut, au
moins les dernières années de sa vie, dans la ville antique
de Calahorra sur l'Èbre. Le nom latin môme de Calahorra,
Calagurris, rappelle la langue basque, Escuara. Quelle que soit
la signification des premières syllabes ', les deux dernières sont
presque certainement le basque gorri, «rouge», qui paraît
encore aujourd'hui dans Mendigorri, «mont rouge», Bcugorry,
« fleuve rouge», écrit en 980 Baigiir^. Deux fois nous trouvons
le mot écrit Calagori, Calagorritanis^.
Nous pouvons donc espérer trouver quelques renseignements
sur les Basques, quelques allusions à leurs mœurs et coutumes,
à leur genre de vie, dans les œuvres d'un poète habitant de
la vieille cité euskarienne. Ce n'est que depuis son retour
de Rome, et pendant son séjour à Calahorra, que Prudence
a commencé d'écrire ou de publier ses poèmes.
Il me faut avouer, dès le commencement de ces notes, que
je n'ai pas trouvé dans les vers de Prudence tout ce que
je m'attendais à y découvrir. D'abord, Prudence fut chrétien, il
n'était pas du tout en sympathie avec le paganisme, ni avec ce
qui restait du paganisme parmi les Basques de son temps.
11 aimait avec passion le culte et la liturgie chrétienne, il l'a
enrichie des plus belles de ses hymnes ; il a chanté presque
le premier les gloires et les mérites des martyrs chrétiens de
1. Kala, en basque, signifie « sonde », « ligne de sonde ». Ce mot pourrait avoir rap-
port avec la présence de la rivière Èbre, le Vasco Iberas; Peristephanon, Hymne il, 537.
2. Paul Raymond, Dictionnaire topographique du département des Basses-Pyrénées,
s. V. Paris, Impr. nationale, i8G3.
3. Corpus inscriptionum latinarum, t. II, agôg, 'Callagori; Iu'aô, Calagorrit. Voyez
aussi C. I. L., V, 6987, et Calaguris (var. Caligorris, Calagorris, Ausonc, Epist., XXIV,
57, édit. Schenkl. Hûbncr, Monumenla linguac Ibericae,p. 227, Berlin, i8g3. Calagorris
aussi dans un manuscrit de Prudence, Drcssel, p. 34a).
332 BULLETIN HISPANIQUE
sa patrie. Son plus long poème consiste en deux livres Contra
Symmachum, le dernier grand païen à Rome, dont la défaite au
Sénat, sur la question de l'autel de la Victoire, marque la défaite
décisive du culte païen par le culte chrétien. De plus. Prudence
fut romain. Le latin, à cette époque, était la langue non pas
seulement officielle, mais naturalisée en Espagne. Les classes
élevées et littéraires avaient perdu, il semble, l'usage de tout
autre idiome. Il n'y a pas un mot qui dénote la moindre con-
naissance de l'Escuara par Prudence. Enfin, comme romain,
quoique provincial, ayant vécu pendant plusieurs années à
Rome même (co ter, quaterque et septies Beatus Urbis incola) i,
savant, bien élevé, il méprisait la bruta quondam Vasconum
gentilitas^. Mais, — lorsqu'il chante les dix-huit martyrs de
Saragosse fCaesaraugusia studiosa Christi)^, les martyrs Heme-
terius et Chelidonius, Calagurritani, Martyr um cum membra nostro
consecravit oppido, sospitant quae mine colonos quos Iberus allait^,
et les martyrs de Tarragone, quorum praesidio fovemur omnes
terrarum populi Pyrenearumô^ — il se souvient avec orgueil de
son pays natal. Peut-être pouvons-nous conclure d'une phrase
de l'hymne intitulé Passio S. Cypriani martyris, — Christum
serit ultimis Iberis^, — que toutes les populations du nord de
l'Espagne n'étaient pas encore entièrement converties au chris-
tianisme quand Prudence écrivait. Ailleurs, ces indications
sont rares, et ce n'est que dans l'hymne Circa exequias defuncti
que j'ai trouvé un peu de ce que je cherchais.
Nous avons une mention des rites funèbres des tribus
d'Espagne dans le poème Punicorum de Silius Italicus :
Venere et Celtae sociati nomen Hiberis :
His pugna cecidisse decas corpusque cremari
1. Peristephanon, II, 629.
a. Perist., I, 94.
3. IV, 54.
4. I, 116.
5. VI, i46-i47.
6. XIII, io4. Nous citons le plus souvent d'après l'édition Dressel (Leipzig, 1860),
mais il est bon de consulter toujours l'édition célèbre d'Arevalus, 1788, réimprimée
par Migne, Patrologiae cursus completus, t. LIX, LX.
PRUDENCE ET LES BASQUES a33
Taie nefas ; caelo credant superisque referri,
Impastus carpal si membra jacentia valtur'.
Je ne sais si l'on ne peut pas regarder comme une réminis-
cence de ces lignes les vers de Prudence :
Rescissa sed ista seorsum
Proprios revocanlur in ortus.
Petit halitus aethera fervens,
Humus excipit arida corpus '.
At si generis memor ignis
Contagia pigra reciiset,
Vehit hospita viscera secam
Pariterque reportât ad astral.
et dans le Peristephanon, hymne I :
Jamne credis, briita quondain Vasconum gentilitas,
Quam sacrum crudelis error immolarit sanguinem ?
Credis, in Deam relatos hostiaram spiritus ?'■*
OU s'ils ne sont que des phrases communes à tout poète
chrétien de l'époque. 11 est certain que l'on trouve des phrases
semblables sur les inscriptions des tombes chrétiennes de
l'Espagne 5.
Dans l'hymne Circa exequias, on lit :
Honor uliimus accipit artiis
Etfuneris ambitus ornât.
Candore nitentia claro
Praeiendere lintea mos est,
Aspersaque myrrha Sabaeo
Corpus medicamine servat^î.
Gela semble se rapporter à deux habitudes condamnées par
les Conciles de l'Église, mais qui se sont longtemps conservées
1. Silius Italicus, Punicorum Lib., III, 34o-3/43, édit. Bauer.
2. C'est le Cathemerinon X de l'édit. Dressel. Vers 9- 12, note. Migne, t. LIX, col.
87G; voyez sur ces vers Dressel, p. 69, note.
3. V. ag-Si.
4. Vers 94-96.
5. Hûbner, Inscriptiones Hispaniae Christianae, Berlin, 1871.
6. V. 47-53.
23^ BULLETDi HISPANIQUE
chez les Basques. La première coutume est celle d'habiller le
cadavre des vêtements sacerdotaux ou ecclésiastiques. La
deuxième est d'envelopper le corps de draps blancs.
I. — Il est formellement défendu dans plusieurs Conciles de
l'Église de couvrir le corps des défunts de vêtements ecclésias-
tiques.
Concilium Arvernense primum, a. D. 535. — Can. III : Cad.wera
MORTUORUM NON OBVOLVENDA PALLis SACR.vTis. Observandum ne
pallis (ecclesiae) vel minisieriis divinis defunctonim corpora obvol-
vantur. — Can. VII : Ne opertorio corporis dominici defuncti
SACERDOTis CORPUS OBTEGATUR. Neopertoriodomiiiicicorporis sacer-
dotis unquam corpus, duni ad tumulum evehetur, ohtegatar, ne
(et 9) sacro velamine usibus suis reddito, duni honorantur corpora,
altaria poUuantur. — Sirmond, I, p. 2^2 et 2^3; Maassen, p. 67.
Concilium Autissiodorense , a. D. 678 {?). — Can. XII : Nemortuis
EUCH.\RISTIA DETUR NECOSCULUM, ET NE VELO VEL PALLA INVOLVANTIA.
Non licei mortuis nec eucharistiam nec osculum iradi, nec vélo vel
pallis corpora eorum involvi. — Sirmond, I, p. 363; Maassen, p. 180.
Dans le beau livre de M. Henry O'Shea, La Maison basque,
il est parlé de l'usage d'enterrer les grands personnages et les
desservants assis et revêtus des insignes de leur rang. Il ajoute
en note : « Un ami de ma famille, l'abbé Marchand, doyen de
Coarraze, fut inhumé de cette façon en 1869. Le maire de
Labarthe- Rivière (arr. de Saint-Gaudens, dép. de la Haute-
Garonne) a bien voulu m'écrire le i4 mai 18S6 : u L'usage dans
» notre contrée, en ce qui concerne l'enterrement des desser-
» vants, est que, lorsqu'un curé a rendu le dernier souffle, on
» l'habille de ses plus beaux habits sacerdotaux, tel qu'il est
» habillé lorsqu'il ofiRcie à la messe, avec des souliers neufs
» qui n'ont jamais été portés. On l'assied dans un fauteuil...,
» ensuite on le met dans la bière tout assis, toujours revêtu de
» de ses ornements, et on le porte à l'église, 011 l'on pose le
» corps sur un catafalque assez élevé et de façon qu'il puisse être
» vu de tout le monde. La cérémonie terminée, le corps tou-
» jours assis, et dans cette posture, et revêtu de ses ornements,
» on referme la bière, et on la descend dans la tombe'. »
I. La Maison basque, notes et impressions, par Henry O'Shea. p. ai, Pau, 1887. .
i>RLDF.Nci: i:t les basques a35
Ce même honneur, d'être habillées des meilleures robes et
ornements de leur ordre, est accordé aux sœurs dans quel-
ques districts du pays basque. On met le cadavre -assis sur un
Hiuteuil au parloir, ou à la salle de l'école. J'ai vu aussi le
corps d'un laïque porté à l'église sur une bière découverte et
vêtu de ses plus beaux habits. Je demandai pourquoi on
l'enterrait ainsi : on m'a répondu que c'était l'habitude de sa
famille.
L'usage est commun en Espagne et en Portugal et dans les
contrées de la Méditerranée : « Le linceul consiste dans les
meilleurs habits et atours que portait dans sa vie celui qui est
maintenant un cadavre. On a soin que la robe ou les habits
soient de couleur noire'. »
11. — Quant aux vers
Candore nilentia claro
Praetendere lintea mos est,
voici ce qu'on en peut dire.
Le comte A. de Laborde, dans son Itinéraire de r Espagne,
dit des Basques : <( La musique et l'apparence de gaieté prési-
dent à l'enterrement des enfants. Lorsque ceux-ci meurent avant
l'âge de raison, ils sont portés à découvert au lieu de la sépul-
ture, revêtus d'habits blancs, et la tête ornée d'une couronne
de roses blanches; des musiciens précèdent le cortège; un
enfant de chœur porte la croix; le cortège en tumulte décèle
sa joie comme pour attester la félicité de l'innocence. La mère
surmonte sa douleur, en offrant au ciel sa résignation.
Quelque peine que puisse éprouver le Bizcaïen, sa foi le rend
impassible, et il prononce tranquillement : Dios lo quiere, Dieu
le veut^. »
En Andalousie, « dans quelques villages, la mort d'un enfant
est, plutôt qu'une occasion de douleur, un motif de fête. Les
parents mêmes, qui pleurent sans consolation la perte de
I. Biblioteca de las Tradiciones populares espanolas, t. I, p. ga; s vol., Séville, i884-
1886. Les habits ne sont pas toujours noirs.
■2. Itinéraire descriptif de l'Espagne, par le comte A. de Laborde, 3* édit., p. 376,
Didot, Paris, 1817. La première édition parut en 1806.
236 RULLETIN HISPANIQUE
l'enfant de leurs entrailles, la célèbrent en dévorant leurs
larmes ' . »
Le passage cité du comte de Laborde a évidemment fourni
au poète anglais William Wordsworth la matière de deux
sonnets :
XXIV
In due observance of an ancient rite.
The rude Biscayans, when their children lie
Dead in tiie sinless time of infancy,
Attire the peaceful corse in vestments white;
And, in like signof doudiess triumph briglit,
They bind the unofîending creature's brows
With happy garlands of the pure white rose :
Then do a festal company unité
In choral song ; and, white the uplifted cross
Of Jésus goes before, the child is borne
Uncovered to his grave ; fis closed — her loss
The Mother then mourns, as she needs must mourn ;
But soon, through Christian faith, is grief subdued ;
And joy returns, to brighten fortitude.
XXV
Feelings ofa noble Biscayan al one of thèse Fanerais.
1810
Yet, yet, Biscayans ! we must meet aur Foes
With fîrmer soûl, yet labour to regain
Our ancient freedom ; else t'were worse than vain
To gather round the hier thèse festal shows.
A garland fashioned of the pure white rose
Becomes not one whose father is a slave ;
Oh ! bear the infant covered to his grave !
Thèse vénérable mountains now enclose
A people sunk in apathy and fear.
If this endure, farewell, for us, ail good !
The awful light of heavenly innocence
I. Biblioteca de las Tradiciones populares, t, I, p. 94.
PRUDENCE ET LES BASQUES 387
Will fail to illuminate Ihe infant's hier ;
And guilt and shame, from which is no defence,
Descend on ail that issues from our blood'.
Le Père G. de Henao, S. J. (1612-1704), dit que de son
temps, dans les endroits où les mœurs castillanes n'avaient pas
encore pénétré, les femmes mariées allaient aux funérailles en
jupes très plissées de drap blanc, la veuve exceptée; les filles
en robes noires ou de couleurs sombres, avec leur chevelure
éparse sur les épaules et sur la figure 2. En Andalousie, «si le
corps est celui d'une jeune fille, on l'habille d'une robe blanche,
et on place sur la tête une couronne de roses blanches ou de
fleurs d'oranger, laquelle se pose sur un voile qui descend
jusqu'aux pieds. Dans quelques villages d'Andalousie, on a
l'habitude de mettre une branche de palmier sur le corps
d'une vierge 3. »
On m'a dit, il y a quarante ans, qu'une coutume pareille
existait alors à Saint-Béat (Haute-Garonne) : on porte à l'église
le corps d'une fille non mariée, n'importe de quel âge, vêtu
de blanc, à bière découverte.
Mais cet usage est maintenant condamné par l'Église :
Feretrum in qiio reconditur corpus puellae aut pueri innuplo-
rum, panno ex lana vel ex serico albo in signum virginilatis co-
operiendum non est. Ubi autem hujusmodi consuetudo invaluerit,
Ha al facile nequeat immuiari, iolerari poiest ; ut fascia nigri
coloris, non tamen in modum crucis, superponatur panno albo; ita
tamen ut in quatuor lateribus appareat, quo fidèles agnoscant
defunctum egere suffragiis, et Ecclesiae precibus etiarn proprias
adjunganf*.
L'usage existe dans plusieurs endroits du pays basque
d'enterrer les curés et les prêtres dans le porche des églises.
La coutume remonte à une haute antiquité, à l'époque oii
il fut défendu d'enterrer les morts dans les églises, privilège
I. The Poetical Works of William Wordsworth : Poems of the Imagination,
vol. III, p. 81-82. 6 vol., Londres, Moxon, i85o.
a. Averiguaciones de las Antiguedades de Guipûzcoa por P. Galiriel de Henao, S. J.,
t. III, p. 49, note. 7 vol., Lopez, Tolosa, Guipûzcoa, 189^.
3. Biblioteca, I, ga.
4. Acta et Décréta Concilii plenarii Americae Latinae in L'rbe celebrati, anno Domini
MDGCGXGIX, t. I, S 47a, p. ao5; a vol., Romae, typis Vaticanis, MDCGGC.
238 BULLETIN HISPANIQUE
réservé aux martyrs seuls. Constantin et autres empereurs
furent enterrés dans le porche ou Vatrium des églises, pas
dedans. On en fait mention dans le premier Concile de Braga,
Portugal :
Concilium Bracarense primum, a. D. 563. — Can. XVIII. De
coRPORiBus DEFUNCTORUM. Item placuît ut corpora defunctorum
nullo modo intra basilicam sanctorum sepeliantar, sed si necesse
est, de foris circa murum basilicae usque adeo non abhorret. Nam
si firmissinium hoc privilegium usque mmc retinent civitales, ut
nullo modo intra ambitus murorum cujuslibet defuncti corpus
humetur, quanto magis hoc venerabilium martyrum débet reve-
rentia obtinere. — Labbe, t. V, col. 842.
Ainsi le corps de saint Augustin, le grand missionnaire et
convertisseur des Anglo-Saxons, fut enterré à Cantorbéry, dans
le porche septentrional de l'église de Saint-Pierre et de Saint-
Paul, le 26 mai 6o5 : Mox vero ut dedicata est (ecclesia), intro
illatum et in porticu illius Aquilonali decenter sepultum est; in qua
etiam sequentium archiepiscoporum omnium sunt corpora tumulata,
praeter duorum tantummodo, id est Theodori et Berctualdi, quorum
corpora in ipsa ecclesia posila sunt, eo quod praedicta porticus
plura capere nequimt i .
Mais il était permis par les Conciles de Meaux et de Tribur
que les corps des prêtres et d'autres personnes de distinction
fussent enterrés dans l'église même :
Concilium Meldense, a. D. 845. — Can. LXXII. Ut nemo
quemlibet mortuum in ecclesia quasi heredilario jure, nisi quem
episcopus aut presbyter,pro qualitate conversationis et vitae dignum
duxerit, sepelire praesumat. — Sirmond, I, p. 52.
Concilium Triburiense (Tribur ou Teuver, près Mayence),
a. D. 895. — Can. XVll. Nemo in ecclesia sepeliatur, nisi forte
talis sit persona sacerdolis, aut cujuslibet justi hominis, qui per
vitae meritum, talem vivendo suo corpori dejuncto locum
acquisivit^. — Labbe, t. IX, col, 45o.
1. Bedae historia ecclesiastica gentis Anylorum, Lib. II, cap. 3. Migne, t. XCV,
col. 80.
2. Cf. les relevés de V Analyse des Conciles, par le R. P. C.-L. Richard, t. IV, art.
Sépulture, p. 760, Paris, MDCCLXXIII.
PRUDENCE ET LES H.VSQUES aSg
Lorsque je demande, dans le pays basque, pourquoi on
enterrait les prêtres dans les porches des églises, on me
répond toujours que les prêtres le voulaient ainsi par humilité,
de manière à ce que tout le monde passât au-dessus d'eux.
*
» »
Il existe un autre usage, autrefois très répandu, et à peine
éteint dans les Pyrénées-Occidentales; Prudence y fait allusion
dans ces lignes :
Quid lurha snperstes inepta
Clangens ululamina miscet?
Car lain bene condita jura
Lncln dolor arguit amens ? '
Ces vers rappellent celui de Silius :
Barbara nanc patriis ululantem carmina linguis^,
Cicéron nous parle de cet usage de chants funèbres et des
femmes qui faisaient des lamentations et des cris aux enter-
rements 3, Il nous dit que c'était une chose défendue aux Grecs
par Solon, et aux Romains par la loi des XII Tables : Tabula X.
Mulieres gênas ne radunto, neve lessiun fiineris ergo habento. —
Lessum quasi lugubrem ejulationeni, dit Cicéron d'après Aelius,
car la signification du mot était presque perdue dans son
temps : Hoc veieres interprètes non salis se inlellegere dixerunl.
On croyait que c'était un vêtement funèbre quelconque : sus-
picali vestimenti atiquod genus funebris. — Isidore de Séville
(070-636) dit : Threnos, quod latine lamentum vocamus... adhibe-
banlur autem funeribus atque lanientis; similiter et nunc^. Il
distingue entre l'hymne et le chant funèbre : Hymnus est canti-
cum laudantium... cul contrarias est threnus, quod est lamenti
Carmen et funeris ^ .
i. ii3-4. Migne, LIX, col. 884; Dressel, p. 63.
2. Punkorum Lib. III, 3/t6. Voyez aussi le récit des funérailles de Viriathe, Appien,
Iberica, LXXII.
3. Cicéron, De Legibas Lib. II, aS, G5; cf. 23, ôg; Fontes juris Romani antiqui, edidit
C. G. Bruns, edilin sexta, pp. 35-3-, Friburgi et Lipsiae, i883; Girard, p. ig, 2' édit.
4. Migne, Patrologiae cursus latinae, t. LXXXll, col. 120.
5. Idem, col. 203.
24o BULLETIN HISPANIQUE
Le threiius est défendu par le troisième Concile de Tolède :
Concillum Tolelanum III, a. D. 689. — Can. XXII. Religiosorum
omniam corpora, qui divina vocatione ab hac vita recédant, cum
psalmis tantummodo et psallentium vocibus debere ad sepulcra
deferri : nam funèbre carmen, quod vulgo defunctis cantari solet, vel
peccatoribus [pectoribus] se proximos aut familias céder e [caedere]
omnino prohibemus . . . Sic enim Christianorum per omnem mundum
humari oportet corpora defunctorum. — Labbe, t. V, col. 2014.
Le Fuero de Vizcaya ordonne que « personne ne soit assez
hardi pour faire aucune lamentation, déchirer les cheveux,
égratigner la figure, ni frapper la tête, ni pousser des cris, ni
chanter, ni montrer une douleur excessive, sous peine d'une
amende de 1,000 maravédis pour chaque personne, et pour
chaque fois qu'elle fait le contraire. Et, après l'enterrement,
que nulle femme ne fasse dans l'église aucune lamentation
publique pour le défunt sous peine de la susdite amende»'.
Henao dit que de son temps les lamentations étaient encore
bruyantes. « Les larmes, les soupirs, les gémissements, les
exclamations, adressées tantôt au défunt, tantôt à soi-même,
quelquefois à l'unisson, tantôt aiguës, tantôt graves, font une
triste harmonie. » Il donne comme spécimen de ces exclama-
tions : Ay ene! « malheur à moi! » répété dans tous les tons, et
les chants funèbres que les Viscayans appellent Eresiac, et le
cri Arirrajo! « un coup à ceci ! » en nommant la figure, l'épaule,
la poitrine, ou autre partie que l'on frappe; et quelquefois,
frappant la veuve sur les épaules et sur le dos : Galdu ahiz eia
galadil « malheureuse, tues perdue, afflige-toi ^ ! »
Ces coutumes furent prohibées par l'Église. Le Concile de
Tolède de i323 dit :
« Quoiqu'il soit permis de pleurer les morts par un mouve-
ment de piété et d'humanité, nous blâmons néanmoins l'excès
de la douleur qui marque que l'on désespère de la résurrection
future ; et nous réprouvons absolument l'abus exécrable qui
fait que, quand quelqu'un vient à mourir, on voit des hommes
et des femmes marcher par les rues en hurlant et en faisant
1 Fuero de Vizcaya, Ley VI, lit. 35.
2. Averigmciones de las Antigucdades de Cantabria, t. III, pp. 46-5o, notes.
PRUDENCE ET LES liASQLES 2^11
des cris horribles jusque dans les églises, et commellaut
d'autres indécences qui approchent des rites des Gentils». »
Mais, nonobstant cette défense, l'usage persistait. Amador de
los Rios cite la Filosofia Vulgar de Juan de Mal-Lara parlant
d'un enterrement en i556 : « Après eux allaient les eiidechadoras
(pleureuses) chantant sous forme de romances ce qu'il avait
fait, et comment il est mort. L'Inquisition dénonçait tout cela,
comme étant affaire de païens et de juifs, et sans profit pour
l'âme; quoique sur quelques sarcophages antiques de Sala-
manque et d'ailleurs on puisse voir figurer cette procession et
les endechadoras en marbre 2. »
Le Père Manuel de Larramendi, S. I. (1690 -1766), en parle
aussi : « Pleurer, gémir, se lamenter, est très naturel dans ces
circonstances, et l'usage a été commun partout. Très commun
fut aussi l'emploi ridicule de pleureuses (planideras) qui se
louaient et furent payées pour pleurer et lamenter à grands
cris en suivant le cortège. Dans les fragments des lois des
Douze Tables, on trouve défendus ces cris et les dépenses
excessives dans les funérailles des Romains. Ce qui est défendu
aussi dans la Recopilacion liv. I, tit. i, loi 8, faite par le roi don
Juan I", à Soria, 1080. Il y avait autrefois en Guipuzcoa de sem-
blables pleureuses, qui s'appelaient aldiaguilleac, adiaguilleac ;
erostariac en Bizcaye. Et quoiqu'il y ait longtemps qu'on ait
abandonné cette coutume, non seulement les noms basques en
sont conservés, mais aussi quelques restes de cet usage : car
les veuves suivent le corps de leur mari non seulement pleu-
rant à chaudes larmes, mais gémissant et parlant à haute voix,
proférant tantôt des plaintes sur leur malheur et sur la perte
qu'elles viennent de faire, tantôt des lamentations s,ur leurs
enfants qui demeurent sans secours et sans subsistance, tantôt
elles vantent les bonnes qualités du défunt, et tout cela avec
des expressions et des sentiments si vifs, qu'ils remplissent de
compassion les auditeurs 3. »
1. Cf. V Analyse des Conciles, II, p. 344.
a. Historia crîlica de la Literatura Espanola, par D. J. Amador de Los Rios; tome I,
p. 453, note, Madrid, i86i.
3. Corografia de la Provincia de Guipuzcoa, par R. P. M. de Larramendi, S. J.,
p. igi, Barcelone, 1882, et 3 vol., San Sébastian, 1897.
242 BULLETIN HISPAMQUE
Tout cela a été pratiqué presque de nos jours dans deux
villages de la vallée d'Aspe, Osse et Lescun, limitrophes du
pays basque. On y appelait ces chants funèbres aurosis (du
basque eroslari?). J'ai parlé avec des personnes qui ont connu
la dernière de ces pleureuses, Marie la Blanque d'Osse. Elle
fut improvisatrice de talent, et plusieurs de ses bons mots
rythmés étaient répétés au village il y a trente ans. On a
renoncé à l'usage des aurosts depuis 1860 environ, en grande
partie sous l'influence d'un instituteur protestant, M. Le Bar-
the. Les aurosts donnaient matière à de grands scandales.
Quelques-uns des aurosts de Marie la Blanque sont imprimés
dans le premier volume des Poésies béarnaises k Des assistants
qui ont entendu celui de la page 27^ m'ont raconté que
Marie fut terrible ce jour-là. Elle ameutait la foule contre le
veuf, qu'elle dénonçait presque comme l'assassin de sa femme.
Mais meilleur comme poésie qu'aucun des aurosts de Marie la
Blanque est celui de M"' Marie Trouilh, imprimé par M. Pier-
quin de Gembloux» sous le nom d'Une fille qui venait de perdre
sa mère. Il commence ainsi :
Noun bestounetz que siey tristo hero
Pusque perdey touto ma lumiero.
Il y a là un vrai accent de douleur et d'amour filial, et ce
n'est pas un morceau banal de circonstance.
Don Luis Montalto nous rapporte que l'usage est encore
conservé en Extremadura (Espagne) : « On me dit, mais je
n'ai pas pu constater le fait moi-même, que dans plusieurs
endroits d'Extremadura on conserve encore la coutume païenne
d'avoir des femmes (lloronas) qui vont aux enterrements verser
des larmes que la famille du défunt payes. » ,
Nous pouvons citer aussi les coronachs ou caranachs des Gaels
Écossais, les keen d'Irlande et surtout les voceri de la Corse ^,
comme exemples de cet usage très répandu.
1. Poésies béarnaises, par E. Vignancour, 2 vol., 2' édit., Pau, 1862.
2. Histoire liUéraire des patois, par Pierquin de Gembloux, p. 198, Paris et
Berlin, 184 1.
3. Biblioleca de las Tradiciones populares espafiolas, tomo I, p. 96.
4. Les chants de la Mort et de la Vendetta de la Corse, par J.-B. Marcaggi, Paris, iSgS.
PRUDENCE ET LES IIASQL'ES 243
Nous trouvons ainsi parmi les Basques espagnols la vieille
coutume dont Homère, Odyssée, 11, 96-100, et Virgile, Enéide,
IX, 486-g, font mention. Une mère pour ses enfants, une fille
pour SCS parents, une nouvelle mariée pour son mari ou pour
elle-même, file et tisse chaque année un morceau du drap ou
de la toile mortuaire, ou du linceul, qu'on appelle en basque
Mezlidura ou Meztiliirai. On faisait bénir ces draps à l'église
le jeudi ou vendredi saint, pour les associer à la représenta-
tion de la mort et au suaire du Rédempteur. Quelquefois les
nouvelles mariées mettaient dans la grande cheminée leurs
belles robes de noces pour s'en servir toutes sales et enfumées
en cas où elles deviendraient veuves, car ordinairement
les veuves ne portaient que des vêtements sales et enfumés 2.
Honorer les sépultures, les tombeaux, les dernières demeures
des morts, est un usage presque universel. Prudence termine
son hymne avec ces lignes :
Nos tecta fovebimus ossa
Violis et fronde Jrequenti
Titulamque et frigida saxa
Liquida spargemus odore.
Les voyageurs dans le pays basque, au commencement du
dernier siècle, font mention presque tous des fleurs dans les
I. Henao cite quelques strophes d'un poète biscayen, Martin de Amezaga, noble
et de date assez ancienne (muy noble y algo antiguo), qui parle de ceci :
G nobles matronas, o Cantabras taies
Hilais vuestra tela, un tante cada ano
Y eslando ya hilada, tejer la mandais,
Y para mortaja al fin la guardais;
Use inaudito, curioso y extrano.
Que para libraros del Diablo tacano
Maldito enemigo, contrario tan fuerte
Cada aiio niemoria faceis de la muerte
Desviayos, vivicndo, de todo su dano.
Henao, III, 5o, note.
2. Idem, m, 07.
2Zi4 BULLETIN HISPAMQUE
cimetières basques : « Le cimetière foisonne de fleurs et de
verdure. C'est un jardin, mais un peu sauvage et silencieux,
comme on voit dans les rêves; un grand tapis de velours
brodé de glaïeuls et de scabieuses, troué par places, usé par le
temps et la brûlure des étés, et qui aurait bien envie de s'en
aller tomber sur la grand'route s'il n'était retenu par les
longues épingles vertes, les ifs et les cyprès i. »
Mais ceci n'est guère que le vestige d'une bien plus grande
vénération, du culte des sépultures. Rozmital, un voyageur alle-
mand dans les provinces basques en i/i65, parle des «cierges
allumés , des prières faites devant les tombeaux ornés de fleurs » ^ .
Doiîa Emilia Pardo Bazân mentionne, parmi les pratiques exté-
rieures dues aux morts, a orner les sépultures de fleurs et
d'autres ornements, mettre cierges et autres choses aux
sépultures les jours des saints et l'anniversaire des défunts.
Quelques personnes y tiennent une lampe toujours allumée 3. »
11 y a plusieurs siècles que ces pratiques ont été condamnées
par l'Église.
Concilium Eliberitanum, a. D. 3o5. — Can. XXXIV. Ne cerei
IN coEMETERus iNCENDANTUR. Ccreos per diem plaçait in coemeie-
rio non incendi : inqiiieicmdi enim sanctorum spiritus non siint.
Qui haec non observaverint arceantur ab ecclesiae communione. —
Can. XXXV. Ne faeminae iix coemeterus pervigilent. Plaçait
prohiberi ne feminae in coemeteriis pervigilent, eo qaod saepe
sub obtenta orationis latenier scelera committant . — Labbe, t. 1,
col. 974.
Concilium Tuvonicum II, a. D. 067. — Can.[XXIlI]. Sunt etiam
qai in Jesiivitaie cathedrae Domini Pétri (Apostoli) [cibos] moriais
ojferunt, et post missas redeuntes ad domos proprias ad gentiliam
revertantur errores, et post corpus domini sacratas daemoni escas
accipiant : contestamur illam sollicitudinem tam pastores qaam
presbyteros gerere, ut quemcamqae in hac fatuitcUe persistere
viderint, vel ad nescio quas petras aut arbores ^, aat ad fontes,
I. Henri O'Shea, La Tombe basque, p. 2, Pau, 1889.
a. Viajes de Extrangeros par Espana en el siglo xr, par J. I. Riano, Madrid, 1879.
3. E. Pardo Bazân, Folk-lore yallego, Biblioteca de las Tradiciones populares espa-
holas, tomo IV, p. 82.
i. Voyez pour exemple, dans l'actuel pays basque, Recherches historiques sur le
PRUDENCE ET LES UASQLES 345
designata loca gentillum, perpetrare quae ad ecclesiae ralionem
non pertinent, eos ab ecclesia sancta aiictoritate repellani nec
participare sancto allario permutant qui gentilium observationes
ciistodiunt. — Sirmond, I, p. 34 1 ; Maassen, p. i33.
Conciliiim Braccarense II, a. D. 572, — Can. LXIX. l\on liceat
Christianis prandia ad defunctorani sepulchra déferre et sacrificia
reddere mortuorum deo. — Labbe, t. V, col. 914.
Larramendi parle beaucoup des offrandes de cire et de
pain faites au clergé par les femmes de Guipuzcoa, non seule-
ment aux funérailles, mais au septième, au neuvième, au
trentième jour après, et aussi au premier et au deuxième anni-
versaire. Ces offrandes étaient faites d'abord à la tombe même :
« Pendant le Nocturne et avant la messe, elles apportent à la
tombe ou à la sépulture l'offrande de pain et de cire, les petits
cierges allumés mis sur le pain, les flambeaux et les torches
sur de grands bougeoirs bas autour de la tombe... Au com-
mencement de l'épître, elles portent le pain et la cire dans
l'église, et se rangent dans l'église pendant la lecture de
l'Évangile, chacune avec son pain et son cierge à la main.
A l'offertoire, le curé monte en chaire et dit les noms des
défunts à l'intention desquels l'office est dit, et toute l'assistance
récite un Pater et un Ave à leur intention '. »
Cette ancienne coutume (costumbre antigaa) avait une grande
valeur pour le clergé. « Ce serait chose incroyable, » dit Larra-
mendi, « si on ne le voyait pas, que la quantité de pain et de
cire qu'on ofl're, et ordinairement cela fait la portion congrue,
ou la plus grande partie des bénéfices que les patrons donnent
aux curés, et ils pensent ainsi s'acquitter de leurs obligations
et satisfaire à leurs consciences par la piété des autres, mais ils
se trompent misérablement. Dans quelques endroits, on amène
à la porte de l'église un bœuf ou un mouton dont on fait
l'offrande, on le tue après, et on en donne la valeur en argent
au cupé. Dans plusieurs localités, on porte à l'église du pain et
de la cire tous les jours, pendant deux ans, selon la fortune
pays basque, par M. l'abbé P. Harisloy, t. I, p. 52-53, noie, a vol., Pau cl Bayonne,
i883. Je pourrais y ajouter d'autres exemples de ma propre connaissance.
I. Larramendi, Corograjia de Guipuzcoa, p. 191 -3.
Bull. Idspan. •"
2^6 BULLETIN HISPAMQUL
de la famille, et selon la coutume i. » « Si grande est la piété
envers les morts en Guipuzcoa que les pauvres mêmes auraient
honte de ne pas faire ces honneurs 2, »
Don Pablo de Gorosabel écrit longuement sur ces offrandes
aux enterrements et aux funérailles. Il y avait non seulement
la coutume d'offrir du pain et de la cire, mais, dans quelques
endroits, les familles plus riches amenaient une paire de bœufs,
ou un bœuf seul, ou un mouton, à la porte de l'église. On les
ramenait en en payant la valeur comme rançon. Quelquefois
les animaux étaient tués et servaient au repas funéraire. Par
exemple, en 1787, aux funérailles du curé d'Aiznarnazabal, on
présenta à la porte de l'église un bœuf avec deux pains de
quatre livres aux cornes. En 179G, le chapitre de Berastegui exi-
geait l'offrande d'un mouton des propriétaires, et de deux poules
des laboureurs ; mais déjà la municipalité s'opposait à une telle
exigence. Les Juntas de Zumaya de 1766 avaient essayé de res-
treindre et ces dépenses et les excès qui s'ensuivaient. Il y avait
grands débats entre les Juiilas de Guipuzcoa et les évoques de
Pamplona et de Calahorra au sujet de ces offrandes. Enfin, en
1771, on tomba d'accord. L'offrande d'une paire de bœufs que
l'on traînait à la porte de l'église fut défendue comme indécente.
«Mais, nonobstant, considérant le peu de valeur des bénéfices,
on permettait, dans ce cas, au clergé de recevoir dix huit
ducats comme rançon des bœufs, aussi bien que les offrandes
de pain, de vin et de cire. L'abus de proclamer en chaire les
noms de ceux qui font les offrandes afin d'exciter l'émulation
des autres est défendu 3. » Le clergé opposa bien des difficultés
à l'exécution de ce décret. D'autres ordonnances de 1774 et de
1783 limitèrent encore les offrandes au clergé aux neuvaines
I. Idem, p. if)3-/|. Grégoire de Tours (ô/ii-ôgS) raconte l'histoire d'une veuve qui
fit une offrande de vin (sexlarium Gazeli vini) a la messe tous les jours, pendant
toute une année, à l'intention de son mari défunt, et d'un miracle qui lui arriva
ensuite. De Gloria Martyriiin et Confcssorum, III, 65 (6/i, p. 786, édit. Kruscli). _
3. Larramendi, idem, pp. igS, 194.
3. iXoticias de las cosas mémorables de Guipii:coa, par D. Pablo de Gorosabel, t. IV,
Lib. VIII, cap. iv, seccion h, (J vol., Tolosa, igoo.
Henri O'Slica, La Tombe basque, p. i5-i6. Une noie à la Liturgie mozarabe dit:
MissA. DEFU.NCTORUM : AUquaiulo nomiita ojfcrenlium et quae et quantum quisque obtulerat,
recitabantur , cum praeter panem et vinum, in usum sacrificii, res alias, peciiniam puta
offerrent, aat vcstem. Migno, Palrologiae cursus, t. LXXW, col. laoi, note b.
l'KUDK.NCI: ET LES BASQLES 2^'
et aux anniversaires. Les Juidas de Mondragon, en 1788, et une
ordonnance royale de 1790 suivirent dans le même sens.
Mais ce ne fut qu'après une censure sévère infligée au chapitre
d'Azcoitia, en 1829, et un ordre royal de i83o, que les querelles
entre le clergé et les familles des défunts prirent fin. Tout
cela était, évidemment, la longue agonie des coutumes tradi-
tionnelles qui avaient leurs sources dans le paganisme, mais
qui n'avaient aucun rapport avec les droits légitimes du clergé.
*
* •
Aspersaque myrrha sabaeo
Corpus medicamine serval^.
Titalumqne et frigida saxa
Liquida spargemus odore^.^
De cette habitude d'embaumer le corps avec des onguents et
d'asperger la tombe avec des parfums, je ne trouve pas trace
chez les Basques, mais elle est déjà mentionnée par Tertullicn
au 11% et par Minucius Félix au ni'' siècle 3.
Il y a une. autre habitude qui a persisté dans le pays basque
jusqu'à nos jours, et dont j'ai été moi-même plus d'une fois le
témoin : c'est celle d'allumer presque tout de suite après un
décès un feu au carrefour le plus proche de la maison du défunt.
Chaque passant doit réciter un pater et jeter une pierre à côté
1. Circa exequias, lignes 5i, 62.
2. Idem, dernières lignes.
3. Thura plane non emlmus. Si Arabiae querantur, sciant Sabaei, pluris et carinris
suas mcrccs christianis sepclicndis projligari, quam diis fumigandis. Tertullicn, Apologe-
ticus, cap. XLII.
Xon Jloribus caput neclitis, non corpus odoribus honeslatis ; reservatis unguenta
funeribus ; coronas etiain sepulcris denegatis, pallidi, trepidi, misericordia digni sed
nostrorum deorum. lia ncc rcstirgitis miscri, nec intérim vivitis.
.\ec mortuos coronamus. Ego vos in hoc magis miror, quemadmodum tribuatis exanimi,
aut sentienti[jam p]acem, aut non sentienti coronam : cum et beatus non egeat, el miser non
gaudeat Jloribus. At enim nos exscquias adornamus eadem (ranquillitale qua vivimus, nec
adnectimus arescentem coronam, sed a Deo aeternis Jloribus vividam sustincmus... Sic et
bcati resurgimus, et futuri contcmplatione jani vivimus.
}l. Minucii Fclicis Octaviun, Ml el WXVllI, éil. Ba^irens, Teubncr, iSSC.
2^8 BULLETIN HISPANIQUE
du chemin. Quelquefois on y brûle la paillasse du mort. Je ne
trouve aucune allusion à celte coutume chez Prudence. La
première fois que je l'ai vue et que j'ai demandé pourquoi on
allumait le feu, les bonnes gens me disaient : « C'est pour prier.
Est-ce qu'on ne fait pas cela partout?» Brûler la paillasse
pouvait tirer son origine d'un temps de pestilence ou de
maladie infectieuse. On devait la brûler au carrefour parce que
là il y avait plus de passants pour prier pour le mort.
Prudence a un très long Hymnus atite cihum et un autre pas
beaucoup plus court Hymnus post cihum (Cathemerinon, III, IV).
Je ne sais si ce n'est pas de ces deux hymnes que le Concile
de Braga veut parler :
Conciliam Bracarense II, a. D. 572. — Can. LXV. Non oporlet
clericos vel laicos religiosos ante sacram horam diei tertiam inire
convivia, neque aliquando clericos nisi dicta hymno edere panem,
et post cibos grattas auctori Deo déferre. — Labbe, t. V, col. 912.
Cette pratique de chanter ou de réciter un hymne fut con-
servée parmi les Basques Espagnols presque jusqu'à nos jours,
surtout au repas du soir.
Tout ce que j'ai écrit ci-dessus n'a, je le reconnais, qu'assez
peu de valeur comme commentaire à Prudence. Mais il nous
montre combien il est difficile de déraciner les usages et les
coutumes d'un peuple, surtout lorsqu'ils sont associés à des
observances rituelles'.
Wentworth WEBSTER.
I. [C'est une rare fortune pour le Bulletin Hispanique de pouvoir publier ce mé-
moire du doyen des études basques, l'auteur des Loisirs d'un Étranger au Pays Basque
(1901), inter Britannos, disait Hûbner (Monumenta linguae ibericae, 1898, p. LXXXV;
cf. n. io3 et p. XXVIII), nunc linguae Vasconicae indagator nisi fallor unicus. Nous le
remercions d'avoir, en. faveur du Bulletin, fait une infidélité à The Academy. C. J.]
COlillESPONDENCIA DEL CONDE DE LEMOS
CON DON FRANCISCO DE CASTRO. SU HERMANO
Y CON EL PRINCIPE DE ESQUILACHE
(i6i3-i62o)
La biografia del conde de Lemos, D. Pedro Fcrnandez de Castro,
ofreceria excepcional interés si abundasen los documentos en
que apareciera a toda luz el protector de Cervantes, el literato y el
hombre de corte y de gobierno. Pero de lo primero se sabe
muy poco ; se ha perdido la ùnica comedia que parece haber
escrito y solo se conservan de su pluma dos redondillas, dos
carias de 1620 y 1621 y la descripcion titulada Gobernaciôn de
los Quixos, no ha mucho impresa; tampoco se han quilatado
bastante sus méritos en la presidencia del Consejo de Indias y
en el Yirreinato de Napoles. Por eso creo que merecen la publi
cidad las ocho cartas que siguen en que, a excepcion del pri-
mer aspecto, pueden recogerse algunas noticias curiosas del
Conde respecto de los otros, ademas de aumentarse con una
composiciôn poética, y varias cartas escritas con ingenioso
desenfado, las escasas producciones suyas que ha respetado el
liempo.
Basta la alusion que hace en su carta al de Esquilachei, de
i4 de marzo de 16 19, respecto a sus disposiciones en su Pre-
sidencia de Indias contra la tiranîa y avaricia de los encomen-
deros y en defensa de los indios, para presentarnosle bajo un
aspecto simpâtico; y lo mismo se diga del de Esquilache
cuando valientemente proclama desde su virreinato del Peni
que no hay espanol que nataralmente no sea verdugo de. los indios
con prétexta de piedad y buen gobierno.
Es bastante conocido el favor que disfruto el Conde en la
corte durante la privanza de su suegro el duque de Lerma, y
1. D. Francisco de Borja y Aragon, nieto de S. Francisco de Borja, casô con D* Ana
de Borja, princesa de Esquilache. Naciô hacia i58i y muriô en i658. Desde i6ii
hasta iGîi, dcscmpefiô el cargo de virrey del Perii. Sus obras poélicas se imprimi-
ron en Madrid en iGSg.
aoo BULLETIN HISl'AMQLi;
cômo y por que causas le perdio para siempre al arrancârselo
el de Uceda a su padre; pero no déjà de ser interesante oir los
juicios del mismo Conde sobre su desgracia, expresados con
especial gracejo desde su retiro de Monforte y la idilica des-
cripcion que en sus cartas hace de la vida de aldea.
En cuanto a asuntos literarios, desde las primeras cartas a
su hermano' escritas en Nâpoles el ano de i6i3, tenemos ya la
noticia de que en aquella fecha estaba terminada la primera
Jornada de su comedia, probablemente la titulada la Casa con-
fasa, que no se représenté hasta el i6 de octubre de i6i8en las
fiestas de la consagraciôn de la colegial de Lerma, en presencia
de toda la Corte. Con satisfaccion ingénua, pero con cierto
humorismo, habla de ella el Conde en sus cartas; envîala a la
censura de su hermano; se alegra de que esta sea ligera^ y
piensa en representarla en Gaeta. Hasta el aûo 1619 no volve-
mosâ saber de la comedia. Es el de Esquilache quien califica el
prologo de excelenle y desea que el Conde se la envie intégra.
A su vez le habla de su poema del rey Don Alonso'^ que llegaba
al canto VIII y esperaba concluir en 1620.
En el anterior, el de Lemos envia a su primo una composi-
cion poética en diez décimas, glosa de una escrita por el Prin-
cipe (Felipe IV) a los i4 anos. Llevaba mas de très de despo-
sado y todavia la Princesa no se dejaba besar! Nada mas
natural que el que, haciéndosele tarde para prendre un petit pain
sur la Journée , como dicen nuestros vecinos, desahogase en una
décima el fuego infernal que le devoraba y que solo podia sufrir
por ser nino. Malita es la décima de Su Alteza. El Conde, a fuer
de fino cortesano, la encuentra excelente, sobre todo para
conocer el esplritu y gentil naturaleza del principe, y a fé que en
esto ùltimo ténia razon. Ya apuntaba en la décima la gentil
naturaleza del rey galanteador. En la glosa, y a pesar de lo
antipâticos que boy nos son estos juegos malabares de la
1. D. Francisco de Castro, duque de Taurisano por su enlace con Senora italiana,
fué virrey de Sicilia; heredô la casa al morir su hermano D. Pedro, y entré luego en
la religion con el nombre de Fr. Agustin de Castro. Gompuso algunas poesi'as de
estilo gongorino.
2. Se trata del co.nocido poema herôico : IVdpoles recupcrada por el rey Don Alonso,
que no se imprimiô hasta i65i, en Zaragoza. Entre las] aprobaciones Ueva la de
Fr. Agustin de Castro, hermano del conde.
CORRESPONDENCIV DEL CONDE DE LEMOS 2.)l
poesîa, hay que reconocer que el Condc extremo su facilidad
versificadora y el emplco de los discreteos amorosos.
Para el ano de 1620 aiiuncia el Coude al de Esquilache el
envio de la comedia. No sabemos si llego a hacerlo, porque en
abril aun la esperaba aquel Principe. Daba noticia al Conde del
poema de Inigo Arisla que cslaba escribiendo Barlolomé Leo-
nardo de Argensola, y ademàs la de encontrarse en aquel reino
del Perù un actor sevillano, Juan Crisostomo, extremado en la
representacion de varios papeles.
Los demas asunlos tratados pertenecen al orden polîtico, eco-
noniico y familiar.
Puesto que en esta correspondencia se trala con alguna
extension de la caîda del Conde, no sera inoportuno extractar
aquî alg-unas noticias acerca de su conducta en el Gobierno de
Napoles. Ella fué tal que el Consejo de Italia, en varias consul-
tas al Rey, de los anos 161G y 1G171 pedîa una recompensa
para el Conde, y S. M. escribia al margen de su mano: « Esto
viene bien con lo que esta tan conocido en el zelo que el conde
tiene a mi servicio ». — « He holgado de ver esto, y el cuidado
y celo que el conde tiene de mi servicio se vee bien por esia
relacion ». Estos servicios consistieron en que hallandose a su
entrada en el Gobierno con una deuda de 10,2 iG, 3^9 ducados
por los que pagaba cerca de 800,000 de réditos annales, y un
déficit annal en las rentas de 262,337 ducados, supo hallar
medios, sin aumentar las gabelas, para pagar todo lo atra-
sado y dejar a la ciudad una renta de mas de 200,000 duca-
dos, después de sanear la tierra con la rccogida de aguas que
utilizo en moliendas, con un producto de 5o,ooo ducados,
valiéndose del célèbre arquitecto Fontana para obras como la
citada y otras urbanas que no repilo por sabidas.
La venta de las tratas, que subi<') a 78,000 ducados desde
53,000 que valîan, era utilizada por sus antecesores para pagar
criados y dependientes, ahorrândose salarios. El de Lemos los
pago de su bolsillo, contrayendo asi taies deudas que, segûn
dice el Consejo, « si S. M. no le secorriera con 200,000 ducados
1. Llevan la firma de Jvian Lopez de Zaratc v existeri en cl archivo de la C.asd. de
Alba.
252 BULLETIN HISPANIQUE
de merced, hubiera ido a j\âpoles a reparar la hacienda del Rey
y a dar consigo en una carcel». Recogio en libres ordena-
damente la multitud de leyes, pragmâticas y ordenes que
andaban perdidas y, por tanto, sin cumplimiento desde el
virreinato del duque de Alcalâ; reorganizo la decaida Univer-
sidad; formo libro mayor para renias; separo los ingresos de
los gastos que andaban confundidos ; pago mas de très millones
de deudas de levas y sostenimiento de tropas en numéro de
12,000 infantes napolitanos, 3, 000 espanoles y 600 caballos,
ademâs de las galeras del genovesado y los castillos, y dejo a
su sucesor el duque de Osuna 200,000 dUcados para los pri-
meros gastos de su gobierno. A pesar de ésto, en los 6 anos de
su gobierno no enajeno un solo real, cuando hubo virrey que
vendio nueve millones de ducados de capital.
Gonsistio el premio en concéder al Gonde à su regreso la
Presidencia del Gonsejo de Italia y el cargo de gentilhombre
del principe don Felipe. Pero a los dos anos, la intrigapalaciega
del duque de Lceda privé al Gonde de sus empleos, que no le
devolvio tampoco el Iriunfo del de Olivares. Asî se probo una
vez mas que no son la feliz gestion financiera ni la elocuencia
de los numéros las que conquistan la simpatîa de los palacios,
donde suelen lograrla con mas frecuencia las galas de la
retorica 6 los marciales intentos.
A. PAZ Y MÉLIA.
Pàrrafo de carta autôgrafa del conde de Lemos
à su hermano D. Francisco.
... Entretanto, y con harta envidia de la jornada de Loreto, la
primera de mi comedia ([0 lindo relative!) se queda ya sacando en
limpio y no me desagrada. Luego va.
Guardeos Dios como deseo. Amen.
Nâpoles, 23 de abril i6i3.
Del mismo al mismo.
Hermano y amigo mio : como vereis por las cartas de nuestra
madré, quedamos buenos, y de camino para nuestra Senora de Loreto.
Sera de gusto la jornadilla, y bien se yo quien me tendra harta
envidia, porque pienso llevar conmigo los foliones, hoc est, obispo
CORBESPONDENCIA DEL CONDE DE LEMOS 203
de Gaeta, D. Ilernando de Andrada y el consejero Salinas, pues no
lo digo de hurlas, que todos eslos dias no hago sino yr y venir sobre
lo que se an de liolgar, y por lo mcnos los acompailaré en espîrilu,
y les quiero embiar la primera jornada de mi comedia que ya se
queda sacando en linipio con clertas adiciones al ïoslado que clari-
fican la inlcligencia, edifican al auditorio, amplifican el argumcnlo,
vivifican la fabula y modifican la redundancia herôica de mi mussa.
Por lo menos llegara esta obrilla â tiempo que os pueda boluer
acompanando, que ya el espiritu estara frio, 6 por lo menos satisfecho,
y hallarân mas libre el apetilo estas penpinelas de la conversacion ».
De Nâpoles, ai de abril i6i3.
Del mismo al mismo.
Hermano y amigo mio : ay va la primera jornada de mi comedia.
Buclua la censura con brcuedad y una relacion copiosa del viaje
peccador y santo, sin que se os quede en el tintero matraca ni apodo,
dé donde diere.
(Al rnargen.) No va ahora esta primera parte de la comedia porque
la quedo poniendo ciertas anotaciones para su inteligencia.
Dize la historia que no iba yo muy fuera de camino quando me
recataba de permitir que el duque de Nochera se quedase en Nochera
por 3o dias, pues aora prétende que no ha de pasar de alli su exilio;
y fùndase en que la orden dice que se vaya â sus tierras. Nochera es
su tierra, ergo... Argumentor sic :
D. Francisco de (sic) me pidio por segunda gracia que se quedase
en Nochera 3o dias. Ergo aquella palabra sus tierras inteligistis del
Estado que tiene en Calabria. Replica que ni el Senor Don Francisco
ni Carlos Caracholo le dixeron tal, y que él quiere estar a los términos
de la orden. Sea lo que fuere, que él es un gran tacano, porque no
puedc tener ignorancia desta verdad. Todavia os suplico me digais
en que forma se la notificastes y quien fué el truxaman entre él y vos.
De Espana no escriben cosa de importancia fuera de la muerte del
condestable y duque de Alburquerque, si bien colijo de una carta
de mi suegro que andaba ya de parto la publicacion de mi presiden-
cia. Deseo saber que os escribe mi madré en vuestras cosas, y con
tanto, se acabô esta carta.
El dinero para el conde TircSn se enviarâ luego, luego, luego, luego,
lucgo. Guardeos Dios como deseo.
De Nâpoles, 2 de mayo iGi3.
Herm" vuestro y amigo a.
I. Sigue olro pârrafo poco interesante sobre asuntos familiares y lo mismo la
postdata autôgrafa.
3. Firma autôgrafa.
25/4 BULLETIN HISPANIQUE
Del mismo al mismo.
Hermano y amigo mio : este correo va en alcance de la estafeta,
y si os pareciere â propôsito el despacho que lleva para Milan, y que
importa que aguije mâs, poneide fuego a la cola y pase adelante.
Si estuviéredes de otro parecer, detened las cartas y avisadme luego.
Esto es cuanto â esto.
El P' Inigo de Guevara pienso que se partie esta tarde, y como su
paternidad no vuelva â Nâpoles, no va mal despachado, y suplicoos
que como os acordais de la princesa de la Rocca, os acordeis de mi,
para no pedirme que yo faite al servicio del Rey ni â la autoridad
de mi persona. Este es un religioso inicuo, y yo no le destierro
de Nâpoles porque tema que pueda clavarme el Parlamento, que puede
muy poco y sabe menos su paternidad para hacerse tanto caso de sus
diligencias. Mi intencion es castigar el término que ha tenido y escar-
mentar â los demas. Esto se consigne bastantemente con irse â holgar
â Roma, y ansi podrâ estarse por alla y pillar aspaso. Vos le habeis
hecho harto buena obra, porque él salierade aqui afrentosamcnte, â no
haberos resuelto de llamarle, presupuesto lo cual, digo que os quiteis
la mascara y le hableis pan por pan y vino por vino.
D. Alvaro de Ribadeneyra esta muy contento y la condesa y yo lo
quedamos de haberos acertado â servir.
Ahi va la primera jornada de mi comedia, venga luego la censura.
Los cosas de Espana me tienen ahora con mas gusto y esperanza
quenunca, porque siempre que aquel hombre dice tantas pesadumbres
y necedades, lo paga despues â muy buen precio, y asi no se me caya
nadie de animo, que el negocio va caminando muy bien, y cuanto
vuelve atrâs sirve de tomar carrendilla para dar mejor el salto.
No direis que es mala la comparacion; ahi os vuelvo vuestras cartas,
y las que pedis de acâ tomô â su cargo lo condesa el enviaroslas.
La vuelta de Loreto con brevitatis causa relincho, sea norabuena,
presupuesto pero que no os aya desoUado el rabo la posta.
Decisme en una carta vuestra que os hable un poco â propôsito del
medio que propone el principe de Asculi, y este papel no vino acâ. Con
tanto, paso de largo â la carta del Présidente interin, terin, terin, terirrin
y terintinterrin ; ; Que profundo mentecato ! Sed de bis actenus. El correo
que despaché â Espana fué â pedir orden de lo que habia de hacer
en estas cosas de Milan, pero dejândome el arbitrio libre para en caso
que la necesidad apretase, y como no pensé hallaros en Roma, metî las
carias todas en el pliego del Rey. La copia de cuva carta va con esta '.
Guardeos Dios como deseo.
De Nâpoles, 8 de Mayo i6i3.
yiro jjo y amigo.
i. Sigiicn dos pârrafos, hoy de escaso intercs.
COURESl'ONDENCIA DEI. COM)E DE LEMOS 20 J
Del mismo al mismo
Hermano y amigo mio; viva la gala de la Inoxosa y el principe de
Asculi, y jiiro a Di que me folgo por amor de la chinche y por amor
de las pulgas de su Alteza! Asi, asî, huela la casa a hombre! A esle
propùsito me lastima mucho de ver ahogado un talento como el del
principe de Asculi. Menester es que le avudemos todos los ministros
que liene acâ su Maj"'. Y antes de pasar adelante ^;quien le niega su
pantuflazo? A, mio ingratissimo rubello! Extrana molicies! Decis lin-
damente que cran palabras mas convcnientes a un madrigal puto. Con
los manifiestos quedo muy embaraçado porque no los he leido, y
querria leerlos, pero tengo pereza.
La carta para el de ^lantua saliô maravillosa y fùndolo en vuestra
plenaria aprobacion. La mismo digo de la respuesta que distes al
duque de Saboya, porque le decis que no sabe lo que se dice ni lo que
se hace con tan gran dulzura, que yo os quedo obligadissimoen su nom-
bre. Bien quisiera, si he de confesar toda mi censura, que no Uevara
la carta las palabras que puede esecutar su indignacion contra quien le
enojare. Porque si bien ayudan â llenar el vacio de aquella Cucuza
Marina para metelle despues por camino, tiene esta confesion alguna
indecencia en la boca de un ministro del rey. Del resto torno â decir
que no he visto en mi vida traicion de firme â firme mas galante ni
bien disimulada. ; Hideputa, bellaco y como le dais con la romana !
Bravamente he holgado de ver la poca sangre que aveis hecho en mi
comedia y parezeme que las objecioncillas de mierda tendrân salidas
queos agraden. Esperolas muy engrei'do por el bien que me dezis de
todo lo demâs, y confîeso que me diû fastidio el veros armar el balles-
ton, porque esperaba el golpe en la bondad de la fabula, y si el vicio
estuviera en ella, fuera malo de remediar. A'^ase caminando en la
segunda jornada, y ay pasos estupendos. En efecto, crece la oracion
hasta el sciolgimento. Orsu, finiamola y representémosla en Gaeta. Lo
demâs en respuesta de vuestras cartas dire con la estafeta que viene, y
aora no puedo dexar de decir que a paciado la vizeregina con sus ima-
gines, pero tiene razôn, por que no he visto en mi vida cosa mâs linda
ni mas barata.
Guardeos Dios como deseo.
De N'âpoles, idejunio i6i3.
(Aulôgrafo. — La carta del Cardenal para el Vicario venia tan
mierda alH y tan confusa, que yo pensé que se habia cagado
Pilatos. Llaméle yel hombre me dixo: Che possoio far? Si el Cardenal
me scrive que se faccia lo que se ha fatto altre volte al tempo del
S' cardinale Acquaviva, cioè, lo que en otras ocasiones de procesiones
256 BULLETIN HlSPAMQUi:
de Corpus, y no lo que se liizo quando yo vine â este reyno. Hablé
un poco alto, mostrele vuestra carta, y con todo esto y ver que la
orden le venîa por mi mano, se sosegô el hombre y me ofreciô que si
manana en el percachio no ténia orden en contrario, séria servita é
sodisfata la Ecelenza mia. Parece que esto queda bien. Yo os beso las
manos por el trabajo que os costô el despaclio.
H. vuestro y amigo.
Carta del Principe de Esquilache al Gonde de Lemos.
Doctisimo senor : cosa cierta es que la primera parte del orador es
captar la benevolencia de los oyentes, para disponer los animos y gran-
gear las voluntades, y asi, para obligaros â que no os parezca larga
esta carta, comienzo con la nueva de que estan fundados los dos
obraxes, el uno ya efectivo y corriente en la provincia de Guaylas,
habiéndose facilitado la repugnancia antigua de los indios que agora
asisten en él con mucho beneplâcito y gusto suyo.
El otro esta senalado en la provincia de Caxatambo, distante poco
mas de 4o léguas desta ciudad, que en este reino es lo mismo que
Xetafe respecto de Madrid. Y pienso que el sitio es el mas â propôsito
de todas estas provincias, asi por la cantidad de indios, que es grande,
como por estar relevados de otras obligaciones que pudieran impedir
la fundacion del obraxe, guardândose la formula de la cédula.
Esperamos cierto Principe, nomine Mendieta, para que tome â su
cargo esta obra en la forma que asentamos con Diego Cantoral.
La ereccion del tercer obraxe de Guaylas de que Martin de Acedo os
habrâ dado larga cuenta mas en particular, lo que os puedo asegurar
es que se ha procurado acudir â vuestro servicio bien y brevemente, y
asi pienso que sea lucido. Las dificultades que se ofrecieron son las
ordinarias que ponen los vaqueanos desta tierra, y como alla viven de
relaciones, estan muy atrâs en muchas cosas en que presumen que
pueden decidir, haciendolos articules de fe. Solo me pesa de todo
corazon de que â mi gobierno le faite teneros por présidente de ese
Consejo, porque fîo de vuestra superior capacidad el juicio entre los
despachos pasados y los que agora se envian al Consejo y la noticia
que agora se tiene de las cosas deste reino.
Confieso, senor, que os escribi que me parecia muy grande este
cargo, y sin licencia del marques de Alenquer, olim conde de Salinas,
digo que es mucho mayor la carga y no de la ocupacion, sino de
tolerar la mas pesada y soez gente que ay en lo restante del mundo y
en cuyo beneficio se pierden todas las buenas obras, y es refran comùn
desta tierra : Haz mal y no cates d quai. Ilaz bien y gudrdatc.
A los indios procuro defender cuanto puedo, y es caso dificultoso.
COHUESPONDENCIA DEL CONDE DE LEMOS aO"]
porqiie no ay espanol que naturalniente no sea su vcrdugo, y esto con
pretcxto de piedad y buen gobierno, porquc es axioma comun entre
todos que los indios no an de estar ociosos y que asi los ocupaba el
Inga sin césar, y con este presupuesto, como la codicia pone el cotoen
la justificaciùn del trabajo, biene a no tener medida, comenzando en
justicia y acabando en tirania.
Para la conversion destos misérables que oy dia estân tan ydolatras
como en tiempo del Inga, e puesto muchos mcdios, asi con visitadores
eclesiâsticos, como con misiones de la Compania y otras religiones, y
fmalmente, me resolvi en hacer una réclusion en el cercado desta
ciudad para prision de los dogmatizadores o maestros de la ydolatria, y
con este remedio y con haber fundado un seminario para hijos de
caciques en la misma parte, espero brève y buen efecto de lo que se a
trabaxado.
Sera posible que por alla haga algun ruido la rebaja de los yndios
aplicados a la mita de Guancavelica, y porque los motivos que tuve
para hacerla a sido contra el dictamen de muchos, os suplico que
paseis los ojos por la carta inclusa, que es copia de la que escribo al
Rey sobre esta materia, y con ella os envio la Instruccion que di al
juez reducidor de aquellas provincias. Dos cosas puedo deciros délia:
la una es que la malignidad deste reino no se atrevio a ponerle faltas,
y que el P. Francisco Cuello me dixo algunas misas solo porque hice
este papel.
; 0 seîior, y que lâstima os tengo porque conozco vuestro coraçon y
entendimiento y os veo ençarçado donde os an de cmponçonar el uno
y no os a de aprovechar el otro ! I decia un amigo mio que Dios le
librase de corcobos de mula, porque ténia muy regulares respingos.
Bien se que el quento no viene a propôsito; pero ofrecioseme y pienso
que me hiciera mal no dccirle.
Del prologo puedo deciros que es excelente y que hablan las dos
figuras con mucho desenfado, cada una dentro de sus limites, que es
el pecado en que caen de ordinario todos los comicos. I si fueredes
servido de embiarme toda la comedia, sera muy bien recibida y servira
de oyros mas vezes aunque no hableis conmigo.
El Rey Don Alonso ha reposado estos dias, por las grandes ocupa-
ciones que han concurrido, y agora que escampan, proseguirc el
trabaxo, muy animadocon tal aprobacion. Tengo escrito ya un pedazo
del canto octavo, y no me parece que desdice de los otros; y cierto,
senor, que huyen al coser versos heroycos y tratar de maytes y tara
del traxinero de los açogues. ; Sea Dios bendito por todo, y espero
que en todo este ano acabaré el noveno, y por todo el que viene los
très restantes, con que haré fin â la historia, aunque no lo osaré fiar
de vuestra censura hasta haberle hecho una vigorosa averiguacion de
moribus et vitâ.
258 BLLLF.TIN HISPAMQLE
A lodos los recomendados de V. Ex-', que por evitar prolijidad no
refiero, e ayudado lo posiMe, y si no es que afectadamente lo callen, me
remito â lo que cada uno diga. Guardeos Dios como dcseo, etc.
Los Reyes, i5 de marzo 1618.
(Autôfjrafo.; — Bravo caso es, senor, andar loda la vida dando
quexas 6 satisfacciones y mâs en tiempos tan pcligrasos. Dios os tenga
de su mano, y cierto, que contra todas las leyes de la providencia humana
puedo afirmar que siento vivir auscnte, porque mi poca ambicion
podria servir de medio para templar muchas, y esto como quien
ticne tanla experiencia de Palacio y ha lomado la sangre en muy péné-
trantes heridas. Huelgo infmito que mis hermanos acierten â serviros.
Lo que yo se es que por hombres de bien estan pobres y yo sin cubrir,
quando hallan, no digo gorras, sino tejados otros, que no naci yo mâs
al sereno que ellos. Si me dieren los très mil ducados, su servicio
harân y si no, â menos costa de pretension que el marqués de Guadal-
cazar cumpliré la tarea de los seis aâos, y de qualquiera suerte no
estaré una ora mas, porque tengosobradamentelo que e menesterpara
pasar sin rogar â otros, y quiero mas burlarme dos oras con el coude
de Lemos que todas las Indias, y mas agora que para las cosas de su
servicio y hazienda no me a menester.
Grandes habladores son estos peruleros, pues â fe que conmigo que
no se burlan, y que â los jurisconsultos los hago sudar con todo el
cuerpo. Cierto cstoy que hareis mucha mcrced a D. Gerônimo Altami-
rano, favoreciendole para la direccion de mis causas, que todo sera
menester para suplir el espacio con que se toma resolucion en el ser-
vicio del Rey. Mirad que sera en lo que me conviniere. La Princesa y
toda esta familia os besan los manos y todos las de mi senora la
condesa.
A. El P" Don Francisco de Borja.
Al principe encomiende V. E. los caciques de Guarajo y aquellos
vassallos, y que prosiga en favorecelles como ha empezado. Esto avisa
Diego Cantoral Corn ejo porque importa mucho.
(Sobre.) Reyes, i5 de marzo 1G18.
El Principe de Esquilache.
Respondida a 18 de marzo 1G19.
(Conduira.)
INVENTAIRE DE Ll « CASA DE PILATOS »
en 17 5S
Sevilla 3 de Agosto de 17.J1.
RELACIOX de las Alhajas, Pintaras, Eslâtiias y dénias que al
présente existen en el Palacio del Diiqae mi Sr. d ta Parroquia de
San Esleban de esta ciadad, reniilida a su fj;« en el mismo dia 3 de
Agosto de 1751.
Relaciôn individual que forma la Contaduria de los Eslados
Ducados y Marquesados de Alcalâ que réside en Sevilla, en fuerza de
ùrden dcl Excmo Senor D. Luis Antonio Fernandez de Cordoba,
Espinola y de la Cerda, Duque de Medinaceli, de Feria, Segorbe,
Cardona, Alcalâ y Camina, Marqués de Priego, de Cogolludo y de
Aitona, etc., etc., mi Sr. Cavallero del insigne orden del Toison de Oro,
del Real de San Genaro y dcl de Santiago, Gentilhombre de Câmara
de S. M. su caballerizo y Yallestero, de 20 de Junio del présente ano
de 1751, de todas las alhajas, pinluras, estâtuas y demas que al
présente existen en su casa Palacio de esta ciudad, a la Parroquia de
S. Esteban, con distincion de sus clases y parajes donde se hallan
colocados que todo es en la forma siguiente.
Pinturas en la Capilla. — Un lienzo del Descendimiento de la
Cruz de dos varas de alto y dos y média de ancho con moldura
dorada que forma altar.
Una tabla con marco dorado de dos tercias que hace coronaciôn al
altar de Nuestra Sra con el Nino Jésus.
Un Cristo Grucificado sobre una peana a modo de Risco, todo
de talla de vara de alto.
Un San Andres de talla sin diadema (que dicen la tuvo de plata) de
média vara.
Una Cruz de madera de pino de poco mas de dos varas y média de
largo cinco pulgadas de ancho y très grueso, con sus clavos, dada de
color oscuro, y una tarjeta en la parte inferior que espresa servia
fcomo de hecho sirve) para andar procesionalmente, el via crucis
desde diclia Capilla hasta el humilladero que llaman de la Cruz del
Campo fuera de la Puerta de Carmona, mensura de estas estaciônes.
Una columna de jaspe Colorado â vetas de cinco cuartas de alto y
poco mas de una cuarta de diâmetro, movible que esta en medio
de dicha capilla y es figurativa de la en que su Magestad Santisima
estuvo atado.
260 BL'LLETl^i HISPA?iIQUE
Una lâmpara de métal azofarado de poco mas de média vara
de largo.
Cuatro candeleros de très cuartos de largo, del mismo métal, con
las armas de la Casa y otros cuatro de madero que estaban en las
almonas.
Un alril de madera maqueado.
Doscopones para guardar los ornamentos, que sirven de altaritos
colaterales del principal para revestirse el sacerdote, con sus frontales
que en el uno esta el Santo Grucifijo arriba referido y en el otro la
Sma Cruz.
Una imagen de talla de très cuartas de alto de Ntra Sra de la Con-
cepciôn con su corona de plala, la imâgen estofada de colores y oro,
con su peana dorada, que es la que estaba en la Capilla de las Reaies
Almonas.
En los capones de la de este Palacio hay los ornamentos siguientes :
Dos casuUas y demas vestuario que sirven a los cuatro colores de que
usa la Iglesia como son: verde y morado, blanco y encarnado, de
tafetan y damasco, guarnecidas con galon de seda.
Dos albas de lienzo usado, guarnecidas de unos en cajes moderados :
dosamitos : dos pares decorporales, dos manteles, dos paiïos de calices,
purificadores y tohallas correspondientes.
Un vélo que cubre el altar, de damasco morado y blanco guarnecido
de galon de seda.
Dos frontales de los mismos colores y telas que los ornamentos,
guarnecidos en igual forma que sirven â los referidos cuatro colores.
Dos Aras, que la una esta guardada y sin uso y era la que servia
en las Almonas.
Dos calices patenas y cucharitas de plata sobre dorada que el uno
esta guardado y sin uso y era el que servia en las Almonas,
Una arca de madera de cedro en donde se guardan los referidos
ornamentos que segun los tiempos no sirven.
Prcviniendose que los ornamentos que servian en las Almonas,
aunque maltratados, se llevaron â la Hacienda de Quintos donde
subsisten sirviendo en aquella Iglesia 6 capilla.
Siguen las Pinturas. — Una tabla embutida en la pared en la
meseta principal de la escalera, de Ntra Senora con el Niiio Jésus,
guarnecida de flores con moldura dorada y sin cristal.
En la libreria hay las pinturas siguientes :
El Oratorio alto de esta Casa esta hoy sin uso en la libreria y se
compone de un mediano retablo y en el cuatro lienzos moderados, en
la coronaciôn el Padre Eterno, en medio San José con el Niîïo Jésus
y a los lados San Andres y San Francisco, todo pinturas del clerigo
Roelas y algo maltratadas.
Sobre la puerta de dicha libreria esta una tabla embutida en la
INVENTAIRE DE LA « CVSA DE PILATOS » EN 1703 2G1
pai'cd, icliato dcl Senor Diujue D. Pedro, de niedio cucrpo arinado.
de mano de Ticiano y mallialado.
Dos tablas de mas de dos varas de alto y 1res ciiarlas de aiicho de
Ntro Sor y Ntra Sra con vestidura a lo antiguo, de cucrpo entero
sobre campo dorado.
Un licnzo de San Francisco de Borja de una vara poco mas de alto
y una de ancho.
Una tabla de a vara de el Nacimiento de Ntro Sr. Jesucristo que
dicen fué del Sr. Filibertn, hijo del Duque de Saboya, de mano de
Alberto Durero.
Un retrato del capitan Pedro Navarro, de média vara, inallralado.
Un retrato de très cuartas de alto de medio cuerpo con gorrilla y una
cadena al cuello.
Un retrato del Sr. Fernando Cortés de dos tercias, maltratado.
Una copia 6 retrato de Artemisa de très cuartas, maltratado.
Un retrato de Ariosto con un reloj de arena en la mano, copia de
Rafaël de Urbino, maltratado.
Un lienzo de dos varas de alto de Sr. San Juan Bautista original de
Artemisa maltratado.
Un lienzo de mas de vara de alto de medio cuerpo armado, la mano
derecha sobre un morrion, retrato del Sr. D. Felipe el Hcrmoso.
Un lienzo de dos varas de ancho y una y média de alto con moldura
dorada de un crucifijo y a sus pies Inîgo Lopez de Mendoza y su mujer,
Marqueses de Santillana, con ropaje antiguo, maltratado.
Ocho lienzos de siete cuartas de alto y vara de ancho que representan
ocho artes libérales, originales de Vazquez.
Una tabla de Maria Santissima Ntra Sra con el Nino Jésus con mol-
dura dorada de vara de alto de mano de Parma el Mozo.
Dos lienzos de mas de dos varas de alto y una y média de ancho con
molduras doradas de dos Emperadores â caballo, maltratados.
Dos lienzos de vara de alto de dos manos, de mano de Pacheco,
maltratados.
Un lienzo de Erodias con la cabeza de San Juan en un plalo, del
Racionero Céspedes.
Un lienzo de un retrato de una lâmpara que el Sr. Duque D. Fer-
nando diô â San Antonio de Padua, muv maltratado.
Ochoretratos de Srâs y Senoritas de la Casa, de diferentcs lamaiïos
maltratados.
Otros dos cuadros de cerca de vara de unos retratos muy maltratada
su pinlura.
Cuatro caiîones de mosquete antiguos, maltratados del tiempo que
dicen fueron de la batalla naval de Lepanto.
Dos escriptoritos de madera de naranjo con sus Hâves, el uno de
média vara de largo y mas de tercia de alto con doce gavetas chicas y
Bull, hispan. u^
lilja iiLLLiiTi> HisPA.Mgti;
una mas grande ; y otro de dos tercias de largo y cerca de média vara
de alto, con diez y seis gavetas que parecen servian de estudio de
medallas, y repartidas en dichas gavetas hay 5i monedas 6 medallas de
plomo, de caractères de Pontifices y cosas antiguas mémorables,
3iai monedas y medallas de cobre de diferentes tamanos y hechuras
de caractères arriba referidos, 65 de laton 2o3 cerquillos de todos
tamanos de Bujano que parece servian para poner en ellos las
espresadas monedas 6 medallas.
Estàtuas de la Galeria al ta de la Libreria. — En esta galeria que
mira al jardin hay las estàtuas siguientes :
Una estâtua de mârmol de Baco con la pantera a los pies, de siete
palmos de alto colocado en un nicho.
Otra estâtua de Hercules de mârmol moderna digo, del mismo
tamaîlo, tambien colocada en un nicho.
Otra estâtua de mârmol moderna de cinco cuartas de alto que
représenta un joven atado â un tronco con elcuerpo escorzado.
Otra estâtua de mârmol moderna de cinco palmos de alto que repré-
senta una Venus con una paloma en la mano izquierda, tambien en su
nicho como las antécédentes.
Cinco estàtuas de medio cuerpo antiguas colocadas en sus nichos
([ue corren el âmbito de la galeria.
Dos estàtuas pequenas de medio cuerpo antiguas de la parte de
afuera de dicha galeria mirando al jardin, que a la una le falta el
rostro.
Galeria baja de la Libreria. — En esta galeria que esta diafana y
al andar del jardin hay las estàtuas y columnas siguientes :
Una estâtua de mârmol antigua tambien en su nicho de cinco
cuartas y média de alto que représenta la Diosa Thetis.
Otra estâtua de mârmol, antigua, en su nicho, de ocho palmos de alto
que représenta la Diosa Salus o Hijea.
Otra estâtua de mârmol antigua en su nicho de poco mas de una
vara de alto que représenta una mujer recostada sobre un tronco.
Otra estâtua de mârmol antigua en su nicho de poco mas de una
vara, que représenta une Venus con una paloma en la mano izquierda,
sobre una columna.
Siete estàtuas de medio cuerpo, en sus nichos, de mârmol, en la
parte superior de dicha galeria, unas antiguas y otras modernas, de
emperadores y emperatrices romanas.
Dos columnas de mârmol, de très varas y très cuartas de alto y
média vara de diametro y sobre la una (porque la otra esta tendida
en el suelo) una cabeza pequeûa de piedra de parangon con el cuello de
jaspe blanco.
Otra columna de mârmol, tambien tendida en el suelo. de très varas
y cuarta de alto y una cuarla de diametro.
INVENTAIRE DE LA l' t:ASA UE l'ILATOS » EN 1 yS.'î -jfiS
(JUa columna de jaspe vcrde de cuatro vaias de alto y cerca de
média vara de diametro y sobre cUa una cabeza de uiârmol anligua,
del Emperador Vitelio.
Otra columna de pûiTido, por labrar de dos varas y média, largas
de alto y mas de cuarta y mediâ de diametro, sobre la cual esta una
cabeza de Esculapio.
Dos estâtuas de mârniol modernas que representan dos mujeres
hincadas de rodillas en acto de orar, de vara y mcdio de alto, mal-
Iratadas, que memorias antiguas dicen que estaban en el convento
de Monjas de Madré de Dios.
Dos estâtuas pequenas de medio cuerpo, de la parte de afuera de
dicha galeria, sobre sus arcos mirando al jardin.
Dos Basas muy maltratadas de estâtuas anliquas con sur inscrip-
ciones latinas.
Galeria alta del cuarto principal. — En esta galeria que mira al
jardin hay lo siguientc :
Una estâtua de Pomona de siete cuartas de alto con la cabeza manos
y pies de piedra de parangon y el cuerpo de âgata ordinario con el
brazo derecho y manos lastimados sobre su pedestal en su nicho.
Otra estâtua de mujer tambien en su nicho de el raismo alto con la
cabeza, manos y pies de piedra de Parangon y el cuerpo de âgata
ordinario.
Un sâtiro de mârmol antiguo tambien en su nicho de cerca de très
cuartas de alto, que tiene en la mano un botijonsito.
Un sileno de mârmol antiguo tambien en su nicho de cerca de res
cuartas de alto con una botejita en la mano derecha y en la izquierda
sobre el mismo hombre un canastito con frutas.
Cinco bustos 6 estâtuas de medio cuerpo en sus nichos redondos que
corren el âmbito superior de la galeria.
Cuatro cabezas en nichos mas pequefios de mârmol antiguo suivre
los antécédentes en los huecos de los arcos.
Dos estâtuas pequenas de medio cuerpo, de la parte de afuera de
dicha galeria sobre sus arco mirando al jardin.
Galeria baja de dicho cuarto. — Una estâtua de Baco, tambien en
su nicho con su pantera a los pies todo de mârmol de siete cuartas de
alto sobre una basa de la misma piedra,
Otra estâtua de la Diosa Amphitriste o Thetis con un delfin a los
pies tambien en su nicho de siete cuartas y média de alto sobre una
basa de la misma piedra, lastimadas las piernas y le faltan los dedos
de las manos.
Un nino tambien en su nicho de cuatro cuartas y média de alto que
tiene en la mano izquierda una paloma y en la derecha una coucha
todo de mârmol.
Una estâtua de mârmol tambien en su nicho de très cuartas de alto
204 BULLETIN HISPANIQUE
de un pastor que lleva â los hombres un carnero, y a los pies tiene un
perrito.
Cinco bustos 6 estâtuas tambien en sus nichos en la parte superior
de esta galeria, todas de la propria piedra.
Dos estâtuas pequenas de medio cuerpo de la parte de afuera de
dicha galeria sobre sus arcos mirando al jardin.
En este cuarto hay cuatro mesas de piedra, una de mârmol embu-
tida de piedra de varios colores de cinco cuartas en cuadro y très
dedos de grueso puesta sobre un pedestal de piedra jaspe en cuadro;
otra de piedra negra de menos de dos varas de largo y una de ancho
con su pie de madera : otra de jaspe veteado de cerca de vara y très
cuartas de largo y vara y média cuarta de ancho quebrado por una
esquina con su pie de madera, y otra de jaspe de colores de mas de
dos varas de largo y mas de vara de ancho con guarnicion de piedra
negra embulida y su pié de madera.
Galeria grande del jardin. — En esta galeria, que es diâfana sobre
arcos al plan del jardin, hay lo siguiente:
Una estâtua de la Fortuna de mârmol antigua de diez cuartas de
alto, sobre una basa de cerca de cinco cuartas de alto.
Otra estâtua de Jupiter de mârmol antiqua de diez cuartas de alto y
le faltan los dedos de la mano derecha.
Cuatro cabezas de mârmol sobre las columnas que despues se
espresarân.
Dos mascarones de mârmol sobre las columnas que despues se
espresarân.
Dos bolas grandes de mârmol sobre las columnas que depues se
espresarân.
Una columna de jaspe verde de très varas y cuarta de alto y cerca
de média vara de diâmetro con su basa y capitel de mârmol.
Otra columna de jaspe Colorado del mismo tamano que la antécé-
dente, con su basa y capitel de mârmol.
Otra columna de jaspe extrafïo de cerca de cuatro varas y medio de
diâmetro con su basa y capitel de mârmol.
Otra columna de mârmol algo manchado del mismo tamano que la
antécédente, con unos pernos por estar lastimada con su basa y capitel
de mârmol blanco.
Cuatro columnas de mârmol de très varas y très cuartas de alto y
cerca de média vara de diâmetro con sus basas y capiteles.
Una tabla de jaspe labrada para mesa, tendida en el suelo de dos
varas y média de largo très cuartas y média de ancho y cuatro dedos
de grueso, quebrada por varias partes.
Cenador de jardin ô Galeria quemada. — En este cenadorô galeria
que antes se quemô y hoy esta techada de nuevo hay lo siguiente :
Una estâtua de mârmol antigua de nuevo (sicj de nueve palmos de
INVENTAIRE DE LA « CASA DE l'ILATOS » EN l~0.i 2l)5
alto, maltratada, en su nicho, que représenta una mujer con la cabeza
cubierta con el manto, que la memoria antigua dice ser Plotina mujer
de Trajano.
Otra estatua de mârmol antigua tambien en su nicho de ocho palmos
de alto que représenta un Apolo con la lira en là mano izquierda y en
la derecha el Peltro (sic), lastimadas las manos.
Una estâtua de mârmol antigua tambien en su nicho de niieve
cuartas de alto y que représenta un Mercurio con el manto que llaman
clâmide sobre el hombro izquierdo: le falta una mano y el caduceo.
Otra estâtua de mârmol antigua tambien en su nicho de siete palmos
y medio de alto que représenta un senador romano con su toga ; ticne
los pies y manos rotas.
Una estâtua de mârmol antiqua tambien en su nicho de ocbo palmos
de alto algo laslimada y que représenta otro senador romano que
parece ser Cicerô.
Otra estâtua de mârmol antigua tambien en su nicho de ocho palmos
de alto que représenta una matrona romana y le faltan las manos y
parte de los brazos.
Siete estâtuas de medio cuerpo tambien en sus nichos sobre las anté-
cédentes todas de mârmol, las cinco de imperadores romanos y las
olras dos de mujeres con el ropaje que cubre el pecho de jaspe.
Gruta del jardin. — En la gruta o risco de este jardin hay una
estâtua de mârmol antigua, de una mujer desnuda que parece Susana
6 ^ enus, como dice la memoria antigua, sentada para banarse, mayor
que del natural y liene 'astimado un brazo.
Paredes del jardin. — En el lienzo del jardin saliendo del cuarto
principal sobre la derecha hay embutida en la pared once piedras de
fabulas, historias y trofeos deguerra todas de relieve, unas de dos varas
y otras de menos tamano y a proporcion su ancho con el grueso cor-
respondiente, como figuran (sic) tablas.
En el sitio que ocupa la escalera que sube del jardin a la libreria
hay cuatro nichos el uno vacio.
En el primero esta una estâtua de Esculapio de mârmol antigua de
siete cuartas de alto, maltratada.
En el tercero otra estâtua de mârmol antigua del mismo tamano de
un hombre desnudo (maltratada) con la cabeza de barro y le falta una
mano.
En el cuarto otra estâtua de mârmol antigua del mismo tamaûo de
otro hombre desnudo tambien maltratada.
En medio de dicho jardin hay una fuente con su taza de mârmol
de cinco cuartas de diâmetro y su pedestal de relieve toda ella de mas
de vara de alto con su saltadero de bronce.
En dicho jardin hay oculto y boveado un almaccn de 27 varas de
largo dos varas y tercia de ancho y cuatro varas y média de alto donde
26(5 BlLr.ETlN HISPANIQUE
se recoje el agua para el riego con una llave y canon de bronce por el
plan de él para su reparti miento.
Cuarto de los Primogénitos. — En el jardin que esta en estecuarto
que llaman de los primogénitos liay una estâtua de Venus acostada en
cama con un Cupidillo en los hrazos todo de mârmol pario de siete
palmos de largo, a la Venus le faltan las narices y al Cupîdo el brazo
izquierdo y no tiene el arco que dice la memoria; esta estâtua esta
sobre una tarima de madera de bajo de un corredor de dicbo jardin.
A los dos estremos de este corredor hay dos pedestales de jaspe
veteado de encarnado de poco mas de vara de alto y média de circun-
ferencia sobre los cuales parece estaban colocados dos ninos en figura
de aguadores, de jaspe negro veteado de menos de vara de alto con sus
cântaros sobre el hombro y boy se ballan fuera de su sitio, quebrados
en mucbas partes ni capaces de poder servir.
Sobre un estanque de material de mas de trece varas de largo cinco
de ancho y una de alto hay una estâtua de mârmol pârio de una mujer
desnuda de cinco cuartas y média de alto que tiene ima urna en la
mano derecha por donde echa el agua al estanque.
En los dos testeros de este jardin en dos huecos 6 nichos de medio
punto hay dos saltaderos de agua con sus tazas pequenas y pedestales
delgados de mârmol toda su altura una vara.
Zaguan ô palio apeadero. — A la entrada de este Palacio por la
parte de afuera sobre la mano izquierda, mirando â la Plazuela hay
un nicho de dos varas y très cuartas de alto y dos varas de ancho,
labrado de piedra de jaspe veteado oscuro y colocado en él con su
peana, una cruz de la misma piedra de dos varas y média de alto que
sirve de segunda estaciôn del Via Grucis desde la Gapilla de este
Palacio â el sitio que llaman la Cruz del Campo 6 humilladero
extramuros de esta ciudad.
En este zaguan 6 patio de apeadero hay un pilon de material para
dar agua al ganado de las caballerizas con su cano de bronce por
donde recibe el agua sobrante de la pila del patio principal.
A la entrada de dicho patio principal sobre su portada mirando al
Apeadera hay dos estâtuas pequenas de dos ninfas de mârmol que
acompanan â dicha portada y â los escudos de armas de la casa que
estan encima y â los lados de ella pintados en la pared.
Patio principal. — En dicho patiô principal al rededor de sus
cuatro corredores arqueados estan 24 nichos ovalados de piedra
mârmol embutidos en la pared en la parte superior y en ellos de
firme, 24 estâtuas tambien de mârmol de medio cuerpo que repre-
sentan parte de ellas emperadores romanos y parte otros héroes.
A las cuatro esquinas de dicho patio, fuera de los corredores
mirando al centro de él hay cuatro estâtuas algo maltratadas de
cuerpo entero sobre pedestales de piedra tosca de vara y cuarto
INVENTAIRE DF, l. V k C \S V DK l'ILATOS » E.N I 75a 2()-
de ancho y vara de alto: la una de mârmol que représenta la Diosa
Palas de 1res varas y dos tercias de alto, otra de la inisma piedra \
tamano que représenta la propia Diosa aunque en diferente postura
y acto, otra de la misma piedra de dos varas y cuarta de alto, que
représenta la Diosa Gères y la otra de la misma piedra de dos varas y
tercia de alto que représenta la copa Siviâca de Virgilio segun la
memoria antigua.
En medio de dicho patio hay una fiiente de cuatro cafiones con un
pilon pedestal y taza de mârmol ; el pilon tiene très varas y média
en cuadro, la taza es redonda y tiene très varas de diâmetro y hoy
remata con una cabeza de dos caras del Dios Jano tambien de
mârmol que parece se puso en lugar de un sâtiro que antes ténia
y estata quebrado : tiene de alto toda la fuente desde el suelo hasta
su remate cuatro varas.
Cuartico que sirve para piedras. — En este cuarto que solo sirve
para piedras y esta en la galeria baja de la libreria, baciendo Trente
a la habitaciôn del jardinero, hay lo siguiente :
Très cuerpos de estâtuas de mârmol sin cabeza, brazos ni piernas.
Un cupido de mârmol antiguo (durmiendo) sin piernas, de média
vara de largo.
Cuatro cabezas de mârmol antiguas arrancadas de sus cuerpos, dos
de hombres y dos de mujeres sin que les vengan â los cuerpos que
no las tienen.
Un pié de mârmol que le falta el dedo pulgar de cuarta y média
de largo.
Una mano de mârmol antigua de una cuarta de largo.
Un vaso de mârmol antiguo de relieve bajo quebrado en la orilla
de cerca de média vara de largo.
Una columna de pôrfido de oclio cuartas y média de alto y cuarta
y média de diâmetro por labrar.
Un pedazo de columna de pôrfido mas fino tambien por labrar de
cerca de vara y média de largo y cerca de très cuartas de diâmetro.
Cuatro columnas de jaspe verde de oclio cuartas y média de alto
y cerca de una cuarta de diâmetro, la una quebrada por la niitad v la
otra por varias partes.
ïres columnitas de mârmol la una de siete palmos de alto, la otra
de ocho y la otra de nueve, todas de medio palmo de diâmetro las dos
partidas en varios pedazos.
Dos columnas companeras de jaspe veteado de encarnado de cerca
de vara de alto y una cuarta de diâmetro cada una con su basa.
Una basa de estâtua de mârmol de una cuarta de alto y dos cuartas
y mediâ de ancho ; très capiteles de columnas de mârmol el uno de
palmo \ medio de alto y los olros dos menores.
Una fuente con su pedestal de mârmol y sobre el un monslruo
368 BULLETIN HISPANIQUE
marino, de varias piedras y colores que soslicnc la taza que es ovalada
de jazpe veteado oscuro con su subiente tambien de jazpe encarnado
y blanco, fâltale el remate a esta fuente que parece fue hecha para
sobre un estanque, la altura sera de siete cuartas y média, la taza
tiene de largo vara y média y de ancho très cuartas y média.
Seis piezas de mârmol que parece sirvieron de cerco al pilon de
fuente del jardin de varios tamanos y lodas de média vara de alto
y medio palmo de grueso, que por estar maltratadas parece se debieron
quitar de su sitio.
Una bola grande de jaspe sin companera.
Un nifio de jaspe veteado oscuro sentado de un lado con un delfin
que le abraza el cuello, de mediâ vara de alto sobre su pedestal del-
gado de dos pulgadas.
Très piezas entabla de pizarra la una de cuatro palmos y medio de
alto y très de ancho dedicadas a un tal Tempronio fsic), otra del
mismo tamailo tambien con su inscripciôn dedicada a un tal Valerio
Propincuo y la otra de una vara de alto y très cuartas de ancho con
su inscripciôn dedicada â Marco Calpurnio.
Una cabeza de mârmol colosal, de dos cuartas y média de alto.
Otro nino de mârmol en acto de dormir de cuarta y média de
largo.
Un relieve de mârmol de una vara de largo y très cuartas de alto
(antiquo) condos hombres a caballo que représenta una de Gursion (sic).
Otro relieve de mârmol antigiio de mas de très cuartas de alto y
cerca de média vara de ancho que représenta la Diosa Salus ô Hijea
dando de corner â la culebra enrroscada en el tronco de un ârbol,
maltralada.
Otros dos relieves de mârmol antigao partidos en varios pedazos.
Un medallon de mârmol con la cabeza de Néron de cerca de média
vara de alto y una tercia de ancho.
Dos lapidas de mârmol antiguas la una de cuarta y média cuadrada
y la otra menor ambas tienen en medio labradas una como escudilla y
en sus fondos unos agujeritos.
Un sâtiro de mârmol de très cuartas de alto que era el que estaba por
remate de la fuente del patio principal y hoy esta quebrado por varias
partes.
Igualmente hay en este cuartico diferentes fragmentos incapaces
de servir, de brazos, piernas y demas de estâtuas y otras hechuras
que no van espresadas en esta relacion por no subsistir sin poderles
dar destines a dichos fragmentos con arreglo a las que en ella se
refieren como laslimadas.
Y para que asi conste â S. E el Duque mi Sr. en cumplimiento de su
citada ôrden habiendo tenido présente las memorias antiguas que la
acompafiabm y se dcvuelven por esta Gontaduria, la firmamos en
1NVE>TVIIIE DE LA U CAS\. OF. IMI.ATOS i) EN l-]').i apQ
Sevilla a 2 de Agosto de mil setecientos cincucnla y uno. — Don
Nicolas Orliz de Escovar — D. Antonio Ruiz de ReboUedo.
La original se rcmitio al Duque mi Sefior con la propia fecha en el
correo 6 de 3 Agosto de 176 1.
Nicolas IIortiz Antonio Ruiz
de Escovar. de Rebollcdo,
Es copia.
Este inventario, cuya copia hemos podido obtener, merced
a un permise del Sr. D. José Gestoso, que nuuca le agrade-
ceremos bastanle, es, como se ve, del mayor interés para los
arqueélogos, puesto que menciona un sin numéro de estatuas,
bustos, cabezas y otros objetos antiguos, conservados entonces
en tan suntuosa morada, y hoy esparcidos, no se sabe donde,
6 destruidos. Tiene el inventario el defecto de no indicar las
procedencias, cosa tan capital en asuntos de arqueologîa ; pero
acaso podrîa remediarse esta omision con pesquisas que se
hicieran en el archivo de la casa de Medinaceli que radica
en Madrid. Muchas piezas proceden sin duda de Italia.
Nada mejor podemos hacer aqui que transcribir algunos de
los pârrafos que a esto dcdica el sabio autor de la Sevilla
monumenlal y arllstica en el tomo tercero de esa magnifica
obra(iS92, pp. i83-2o6); porque asi podrâ el lector poner en
parangon el estado antiguo de tan hermosa coleccion, con el
lamentable estado actual.
El adelantado mayor de Andalucîa, D. Pedro Enriquez, comenzô
esta fâbrica (+ 1^192)... D. Fadrique, primer marqués de Tarifa,
efectuô la decoraciôn de sus patios y portada... Fué concluida en su
parte principal en la seganda mitad del siglo xvi. El analista Zûniga
habla de sus belHsimas estatuas y del « tesoro de notables reliquias
de la antigûedad romana, que el marqués de Tarifa, y después el
duque D. Perafân, traxeron de Roma. Ycnse en el jardin, embulidas
en sus paredcs, muchas tablas de marmol, con historias de rclieve,
despojos de los arcos triunfales de la Cabeza del Mundo, y especial-
mente del célèbre de Tito y Vespasiano ; vense en él varios simulacres,
ya de sus deidades, ya de sus héroes, y en la libreria esta la urna que
en la columna de Trajano contenia sus cenizas, que es fama haber
venido en ella misma, y destapada de impertinente curiosidad, por
270 BULLETIN niSPAMQUE
investigar lo que encerraba, fueron vertidas en el jardin ». — Es ciei lo
que el marqués de Tarifa, y los duques de Alcalâ sus sucesorcs,
reunieron en su opulenta morada verdaderos tesoros artisticos,
arqueologicos y bibliogrâficos, de los cuales da también razon el docto
Rodrigo Caro, pues hablando de la Casa, dice « que es insigne»...
« porque, después de su raro edificio, en ella han juntado sus duenos
muchas efigies de marmol de principes y varones insignes antiguos,
y dos grandes colosos de la diosa Palas, y otra multitud de estatuas y
despojos de la antigûedad : y el ex""" duque de D. Fernando Enriquez
Afân de Rivera, que hoy posée esta casa, ha juntado una gran libreria,
y en ello tanfos volûmenes de todas ciencias y letras humanas,
manuscritos y medallas antiguas, que compile con los mas insignes
del mundo ».
Pues bien, de todo esto, quedan tan solo las estatuas del patio
principal, los bustos que adornan las galerias bajas del mismo, y una
apreciable colecciôn de restos epigrâficos y arquitectônicos en el jardin.
Que se hizo, pues, de la biblioteca, enriquecida con las de Ambrosio
de Morales y del D' Negrôn, del gabinete numismâtico, y de tantas
otras vénérables antiguallas? De ellas resta tanto este recuerdo, y lo
que es aun mas extrano, no conocemos ningûn papel en que se haga
referencia al paradero de tanta riqueza. Que desapareciô, es cierto; el
cômo, se ignora al présente...
Patio : 2 1 bustos de emperadores romanos, y los de Carlos V y
Gicero, todos de marmol blanco, algunos admirables, como los de
V^alerio, Tiberio, Vitelio y Ciceron... Las dos colosales estatuas
romanas de marmol blanco, que representan â las Minervas guerrera
ypacîfîca.
El casco y escudo de la primera son piezas notables, pero no corres-
ponden con la estatua... magnifîco monumento, digno de detenido
estudio. llay también una Ceres y una Musa... la primera muy
apreciable. Debieron ser enviadas de Italia por el duque de Alcalâ
D. Perafân de Rivera, virey que fué de Nâpoles, -f- 1571.
Jardin : Bustos de emperadores y emperatrices romanas, mas-
carones, cabezas y estatuitas de marmol blanco ; entre los primeros
hày algunos de relevante merito, procedentes sin duda de Italia.
Entre estas notables reliquias, para cuyo estudio detenido nece-
sitariase un volumen, hay dos estatuas, una de Ceres fructifera
y otra de emperador, bastante muliladas : la segunda es muy digna
de atenciôn por el admirable dibiijo de sus piernas y plegado de panos.
Igualmente podemos decir de la colecciôn de antigiiedades que se
conserva en la pieza Uamada El Estudio, pues hay numerosos objetos,
bustos, inscripciones y fragmentos arquitectônicos romanos en su
mayor parte, y muy dignos por diferentes conceptos de fijar la
atenciôn de los entendidos.
nVENTAlRF DE I. A u CASA DE PII.ATdS )> E.\ l-JO:i H~ \
\o fueion, sin duda, los de Rivera los solos magnâtes de
aquella época que adornaban sus palacios con marmoles y
estatuas procedentes de Italia, esta fuente inagotable de
produclos del arte antiguo ; y por eso el arqueologo debe
teflexionar mucho ailles de afirrnar que son de l'^spaila los
marmoles antiguos exislentes en las colccciones 6 musées
modernos, cuva procedencia sea dudosa. El que escribe estas
lineas recuerda haber encontrado hace pocos anos en un
jaidiii de Bornos (Cadiz) dos esfaluas de mujeres romauas
acosladas que, segun le dijeron, procedîan del dcspoblado
inmediato de Carisa; pero despucs, al leer en el manuscrito
del P. Mariscal sobre Bornos > la descripcion del palacio que
en dicha villa tenian los de Rivera — entre los que figura
cabalmeiite el Don Fadrique Enriquez, primer marqués de
Tarifa (lôSy) que hemos visto mas arriba y que adorno tambien
su palacio de Bornos de la misma manera que el de Sevilla —
tuvo por fuerza que suspender su dictamen, admitiendo como
muy posible que las dos estatuas mujeriles procedîan del
estrangero y no del dcspoblado de Carisa.
A. E.
I. Composa elhfos chriatianos. Historia y aniiguedad de h villa de Bornos, lyi^i.
BLÀSCO IBANEZ
ET LE ROMAN DE MOEURS PROVINCIALES
Dans une de ses nouvelles, parue en 189 1 >, J. M. de Pereda
défend, avec sa verve habituelle, la cause du « roman provin-
cial », et, d'une façon plus générale, la « literalura provinciana »
elle-même. 11 estimait alors, — et je sais qu'il n'a pas changé
d'avis depuis, — que la critique madrilègne affectait un dédain
injurieux à l'égard des auteurs de province, que les chicos de la
prensa {siinsi qualifiait-il ces critiques) faisaient preuve d'une
partialité qui n'avait dégale que leur ignorance systématique.
Assez haut placé dans l'opinion pour n'être point soupçonné
de plaider seulement une cause personnelle, l'illustre auteur de
El Sabor de la Uerraca et de Sotileza mettait dans la bouche du
montanés Juan Fernandez l'une des protestations les plus viru-
lentes qui aient été dirigées contre la centralisation. Pour nous
en tenir au roman, Juan Fernandez, ou, si l'on veut, Pereda,
s'élevait contre le préjugé qui représente la capitale comme un
champ d'observation infiniment plus intéressant que l'insigni-
fiante province. « Est-ce donc, s'écriait-il, que l'art a une patrie
et un théâtre déterminé? N'y a-t-il pas, en province, des hommes
et des femmes comme à Madrid? Dès lors, qu'importe que le
lieu de la scène, où se représente un fragment de la comédie
ou du drame de la vie, ait pour toile de fond ces mers immen-
ses et ces monts abrupts, ou bien les arbres et les files de voi-
tures de la Caslellana?.. Le grossier paysan de nos contrées, le
modeste travailleur de nos ateliers, le pêcheur de ces mers
grandioses, la simple paysanne de ces verdoyantes campagnes
ne sont-ils pas faits d'une argile aussi digne d'être modelée
par la main de l'artiste que votre canaille et vos Méiicgildes de
là -bas? » — Voilà pour le fond. Quant à la forme, a les provin-
cialismes espagnols, qui sont le suc, la sève de la langue
I. Nuhes de Estîo, cliap. XllI, Palique, p. 260-88.
BLASCO IBÂ^EZ KT LE ROMAN UE MŒURS PROVINCIALES 278
malcrnellc, ne valent-ils pas autant pour le moins, au point
de vue de l'expression artistique, que le jargon de mode parmi
la foule madrilègne?.. » Tous les arguments en faveur du
roman provincial, c'est-à-dire de celui qui a pour objet les
êtres et les choses de la province, sont développés par Juan
Fernàndez avec un accent qui surprendrait, si les polémiques
du temps, oubliées aujourd'hui, n'en expliquaient la vivacité.
A première vue, en effet, il ne semble pas que cetle thèse :
« Si es iiovelable la provincia, » puisse sérieusement soulever de
discussion. En France, du moins, je ne vois pas que personne
ait tenté de soutenir la négative. En Espagne, M"'" Pardo
Bazan elle-même, qui, se croyant personnellement visée, avait
répondu à la fougueuse sortie de l'irascible Juan Fernàndez i,
trouvait cette allégation « si puérile, que ce serait perdre son
temps que de la réfuter ». Cela reviendrait, ajoutait-elle avec
raison, à nier l'évidence; car, en Espagne, à l'exception de
Galdos, tous les romanciers de quelque talent ont gagné leurs
éperons en décrivant à plusieurs reprises la région oii ils sont
nés. A quoi Pereda répliquait 2 que si personne, en effet,
n'avait osé soutenir cette théorie ouvertement et en termes
exprès, beaucoup refusaient en fait de reconnaître au roman
à sujet provincial la môme portée qu'à la Novela madrilègne.
j^me Pardo elle-même, dans la Question palpilaiile, n'a-t-elle pas
parlé de ce « jardin de Pereda, bien arrosé sans doute, bien
cultivé, rafraîchi de brises champêtres et parfumées, mais au
bout du compte simple jardin, et non plaine immense ou
vaste parc? (bien regado, bien ciillivado, oreado por aronidlicas y
scdubres auras campestres, pero huerio al fin, no exlensa llanura
ni dilalado parque) ». Et c'en était assez pour exciter l'humeur
(splendida bilis) du père de Solileza. Lisez plutôt la préface de ce
dernier roman, dédié exclusivement « aux amis de Sanlander n.
— « Si c'est, comme il paraît, une chose décidée que le roman
qui se pique d'être « sérieux », ne doit point présenter d'autres
horizons que ceux auxquels est accoutumée la « bonne société »,
s'il n'y a point d'autres sujets « importants » que ceux qui se
1. Los resqueinores Je Pereda, Imparcial, Enero de 1891.
2. Las comezones de la S™ Pardo Bazân, Iinparcial, ai de Febrcro de 1891.
a 74 BLLLETI> HISPANIQUE
déroulent dans les grands centres organisés à la moderne, si
la redingote et le boudoir, lagioteur, le politique vénal, le
jeune savant pauvre, l'élégant imbécile, et le « problème » de
l'adultère, et le problème de la prostitution, et le problème de
la vertu qui chancelle, et tant d'autres problèmes, jusqu'aux
grossières galanteries du chulo du Café Impérial, doivent être
les thèmes obligés du (( bon » roman de mœurs, comment
oserais -je aspirer aux applaudissements de tous, à l'appro-
bation de la critique militante, avec ce tableau des misères et
des vertus dune poignée d'inconnus, avec des accessoires insi-
gnifiants, et, pour toile de fond, la nature dans sa grandiose
tranquillité ou dans ses colères déchaînées? » Si j'exhume cette
vive polémique, dont la pointe est bien émoussée aujourd'hui,
ce n'est certes pas pour le malin plaisir d'opposer l'un à l'autre
deux des plus grands romanciers contemporains, que j'aime et
que j'admire, mais parce qu'en elle-même elle me paraît
significative d'une double tendance des esprits en Espagne, et
qu'elle nous conduit directement à notre sujet.
Au surplus, elle repose, en ce qui concerne du moins le
roman, sur un simple malentendu. Ce n'est qu'au point de
vue proprement mondain que l'horizon provincial pourrait
être plus borné que celui de la capitale. L'humanité, comme
dit Juan Fernândez, y est au fond la même. Peut-être les types
y sont-ils moins variés, moins souvent renouvelés; ils sont
encore assez nombreux pour fournir amplement à la produc-
tion du plus fécond des portraitistes, assez divers pour que l'on
y retrouve toutes les nuances connues des passions, des vertus,
des vices, toutes les misères et toutes les grandeurs de notre
pauvre humanité. Nul ne l'a mieux prouvé que Pereda et
M™" Pardo Bazân eux-mêmes, puisqu'ils ont également tiré leurs
meilleurs romans du terruno bien-aimé, de la monta/la de San
tander ou de la Galice. Au bout du compte, « entre provincianos
anda el juego » .
Au cours de cette polémique. M""" Pardo Bazan remarque
qu'en France beaucoup de romans de Balzac, de Zola, de
Daudet et le chef-d'œuvre de Flaubert, M'«e Bovary, ne sont
guère que des descriptions de la vie de province. « Et cepen-
ULASCO ibam:z et ll uoman ui; mi*:liis inioviNCi.vLLs 370
darit, ajoute- 1- elle, la France n'a plus celle vivucilc de
coloris régional que l'Espagne a conservée. » Certes, les
romans cités, auxquels on en pourrait joindre tant d'autres, de
Cherbuliez. de Ferdinand F^abre, de Theuriet, de Bazin, etc.,
attestenl ù la fois et l'intérêt de ces études provinciales et aussi
l'effacement, le pùlissemenl de celte couleur locale. Il en est
de nos types provinciaux comme des provinces elles-mêmes:
leur originalité se perd de plus en plus. On peut passer de
l'une à l'autre sans s'en apercevoir. De même, il n'est pas facile
de dire de prime abord en quoi le petit bourgeois tourangeau,
dessiné par Balzac, se distingue du normand de Flaubert et de
Maupassant, ou le paysan vendéen de Bazin du lorrain de
Theuriet, voire, malgré l'exagération bruyante de sa person-
nalité, du provençal de Daudet. « Les paysans de Maupassant,
écrivait M. Rod, à propos des Nouvelles paysannes de M. Luigi
Capuana, sont des paysans qui, tout normands qu'ils sont, res
semblent aux paysans de tout pays. » Quelques rares détails de
costume, quelques usages particuliers, quelques façons de dire
spéciales, l'on efTacerait aisément tout cela sans toucher au
fond du tableau. La part d'humanité devient chez nous plus
large, et moins perceptible la différence ethnique. Dans les
frottements plus fréquents, les angles s'usent vite, comme
s'arrondissent, en se heurtant dans le lit des torrents, les
pierres arrachées aux flancs des montagnes. Les grandes
passions demeurent, et les grands vices, mais s'ils restent
toujours les mêmes en leur essence, ils perdent de plus en
plus, dans nos sociétés uniformisées, ces manières d'être par-
ticulières dont l'artiste tirait parti. Les types individuels n'y
sont peut-être pas plus rares, mais ils y sont moins remar-
qués. La province, au contraire, là où elle existe encore, les
conserve plus fidèlement; elle les met mieux en valeur; elle
donne aux caractères et aux individus une empreinte qui ne
s'efface point si facilement; elle garde enfin plus obstinément
le respect et le sens du pittoresque. Mais, chez nous, la pro
vince s'efface et disparaît rapidement. La centralisation, force
fatale que n'arrêteront pas de timides protestations, fait son
œuvre : elle passe sur tout et sur tous son rouleau égalitaire.
276 BULLETIN HISPANIQUE
Il faut aller de jour en jour plus loin pour s'apercevoir que l'on
a changé de place. « Si l'on a chance, dit encore M. Rod, de
découvrir des êtres qui ne portent pas trop le masque du
moule commun, qui aient encore quelque originalité d'âme et
de manières, ce n'est que dans les pays qui résistent, comme
ils peuvent, au niveau de notre culture. Même dans nos cam-
pagnes, de tels êtres ne se rencontrent plus tous les jours; la
génération qui monte, façonnée par les mêmes entraînements,
est déjà bien monotone. » N'est-ce pas cet ennui du déjà vu,
le désir d'autre chose qui explique le goût du public pour les
exotiques?
En Espagne, la novela de coslambres provinciales est restée
l'une des formes les plus populaires du roman. Dès ses débuts,
avec Fernân Caballero etTrueba, — pour ne point remonter aux
cos lambris tas comme Estébanez Galderon, — le roman moderne
s'attache de préférence à l'étude des mœurs locales. Il réserve
une place importante h la peinture des diverses régions de la
péninsule. Plus que tout autre, par exemple, Fernan Caballero
contribua à mettre à la mode cette Andalousie un peu arti-
ficielle dont on devait, par la suite, tant abuser. Quant à l'œu-
vre du Bilbaïnien Trueba, si elle fut en majeure partie écrite
à Madrid, elle n'est, d'un bout à l'autre, qu'un hymne enthou-
siaste en l'honneur des Vascongades. Est-il besoin de rappeler
le rôle considérable que joue encore l'Andalousie dans l'œuvre
de Pedro Antonio de Alarcon, l'auteur de l'incomparable Som-
brero de 1res Picos, ou dans celle de D. Juan Yalera, dont la
Pépita Jiménez a fait tourner, elle aussi, tant de têtes? Certes,
ni l'un ni l'autre de ces excellents écrivains ne s'est cantonné
dans le petit coin de terre natale. La vive intelligence du pre-
mier, la riche expérience personnelle du second leur ouvraient
de larges horizons et des jours variés sur tout ce qui peut
intéresser quiconque a vu, comme Ulysse, «les villes et les
mœurs des hommes ». Il n'en est pas moins vrai que leurs
chefs-d'œuvre les plus populaires se sont épanouis, comme
fleurs du terroir, à Grenade ou dans sa Yega.
L'on en peut dire autant de l'œuvre considérable de M""" Pardo
Bazan. Après tant de pointes capricieuses à travers le monde
BLASCO IBA^EZ ET LE ROMAN DE MœUUS PUOVnCIALES 277
des idées ou de l'art, elle en revient toujours (les dieux en soient
loués !) à la (juerencia favorite, à sa chère Marineda, à ces côtes
verdoyantes de Galice, si aimablement poétisées dans la Madré
naturaleza ou dans les Pazos de Ulloa. Quant à Pereda, il est,
selon l'expression de Menéndez Pelayo, la monlana faite homme;
il en a écrit Y Iliade et X'Odyssée ; il l'a fait entrer, de haute lutte
et pour jamais, dans la géographie littéraire et romanesque.
S'il en est sorti, ce ne fut qu'à son corps défendant, et il n'eut
qu'à se louer médiocrement de ses excursions hors du domaine
qu'il a fait sien, lequel s'étend, on le sait, des côtes rocheuses
de SolUeza et de la Puchera aux montagnes jneigeuses de
Penas arriba. Par une fatalité dont il faut nous féliciter, il ne
retrouvait toute sa force qu'en touchant de nouveau le sol de
la Tierriica. 11 serait trop facile, en poursuivant cette énumé-
ration, de montrer que le roman espagnol contemporain n'est,
le plus souvent, que la peinture des moeurs locales. Toutes les
provinces, ou peu s'en faut, ont leurs chroniqueurs attitrés ;
leurs œuvres réunies formeraient comme un curieux musée
des mœurs, coutumes et usages, une sorte de panorama natio-
nal. L'Andalousie des Alarcon, des Valera revit encore, avec
ses vives couleurs, son ciel éclatant, sa physionomie orientale,
dans les chatoyantes esquisses de Salvador Rueda ou d'Arturo
Rcyes. La Tierra de Campos, l'immense et monotone plaine
de blé, a trouvé son peintre dans Picavea ; l'Aragon et la Sierra
d'Albarracîn ont les leurs, en tête desquels marche, — par rang
d'antiquité, — D. Manuel Polo y Peirolon. Il n'y a guère,
comme l'a remarqué M™' Pardo Bazun, qu'une exception, glo-
rieuse il est vrai, parmi les maîtres de la littérature romanesque :
c'est celle de Pérez Galdôs. Quelques éclectiques passent volon-
tiers d'une région à l'autre : l'Asturien Palacio Valdés, par
exemple, décrit, avec la même conscience, les côtes des Astu-
ries dans José, l'Andalousie dans Los Majos de Cddi: ou La
Ilermana San Sulpicio, Valence dans la Alegria del capikin Ribot.
Ceux-mêmes qui semblent attacher une moindre importance au
décor (Jacinto Picon, Leopoldo Alâs, etc.), placent volontiers
en province la scène de leurs intrigues.
Ce fait frappe bientôt celui qui étudie le roman espagnol. Il
Bull, hispan. 19
■i-jS DtLI.ETlS iliSPAMQLE
s'explique aisément. L'originalité de la province s'est mieux
conservée en Espagne que chez nous : l'action du pouA^oir
central, quelque menaçante et tracassière qu'elle soit, ne s'y
est pas fait sentir avec la même intensité, ou elle y a rencontré
plus de résistance. Les diverses parties du territoire, fort diffé-
rentes par la nature du sol, par le climat, par l'origine ethnique,
par les productions et les intérêts économiques, forment autant
de groupes que leur histoire, leurs traditions, leurs coutumes
différencient encore nettement. Elles sont unies par un senti-
ment patriotique ardent, mais qui revêt des formes très variées,
et par le lien de la religion, dont la vieille force de résistance
paraît sur certains points faiblir. Cette individualité persistante
de la province peut devenir, — en Catalogne, par exemple, —
un péril pour l'unité, car elle va jusqu'à l'opposition voulue.
Elle s'accentue par la différence de la langue, grave préoccu-
pation parfois pour les gouvernants, mais gain certain au
point de vue littéraire. Grâce à elle^ l'Espagne possède au
moins deux littératures, la castillane et la catalane, et chacune
d'elles, à son tour, a ses variétés plus ou moins fécondes :
celle-là, la galicienne et l'asturienne; celle-ci, la valencienne et
la mallorquine. Les Catalans sont, à bon droit, fiers de leur
littérature. «Elle compte, dit un bon juge», des romanciers
qui valent les meilleurs d'Europe, des poètes lyriques et dra-
matiques admirables, des peintres de mœurs (costumbrislas) et
des critiques supérieurs ; elle possède l'unique poète épique
qu'il y ait aujourd'hui en Espagne, l'unique dramaturge
dans les tragédies duquel resplendit le génie souverain de
Shakspeare. )> Et ce n'est que justice de citer, à côté des
Verdaguer et des Guimera, Narciso 011er qui, avec plus de
talent mais non avec plus d'amour pour la patria chica que
les Yidal y Valenciano, les Pin y Soler, les Bosch de la Trin-
xeria et les Vilanova, a laissé des tableaux achevés du pays
natal.
A ce point de vue donc, la capitale n'exerce sur le reste du
pays qu'une action beaucoup moins tyrannique qu'en France,
où elle menace, il est vrai, d'annihiler toute activité provin-
I. Pcreda, Nnbes de eslio. p. 28^.
nL.vsco iBi>t:/, i;t le j-.oman me \i(jr.t rs puovinciai.ks 279
ciale. Elle n'a point, comme Paris, le monopole à peu près
exclusif des initiatives littéraires. De même, si ILniversité
centrale a étouffé, ou peu s'en faut, la vie scientifique des
vieilles universités, mortes d'ailleurs depuis longtemps, c'est
plutôt grâce à la tyrannie des règlements que par la fécondité
de son enseignement. Pas plus dans le domaine de la pensée
que dans celui de l'expression artistique, lEspagne ne connaît
ces directions souveraines qui assujettissent à une unité plus
ou moins conventionnelle la diversité des esprits. Loin de là :
c'est de la province que sont sorties, plus d'une fois, les tenta-
tives heureuses ou les formes d'art originales. La centrali-
sation intellectuelle et artistique, à peu près achevée chez
nous, n'a pas encore produit tous ses effets chez nos voisins.
Faut-il le regretter? Faut-il les en féliciter?
Mais il est temps, après nous être quelque peu attardés en
chemin, d'arriver à Valence, d'où nous ne sortirons plus, et à
l'œuvre de D. Vicente Blasco Ibanez, qui semble une confirma-
tion de ce qui précède et une preuve de plus de la vitalité des
littératures provinciales. Il y a peu de temps (une douzaine
d'années environ) que M. Blasco Ibanez a commencé à se faire
un nom comme romancier. Depuis, il n'a point perdu son
temps: point d'année sans œuvre nouvelle. Ha vite forcé l'at-
tention publique ; il est aujourd'hui populaire, sinon prophète,
en son pays, et en passe de prendre l'une des premières places
parmi les noveUslas. Il a ses admirateurs enthousiastes, et, je
crois bien aussi, ses ennemis cordiaux; sur les bords du Turia,
comme sur ceux du Manzanares ou de la Seine, ceux-là ne
vont guère sans ceux-ci, et ce n'est qu'à ce prix qu'on sort de
la foule. Je n'ignore pas que cette notoriété, rapidement ac-
quise, cette popularité, un peu plus bruyante parfois qu'il ne
voudrait lui-même, ce n'est point exclusivement aux lettres
qu'il la doit. M les lenipla serena de Lucrèce, ni la tour d'ivoire
de Vigny ne lui suffisent. Le politique, le républicain, le libre
280 BULLETIN HISPAMQUE
penseur a une clientèle pour laquelle les préoccupations d'or-
dre littéraire (si tant est qu'elle en ait) ne viennent qu'en
seconde ligne. Mais on connaîtrait mal la personnalité si
vivante de Blasco Ibânez si l'on ignorait que l'écrivain est dou-
blé d'un homme politique, passionnément engagé dans les
luttes de parti et dans les querelles locales. C'est là, au con-
traire, un élément nécessaire à la juste appréciation de son œu-
vre, car cette dernière reçoit son orientation des idées politi-
ques, religieuses ou sociales de l'auteur. Mais puisque, grâce
à Dieu, le tumulte des batailles locales n'arrive point jusqu'à
nous, il suffira de rappeler ici que le député de Valence s'est
placé résolument à l'avant-garde du parti républicain, qu'il a
contribué à fonder dans son pays une Université populaire (à
l'instar des universitaires d'Oviédo, mais dans un esprit plus
hardiment démocratique), enfin qu'il a répandu par des traduc-
tions à bon marché les œuvres de combat les plus célèbres,
depuis celles des Kropolkine et des Sébastien Faure jusqu'à
celles des Tolstoï, Jean Grave, Renan, Victor Hugo, Emile Zola,
Anatole France, Gorki, d'Annunzio, etc. Cette bibliothèque,
économique et populaire, dont le caractère est suffisamment
défini par les noms qui précèdent, compte déjà plus de soixante-
dix volumes; elle a son importance, je n'ose pas dire litté-
raire, mais, à coup sûr, sociale et politique. Et l'on a pu cons-
tater l'influence exercée par l'ardent directeur de El Pueblo,
lorsqu'à son appel les colonnes de ce journal s'emplirent des
signatures des admirateurs de Zola.
Cette constatation faite, — elle était nécessaire, — c'est le
lettré seul, le romancier qui m'intéressera ici. Que si j'éprou-
vais quelque tentation de sortir de ces limites, il me suffirait
de songer que la tâche est suffisante de se faire une idée réflé-
chie d'une œuvre écrite dans une langue, sortie d'un milieu
dont forcément certaines nuances échappent à un étranger,
sans qu'il se donne le ridicule de prendre parti dans des que-
relles qui, par bonheur, ne le regardent point. Les nôtres nous
suffisent amplement. Ce n'est point toutefois être indiscret que
d'ajouter, — puisque je parle de l'homme, — qu'il est très au
courant de toutes les tentatives de nos écoles littéraires, très
lîLASCU IBÂ>E/. ET LE KOMA.\ DE MUI-:LKS PHUVINCIALES 281
informé du mouvement intellectuel contemporain, passionné
pour les beaux- arts, fanatique de Wagner, dont il a traduit un
ouvrage'. Au surplus, je ne trahis, ce faisant, aucune confi-
dence: il suffit d'avoir lu ses récits de voyage^, ou même ses
romans^, pour être fixé sur ses préférences de lettré, où sur ses
goûts d'artiste. Et tout cela, si je ne m'abuse, donne déjà l'im-
pression dune nature très riche, très vibrante et très vivante,
passant, avec une fougue impétueuse, de la méditation à l'ac-
tion, du discours au livre ou à l'article du journal, de la rêverie
à la propagande, des brutalités de la politique militante aux
joies tranquilles de l'art, de l'atmosphère enfiévrée du Congreso
à la douceur apaisante de la plage de Malvarrosa.
Malgré ce cosmopolitisme intellectuel, le romancier est resté
jusqu'ici obstinément attaché au terroir, comme si sa retraite
eût été soigneusement fermée aux bruits du dehors, comme s'il
n'avait eu jamais d'autre horizon que celui qu'on embrasse de
la plate-forme du Migu^lcte ou de l'Acropole de Sagonte. Toutes
ses œuvres sans exception sont consacrées à l'histoire sociale,
à la peinture des mœurs et du paysage valenciens. Sur ce
point, il n'avait eu que peu de précurseurs et le sujet était à peu
près intact, en ce qui concerne tout au moins le roman. Ce
qu'il y a de plus caractéristique, en effet, dans la littérature
valencienne du dernier siècle, ce qu'elle offre de plus vérita-
blement populaire, original, c'est sans doute la poésie lyrique
et, dans une faible mesure, le théâtre. Et, naturellement, pour
peindre la paysage familier, pour traduire les sentiments
locaux, pour animer les types habituels, c'est la langue mater-
nelle, cette langue valencienne, dune mollesse si gracieuse,
Uetigim mes dolsa que la mel, qu'employèrent les poètes et les
saynetistas du cru. Les vrais chantres de Valence avaient été
des poètes, comme Tomas Yillaroya, Querol, Teodoro Llorente,
Victor Franzo y Simon. Le réveil littéraire régionaliste, écho
de la Renaixensa catalane, avait surtout été favorisé par la res-
tauration des Jeux floraux, en iSSg, et puissamment secondé
1. Novelas y pensamientos de Wagner, traducciûn y prâiogo de \'. Blasco Jbùne:.
2. Paris, iinpresioiies de un emigrado; — En el pais del arle, elc,
3. Par exemple, Entre naranjos.
282 BlLLETl.N HISPANIQUE
par la propagande de la Société littéraire du Rai Pénal. A côté
des lyriques, dont deux ou trois seulement ont étendu leur
renommée au delà des limites de la province, il serait intéres-
sant d'étudier le théâtre populaire, qui ne se hasarde pas à des
compositions de longue haleine, mais qui se contente de fixer,
avec une amusante franchise et un médiocre souci des règles
classiques, les scènes de la rue ou des faubourgs, de la Iluerta
ou du Grao, et qui se plaît de préférence à la caricature des ori-
ginaux connus. Autant que j'en puis juger (mais j'avoue que je
suis mal documenté sur ce point), l'on trouverait déjà dans les
Saynclcs d'Escalante, descendant direct du madrilègne Ramon
de la Ciuz et frère d'armes du gaditain Gonzalez del Castillo,
bien des silhouettes que l'on verra passer dans les romans de
Blasco Ibàûez. Mais ni poètes, ni dramaturges n'avaient épuisé
la riche matière dont le roman devait s'emparer. Pour les pre-
miers en effet, la description de la nature n'était qu'un orne-
ment très accessoire, et les seconds ne visaient qu'à divertir
un moment un public peu exigeant par des esquisses rapidçs,
superficielles, d'un comique souvent trop appuyé. Il restait à
faire pour cet admirable pays ce que Pereda a fait pour les
côtes santandérines, une étude à la fois pittoresque et péné-
trante des choses et des êtres, la psychologie du peuple et la
description de ces rivages heureux.
La matière était de nature à tenter un peintre et un psycho-
logue, celui-ci parce qu'il devait trouver dans le caractère
valencien, très passionné sous des apparences de mollesse
orientale, toute l'originalité désirable, celui-là parce qu'il
n'est point de paysage plus tentant pour l'artiste que cette
verdoyante Hiierta, enchâssée comme une immense émeraude
entre des flots éternellement bleus et les montagnes, dont la
courbe harmonieuse s'étend du cap San Antonio au rocher
de Sagonte. Le charme souriant de cette terre extraordinai-
rement féconde, 4a pureté classique des lignes, la finesse d'une
race naturellement élégante, les chantantes inflexions de la
langue, tout y rappelle au voyageur la mollesse ionienne.
Si les érudits ne nous avertissaient qu'elle ne repose que sur
une simple homonymie (Za/.jvOoç, Saguntiim), nous trouve-
BLAS(;o iiuNtz i;r i,i; iiomw de m<*:i«s pkovinci\i.l;s -jS^t
lions viaiseinblable la légende des origines grecques. Tous
ces I faits frappent bientôt le passant, pour peu qu'il soit
attentif, mais celui-là seul qui a grandi dans le milieu, qui
est initié aux mœurs, qui connaît les traditions, les préjugés,
qui a vibré à toutes les passions locales, celui-là seul peut
pénétrer jusqu'au cœur et aux entrailles, et essayer un portrait
exact.
Ce portrait, Blasco Ibànez l'a tenté à maintes reprises, et,
pour le faire plus ressemblant, il a varié à l'infini les points de
vue. Il s'y était préparé par des esquisses de détail, par des
notes prises au hasard des rencontres, et réunies dans plusieurs
volumes de contes (Cuentos Valencianos, Cuenlos grises). J'ignore
la date exacte de chacun de ces croquis d'après nature, mais il
est évident que plusieurs ont été utilisés par la suite pour des
compositions plus importantes. On aimerait à y voir les pre-
miers essais du romancier, quelque chose comme les Bocelos
al te/nple ou les Escenas montanesas de Pereda. Le dulzainero
Dimoni, qui promène infatigablement sa clarinette et son
ivresse de Cullera à Murviedro, a fourni la matière de l'un des
meilleurs contes : nous le retrouverons dans Cculas y barro, et
peut-être encore a-t-il servi à poser la bizarre figure de
l'ivrogne mystique Sangoncra dans le même roman. Nous
reverrons de même Nclet, le petit ramasseur de fumier, le
femaleret, dans Arroz y larlaiia. Il y a bien d'autres croquis de
payeses, de guapos, de cimrros, ou de pêcheurs du Cabanal
que l'auteur n'a eu qu'à sortir de ses cartons pour les mettre
à la place qui les attendait. Gomme il sied à un artiste con-
scient des tâches futures, il n'a rien dédaigné, il n'a rien laissé
perdre; une légende, une tradition populaire, une farce de
rapin, une plaisanterie de village, un conte de pêcheur traî-
nant dans le sable de Nazaret, tout lui est bon, et il en tirera
d'aimables petits tableaux de genre : La apuesla del espavellô,
En la puer la del cielo, El eslablo de Eva, La lomba de AU Bellin,
El dragon del Patriarca, etc.
L'une des premières œuvres importantes de Blasco Ibanez,
c'est Arroz y iariana (Riz et iarlaiie). Le litre, éminemment
valencien, est à peu près synonyme de notre « poudre aux
u8ll BLLLETI>" HISPA.MQLE
yeux », si, comme je le suppose, il est emprunté à la copia
populaire :
« Arros y tartana,
Casaca â la moda
Y; rode la bola,
A la Valensiana!^ »
C'est, à coup sûr, l'une des études, sinon les plus origi-
nales, du moins les plus solides et le plus consciencieusement
travaillées de l'auteur. Arroz y tartana, c'est d'abord, symbo-
lisée par les transformations de la boutique Las très rosas,
toute l'histoire du petit commerce valencien pendant le
dernier siècle, et du changement de mœurs, conséquence de
ces transformations; c'est ensuite l'histoire (( naturelle et
sociale » d'une famille bourgeoise, ou, plus exactement, d'un
groupe se mouvant autour de cette famille. On y trouve toute
la variété des typ'es du monde commercial, depuis le churro
descendu, sans un rouge liard, des montagnes de Teruel pour
entrer, en qualité d'homme de peine, dans quelque obscure
boutique à l'ancienne mode, jusqu'au commerçant « moderne
style », mordu par le démon de la spéculation, affolé par la
lièvre de l'or. C'est enfin, c'est surtout Valence, dont les diffé-
rents aspects passent sous nos yeux, avec ses foules bruyantes
et gaies, qui s'agitent comme en un cinématographe. Voici la
Place du Marché ou Plaza San Francisco, « à la fois ventre et
poumon de Valence ». Sa description n'occupe pas moins
dune trentaine de pages, mais rien n'y est oublié, ni l'église
des Santos Juanes, décrite depuis les covachas où les bruyants
ferblantiers mènent leur tapage, jusqu'à l'oiseau qui surmonte
le campanile de l'horloge, le Pardalot populaire, avec sa queue
en éventail; en face, l'admirable Lonja de la seda, la Bourse de
la soie, joyau de l'architecture valencienne; puis, la foule
des marchands, des boutiquiers et étalagistes, avec l'amon-
cellement bizarre des fruits, des victuailles, des fleurs, des
produits de toute sorte, à travers lesquels se faufilent les
bandes de pilluelos hâves et loqueteux, obstinément poursuivis
par le maladroit alguacil. Ailleurs, nous assistons tout à notre
I. Riz et tartane, — Casaque à la mode — Et roule la boule — A la Valencienne I
lîL.VSCO IHÂNE/. KT LE UOMAN DE MOEUUS PKDVINCIVLES 2<S5
aise — en gens qui ne sont pas pressés — à la grande l'ète
religieuse du Corpus, avec sa cavalcade, sa procession solen-
nelle et le défilé des chars ou rocas traditionnels, et cette
description copieuse forme un tableau aussi coloré et éclatant
qu'une toile de Fortuny ou de Rosales. Notre peintre prodigue,
avec une facilité d'improvisateur, les aquarelles valenciennes.
Ici, c'est la fulla, le feu de joie de la saint Joseph, où la foule
brûle avec délices les mannequins des hommes politiques
(El nuiic ermUmini...); plus loin, la foire de VAlanieda, rendez-
vous de la société élégante et ciirsi, ou l'inévitable course de
taureaux, enfin, toute une galerie de tableaux de genre, d'une
forte saveur locale, au milieu desquels l'intrigue chemine,
non sans quelque lenteur.
La description du milieu, de Vescenario, y occupe une
place qu'un art plus classique trouverait disproportionnée.
Évidemment, l'auteur a subi l'influence française, et parti-
culièrement celle de Zola. La boutique symbolique des Trcs
Rosas est une succursale du Bonheur des Darnes, de même
que la symphonie gargantuesque du Marché rappelle certain
chapitre du Ventre de Paris. Ces ressemblances ont été repro-
chées à l'auteur comme une trahison et un crime de lèse-
patriotisme. Ce sont de bien gros mots. Peut-être Blasco
Ibanez s'est-il, au début, trop défié de lui-même, et a-t-il
témoigné, avec un excessif esprit de suite, son admiration
pour le Maître; peut être Arroz y iartana n'eût-il pas été abso-
lument ce qu'il est, si l'auteur eût moins bien su le français.
Je m'en console aisément pour ma part. Car, s'il en eût été
autrement, nous y aurions perdu des pages curieuses et écla-
tantes, très habilement brodées, quoique sur un canevas peut-
être étranger, et il n'est pas sûr que l'intrigue, allégée de ces
apparents hors-d'œuvre, eût gagné en précision. Dans Arroz y
Iartana en particulier, l'exubérance descriptive me choque
d'autant moins que ce n'est pas tant l'aventure des Pefia, des
Pajares ou des Cuadros qui m'intéresse (elle est d'ailleurs fort
dramatique), que l'évolution économique et morale de la classe
moyenne dans une ville de province. Tel est le vrai sujet. Si
l'on veut bien voir les choses sous cet angle, on excusera la
a8G BULLETIN HISPANIQUE
profusion des épisodes : ils concourent à l'impression définitive.
Lisez la scène dans laquelle l'ancien mercier D. Juan, parcou
rant Timmense grenier désert où bruissaient jadis les métiers
des velluters, champ de bataille que les rats disputent mainte-
nant aux poules et aux pigeons, évoque, avec une verve épique,
les beaux temps où florissait « l'art de la soie ». Croit-on que
cette page — inutile à l'intrigue — puisse être supprimée sans
dommage? Non, l'atmosphère ambiante est nécessaire à la
perspective; sans elle le relief manque ; c'est souvent par ce
qui les entoure que les personnages valent et qu'ils se définis
sent. Aussi toutes ces pointes, en apparence capricieuses, nous
mènent-elles au but plus sûrement que la ligne droite et plate.
Il en est de même des menus détails sur la vie commerciale de
Madrid dans Fortunala y Jaciata, de Pérez Galdos, ou des des-
criptions de Tolède dans la mystique histoire à'Aiigel Giierra
et de Dulcenombre. Au fond, ces « hors-d'œuvre » sont taillés
en plein dans le cœur du sujet.
Au surplus, ce goût pour la description, qui s'épanche si
librement dans Arroz y tartana, devient plus sobre à mesure
que l'auteur gagne en originalité. Flor de Mayo (Fleur de Mai),
qui suivit à deux ans d'intervalle (1896), nous peint, dans un
cadre plus réduit, la vie des pêcheurs du Cabanal et des,
marins du Grao. Elle nous intéresse à leur double lutte contre
la misère et contre la mer, cette mer ensorceleuse, traîtresse,
qui sourit si bien sur la côte levantine, mais dont la colère
s'émeut si subitement. Et toute cette histoire, douloureusement
banale, est résumée dans celle d'une famille dont les membres
périssent victimes de la brutalité des tempêtes et de celle de
leurs passions. Elle est symbolisée (car l'auteur aime décidé
ment le symbole et le leit motiv, emprunté au drame lyrique),
par deux barques, dont la première, rejetée à la côte avec
le cadavre du tio Pascual, puis traînée sur le sable, retournée
et rafistolée, sert d'abri à sa famille, tandis que la seconde, la
pimpante Flor de Mayo, fruit du travail et de l'audace du
Relor, l'un des orphelins, naufrage à son tour, ensevelissant
avec elle les deux frères ennemis sous les yeux de celle pour
qui et par qui ils meurent. Flor de Mayo est riche encore de
BLASCO lUÂNEZ ET LE U(3M.VN DE MCMU US PROVINCIALES :i<S7
types et de scènes évidemment copiés d'après nature. Certaines
«marines» sont la vérité même; la tempête finale, en parti
culier, avec la rentrée éperdue des barques, rappelle, par la
précision des traits et la largeur de la manière, l'incompa-
rable description de la galcvim {[\n couronne Sotileza. Mais
combien l'impression que nous laisse le dur labeur de ces
pauvres gens est plus triste chez Blasco Ibanez que chez
Percda! Celui-ci prête sa foi aux misérables; il fait toujours
sourire quelque espérance, comme un arc-en-ciel, derrière le
nuage. Celui-là regarde, non point sans sympathie, mais sans
espérance et sans illusion, les passions faire leur œuvre, plus
meurtrières que les éléments qu'aucune main pitoyable ne régit.
La Barraca date des derniers mois de 1898. Elle nous pré-
sente encore la vie du peuple sous un autre de ses aspects.
C'est maintenant, avec Eiilre naranjos (qui est de 1900), le
poème de la Huerta, non pas poétisée, comme dans ce dernier
roman, pour abriter sous les orangers des amours romanes-
ques, mais péniblement fertilisée par le labeur sans trêve et
sans récompense. Les lecteurs français connaissent la Barraca
par la traduction dé M. Hérelle', qui a fait en faveur de Blasco
Ibanez une heureuse infidélité à M. d'Annunzio : espérons ([ue
ce ne sera point la dernière. La renommée de l'auteur, affer-
mie, non sans lutte, en son pays, franchissait la frontière. Les
étrangers, lorsjnême qu'ils ne pouvaient apprécier l'exac-
titude de la peinture, étaient séduits par l'énergie passionnée
de ce drame rustique et par le charme du paysage. La chau-
mière valencienne, la barraca, avec son mur triangulaire d'une
blancheur sans cesse ravivée, son toit aigu de cliaume brun
surmonté d'une croix, sa treille ombrageant le devant de la
porte, les roseaux prochains qui frémissent, avec un bruit
d'étoffe froissée, le long de Vacequia ou naville, et, plus loin,
à perte de vue, les jardins d'orangers aux feuilles vernies,
constellés d'étoiles blanches et de fruits d'or, la barraca valeii-
siaiia, avec tout ce qu'elle représente de labeur, de misère et
d'originalité, méritait l'étude d'un observateur autorisé. Déjà
I. Revue de Paris, Terres maudites, i" et i .') octobre, i" et i". iioveinljrc ui'm ; i)iii-
en volume clicz Calinann Lévv.
a 88 BULLETIN HISPAMQUE
l'excellent et délicat Teodoio Llorente lui avait consacré quel-
ques-uns de ses plus jolis vers :
Baix la figuera, hon los aussells del horta
Canten festins l'aiibada matinal,
Al primer raig del sol abri la porta
Y aïs ayres purs del cel lo finestral;
Y corn la mare cova à la nihuada,
Les amoroses aies estenent,
Pobre trespol de palla ben lligada
La guarda de un mal vent.
Quatre pilars, mes blanchs que la azucena,
Formen devant un pôrlicli de verdor;
Corre sobre ells la parra, tota plena
De pâmpols d'esmeralda y rahims d'or;
A son ombra lo pa de cada dia
Repartix à sos fills lo Trevall sant,
Y en la taula la Pau y l'Alegria
Les Jlors van desfullant... etc. '.
Llorente chantait en poète; Blasco Ibânez étudie, attentif, les
passions et les misères humaines. Les unes et les autres parais-
sent plus émouvantes encore au milieu des splendeurs de la
nature ; la laideur des âmes contraste douloureusement avec la
beauté des choses. Le drame, dont la chronique locale a sans
doute fourni les traits principaux, jette un jour désolant (que
l'on voudrait croire assombri à l'excès) sur ces natures avides,
dures, superstitieuses, si difficilement accessibles à la pitié.
Cette fois encore c'est avec une sorte d'irritation et de tristesse
que l'on ferme le livre, mais aussi avec un sentiment d'admi-
ration pour l'éclat du coloris, la sobriété du trait, l'habileté
dramatique de la composition, la solidité des portraits. Batiste,
l'acharné travailleur, victime, avec tous les siens, de stupides
préjugés. Pimenté, le giiapo fainéant, terreur de la Huerta,
Tonet et Roseta, dont les amours fleurissent sur ces « terres
maudites », le vieux pâtre Tomba, philosophe sans le savoir,
I. « Sous le figuier où les oiseaux du jardin chantent joyeux l'aubade matinale,
au premier rayon du soleil elle ouvre sa porte et sa fenêtre aux airs purs du ciel, et
comme la mère couve la nichée en étendant ses ailes amoureuses, un pauvre toit de
paille bien tressée la défend du mauvais vent. — Quatre piliers plus blancs que le lys,
forment, par devant, un portique de verdure; sur eux court la treille, toute pleine de
pampres d'émeraudes et de grappes d'or, et à son ombre le Travail sacré partage à ses
tils le pain de chaque jour, et sur la table la Paix et la Joie effeuillent des fleurs... »
BLASCO IBÂNEZ ET LE ROMAN DE MœunS PROVINCIALES 289
Don Joaquin, le ridicule et touchant maître d'école, et jusqu'au
pauvre Morriit, obscur descendant de l'illustre Rocinante, tout
ce monde s'anime parfois d'une vie intense. On n'oubliera pas
non plus les croquis et les scènes proprement valenciennes, qui
complètent si bien celles de Arroz y fartana; par exemple, la
séance du fameux Tribunal des Eaux, si caractéristique de
« la ticrra », ni la foire aux chevaux dans le lit desséché du
Jùcar, ni surtout l'enterrement de Pascualet, le pauvre petit
albal, étendu au milieu do Ycsludi, sur la table de famille, avec
sa couronne et ses bouquets de fleurs blanches, son fard sur
ses pommettes livides et son accoutrement naïvement ridicule.
Le succès éclatant de ce roman mettait l'auteur hors de pair.
Deux ans plus tard il donnait au public Entre naranJosfAii milieu
des orangers). Et, certes, la partie pittoresque de ce nouveau
récit dénotait le même talent, le même bonheur d'invention
dans le détail. Lauleur a tracé peu de pages plus agréables
que le panorama de la plaine où s'éparpillent, à travers les
bois d'orangers, Alcira, Garcagente et les riches villas des
deux riberas; ou que l'inondation d'Alcira et la procession
qui promène solennellement le saint patron de la ville, c elpare
san Bernai » le long du Jùcar débordé^ qu'il doit faire rentrer
dans son lit. A travers les files de dévots qui, sous les averses,
entraînent le curé maugréant contre de pareilles corvées,
on sent courir une satire assez irrespectueuse. Le glorieux
triomphe du printemps dans la Huerta pleine d'efïluves trou-
blants, l'ivresse de la nature qui verse sa volupté dans les
cœurs, l'hymne païen qu'entonnent à l'Amour tous ces êtres
inquiets qui soupirent et se cherchent sous les< orangers
épanouis, tout cela forme autour de l'intrigue une parure aussi
touffue que le lacis de jasmins et de roses qui cache la « Maison
Bleue ». Et cependant, cette éternelle odeur de fleur d'orangers
qui embaume toutes ces pages, de même qu'elle poursuit par-
tout le promeneur, menace bientôt de devenir affadissante et,
comme l'on dit là-bas, enipalagosa. Si l'auteur ne nous arra-
chait à temps à ces langueurs, elles nous énerveraient vite.
D'autant plus que, malgré ma bonne volonté, je ne réussis
qu'à moitié à m'intéresser aux amours de la chanteuse Léonora
3)0 BLLLETl.N IIISPAMQLE
et du jeune cacique Rafaël. C'est ma faute assurément, et cela
prouve que je n"ai plus la simplicité de cœur et la sainte
naïveté nécessaires pour goûter les péripéties (et elles sont
nombreuses, et aussi romanesques que romantiques) de la vie
de ladite Léonora. L'auteur a beau lui délivrer très galamment
des lettres de grande naturalisation, et en faire une fille de la
Huerta, on sent trop qu'elle n'est qu'une abstraction, une
création du rêve et non de la réalité, un être impalpable,
comme la Walkyrie dont elle était, paraît-il, l'incarnation. Que
nous sommes loin de ces hommes et de ces femmes, en chair
et en os, que l'on nous montrait tout à l'heure! Nous voilà
ramenés aux boulevards, aux coulisses parisiennes et aux
cabinets de lecture. Que j'aime bien mieux, pour ma part, les
amusantes silhouettes de cette nichée de caciques ou que/es, les
D. Jaime, le vieux Brull et Ramon ! Ceux-là, oui, sont fils du
terroir, croisés de vieux chrétiens, d'almogavares et de Maures.
Ils ne font que traverser l'intrigue, et ils en pourraient dispa-
raître même, sans qu'elle en souffrît, mais ils paraissent plus
réels que Théroïne elle-même. Il n'est pas jusqu'au barbier
Cupido, frondeur et impie, à M. le Recteur, qui trouve ses
ouailles trop superstitieuses, ou à la pauvre horielana, qui, ses
souliers à la main, grimpe en gémissant à l'ermitage pour
demander sa guérison à la Vierge del Lluch, qui ne nous inté-
ressent davantage. Faut-il croire que l'auteur a trop compté,
cette fois, sur sa dangereuse faculté d'improvisation? Com-
ment, quand on la sent si prête à toutes les tâches, se défier de
son imagination •'
Il en fa^llait certes, de l'imagination, et beaucoup, pour
essayer de ressusciter, comme il l'entreprit dans Sônnica la
cortesaiia (1901), le passé fabuleux de l'antique Sagonte. J'ima-
gine qu'il fut doublement sollicité à ce tour de force, d'abord
par l'exemple de Gustave Flaubert, qui en a réalisé un sem-
blable dans Salammbô; puis par l'obsession de^ ce nom toujours
présent et de ce rocher illustre, aperçu de tous les coins de la
Huerta. Comment résister à la tentation de demander son secret
à ce Sphinx accroupi au bout de la plaine? A la vue des ruines,
théâtre d'une telle tragédie, l'imagination s'éveille aussitôt,
in.ASCo iruNE/, i;t m: koman nr. Mctiaiis i'uomncialls ayi
comme à Numance. Nous mémo, en gravissant naguère la voie
^ qui conlournc les restes de ramphilhéàlre, en parcourant
l'étroit plateau entoure de précipices où s'accrochent les cactus,
en admirant du haut du caslillo le panorama encadré par les flots
hleus et les montagnes violettes, en suivant l'isthme qui ralla
che l'acropole à la sierra voisine, sorte de pont par où entrè-
rent tous les assaillants, depuis Hannibal jusqu'à Suchet, nous
nous laissions aller à faire revivre par la pensée le drame
raconté par Ïite-Live. Sur cette crête rougeàlre, aujourd'hui
hérissée de créneaux, trois peuples se rencontrèrent en une
lutte suprême. Qu'était-ce donc que celte opulente Sagonte,
convoitée par Rome et par Carthage, et qui rattachait son
origine à la Grèce .^ D'où lui venaient ses trésors? quels soldats
garnissaient ses remparts? quels dieux habitaient ses temples?
Ces questions que le voyageur se pose en escaladant l'antique
Murviédro, Blasco Ibanez a tenté d'y répondre. Non en savant,
quoiqu'il se soit sérieusement documenté et qu'il ait étudié en
conscience les anciens et les modernes, de Tite Live et Strabon
jusqu'à Hûbner et Chabret, mais en artiste, en poète qui, sur des
fondements parfois ruineux, bâtit le palais enchanté de son rêve
et le peuple de fantômes. N'allons pas demander à ces derniers
si leur état civil est bien en règle; ne les chicanons point sur
quelques anachronismes ou quelques inexactitudes. L'auteur
ne se pique point sans doute d'avoir débrouillé l'obscure ques-
tion des origines, ni même d'avoir dépeint avec une précision
d'antiquaire le mélange des civilisations grecque, ibérienne,
punique qui se heurtaient dans les emporia levantins, rendez-
vous de toutes les marines méditerranéennes. Il suffit qu'autour
des trop rares personnages fournis par les historiens, tels
qu'Hannibal ou Alorcus, il ait fait surgir des ruines tragiques
certaines figures représentatives des peuples disparus, 8(')nnic^,
la courtisane athénienne, le grec Actéon, par la grâce descjucls
l'élégance ionienne s'opposera, selon la forn^ile, à la rudesse
ibérienne et à la férocité punique; Théron, le gigantesque
prêtre d'Hercule; Euphobias le parasite; les charmantes figures
d'Erocion, le petit alfarero, et de Ranto la chevrière, en qui
revit la grâce sicilienne des bergers de Théocrite; puis, autour
292 BULLETIN HISPANIQUE
d'eux, une foule cosmopolite apportant de tous les points de la
Méditerranée, de Rome, des Iles grecques, des colonnes d'Her-
cule, de Carthage, de Massilia, des Gaules, leurs marchandises,
leurs coutumes, leurs langues et leurs vices. Tout ce monde
s'agite dans un pêle-mêle papillotant et nous emporte à travers
les scènes d'un archaïsme féroce, les tableaux audacieusement
voluptueux, les fêtes de Vénus, d'Hercule ou de Minerve ; puis,
quand l'orage menaçant éclate enfin, quand les hordes numides
enserrent la ville, les horreurs du siège, le sang qui découle
des rochers pélasgiques, l'horrible faim et l'incendie final qui
éclaire d'une lueur d'apothéose la fatale figure d'Hannibal ; en
somme, une page de Tite-Live curieusement enluminée par un
disciple de Flaubert, qui s'applique à l'imiter de son mieux. Et
toujours, au-dessus de ces scènes contrastées à dessein, senle-
vant avec vigueur sur ses bases cyclopéennes, dont l'énormité
nous remplit encore d'étonnement, l'aérienne perspective de
l'Acropole, avec ses temples d'Aphrodite et d'Héraklès, ses tours
et ses bastions et, au pied du clivas, la fatidique image du Serpent
divin qui tua le héros éponyme, Zacinthos, compagnon d'Her-
cule. Car, si cette féerie et ce mélodrame, avec leur magni-
ficence orientale et leurs bibelots curieux, relèvent trop sou-
vent de l'unique fantaisie du metteur en scène, si l'intrigue
n'y paraît trop manifestement que l'accessoire, le paysage, du
moins, n'a pas changé : ses lignes harmonieuses prêtent tou-
jours leur réalité aux fictions de l'artiste. Ce dernier a versé en
prodigue sur ses tableaux laborieux « toute la boîte aux par-
fums », empruntés aux bons fournisseurs; il a versé aussi, dans
un mélange que M. Maurice Barrés estimerait très espagnol, u du
sang, de la volupté et de la mort ». De telle sorte que les nerfs
habitués aux courses de taureaux y sont suffisamment secoués.
Faut-il expliquer ainsi le succès auprès du public d'outre-monts
d'une œuvre qui semblerait, par son inspiration semi-érudite,
s'adresser de préférence aux lettrés ?
En racontant la catastrophe de Sagonte, M. Blasco Ibanez
n'était point sorti en somme du domaine qu'il avait fait sien : il
avait voulu seulement, par un effort d'imagination très méri-
toire, en faire revivre, ne fût-ce que d'une vie artificielle, le
CLVSCO in.VNEZ ET LF. nOM V> DE MQEUUS PnOVlNCl.VLES 2r)'S
coin le plus illustre. 11 avait applitiué à celle entreprise loule
la patience compatible avec une fougue qui s'accommode bien
de l'improvisation. Très différente est l'œuvre qui suivit, à un
an d'intervalle : Canas y barro (Roseaux et fange). Elle marque,
après Flor de Mayo et la Barraca, une nouvelle, une définilive
étape dans la carrière du romancier, en achevant de le placer
au premier rang. L'intrigue, au fond, ressemble à lun de ces
drames vulgaires qu'enregistrent les journaux, à la rubrique
des faits-divers. — Nous sommes au Palmar, misérable petit
village, bâti de boue et de roseaux, sur les bords du lac de
l'Albuféra, fief du maréchal Suchet, au temps de Napoléon. Les
amours naissants de Tonet, le fils de pêcheurs, et de Neleta,
sont brusquement interrompus par le départ du premier pour
la guerre de Cuba. Lorsqu'il en revient, quelques années plus
tard, tout a changé au Palmar. Neleta est devenue la femme
d'un ancien carabi/iero, Canamel, qui s'enrichit par toutes sor-
tes de trafics louches. Tonet, désœuvré, paresseux, vivant sur
son prestige de héros et sur sa réputation de joli garçon, sent
renaître son caprice d'autrefois, d'autant plus impérieux que sa
cupidité et sa paresse trouveraient également leur compte à ces
amours adultères. Bientôt meurt le vieux et dolent Canamel,
laissant sa fortune à Neleta, à condition qu'elle ne se remarie
point. La jolie veuve, partagée entre le besoin du luxe et son
amour persistant pour Tonet, ne larde pas à succomber à ce
dernier. Au terme d'une grossesse héro'iquement dissimulée aux
regards soupçonneux des intéressés, un enfant naît, que le père
emporte et va noyer dans le lac. Puis, quand le double crime
est découvert, Tonet se tue dans ces mêmes roseaux oîi des
chasseurs ont découvert le petit corps de l'enfant rongé par les
sangsues. Adultère, infanticide, suicide, rien ne manque à celte
lugubre histoire. Mais c'est moins par la brutalité de l'ac-
tion que par l'étude pénétrante des caractères, par Ihabileté
dans le développement logique des passions, par la netteté des
tableaux que l'auteur réussit à nous émouvoir. Il est possible,
comme on l'a dit, qu'il ait voulu transporter dans un milieu
qu'il connaissait ù merveille les sujets et les procédés habituels
de l'école naturaliste. Il est certain que le réalisme de l'idée ou
Bull, liisiion. 30
'^[)^ BLLLEll.V IUSPA.MQLë
da mot a dû choquer un public habitué aux nuances moins
crues du roman espagnol. Il ne nous paraît point cependant
avoir dépassé la mesure fixée par le goût et par le respect dû au
lecteur. Tout en sinterdisant les répugnantes précisions de la
littérature physiologiste, il arrive à une intensité d'émotion ra-
rement atteinte dans ses œuvres antérieures. Malgré une partie
descriptive encore abondante, l'action marche rapidement, l'in-
térêt croît de scène en scène. L'auteur laisse parler ou agir
ses personnages ; il est sobre de réflexions philosophiques, ex-
quises quand elles sortent de la plume d'un Valera, mais qui
risquent le plus souvent de faire dévier ou languir l'action. Dès
les premières lignes nous faisons connaissance avec les acteurs
du drame, placés dans le paysage où il va se dérouler. Cette
scène d'exposition, — le voyage de la barca-corrco du Palmar*
au Saler, — si colorée, si rapide, est aussi des plus habiles.
Tous les personnages, saisis au vol, surpris en pleine action,
achèvent la collection curieuse commencée dans les œuvres
précédentes. A côté de Tonet, elCubaiio, mélange de vanité, de
paresse et de faiblesse, et de Neleta, à la fois voluptueuse, entê-
tée et aA ide, voici le tio Paloma, le vieux pêcheur, débris des
Ages disparus, l'homme lacustre, en qui s'incarne TAlbuféra et
revivent les générations préhistoriques des palafittes. Il prend,
à certains moments, une grandeur épique qui rappelle, avec
quelque chose de plus primitif, l'inoubliable iio Tremonlorio
des Escenas Montanesas. Son fils. Tono, silencieux, tenace, infa-
tigable, représente, lui, une autre génération. Il s'obstine, sa
vie durant, à combler un petit coin de la lagune, et il finit par
lui arracher un arpent, où il aura, lui aussi, son champ de riz.
En vain l'aïeul s'étonne et s'indigne du labeur de ce « terrien »,
de ce « laboureur » (et quel mépris dans cette épithète!) : Tono
poursuit son œuvre avec l'instinct puissant et obscur de la
fourmi. Et la Borda, petite bête timide, farouche et laide (bes-
tiezuela timida, arisca y fea) que Tono, un beau jour, a ramenée
des Enfants trouvés, et qui s'épuise à la même tâche, avec la
même ardeur, sans intérêt personnel, mais avec une arrière-
pensée qu'elle n'ose s'avouer! M l'un ni l'autre ne se doutent
que lorsque cette terie. versée dans le lac depuis tant et tant de
ULVSCO 1BA>EZ ET LE UOMAlN DE MOELUS PnOVlNClAEES a»)5
mois, aflleurera enfin, prête à recevoir la semence, les pre-
miers coups de pioche quils y donneront ouvriront la fosse de
celui qu'ils aiment d'un amour également silencieux. La scène,
qui termine le roman, est d'une simplicité émouvante. On
nous pardonnera — pour montrer, en finissant, la manière de
l'auteur — den traduire un court passage.
... « La nuit fut lugubre dans la barraca des Paloma. Le li'o
Paloma ne chercha point de détours pour annoncer la nouvelle.
(Il s'agit du suicide de Tonet.) 11 avait vu le petit mort, la poi-
trine trouée par une double charge de gros i)lombs, enfoncé
dans la fange du fourré, les pieds hors de l'eau, près de la bar-
que abandonnée. Le tio Tono remua à peine les paupières.
Seulement ses lèvres se serrèrent convulsivement et de ses
mains crispées il se déchirait les genoux... Un gémissement
prolongé, strident, sortit de l'angle obscur de la barraca, oii
était la cuisine, comme si, dans ces ténèbres, on égorgeait
quelqu'un. C'était la Borda qui gémissait^ atterrée par la nou-
velle. — « Silence, petiote 1 » cria impérieusement le vieux. —
« Tais-toi, tais-toi!... » dit le père. — Et la nuit lugubre conti-
nua, interrompue seulement par les sanglots étouffés de la
Borda et par la question répétée du père qui voulait ù tout
prix revoir une dernière fois son fils unique : « Pare, pare,
ahôn esta? Père, père, où est-il? » Enfin l'a'ieul, qui eût voulu
que le secret fût enseveli à jamais dans la bouc de l'Albuféra,
laisse échapper les mots : au fourré du Bolodru 1
)) Le tio Toni fit un geste à la Borda. Ils prirent leurs pioches
de fossoyeurs, leurs perches de bateliers, les tridents aigus qui
servent pour la pêche des grosses pièces. Ils allumèrent une
lanterne à la flamme de la lampe et, dans le silence de la nuit,
ils traversèrent le village pour s'embarquer sur le canal. La
barque noire, fanal en proue, passa toute la nuit à errer dans
l'intérieur des roselaies. On la voyait, comme une étoile rouge,
passer au milieu des roseaux. A la pointe du jour, la lumière
s'éteignit. Ils avaient trouvé le cadavre après deux heures de
recherches anxieuses. II était bien tel que l'avait vu ra'ieul, la
tête enfoncée dans la fange, les pieds hors de l'eau, la poitrine
changée en une masse sanguinolente, défoncée par la mitraille
396 BULLETIN HISPAîNlQUE
des cartouches de chasse tirées à brule-pouipoint. Avec leurs
tridents, ils le retirèrent du fond de l'eau. Le père, en piquant
le harpon dans cette masse molle, pour la hisser à bord d'un
effort surhumain, croyait l'enfoncer dans sa propre poitrine.
Puis, ce fut la marche lente, anxieuse, avec des regards de
tous côtés, comme des criminels qui craignent d'être surpris.
La Borda, toujours sanglotante, maniait la perche à la proue;
le père l'aidait à l'autre extrémité de la barque, et entre ces
deux figures rigides, dont la silhouette se découpait dans la
clarté diffuse de la nuit étoilée, gisait, étendu de son long, le
cadavre du suicidé. Ils abordèrent au champ du llo Toni, à ce
sol artificiel, amoncelé panier par panier, à force de bras, avec
un entêtement fou. Le père et la Borda prirent le cadavre, le
descendirent avec précaution à terre, comme si c'était un
malade qui pouvait se réveiller. Puis, avec leurs pioches d'in-
fatigables terrassiers, ils commencèrent à ouvrir une fosse. Une
semaine avant, ils apportaient encore de la terre de toutes les
extrémités du lac. Maintenant jls l'ôtaient, pour y enfouir le
déshonneur de la famille.
» Il commençait à faire jour quand ils descendirent le cada-
vre au fond de la fosse, où l'eau suintait de toutes parts. Une
lumière froide et bleuâtre s'étendait sur l'Albuféra, et donnait
à sa surface l'éclat dur de l'acier. Dans le ciel gris passaient en
triangle les premières bandes d'oiseaux... Le Ho Toni regarda
pour la dernière fois son fils ; puis il se détourna, comme s'il
avait honte des larmes qui lui montaient aux yeux et triom-
phaient de sa dureté... Et tandis que la lamentation du Ho Toni
déchirait, comme un cri de désespoir, le silence matinal de
l'aube, la Borda, en voyant le père tourné, s'inclina au bord de
la fosse et baisa la tête livide, d'un baiser ardent d'une passion
immense et d'un amour sans espérance : elle osait, devant le
mystère de la mort, révéler pour la première fois le secret de
sa vie... »
L'une des figures du roman le plus réussies, quoique pure-
ment épisodique, est celle de Sangonera, le mendiant qui,
dans une demi-ivresse perpétuelle, erre le long des berges
fleuries de l'Albuféra, où il réussit à ne jamais glisser, prome-
UI.ASC.O Ib4>EZ et le UOMA.N DE MOEUUS PUOVINGIALES 297
nant comme un philosophe cynique sa glorieuse paresse et ses
haillons. D'un court passage au presbytère et à la sacristie sa
cervelle fumeuse a retenu des bribes d'Évangile, qu'il entre-
mêle bizarrement à ses rêves d'ivrogne, et il s'en va sur les
bords du lac, couronné de fleurs et de plantes aquatiques, célé-
brant la bonté de Dieu qui n'abandonne jamais ses créatures,
plein de mépris pour les malheureux, dont le travail lui semble
une insulte à la providence. Il annonce, entre les frissons de la
fièvre et les hoquets de l'alcool, les temps prochains où Jésus
reviendra pour remettre les hommes dans le bon chemin.
Poète à sa manière, « il n'avait point de plus grand plaisir que
de contempler la beauté de l'Albuféra, et quand il la pouvait
admirer à travers quelques verres de vin, il soupirait de ten-
dresse comme un enfant ». Il sélcve même jusqu'à je ne sais
quel mysticisme d'un Verlaine de bas étage, lorsque dans les
fumées de l'ivresse et les reflets roses du couchant sur les
rizières, il croit voir Jésus marcher sur les eaux de la lagune,
comme il marchait jadis sur celles du lac de ïibériade. « Il
l'avait rêvé souvent, et même en certaines occasions on, malade
et grelottant la fièvre, il était allongé sur la rive ou pelotonné
dans un coin de sa misérable chaumière, il avait vu sa lunique
A'iolette, étroite, raide, et le chemineau, avec une exaltation
011 entraient à doses égales son ivresse et sa foi étrange, se
dressait en regardant l'horizon. Et sur le bord du canal où se
brisaient les derniers rayons, il croyait voir la svelte silhouette
de Désiré, comme une ligne de sombre pourpre, qui s'avan-
çait sans remuer les pieds ni froisser les herbes, avec un nimbe
lumineux qui faisait briller la chevelure dorée aux suaves
ondulations. » Pauvre Sangonera, qui meurt d'indigestion le
premier jour de sa vie où, grâce à un chasseur trop confiant
qui lui a abandonné ses vivres, il peut manger à sa faim et
boire à sa soif!
A côte de cette picaresque figure, combien d'autres, curieu-
sement observées, comme celle du Pare Miquel, « cura de esco-
peta » plus encore que de « misa y olla », toujours prêt à casser sa
redoutable houlette sur le dos de son troupeau ! Mais le princi-
pal personnage, qui ne parle jamais quoique toujours présent,
298 ULI.LETIN HISPANIQUE
celui qui est peint avec le plus de soin, dans ses aspects chan-
geant selon l'heure et le jour, avec sa flore et sa faune spé-
ciales, c'est l'Albiiféra, la grande lagune nourricière et meur-
trière, dont les eaux sans cesse drainées par les filets et les
mornells font vivre cette race amphibie, mais aussi dont les
boues pestilentielles dégagent les miasmes qui la minent et qui
la tuent. L'obsession de la Fièvre, embusquée dans les roseaux
frémissants, nous poursuit de la première ù la dernière page ;
elle finit par prendre une figure à nos yeux, comme !a Divinité
dont parle Lucrèce,
Horrlbili super adspecfn mortalibus instans.
« C'est un livre qui donne la fièvre, écrivait Mariano de Cavia >,
un livre qui nous pénètre dune impression physique d'an-
goisse. La vapeur perfide et énervante de la grande lagune
nous trouble et nous abat. Nous serions atteints par les cas de
paludisme moral et social que nous présente le romancier^ si
les fleurs maladives qu'il fait surgir du grand marais des
volonlés mortes et des appétits malsains ne disparaissaient
dans un dénouement horrible et effrayant. » Le critique a rai-
son, l'épuisant frisson de la fièvre qui use les nerfs, la soif de
l'or qui torture les âmes cupides, n'est-ce pas ce que l'auteur a
voulu personnifier dans la légende de la couleuvre Sancha, pri-
mitive hôtesse de ces marécages, et l'uïiique amie d'un petit
pâtre, avec lequel elle grandit? L'enfant part. Quand il revient,
dix ans plus tard, Sancha accourt à son appel, mais, inconsciente
de sa force, elle l'étouffé en ses anneaux caressants. Dans pres-
que toutes les scènes, l'Albuféra joue un rôle : dans l'idylle de
Neleta et de Tonet, perdus toute une nuit dans la Dehesa, entre
le lac et la mer; dans le tirage au sort des postes de pêche, ou
« redolins » ; dans les aubades et fêtes du Palmar; dans la
grande chasse annuelle de la Saint-Martin, etc., autant de
peintures savoureuses de ce paysage, si varié en sa monotonie.
La toile de fond s'harmonise si bien avec les personnages qui
se meuvent au-devant d'elle, que nous ne saurions plus les en
séparer.
I. Imparrial, 18 déc. iç)oa.
BLASCO IBÂNEZ ET I,E HOMAV UE M(H;( IIS l'llOVIN(JI AEES :j()()
Car c'est surtout de Cunas y bcivro que nous pouvons le dire :
Blasco Ibanez a d'abord le don de voir le trait caractéristique
d'un paysage ou d'un caractère, et celui de traduire nettement
son impression. Il approprie, avec un instinct délicat, le pay-
sage à Uétude psychologique, qui se font mutuellement valoir
et qui se complètent, en quelque sorte, l'un l'autre. Flor de
Mayo, La Barraca et Canas y harro sulFiraient à montrer la
valeur de la partie pittoresque; dans une littérature qui
compte d'admirables pages descriptives, de telles œuvres
tiennent honorablement leur rang. D'ailleurs, le manque de
proportion entre la description et la narration préoccupe
médiocrement l'auteur : l'accumulation de détails minutieux,
qui agissent par leur multiplicité même, est un procédé voulu.
Nous l'avons déjà noté, les hors-d'œuvre qui fleurissent et
enguirlandent le récit principal, au risque de l'étoufler, s'ils
trahissent une composition un peu flottante, ajoutent le plus
souvent bien de l'attrait à la narration. Nous saurions mauvais
gré, je crois, à qui voudrait, par amour d'un art plus sobre,
couper d'un ciseau brutal ces ornements parasites.
On en peut dire à peu près autant de^ caractères. Blasco
Ibanez excelle en l'art du portrait : les détails qui précèdent
nous dispensent d'insister sur ce point. La netteté du trait
fondamental, la vérité du costume, la propriété du langage,
volontiers émaillé de locutions populaires, voire d'expressions
valenciennes pleines de saveur, le retour intentionnel de tel
ou tel détail typique, par dessus tout la connaissance directe
et familière des mœurs, des habitudes, de la coloration spéciale
que prend la pensée en traversant les cerveaux de là-bas, tout
cela explique que quelques-uns de ses types, d'ailleurs sortis
du peuple, soient déjà devenus populaires.
Il est toujours dangereux de juger la langue d'un auteur
étranger. Nous attendrons, par un sentiment de défiance trop
naturel, que les compatriotes de l'auteur nous aient dit, —
sine ira et studio, — leur sentiment motivé sur ce point. Dès à
présent, il est aisé de deviner leur principal grief contre l'écri-
vain. Si son admiration pour les naturalistes français a paru
compromettre son originalité, si les procédés chers à l'école se
3oO BULLETIN HISPANIQUE
font parfois trop sentir, si môme l'on peut citer tels chapitres
qui paraissent une simple transposition de pages célèbres, de
même le style se teint parfois, aux yeux des puristes, de nuances
suspectes et de couleurs exotiques. Les académistes se font fort
de relever chez lui force gallicismes et de non moins nom
breux valencianismes. Peut-être ont-ils raison, et il m'a paru,
en effet, au cours de ma lecture, me retrouver parfois en pays
de connaissance. Je ne m'en plains pas au demeurant, et
même ma vanité patriotique en est secrètement flattée. Mais
c'est là une querelle de famille, je le répète, dont nous sommes
mauvais juges. En attendant qu'elle soit vidée, il nous sera
permis, j'espère, d'admirer, en toute tranquillité de conscience,
l'abondance facile du style et le riche coloris de la langue,
très imagée et très sonore. Ces qualités sont si naturelles chez
l'auteur que, s'il ne se surveillait point, elles dégénéreraient
vite, celle-là en une improvisation sans substance, celle-ci en
une profusion indiscrète de touches discordantes. Mais lors-
qu'il se tient en garde contre une trop manifeste facilité,
lorsqu'il modère sa muse trop fougueuse, qui a plus besoin du
frein que de l'éperqn, il est peu d'écrivain plus habile à satis
faire à la fois le grand public, pour lequel, en somme, le
roman est fait, et les délicats, qui prétendent raisonner leur
plaisir.
L'auteur de tant de romans que nous avons — trop longue-
ment sans doute — passés en revue, est actuellement dans
toute la force de lâge et dans la maturité de son talent. Les
lettres espagnoles sont en droit d'attendre beaucoup de lui. Je
sais que la politique le leur dispute, et je n'oublie pas que
dans un temps où l'action civique est un devoir, nul n'a le
droit de préférer un repos, môme glorieux, à la lutte, trop
souvent cruelle. Nous nous abstiendrons donc de tout conseil
déplacé. Que si cependant, la juste tâche accomplie, l'artiste
retrouve les loisirs féconds, qu'il n'oublie pas que ce n'est pas
la plus mauvaise manière de servir une patrie passionnément
aimée que de la rendre, par des œuvres qui, elles, ont chance
de durer, plus digne de l'attention de l'Europe lettrée.
E. MÉRIMÉE.
VARIÉTÉS
D' Maria Pacheco.
Il est assez singulier qu'aucun des biographes de Diego de Mendoza,
l'auteur de la Guerra de Granada, n'ait insisté sur son véritable lien
de parenté avec Maria Pacheco, femme du conmnero Juan de Padilla,
celle que Sandoval a appelée u un tizon del Reyno)) '. Le biographe de
D. Diego, dans l'édition de la Guerra de Granada publiée à Valence
en 1776, après avoir énuméré les frères de l'historien, mentionne
deux sœurs : « Doua Isabel, que caso con Don Juan Padilla, y Doiîa
Maria, muger de Don Antonio Ilurtado, Conde de Monteagudon^*.
D'où vient ce nom d'Isabelle, qui est ici par erreiir pour Marie? Je me
l'explique d'autant moins que le biographe renvoie à l'article de la
Bihliotlieca nova d'Antonio, où le lapsus ne se trouve pas. Antonio
rappelle un passage d'une dédicace de Paul Manuce à Diego de Men-
doza où il est question d'une sœur de ce dernier, et il nous fait savoir
que cette personne accomplie, si prônée par l'humaniste itaUen, n'est
pas D" Mencia de Mendoza, marquise del Zenete, qu'ont portée aux
nues Vives et Matamoros, mais, ou bien la D" Maria qui l'ut mariée au
comte de Monteagudo, ou bien l'autre D" ^laria, femme de Juan
de Padilla : « Hœc non est Menzia illa Zenetensis marchionissa,
principisque Calabriœ uxor, cujus doctrinam Vives et Matamorus
mire cxtollunt... sed vel Maria, quam Antonius Hurtadus Mendozius,
comcs Monlisacuti, alterave, quam Joannes Padilla ïoletanus, uxores
habuerunt». Si N. Antonio avait réfléchi un peu sur le passage de
Manuce où il est parlé des prouesses guerrières (mililaria facinora)
de la dame, il n'aurait pas hésité entre les deux sœurs de D. Diego; il
se serait aussi abstenu de citer le nom de D' Mencia. qui n'a rien à faire
ici, puisqu'elle appartenait à une tout autre branche des Mendoza.
Les historiens des Conmnidades se montrent un peu mieux rensei-
gnés. D. José Quevedo notamment sait que Maria Pacheco était « fdle
du grand comte de Tendilla, marquis de Mondéjar, et de la sœur du
marquis de Villena^. » D. Antonio Martin Gamero, l'éditeur de Pedro
1. Historia de la vida y hechos del emperador Carlos T', livre V, § iC.
2. Guerra de Granada, Valencia, 1776, p. vi.
3. El inovimiento de Espaûa 6 sea Hisloria de la revolurion conocida con el nombre de
las Comunidades de CasliUa. escrita en latin por el presbilero /). Juan Maldunado y Ira-
ducida par el [iresbitero /). José Quevedo, Madrid, iSio, p. 330.
3o2 BULLETIN HISPANIQUE
de Alcôcer, dit la même chose et se réfère de plus à l'épi ta phe que
composa pour D^ Maria son parent Diego de Mendoza : « que le
compuso su deudo el famoso D. Diego Ilurtado de Mendoza». « Mais
cette épithète assez vague de deudo prouve que Gamero ne se rendait
pas compte que Diego et Maria Pacheco étaient frère et sœur.
Évidemment le nom de famille de D" Maria, ce nom de Pacheco,
a d'assez bonne heure fait perdre de vue le vrai degré de parenté qui
unissait l'auteur de la Giierra de Granada a la plus célèbre des
viragos espagnoles du xvi" siècle : Diego et ses autres frères et sœur
— celte sœur aussi nommée Maria, comtesse de Monteagudo, dont
parle N. Antonio — portaient tous le nom de leur père, tandis que la
seule D" Maria qui épousa Padilla portait le nom maternel de Pacheco,
cela en vertu de quelque contrat de mariage, ou arrangement de
famille, entre D. Inigo Lôpez de Mendoza, deuxième comte de Ten-
dilla, et sa femme D' Francisca Pacheco, fille de D. Juan duc d'Esca-
lona, père et mère de Diego et de Maria Pacheco.
Or, l'étroite parenté de ces deux derniers personnages fait tout
l'intérêt de l'épitaphe reproduite d'abord par Gamero, plus tard aussi
par Knapp dans les Ohras poétîcas de D. Diego Hurlado de Mendoza,
Madrid, 1877, p. 23i, et que je demande la permission de replacer
sous les yeux du lecteur. Je la transcris sur l'exemplaire des Poésies
de Mendoza conservé à la Bibliothèque nationale de Paris (fonds
Espagnol 3ii) et qui a été corrigé par l'auteur lui-même.
Epilaphio de dona Maria Pacheco.
Si preguntas mi nombre, fue Maria ;
Si mi tierra, Granada; mi apellido,
De l^acheco y Mendoza, conocido
El vno y otro mas que el claro dia;
Si mi vida, seguir a mi marido;
Mi muerte, en la opinion quel sostenia.
Espana le dira mi qualidad,
Que nunca niega Espana la verdad.
Sous le laconisme de cette octave, on sent tout l'orgueil de la race ;
on y sent aussi comme une certaine bravade à l'adresse du souverain
qui ne voulut jamais pardonner à cette femme indomptable et qui la
laissa mourir en exil. D. Diego montre dans ces vers que la mémoire
de l'héroïque obstination de sa sœur lui était restée chère; il ne dit
rien pour excuser la conduite de D" Maria, il proclame même avec
une évidente satisfaction qu'elle est morte convaincue de la justice de
I. Pedro de Alcocer, Relacion de aigunns cosas que pasaron en estas reinos desde que
niuriô la Reina CatôUca, hasta qae^e arabarnn la< Coinunidades en la ciudad de Toledo.
Sevilla, 1872, p. 1 18,
\AUii;rt:s .)0.>
sa cause et fidèle à son mari. Si ces sentiments-là ont été connus de
Charles-Quint et plus tard de Philippe II, on ne s'étonnera pas de la
sévérité que ce dernier surtout manifesta en plus d'une circonstance
à l'égard des Mondoza de la branche de Tendilla : le souvenir irritant
d'une femme de la plus haute noblesse castillane qui tint un moment
en échec le pouvoir royal et la façon dont certain membre de la
maison des Mendoza parlait de sa parente, envisageant sa rébellion
non comme une tache, mais presque comme un titre d'honneur, voilà
qui pouvait amplement justifier la rancune d'un Philippe II».
L'admiration et l'aircction que D. Diego avait vouées à cette sœur
s'étendaient aussi aux rares qualités intellectuelles dont elle fit preuve.
Il est probable qu'étant à Venise il en parla souvent à ^lanuce, et c'est ce
qui explique le passage si intéressant cité par N. Antonio, mais auquel
on n'a pas assez pris garde. Manuce dédiant à Mendoza le petit
volume qu'il édita à Venise en lô^i et qui porte le titre de M. Tullii
Ciceronis De Philosophia prima pars, après avoir loué D. Diego
d'ajouter à la gloire militaire déjà gagnée à la famille par son père, la
haute culture littéraire qu'il s'est lui-même acquise, mentionne ensuite
sa sœur qui elle aussi a su unir les vertus belliqueuses au talent litté-
raire : « quo in numéro » — de ceux qui « et res praîclaras manu
gerere, et quœ gesserunt, literis custodire ipsi possunt » — fuit soror
illa tua prœstantissima fœmina : cuius miliîaria facinora cum audi-
mus, cuiuis eam nostrœ œtatis viro animi magnitudine comparamus :
cum aiitem ca, qiix scripsil legimus, vel antiqiiis scriptorUnis ingenii
prsestantia similliman iudicamus. » Nous savions déjà par la relation
d'un secrétaire de D^ ^laria^, qui nous a conservé le détail de sa fuite
de Tolède et de son séjour en Portugal, que la veuve de Padilia était
une femme des plus instruites :
Fue mi seilora Doua Maria Pacheco muy docta en latin y en griego y
nialhemàtica, e muy leida en la Santa Escritura y en todo génère de his-
toria, en extremo en la poesia. Supo las genealogias de todos los reyes de
Espana y de Africa por espanto, y despues de venida a Portugal por ocasion
do su dolcncia, pasô los mas principales autores de la niodicina, de manera
que cualquiera letrado en todas estas facultadcs, que venia à platicar con
ella, habia menester venir bien apercebido, porque en todo plalicaba muy
solil y ingeniosamente.
Peut-être avait-elle profité des leçons que Pierre Martyr avait
données à son frère le troisième comte de Tendilla, D. Luis Ilurtado
1. Voir, à ce sujet, un passage de Cabrera, Historia de Felipe II, t. III, p. 35i.
2. Cette relation, analysée par Quevedo (El movimienlo, p. 33^) et à laquelle Ferrer
del Rio a fait quelques emprunts {Decadencia de Espana. Madrid, iXôo, passiin), a été
publiée in extenso par D. Antonio Rodriguez Villa dans la Revisto Europea de 18-9.
3o4 lîULl.LïlN IllSPAiSIQl i;
de Mendoza i ; mais c'est grâce à Manuce seulement que nous appre-
nons qu'elle avait écrit. Quoi? Des mémoires? En ce cas, que sont-ils
devenus? S'ils existent encore, on souhaiterait que le savant biogra-
phe des femmes espagnoles auteurs, D. Manuel Serrano y Sanz, les
retrouvât et nous les fît connaître.
A. M.-F.
Relation de la bataille de Fuentes de Onoro
(5 mai ISll)^.
Jean-Rodolphe Fromentin, lieutenant au 2° bataillon de l'Yonne,
puis au 25° dragons, était adjoint à l'état-major du général Montbrun
lorsqu'il assista à la bataille de Fuentes de Onoro. Il écrivit en 1818
une relation de cette bataille et l'envoya au maréchal Gouvion Saint-
Cyr, ministre de la guerre. S'il s'attache surtout à retracer les mouve-
ments de la cavalerie, son récit est clair, instructif, et les historiens de
la guerre d'Espagne le consulteront avec profit-^.
J.-B. MORLEIX.
Monseigneur, vous êtes trop partisan de la gloire française, à laquelle le
nom de votre Excellence appartient tout entier, pour ne pas lire avec
quelque intérêt le rapport d'un des beaux faits d'armes de la cavalerie de
l'armée de Portugal, sous les ordres de M. le lieutenant-général comte de
Montbrun, qui la commandait en chef.
J'avais l'honneur d'être officier de l'état-major de la cavalerie et de me
trouver à cette affaire, dont le souvenir m'est encore assez présent pour en
soumettre quelques détails à votre Excellence.
Nous étions à peine assis dans les cantonnements qui nous avaient été
donnés après noire retraite du Portugal, que cette armée reçut l'ordre du
Prince d'Essling, qui en avait le commandement, de se mettre en marche
sur Almeida pour débloquer cette place et l'approvisionner en vivres qui
suivirent l'expédition.
Je n'entrerai point dans tous les détails qui nous amenèrent à la position
anglaise près Fuentes de Oiioro, quelques circonstances ne m'étant pas
parfaitement connues, et ne devant d'ailleurs parler que des faits que j'ai
pu apprécier et retenir et de ce qui est particulier à la cavalerie de cette
armée.
1. Voyez J. Bernays, Petrus Martyr Anglerius und sein Opus epistolarum, Strasbourg,
1891, p. 12. Il est plusieurs fois question de Maria Pacheco dans les lettres de
Martyr; dans l'une d'elles, adressée à son élève D. Lui's, Martyr dit avec à propos:
«De sorore tua Donna Maria Pachieca hujus tumultuarii Padiliae uxore nescio quid
fertur, qaod marili sit ipsa maritus» (Opus epistolarum, Amsterdam, 1670, n° 711).
2. Archives de la Guerre.
3. Fromentin était né à Neuilly le 7 janvier 1778; il fut mis, comme capitaine, au
traitement de réforme le 2O septembre i8j8.
VARIÉTÉS 3o5
La cavalerie était arrivée et bivouaquée dans les environs de Fuentcs de
Oiioro et de INave de Avel; elle avait poussé des reconnaissances sur dilTé-
rents points, reconnu San Pedro et la route de Rodrigo à Alnieida, que
l'ennemi occupait en force, lorsque, le 4 mai, M. liî comte de Monlbrun
reçut du Prince l'ordre de disposer sa cavalerie pour soutenir le lendemain
matin un mouvement général qu'il projetait à l'eilet de débusquer le
général \Vellington de la belle position qu'il tenait entre La Coa Marialva,
Elbodom et Fuentes de Oùoro, dont il était maître, et s'ouvrir le passage sur
Almeida.
M. le comte de Montbrun, avant d'arrêter ses dispositions, se rendit de
suite près la position ennemie dont il devait s'emparer. Il n'avait avec lui
que quelques officiers et je me trouvais du nombre. Nous tournâmes Nave
de Avel et nous approchâmes le plus près possible des points qu'il avait
ordre d'attaquer et d'enlever, et nous reconnûmes que la cavalerie anglaise,
protégée par des plis de terrain, une artillerie bien placée, et sans doute
plus d'infanterie que nous n'en pouvions découvrir, se trouvait dans une
assez belle position : l'ennemi ayant sa gauche à San Pedro et couvrant la
grande route d' Almeida, et sa droite appuyée à La Coa, occupant Fuentes de
Onoro; l'artillerie était sur un plateau dominant la position et près
Atalaya. Enfin, nous poussâmes notre découverte jusqu'au ruisseau nommé
Elbodom, mais l'ennemi envoya sur nous quelques cavaliers qui ne purent
nous rejoindre, M. le comte de Monlbrun ayant terminé ses observations et
repris le chemin de son quartier général, où nous rentrâmes sans accident.
Les ordres furent expédiés à la cavalerie, qui, dans la nuit du 4 au 5, se
mit en marche pour le rendez-vous indiqué, et le 5, au point du jour,
environ 2,Goo chevaux étaient reposés et en présence de 5,oooà 6, ooo chevaux
anglais soutenus de fortes masses d'infanterie et d'une artillerie aussi bien
servie que placée; nous n'avions avec nous que quelques pièces de petit
calibre.
De part et d'autre, les surprises étaient difficiles puisque les troupes
étaient sous les armes et se battaient depuis cjuclques jours; aussi trouvâmes-
nous l'ennemi sur une défensive qui nous lit croire qu'il connaissait notre
mouvement de nuit.
Nous étions arrivés sur le ruisseau d'Elbodom, débordé par le village de
Fuentes Onoro que notre infanterie attaquait vigoureusement sous les
ordres et en présence du Prince. Nos tirailleurs se portèrent en avant, bien
appuyés; les escadrons anglais firent un mouvement sur nous, soutenus de
leur artillerie qui nous faisait beaucoup de mal. M. le comte de Montbrun
les attendit de pied ferme; les charges s'engagèrent et furent heureuses
pour les nôtres; nous poussâmes même la cavalerie ennemie assez brusque-
ment. Mais nous arrivâmes sur des masses d'infanterie masquées par le
terrain et qui étaient échelonnées en plusieurs carrés; les escadrons anglais
occupèrent les intervalles, et nous nous trouvâmes sous le feu de l'infanterie
et de l'artillerie. M. le comte de Montbrun, quoique sans infanterie, n'hésita
point à faire enfoncer les carrés; il marcha en tète de sa cavalerie et ces
carrés furent pris ; la cavalerie anglaise, poussée et culbutée, et nos esca-
drons en possession de presque tout le terrain qui sépare le Tourrenis du
ruisseau d'Elbodom. Ce mouvement hardi avait secondé les efforts de noire
infantorie et Fuentes de Onoro était au pouvoir du Prince, l'ennemi se
retirant sur les hauteurs de CastcUobom.
L'infanterie française fut de suite occuper un bois en avant de Fuentes de
3o6 BLLLET1> HISPAMQLE
Onoro, cl à notre droilc, où le Prince fit établir sou quartier général,
M. le comte de Montbrun, seul avec ses chevaux, n'avait pu conserver ses
nombreux prisonniers dont la majeure partie avait fui; il reçut de nouveau
l'ordre de pousser l'armée anglaise et d'achever une opération si bien
commencée.
>otie cavalerie s'ébranla pour la seconde fois; nous eûmes des succès,
fîmes encore des prisonniers; on s'empara de quelques bagages, et quoique
l'infanterie ne iirit qu'une faible part à nos manœuvres, nous n'en pous-
sâmes pas moins vivement l'armée anglaise; nous dépassâmes le Tourrenis",
et mîmes la confusion dans les rangs ennemis dont les équipages se por-
taient vers La Coa avec un encombrement précurseur de sa défaite. Mais il
fallait de l'infanterie, qui, sans doute disposée ailleurs utilement, ne vint
point appuyer M. le comte de Montbrun, qui fut forcé de laisser ses prison-
niers, de repasser le Tourrenis et de se remettre en position sur le premier
terrain enlevé de vive force à l'ennemi, entre le Tourrenis et le ruisseau
d'Elbodom.
C'est ici où s'arrêtèrent les charges hardies et les savantes dispositions de
M. le comte de Montbrun. Le Prince d'Essling, convaincu sans doute de
l'impossibilité de s'ouvrir la route d'Almeida, décida l'envoi d'émissaires
dans cette place, avec ordre de la faire sauter et à la garnison de nous
rejoindre. Mais, après avoir attendu en position le temps nécessaire pour
l'arrivée de ces émissaires et l'exécution de ses projets, n'apprenant et
n'apercevant aucun résultat, et les vivres apportés pour l'apiirovisionncment
d'Almeida étant consommés, le Prince fit faire le mouvement rétrograde,
repassa l'Agueda, appuyant sa gauche à Giudad-Rodrigo et sa droite à San
Felices El Grande, occupant le pont de Barbas de Puerco.
Mais, au moment où la droite commençait son mouvement de retraite, on
entendit dans la plaine quelques coups de fusil au-delà de Barbas de Puerco
et bientôt on s'aperçut que c'était la garnison d'Almeida qui, ayant fait
sauter la place, faisait une trouée pour nous rejoindre. Alors M. le général
Reynier reprit le pont sur r.\gueda et protégea l'arrivée de cette garnison
que ramenait M. le général Brenier.
Quelques jours après, l'armée dite de Portugal reçut l'ordre d'aller
occuper ses cantonnements dans les provinces de Salamanque, Zamora, etc.,
où elle se rendit.
Je désire, .Monseigneur, par ce court aperçu, avoir réussi à offrir à votre
Excellence quelques détails nouveaux sur une affaire qui s'est passée loin
d'Elle.
I . Le Turones.
BIBLIOGRAPHIE
EL Diablo cojuelo por Luis Vêlez de Guevara. Reproduccion
de la cdicion principe de Madrid, i6/ii, por Adolfo Bonilla y
San Martin. Vigo, librerîa de Eugenio Krapf, 1902; xxxviii-
273 p., in-8°.
Cette édition très méritoire répond à un besoin depuis longtemps
ressenti. Il est évident que les œuvres diflîciles de la littérature clas-
sique espagnole, telles que les Snenos et autres fantaisies de Qucvedo,
ou plusieurs picaresques, comme la Picara Juslina, ou encore le petit
roman de Guevara, restent lettre morte pour les neuf dixièmes des
Espagnols; on y happe bien dc-ci, de-là, quelques passages, toujours
les mêmes, qu'on aime à citer et à admirer, mais le reste n'existe que
pour un petit* nombre d'érudits, amateurs de vieilleries démodées.
Pourquoi? Parce que ces livres, d'une écriture volontairement obs-
cure, pleins d'allusions à des usages disparus, n'ont été jusqu'ici
réimprimés que par des éditeurs négligents et ignorants qui n'ont
rien fait pour en faciliter l'intelligence à leurs lecteurs. Les textes
d'abord, fautifs déjà à l'origine dans les éditions publiées du vivant et
sous les yeux des auteurs, sont devenus, à force d'être mécaniquement
reproduits, de plus en plus incorrects et inintelligibles : d'où pre-
mière difficulté, les lecteurs même lettrés de nos jours n'étant pas en
état de retrouver la pensée d'un écrivain du xvii' siècle à travers les
coq-à-l'àne et les fautes d'impression des éditions modernes seules
accessibles. Et si les textes sont mauvais, les commentaires les plus
indispensables font naturellement défaut : comment, en effet, im
éditeur qui imprime sans sourciller des bévues et des non-sens pour-
rait-il expliquer ce que lui-même ne saurait réussir à comprendre?
Le premier devoir donc qui s'impose à quiconque s'elTorce de remettre
en honneur et à la portée du public cette littérature oubliée et
incomprise consiste à rétablir dans leur état primitif les textes altérés,
à signaler dans ces textes ainsi restitués tout ce qui paraît fautif et à
essayer de réparer ces fautes, qu'elles soient le résultat de simples
coquilles d'imprimerie ou bien d'un manque de correction de la part
de l'auteur ou du reviseur de l'édition princeps. Le second devoir est
d'expliquer de son mieux les ditricullés verbales, historiques et de
pensée de l'œuvre reproduite.
Nos voisins ont, en général, peu de goût pour ce genre de travaux;
3oS BULLETIN HISPANIQUE
la plupart jugent qu'ils comprennent assez leurs classiques, et j'en
sais qui n'admettraient pas qu'on leur dit qu'ils ne les entendent qu'à
demi et très superficiellement. Il est cependant vrai, tout à fait vrai,
qu'ils ne les entendent guère, et pourquoi en serait-il autrement? Un
Anglais comprend-il Shakespeare, et un Français Rabelais et Mon-
taigne, ou même bien des passages de La Fontaine et de Molière, au
pied levé et sans préparation? Les Espagnols jouiraient-ils donc de
grâces spéciales refusées aux autres humains? Non possunt studiosi
homines divinare, disait cependant l'Espagnol Vives, qui n'était point
le premier venu, et s'il est des choses que les studiosi ne devinent pas,
que dirons-nous des autres? M. Bonilla partage les idées de Vives, en
ce sens qu'il croit nécessaire de constituer des textes sûrs des anciens
auteurs et de les commenter. Sa conviction est d'ailleurs assez récente,
car l'édition qu'il nous a donnée il y a deux ans du Viage entretenido
de Rojas, dans la Colecciôn de libros picarescos, se conforme encore à
l'ancien système; le texte en est un peu plus mauvais que celui de
la dernière réimpression de 1798 : je puis le dire, m'étant imposé
la peine de le collationner sur l'édition princeps de i6o/i. Mais aujour-
d'hui M, Bonilla professe les bons principes, et il faut l'en féliciter
cordialement. Ayant affaire cette fois à un ouvrage particulièrement
difficile, il s'est mis en devoir d'abord de nous en restituer la leçon
primitive et non encore altérée par les remaniements ou les négligences
des éditions subséquentes. Ce premier travail ne demande que de
l'attention et du soin ; mais il ne s'en est pas tenu là, il a estimé très
justement qu'il convenait d'élucider les passages difficiles et obscurs
de son auteur : de là un commentaire nourri et précis qui rendra de
très bons services à la plupart des lecteurs. Il a été aidé dans ce
second travail, beaucoup plus ardu que le premier, par des notes de
D. Aguslin Durân, que cet excellent érudit avait rédigées pour un
amateur étranger à la demande de l'Académie espagnole; néanmoins,
la part personnelle de M. Bonilla reste considérable dans ce commen-
taire et fait honneur à son intelligence et à son savoir. On peut
regretter, toutefois, qu'il ait renoncé aux a notes historiques» ', car-
en dehors de beaucoup de gens de qualité comolaisamment mention-
nés par Guevara dans son Cojiielo et qui n'offrent pas grand intérêt,
l'auteur parle çà et là de contemporains sur lesquels il ne serait pas
inutile d'avoir des renseignements puisés à bonne source.
I. M. Bonilla a toutefois rédigé quelques notes historiques sur Andrés de Clara -
monte, le comte de Cantillana, D' Ana Caro, le marquis dcl Carpio, D. Juan de
Espina. Pourquoi alors no pas continuer? A propos de Luis Pacheco de Narvaez, dont
il parle à la page 21 li, il aurait fallu rappeler une information très curieuse sur la
querelle de ce maître de l'escrime mathématique avec Qucvedo, qui figure dims
certaine gazette puljliéc par D. Antonio Rodriguez Villa (La Corte y monarqula de
Espana en los anos de 163G y 37, Madrid, 188G, p. 57). On n'en a pas tenu compte dans
la biographie do Quevedo de la nouvelle édition de Sévillc.
UlliLlOGU.VlMlIE 009
Dans l'introduction, M. Jk)nilla, après avoir trace le plan de son
édition et indiqué les principes qui l'ont guidé dans la reproduction
de l'œuvre de Guevara, essaye de déterminer la date de la composition
du Cojuelo, qu'il pense avoir été écrit entre i63o et 1637. Il signale
ensuite l'analogie qui existe entre l'idée essentielle du Cojuelo — la
visite de la société espagnole sous la conduite du démon — et celle
d'un vejamen de D. Francisco de Uojas, dont je reparlerai tout
à l'heure. Je ne crois pas qu'il faille ajouter grande importance à cette
co'incidence ; le Cojuelo est essentiellement une satire tucianesfjue et
Guevara à la fin du chapitre F"" n'omet pas de signaler son modèle:
« don Cleofas, » dit le diable à son compagnon, « desde esta picota
de las nubes, que es el lugar mas eminente de Madrid, (j mal ai'io para
Menipo en los dialogos de Luciano!), te he de ensenar todo lo mas nota-
ble que a estas horas passa en esta Babilonia Espaûola. » Le Ménippe
de Lucien hantait d'autres écrivains satiriques de l'époque : ainsi
Bartolomé de Argensola l'invoque dans son épitre à Nuno de Mendoza :
Si tu pudiesses ver, conio el Menipo
De Luciano, en los ayres sustenido,
Cuando (cuanlo ?J hierve esta Corle de Filipo,
De su desorden, trafago 1 ruido,
Sin olros argumentes importantes,
Quedarïas asàz persûadido.
Et après Lucien, Quevedo est le grand inspirateur de Guevara
comme de tous les écrivains du xvir siècle qui ont cultivé la satire
sociale. Quevedo fournit, non scidement des idées, mais beaucoup
d'expressions, et, bien entendu, les imitateurs exagèrent les procédés
du maître : Guevara, entre autres, abuse souvent du mot à double
entente, du calembour, et certains passages de son Cojuelo font penser
à ce tour de force assez puéril qu'on a appelé le Monslruo salirico • .
Guevara, toutefois, ne tombe pas aussi bas que ces tristes acrobates;
il sacrifie trop au slylisme, mais il a des idées, de la fantaisie, quelque
chose de ce fucgo andaluz qu'il attribue à Alvaro de Cubillo. A tout
prendre, le livre, qui a des passages fort réussis, — telle la scène de
l'hôtellerie avec les extravagances du poète dramatique, — n'a pas
trop vieilli; nous comprenons le succès qu'il a obtenu auprès des
contemporains, et nous estimons que Lesage a eu la main heureuse
le jour où il s'en est emparé pour le faire sien 2.
I. Un spécimen du genre, publié par M. Mussafia d'après un manuscrit do Vienne,
a été reproduit dans le tome l" des Sales cspaftolas de D. Antonio Paz y Melia. Il y en
a d'autres dans les Dialogos de apacible enlrclenimienlo de Gaspar Lucas Hidalgo, et
dans El Entretenido d'Antonio Sâncliez Tôrtoles.
3. Sur le nom même du démon, diablo cojuelo, il y aurait encore des recherches
à entreprendre. Je noterai, en passant, une allusion qui se trouve dans La Eslrella de
Sevilla, acte 111, se. 7 : « En sus hombros Al punto el Diablo cojuelo Alla le ponga de un
sallo. »
Bull. Iiispan. ai
OlO liLLLLTlN HlSVA.MQLt
Le texte de l'édition princeps de i64i semble avoir été reproduit
très fidèlement, mais cette édition n'existant pas, que je sache, dans
nos bibliothèques, je n'ai pas pu confronter l'original avec la copie. Au
surplus, le texte de i64i contient déjà des fautes évidentes que
M. lîonilla a indiquées et corrigées. Parfois même l'éditeur propose
des corrections inutiles. Ainsi, il se demande si dans la phrase : « los
ginetes a gâtas que corrian las coslas de aquellos tejados, » il ne con-
viendrait pas de lire postas au lieu de coslas. Certainement non :
Guevara a pensé à cette cavalerie légère qui surveillait les côtes
d'Espagne et à laquelle Cervantes fait allusion dans le Coloquio de los
perros : « el senor del ganado sobre una yegua ruzia a la gineta...mas
parccia atajador de la cosla que seîïor de ganado. » — P. 3o et 53. La
graphie tambien en un mot avec le sens de tan bien est très fréquente
aux xvi" et xvn" siècles; il était inutile de corriger. — En revanche, on
peut se demander si la leçon nyones à la fin du chapitre IV (p. 45)
n'est pas une faute pour oyentes comme lisent les éditeurs modernes
et entre autres celui de la Bibliothèque Rivadeneyra. Peut-être,
toutefois, Guevara a-t-il fabriqué cet oyones d'après mirones. —
P. 34- Sobrepelliezes est, sans doute, une faute d'impression pour
sobrepelUzes.
J'en viens aux notes. Ces notes sont abondantes et rédigées avec
exactitude. Quelques-unes ont le mérite de résoudre complètement
une difficulté, je citerai par exemple la très bonne explication de
fjolfo lançado; d'autres contribuent au moins, par le rapprochement
de passages empruntés à des auteurs contemporains, à rendre plus
intelligibles certaines expressions de Guevara ; d'autres enfin semblent
inutiles, au moins à des lecteurs français quelque peu versés dans la
littérature espagnole classique : je m'étonne qu'on soit obligé d'expli-
quer à des Espagnols d'aujourd'hui des mots tels que alcdndara, caxa
(dans le sens de tambour), jalon, etc. En revanche, je signalerai
quelques omissions. Que signifient, par exemple, les phrases suivantes :
« dar rocin por carnero y gato por concjo à los estomagos del buelo »
(p. 2o) ; ou encore : « dio con el [el venteroj en Peralvillo, entre aquellas
cecinas de Gestas, como en su centro » (p. 53)? 11 eût été utile aussi de
relever tous les refranes que Guevara s'amuse à déformer plaisamment :
ainsi la phrase « al fin de los anos mil, bueluen los nombres por donde
solian ir » (p. 28) est l'a peu près du proverbe « al cabo de los aîïos mil,
vuelven las aguas por do solian ir». Souvent M. Bonifia se déclare
vaincu et hors d'état de déchiffrer ou les énigmes de ce style alambiqué
et torturé à dessein, ou les allusions à des choses que chacun com-
prenait alors, mais qui nous échappent aujourd'hui : contes popu-
laires, jeux de mots et plaisanteries éphémères comme il en naît
maintenant dans la presse quotidienne. Il a eu bien raison d'insister
sur ces passages, que d'autres éditeurs moins scrupuleux eussent
BtDLluGRAPIirE OCI
simplement passé sous silence; c'est la meilleure manière d'attirer
l'altention de tel ou tel érudit auquel ses études spéciales fourniront
peut-être le moyen de résoudre certains de ces problèmes. On peut
espérer qu'un jour ou l'autre quelqu'un nous expliquera la mala de
Linan ou le rio navarrisco.
Voici quelques menues observations qui m'ont été suggérées par la
lecture de ces notes.
P. 187. Caheza del Rey don Pedro. M. Bonilla aurait pu citer à ce
propos l'aventure du bisaïeul de (Ji'egorio Guadana qui mendiait sous
la fameuse effigie (Antonio Enriquez Gômez, Vida de don Gregorio
Guadana, p. 209 de l'éd. Rivadencvra). — P. i45- Çinconte. Je suis
porté à croire que ce mot est le français sansonnet. — P. lôi. Cos-
(j aillas de la capona. Sur le bailc de la capona, il faut voir El Prado de
Madrid y baile de la Capona, coniedia antigaa de Salas Barbadillo
(Coronas del Parnaso. Madrid, i635). — P. i.")!. Criado con el Vasilisco
de Malta. Il s'agit du poète dramatique qui fait un tapage d'enfer :
■ « el jugar la artillera con la boca, como si huuiera ido a la escuela con
un petardo o criadose con el Vasilisco de Malta. » M. Bonilla pense que
(( la légende du basilic de Malte procède peut-être de l'aventure de saint
Paul dans l'ile de Malte racontée au chapitre XXVIII des Actes des
Apôtres n ; mais il n'est pas question ici de légende. Le nom de basilic a
été donné à un gros canon (cf. couleiwrinc); sans doute la Religion
possédait à Malte un basilic d'un calibre extraordinaire, et c'est pourquoi
Guevara compare à sa détonation les pétarades du poète. — P. i5f). Don
laan de Espina. Sur ce personnage bizarre, musicien, amateur et collec-
tionneur de curiosités, — il recueillit entre autres, nous dit Quevedo,
les instruments du supplice de Rodrigo Calderûn — et très adonné aux
sciences occultes, M. Bonilla a donné quelques renseignements qu'il
serait aisé de multiplier. J'ai rappelé (L Espagne au. wi^ el au wii^ siècle,
p. 67G) que Juan de Espina mourut au commencement de janvier i6^3,
et qu'une poésie de Luis Barahona de Soto Gallardo, Ensayo, t. II,
col. 27) lui donne le titre de pandorguero de Su Magestad. Sa pan-
dorga est mentionnée non seulement par Quevedo, mais par Lope de
Vega dans une loa {Obras sueltas de la Bibl. RiAadeneyra, p. a^o").
En ce qui touche ses collections d'oeuvres d'art, on trouvera des
informations curieuses dans le livre de M. Pion, Leone Leoni et
Pompeo Leoni, Paris, 1887, p. 2^4, à propos de deux recueils de
dessins de Léonard de Vinci acquis par Espina à la vente de Pompeo
Leoni. 11 est surprenant que F. Wolf, qui cite le passage du Diablo
cojuelo concernant Espina {Studien, p. 683), le considère comme un
personnage mythique! — P. 160. Dormir en cueros, como vinagre.
Un jeu de mots analogue se trouve dans la nouvelle Ardid de la
oobreza y astucias de Vireno de Don Andrés de Prado : a ténia (el
cochero) noticia de donde le apretaba el jubon, y no los zapatos,
3l3 BULLETIN IllSl'AMQLt:
porque no los traia por no ponerse en puntos con vinagres, por lo
que lienen de ciiero » (éd. Rivadeneyra,p. h'o"). — P. i64, Esguizaro.
Le mot ne vient pas directement de l'allemand Schweilzer, mais de
l'italien Svizzei^o. — P. i65. Espiimar valor. Dans le texte : « espu-
mando valor, prerrogativa de estudiante de Alcala » : ceci fait allusion
aux fameux gargajos dont parlent le Buscôn et le Pasagero de Suàrez
de Figueroa. — P. 167. Fainiliar. L'interprétation que donne ici M. Bo-
nilla du double sens dejamiliar avait été indiquée, mais avec quelque
exagération, par D. Antonio Puigblanch : « Luis Vêlez de Guevara, in
his novel of the Devil on Two Sticks, chap. 1, criticises, though in an
obscure manner, the excessive power of the inquisitors, when he
causes the devil, from a glass bottle in which he Avas confîned, to say
tliat he should be extremely glad to be a familiar of the Holy Office,
to put some of them into another bottle of brick and mortar (The
Inquisition unmasked, Londres, 1816, t. 11, p. 167). — P. 186. Ladrones
de Guebara, Merciirio Mayor de Espana. Durân se demande pourquoi
l'auteur attribue au père du comte d'Onate la faculté de « faire des .
empereurs ». Le cinquième comte d'Onate fut ambassadeur à Vienne et
contribua à l'élection de Ferdinand llî. — P. 191. Mas ruido que la Ber-
muda. Un ami de M. Bonilla lui a suggéré l'idée que le nom de Ber-
muda pouvait désigner une cloche célèbre. 11 faut renoncer à cette clo-
che. Bermuda est l'île Bermude, grand effroi des navigateurs, à cause
des terribles courants qui l'entouraient : « the stiil-vexed Bermoothes »,
dit Ariel dans la Tempêter Les livres espagnols des xvi^ et xvn' siècles
sont pleins d'allusions aux tempêtes si fréquentes dans ces parages
dangereux et dont l'horrible fracas demeurait longtemps dans la
mémoire de ceux qui les avaient essuyées :
La Bex'muda enfin no muda,
Pues con lôbregos cclajes
Habla tanto que la lloran
Inflnitos navegantes,
dit une relation en vers de 1626 (Cesareo Fernândez Duro, La niar
descrita por los mareados, Madrid, 1877, p. 2o3); et le poète Don
Francisco de Medrano, dans une imitation de Sic te diva potens Cypri
adressée à un ami, s'écrie :
; Que Unaje temiô de muerte cruda
Quien con ojos enjutos
Viô los escollos yertos, la Bermuda
Y los caimanes brutos !
(Poetas lîricosde laBibl. Rivadeneyra, t, I, p. 348). — P. igS. Mohatra.
I. On sait que le sujet de la Tempête a été emprunté à la relation d'un naufrage qui
eut lieu aux îles Bermudes en 1609.
iuhlioguvpiiie
3i3
A propos de ce mot qui, au xvii' siècle, avait fini par signifier sim-
plement (( usure » et s"appli(iuait indistinctement à toutes les pratiques
des prêteurs, M. Bonilla dit que le lexique de Gucvara est essentielle-
ment quevedesque, parce qu'il retrouve dans les Siiehos de Quevedo
diverses allusions à la mohatra et au mohalrcro. Mais il n'est pas d'au-
teur de l'époque qui n'en parle peu ou prou. Chez nous, le contrat
mohatra doit sa notoriété à la huitième Provinciale. — P. 22a. Saltam-
bancos. A coté de ce mot qui est pour salla-en-bancos, on pourrait rap-
peler l'expression analogue de montainbancos qui se trouve dans Este-
banillo Gonzalez. Dans les deux passages où il figure, l'éditeur de la
Bihl. Rivadeneyra a imprimé nionlambaneos (voy. Novelistas posl. a
Cervantes, t. II, p. 33o^ et 353'). — P. 2 23. Saudades. Le correspon-
dant espagnol soledad est employé par Guevara avec le sens portugais
à la p. Ao: « don Cleofas... sintiendo la soledad del compaiiero)). —
P. 23 1. Velicomenes. L'explication donnée ici par M. Bonilla ne vaut
rien, mais elle a été rectifiée par lui-même dans la Revis ta de archivos,
3* época, t. VI, p. 383. Le mot vient directement, non de l'allemand,
mais du français vidrecome.
On sait que Guevara a inséré dans son Cojiielo un sonnet lu par lui
dans la fameuse académie burlesque du Retiro en 1637 ainsi que le
règlement premdlicas y ordenanzas) de la dite académie. M. Bonilla, au
moment de publier son édition, ignorait que le compte rendu complet
de cette séance littéraire avait été imprimé, il ne connaissait que la rela-
tion de Sânchez de Espejo et des extraits d'un manuscrit de la Biblio-
thèque Nationale de Madrid contenant le sonnet, le discours d'ouver-
ture, le règlement, les memoriales et les cedulas, le tout de tiuevara',
avec un vejanien de Francisco de Rojas, pièces qui lui furent commu-
niquées par D. Manuel Serrano y Sanz. Gallardo lui aurait appris que
l'ancienne bibliothèque d'Osuna possède un exemplaire des actes de
l'académie qui doit être identique à celui de la bibliothèque de l'Arse-
nal. Dans l'exemplaire de l'Arsenal, le vejanien est d'Alfonso de
Batres complété par Francisco de Rojas, mais la partie de Rojas est
tout à fait différente du rejamen publié par M. Serrano. Je me demande
si ce second vejanien appartient bien à la même académie; il porte la
date du 21 février 1637, alors que l'académie dont parle Sânchez de
Espejo et dont les actes se trouvent dans les mss. Osuna et de l'Arsenal
eut lieu le vendredi 20 févriers.
Une observation avant de finir. La disposition des notes dans cette
édition les rend peu faciles à consulter. Comment supposer, par exem-
1. Dans le manuscrit de l'Arsenal, ces pièces sont suivies de la mention : " Asla
aqui Luis Bolez ».
2. M. Bonilla dit par inadvertance que les fêtes commémoratives de l'élection de
Ferdinand III dun'rcnt du dimanche i6 février au mardi 25; mais en lOSy le diman-
che tombait le i5 et non le lO.
6l!^ lîlLLETIN mSPAN'TQCE
pie, que des renseignements sur un nommé Melchor Zapata, et que
M. Bonilla croit pouvoir identifier avec le personnage du même nom
dont il est question dans Gil Blas, livre II, ch. 8, se trouvent sous la
rubrique Cura de su vino ? Il aurait fallu une table alphabétique de
noms et de choses.
En somme, comme je le disais en commençant, ce travail est très
louable et mérite l'estime et la reconnaissance de tous ceux qui sentent
leur ignorance, l'avouent ingénument et voudraient y remédier, ce qui
est le commencement de la sagesse. Il serait fort à désirer que
M. Bonilla fit subir le même traitement à plusieurs autres œuvres de
la littérature espagnole, depuis la Célestine et le Lazarille jusqu'aux
Nouvelles de Cervantes, au Buscôn, au Pasagero de Suârez dé Figueroa,
au Mdrcos de Obregôn, livres qui tous réclament d'abondants éclair-
cissements. Nous ne saurions, à vrai dire, à cause du médiocre outil-
lage dont ils disposent, demander aux érudits espagnols des éditions
savantes dans le goût des Grands écrivains de la France ou du
Shakespeare de Furness ; mais nous leur serions fort obligés de nous
donner au moins, pour les classiques, quelque chose qui répondrait,
par exemple, à la si bien conçue Bihlioleca scolaslica de Carducci.
A. M. -F.
Landwirthschafl und Kolonisation im Spanischen Amerika, von
professer D^ Karl Kaerger, 2 vol. in-8°, xi-989 pp., vii-y^S pp.,
Leipzig, Duncker et Humblot, 1902. Prix : 42 marks 80.
L'ouvrage du D"" K. Kaerger, que viennent de publier les grands
éditeurs de Leipzig, Duncker et Humblot, arrive à son heure, c'est-à-
dire au moment où l'attention du monde se porte de plus en plus vers
cette Amérique espagnole que le prodigieux développement de l'Amé-
rique anglo-saxonne a trop longtemps rejetée dans l'ombre. Dans ces
immenses espaces où la colonisation européenne a rencontré des difR-
cultés bien plus sérieuses qu'au nord du continent américain, la race
espagnole a fait preuve d'une endurance, d'une vitalité qui font
augurer pour ces pays un brillant avenir. C'est là, sans doute, plus
qu'en Espagne même, que la langue et la civilisation hispaniques
trouveront leur champ d'expansion le plus vaste, et qu'elles pourront
occuper encore une place importante dans l'ensemble des multitudes
humaines grandissantes. L'étude de l'avenir économique de l'Amérique
espagnole forme l'objet de l'enquête du D' Kaerger. Elle ne s'étend pas,
il est vrai, aux. petits États de l'Amérique centrale, pas plus qu'à la
Colombie et au Venezuela, mais elle donne sur le Mexique, l'Equateur,
la Bolivie, le Pérou, le Chili et les Républiques de La Plata une masse
énorme de détails précis et de renseignements approfondis qui en font
de beaucoup la meilleure œuvre d'ensemble parue sur ce sujet.
iniir.ioGiuniiK .Si.)
L'auteur, chargé, au m)ui du gomernonienl allemand, d'étudior sur-
place les conditions de la production économique dans cette partie du
monde, examine dans un gros volume de près de i,ooo pages la
situation des Etats de La Plata, ceux qui paraissent appelés à jouer au
point de vue matériel au Sud le rôle que jouent au Nord les Etats-
Unis. Venant après les travaux récents de Lalzina, de Van Bruyssel et
de Ch. Wiener, paru presque en uiême temps que celui de Carlos
Lisklett, l'ouvrage du D' Kaerger fournil sur l'Argentine, l'Uruguay
et le Paraguay une série de recherches précieuses, où les documents
statistiques et les observations personnelles sont en même temps
utilisés. L'auteur s'y efforce sans cesse d'indiquer les facteurs physi-
ques (sol, climat), ethnographiques (colonisalion et population), écono-
miques (conditions de production et de Iravail , qui ont déterminé
l'évolution matérielle des républiques de La Plata. Aussi peut-on
afTirmer qu'en dépit du décousu de la composition, qui provient de ce
(|ue l'auteur n'a pas remanié les rapports adressés à son gouverne-
ment et ne s'est pas préoccupé d'établir un lien entre eux, le travail
du D' kaerger est la contribution la plus importante que l'on possède
sur la plupart des éléments de la vie économique de trois Etats de cette
partie de l'Amérique.
Comme il était naturel, l'enquête la moins détaillée est celle qui
concerne le Paraguay^ où la colonisation est encore lente et où la prin-
cipale richesse consiste dans le bétail, les peaux, le tabac, et surtout
dans cette variété du thé appelée le maté, sans parler des magnifiques
forêts qui couvrent le paysi. L'L'ruguay est plus favorisé, grâce au
voisinage de la mer. 11 attire davantage les émigrants, principalement
les Basques, et sa capitale Montevideo croît avec rapidité. La colonisa-
tion grandissante, la production intense du bétail, du blé, des laines,
des peaux, font l'objet d'une série de rapports très fouillés du savant
allemand».
Mais c'est l'iVrgentine qu'il semble avoir étudiée avec le plus de soin
et dont il connaît à fond les ressources 3. Il cherche à dégager les
conditions physiques du progrès étonnant de cette république, et, pour
chacune des provinces qu'il a parcourues, à montrer quelle est la part
dii sol, du climat, des eaux, dans la formation de sa richesse'". Dans
cette immense plaine de a, 800,000 kilomètres carrés, cinq fois et demi
supérieure en étendue à la France, il note avec sagacité les traits (jui
distinguent les terres fécondées par le grand fleuve et le voisinage de
1. Kaerger, I, 3i5-.35î.
2. Kaerger, I, asi-.li^.
3. Le D' Kaerger consacre à l'Argentine plus de 800 pages.
4. Par exemple, pour les provinces de Santa Fc et de Côrdoba, Kaerger, pp.
à iG; pour l'Entrerios el Buenos .\ires, I, p. 'iir>; pour l'ensemble de l'Argentinr
I, Sdi-Ç)0'|.
3l0 nt'LLETIN HISPANIQUE
TAtlantique d'une part, le Grand Chaco et les Pampas de l'autre. 11 n'a
pas négligé d'examiner les conditions d'habitat des vastes plateaux de
grès de la Patagonie qui bordent au sud cette plaine et que balaient
l'hiver les vents froids du pôle. De là, le développement si inégal de
l'Argentine, oii la douceur du climat, l'action bienfaisante des eaux
fluviales, la proximité des estuaires ont en quelque sorte concentré la
vie dans les provinces Orientales, tandis qu'elle naît à peine aux extré-
mités, et qu'elle présente si peu d'activité au centre. A tout prendre,
la terre est riche et fertile. Aussi la colonisation progresse-t-elle surtout
vers les provinces de Santa Fé, de Côrdoba, de Buenos Aires, de
Rosario, etc.i- Le recensement de 1895 accusait, en effet, la présence
de près de i million d'étrangers (les deux tiers Italiens ou Espagnols,
un dixième Français) pour une population de 4 millions d'habitants,
et on compte qu'entre 1878 et 1897, l'Argentine a reçu 2,oG3,ooo émi-
grants. On sait avec quelle ténacité l'Allemagne cherche à détourner
une partie de ses nombreux émigrants vers les États de La Plata, afin
d'y ménager pour l'avenir la suprématie de son commerce. Aussi,
l'ouvrage du D' Kaerger contient-il une étude minutieuse, une sorte
de guide instructif, pour diriger d'une manière méthodique l'effort de
ses compatriotes dans cette partie de l'Amérique du Sud. C'est égale-
ment dans des intentions pratiques qu'il a exposé l'influence des
variations du papier-monnaie sur les salaires et les prix à La Plata, et
cette enquête spéciale n'est pas la portion la moins utile de son œuvre,
de même que celle qui concerne la technique et le coût de l'exploita-
tion ou les conditions du rendement agricole 3. Des autres études du
savant allemand se dégage une impression de confiance dans l'avenir
économique de ce vaste pays destiné à devenir peu à peu l'un des
plus formidables producteurs de denrées alimentaires de l'univers.
L'agriculture et l'élevage, déjà florissants à l'est sur les rives de la
Plata et du Parana, s'étendent avec les voies ferrées, ici comme ailleurs
instruments de pénétration autant que de civilisation, soit dans le
nord-ouest, le nord, l'ouest, soit dans les âpres plateaux Patagons.
Quelles immenses réserves l'Argentine possède encore, on pourra en
juger si l'on songe qu'à peine G 0/0 de son territoire cultivable sont
mis en valeur. Cependant elle a déjà franchi la deuxième étape d'un
pays qui s'éveille à la grande vie civilisée. D'État pastoral, elle se
transforme en État agricole. Elle est devenue un des greniers
du monde, rivalisant avec l'Australie, les États-Unis, l'Inde, la
Russie, lorsque la tyrannie de V eslanciero (éleveur) a cessé d'éloi-
gner l'agriculteur. La culture des céréales, surtout du blé, y a admira-
blement réussi, principalement au nord-est, dans les provinces de
Buenos Aires, de Santa Fé et d'Entrerios, où 1,990,000 hectares sont
1. Kaerger, I, 17-45
2. kaerger, 1, 45-1 18; 1 19-180 (pour Santa Fé et Cordoba).
BIIU.IOGUAHUIE 817
emblavés, et le D' Kaerger estime qu'on pourrait l'élcndre 'avec
chance de succès à ^S millions d'hectares '. Déjà l'Argentine peut
déverser sur le marché ses 200 millions d'hectolitres de blé. Elle n'a
pas moins de 1,2:^4,000 hectares oii se cultive le maïs, dans les mêmes
régions où prospère le blé. Elle s'est mise à cultiver la vigne ainsi
que la betterave à sucre, et ces cultures se propagent avec rapidité.
Les vignobles, constitués avec des cépages d'origine française, ont
atteint un développement de 40,000 hectares en 1897; ils réussissent
à merveille dans l'Entrerios et sur les collines des provinces de San
Juan et de Mendoza. On retire déjà 2,5oo,ooo hectolitres de vin utilisés
pour la consommation courante, et si les procédés de vinification sont
encore très inférieurs à ceux du Bordelais et du Languedoc, nul doute
que peu à peu ils ne s'améliorent dans l'Argentine. Alors, l'un des
marchés des vins français pourrait se trouver sérieusement atteint.
Dès maintenan